Traitement de l’hépatite C : variations temporelles et régionales de la part des primo-prescriptions d’antiviraux à action directe par les médecins généralistes et facteurs associés, projet ANRS Fantasio 2, France hexagonale, 2019-2022
// Hepatitis C treatment: Temporal and regional variations in the percentage of first-time prescriptions of direct-acting antivirals by general practitioners and associated factors, ANRS FANTASIO 2 project, mainland France, 2019–2022
Résumé
Introduction –
Depuis mai 2019, la primo-prescription des antiviraux à action directe (AAD) pour le traitement de l’hépatite C, initialement réservée aux spécialistes exerçant à l’hôpital, a été élargie à l’ensemble des médecins, pour les personnes éligibles à une prise en charge (PEC) simplifiée. Nos objectifs étaient de décrire les variations temporelles et régionales de la part des primo-prescriptions d’AAD effectuées par les médecins généralistes (MG) libéraux et d’en étudier les facteurs associés en France hexagonale entre 2019 et 2022.
Méthodes –
Les personnes adultes résidant en France hexagonale ayant reçu une primo-prescription d’AAD entre mai 2019 et décembre 2022 ont été identifiées dans le Système national des données de santé (SNDS). Le pourcentage de personnes avec une primo-prescription d’AAD par un MG a été décrit, globalement et par région, ainsi que les facteurs associés à ce type de prescriptions chez les personnes éligibles à une PEC simplifiée (régression logistique).
Résultats –
Parmi les 22 353 personnes identifiées, 1 101 (4,9%) ont reçu une primo-prescription d’AAD par un MG. Le pourcentage de primo-prescriptions d’AAD par un MG variait de 2,7% en Pays de la Loire à 8,3% dans le Grand Est. Chez les 15 938 personnes éligibles à une PEC simplifiée, ce type de prescription concernait 855 personnes (5,4%). En analyse multivariée ajustée sur la région de résidence, la primo-prescription d’AAD par un MG était plus fréquente chez les personnes ayant reçu des traitements de substitution aux opiacés, et moins fréquente chez celles bénéficiant de l’aide médicale de l’État (AME) ou résidant dans un désert médical.
Conclusion –
La primo-prescription des AAD en médecine générale demeure très minoritaire en France hexagonale, avec des différences marquées selon les régions. Dans l’objectif d’élimination de l’hépatite C, il est important de soutenir et d’encourager cette pratique, en particulier dans les territoires où le maillage de soins de santé de proximité reste suffisant.
Abstract
Introduction –
In May 2019, first prescription of direct-acting antivirals (DAA) for treatment of hepatitis C, initially reserved for specialists practicing in hospitals, was extended to all physicians for people eligible for a simplified model of care (MOC). We aimed to describe trends in the percentage of first-time DAA prescriptions made by private general practitioners (GPs) in mainland France between 2019 and 2022, as well as the associated factors in the subgroup of people eligible for simplified MOC.
Methods –
Adults residing in mainland France who received a first prescription of DAA between May 2019 and December 2022 were identified in the French National Health Data System (SNDS). The percentage of people with a first prescription of DAA from a GP was described, overall and by region, as well as factors associated with this type of prescription among people eligible for simplified MOC (logistic regression model).
Results –
Of the 22,353 people identified, 1,101 (4.9%) received a first prescription of DAA from a GP. The percentage of first prescriptions of DAA by a GP ranged from 2.7% in Pays de la Loire to 8.3% in Grand Est. Among the 15,938 people eligible for simplified MOC, this type of prescription concerned 855 people (5.4%). In a multivariable analysis adjusted for region of residence, first prescription of DAA by a GP was more frequent among people who had received opiate substitution treatments, and less frequent among those receiving State Medical Assistance (AME) or living in a medical desert.
Conclusion –
First prescription of DAA in general practice remains minor in mainland France, with marked regional differences. With the aim of eliminating hepatitis C, it is important to support and encourage this practice, particularly in areas where the local healthcare network remains adequate.
Introduction
Le développement des antiviraux à action directe (AAD) contre l’hépatite C constitue l’une des avancées thérapeutiques majeures de la dernière décennie. Ces traitements innovants ont en effet rendu possible la guérison de l’hépatite C pour la quasi-totalité des personnes traitées, avec un profil d’efficacité et de tolérance bien supérieur à celui des traitements disponibles précédemment 1. Dans ce contexte, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a inscrit l’élimination de l’hépatite C parmi les objectifs de santé publique à atteindre en 2030 2. En France, où la prévalence de cette pathologie en population générale adulte a été estimée en 2019 à 0,29% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [0,16%-0,46%]) 3, le « Plan priorité prévention » du ministère des Solidarités et de la Santé a fixé l’objectif d’élimination à l’horizon 2025 4. Ainsi, dès 2016, la France s’est engagée dans la voie de l’accès universel aux AAD 5. En 2018, l’Association française pour l’étude du foie (Afef) a recommandé une simplification du parcours de soins pour l’hépatite C, favorisant une prise en charge (PEC) de proximité, avec notamment l’ouverture à l’ensemble des médecins de la possibilité de prescrire des AAD 6. Un modèle simplifié de PEC a été défini, en l’absence de co-infection par le virus de l’hépatite B (VHB) ou par le VIH, d’insuffisance rénale sévère, de comorbidité (diabète, obésité, consommation d’alcool à risque, etc.) mal contrôlée, de maladie hépatique sévère, et d’antécédent de traitement de l’hépatite C 7. Ce modèle recommande de privilégier les deux schémas thérapeutiques suivants, avec des doses fixes : Epclusa® (sofosbuvir + velpatasvir, un comprimé par jour pendant 12 semaines) ou Maviret® (glécaprévir + pibrentasvir, 3 comprimés une fois par jour pendant 8 semaines) 8. L’observance doit être évaluée régulièrement en cours de traitement, ainsi que les effets secondaires, généralement peu nombreux 9. Après évaluation de la réponse virologique 12 à 24 semaines après la fin du traitement, le suivi peut être interrompu chez les patients pour lesquels la charge virale du virus de l’hépatite C (VHC) est indétectable, sans fibrose hépatique avancée ni comorbidités hépatiques. Dans le cas contraire, un suivi spécialisé doit être maintenu 8. Enfin, le 20 mai 2019, la primo-prescription des AAD pour le traitement de l’hépatite C, initialement réservée aux spécialistes en gastro-entérologie, hépatologie, médecine interne ou infectiologie exerçant à l’hôpital, a été élargie à l’ensemble des médecins, dont les médecins généralistes (MG) libéraux 10. Ces derniers jouent un rôle de premier plan dans le dépistage du VHC. En effet, dans l’observatoire Kidepist, plus de 40% des patients avec hépatite C reçus en consultation externe d’hépato-gastro-entérologie dans 38 hôpitaux généraux (septembre 2017 à septembre 2018) avaient été diagnostiqués et adressés en consultation par un MG 11. Par ailleurs, d’après une étude récente du Système national des données de santé (SNDS), 59,7% des tests de dépistage des anticorps anti-VHC ont été prescrits par un MG sur la période 2014-2021 (analyse restreinte aux médecins du secteur privé, en excluant les spécialités non renseignées) 12. Pour autant, en 2021, seulement 5% des prescripteurs d’AAD étaient des MG 12.
Dans ce contexte, les objectifs de ce travail étaient : (i) de décrire les variations temporelles et régionales de la part des primo-prescriptions d’AAD réalisées par des MG libéraux, en France hexagonale, sur la période comprise entre le 20 mai 2019 et le 31 décembre 2022 ; (ii) d’étudier les facteurs associés à la primo-prescription d’AAD par des MG libéraux sur cette période dans le sous-groupe des personnes éligibles à une PEC simplifiée.
Matériel et méthodes
Sources de données
Le projet Fantasio 2 (« Facteurs associés à l’accès aux nouveaux traitements antiviraux pour l’hépatite C : déterminants structurels, individuels et opportunités d’action ») repose principalement sur l’analyse du SNDS. Cette base de données médico-administratives regroupe notamment, à l’échelle nationale, des informations individuelles et pseudonymisées concernant les remboursements de traitements, soins et actes médicaux, les hospitalisations et les dispositifs de PEC pour affection de longue durée (ALD) 13. Des indicateurs caractérisant l’offre de soins à l’échelle régionale, mis à disposition par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ont également été analysés.
Période et population d’étude
Les analyses présentées portent sur la période comprise entre le 20 mai 2019, date de l’élargissement de la possibilité de primo-prescription des AAD à l’ensemble des médecins, et le 31 décembre 2022.
Nous avons identifié l’ensemble des personnes adultes (≥18 ans), résidant en France hexagonale (y compris la Corse), et ayant reçu une primo-prescription d’AAD (données relatives à la première délivrance enregistrée dans le SNDS) pendant la période d’étude, pour laquelle le secteur d’activité et la spécialité du prescripteur – pour les médecins exerçant en libéral – étaient renseignés. Dans cette population, nous nous sommes également intéressés au sous-groupe des personnes éligibles à une PEC simplifiée de l’hépatite C identifiables à partir des données du SNDS, incluant les personnes naïves de traitement contre l’hépatite C, ne présentant pas de maladie hépatique sévère (fibrose hépatique avancée, cirrhose, carcinome hépatocellulaire), de co-infection par le virus de l’hépatite B ou le VIH, d’insuffisance rénale chronique ou de diabète (tableau 1). En l’absence de données concernant les résultats des tests biologiques dans le SNDS, les personnes présentant un diabète mal contrôlé (non éligibles à une PEC simplifiée) n’ont pas pu être identifiées.
Analyses statistiques
Le pourcentage de primo-prescriptions d’AAD effectuées par un MG libéral a été calculé sur la totalité de la période d’étude et par année, globalement, et par région. Le nombre de MG libéraux (1) et le nombre d’adultes avec hépatite C chronique identifiés dans le SNDS, évalués au cours de la période d’étude et rapportés à 100 000 habitants, ont été décrits par région. Les facteurs associés à la primo-prescription d’AAD par un MG libéral ont été identifiés dans le sous-groupe des personnes éligibles à une PEC simplifiée de l’hépatite C. À cette fin, un modèle de régression logistique binaire multivarié a été utilisé sur l’ensemble des données de primo-prescriptions d’AAD enregistrées dans le SNDS pendant la période d’étude. Les facteurs individuels suivants, mesurés à la date de primo-prescription d’AAD, ont été testés dans le modèle : sexe, âge (≥50 ans vs <50 ans), région de résidence, être bénéficiaire de la complémentaire santé solidaire (CSS) (une aide pour le paiement des dépenses de santé sous condition de ressources, qui remplace la couverture maladie universelle complémentaire – CMU-C – et l’aide pour la complémentaire santé – ACS), être bénéficiaire de l’aide médicale de l’État (AME), et avoir eu au moins une délivrance d’un traitement de substitution aux opiacés (TSO) ou d’un traitement contre la surdose d’opioïdes (buprénorphine, méthadone, naltrexone ou naloxone) dans l’année. Deux facteurs structurels, relatifs à l’offre de soins dans la commune de résidence, ont également été intégrés à l’analyse : la distance au centre hospitalier universitaire (CHU) le plus proche (>10 km vs ≤10 km, en ligne droite) et l’accessibilité aux soins de premier recours, évaluée à partir de l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL) développé par la Drees et l’Irdes 17. Le calcul de l’APL tient compte de l’offre de soins et de la demande adressée aux MG, de leur niveau d’activité en exercice (nombre d’actes réalisés) et de la structure par âge de la population de la commune. L’APL permet de repérer les communes sous-dotées en MG, définies par un APL inférieur ou égal à 2,5 consultations par an et par habitant (notion de « désert médical ») 18.
Des analyses univariées ont d’abord été menées avant d’aboutir au modèle multivarié final, intégrant les variables dont la p-valeur était inférieure au seuil de significativité de 5%.
Les analyses ont été effectuées à l’aide des logiciels SAS Enterprise Guide® 8.3 et Stata® (version 17.0).
Résultats
Évolution des primo-prescriptions d’AAD en médecine générale entre 2019 et 2022
Au total, 23 261 adultes résidant en France hexagonale ont reçu une primo-prescription d’AAD au cours de la période d’étude (données relatives au premier traitement de l’hépatite C). Chez les 22 353 personnes pour lesquelles le secteur d’activité du prescripteur et sa spécialité (pour les médecins exerçant en libéral) étaient renseignés, le pourcentage de primo-prescriptions effectuées par un MG libéral était de 4,9% globalement sur la période d’étude (4,5% entre le 20 mai et le 31 décembre 2019, 5,6% en 2020, 4,7% en 2021 et 4,8% en 2022) (tableau 2), contre 21,5% de primo-prescriptions effectuées par un spécialiste en libéral et 73,6% par un médecin exerçant dans le secteur hospitalier public ou privé. Le taux de primo-prescriptions effectuées par un MG libéral différait selon les régions, variant de 2,7% en Pays de la Loire et 2,8% en Bretagne à 7,1% en Bourgogne-Franche-Comté, 8,2% en Corse et 8,3% dans le Grand Est (figure 1). Les régions Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie présentaient des pourcentages de niveau intermédiaire (respectivement, 3,7%, 5,6% et 4,6%). Le pourcentage de primo-prescriptions effectuées par un MG libéral ne semblait pas associé au nombre de MG libéraux pour 100 000 habitants (figure 2) ou à la prévalence de l’hépatite C chronique par région (figure 3). Les seules régions pour lesquelles les deux premiers indicateurs précités concordaient étaient les Pays de la Loire, l’Auvergne-Rhône-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine. Dans l’analyse des données par année, le pourcentage de primo-prescriptions par un MG libéral le moins élevé était observé en Bretagne et Pays de la Loire (1,0% en 2019) et le plus élevé en Corse (15,6% en 2019) (tableau 2).
Focus sur les personnes éligibles à une prise en charge de l’hépatite C simplifiée
Parmi les 22 353 personnes ayant reçu une primo-prescription d’AAD au cours de la période d’étude, avec spécialité et secteur d’activité du prescripteur renseignés, 15 938 (71,3%) étaient identifiées comme éligibles à une PEC simplifiée (figure 4). Les critères de non-éligibilité les plus fréquents étaient la présence de fibrose hépatique avancée (10,4%) ou de diabète (9,9%), et les moins fréquents étaient la présence d’insuffisance rénale (1,2%) ou d’antécédents de traitements contre l’hépatite C (0,7%). Parmi les 15 938 personnes éligibles à une PEC simplifiée, 58,3% étaient âgées de 50 ans ou plus, 40,3% étaient des femmes, 29,9% bénéficiaient de la CSS, 5,6% de l’AME, et 19,7% avaient eu au moins une délivrance de TSO (ou de traitement contre la surdose d’opioïdes) dans l’année de la primo-prescription. Près des deux tiers (65,8%) résidaient dans une commune se trouvant à plus de 10 km d’un CHU, et 7,6% dans un désert médical (tableau 3). La primo-prescription d’AAD par un MG libéral concernait 855 personnes, soit 5,4% de l’ensemble des personnes éligibles à la PEC simplifiée.
Facteurs associés à la primo-prescription d’AAD en médecine générale chez les personnes éligibles à une prise en charge simplifiée
Dans l’analyse multivariée ajustée sur la région de résidence, la primo-prescription d’AAD par un MG libéral était significativement plus fréquente chez les personnes ayant reçu un TSO ou un traitement contre la surdose d’opioïdes, et moins fréquente chez les bénéficiaires de l’AME et chez les personnes résidant dans un désert médical (tableau 3).
Discussion
Au cours des quatre années suivant l’élargissement de la possibilité de prescription des AAD à l’ensemble des médecins dans le cadre du parcours simplifié de PEC de l’hépatite C chronique, la primo-prescription de ces traitements demeure très majoritairement effectuée en milieu hospitalier. Le pourcentage de primo-prescriptions par un MG libéral varie selon les régions et les caractéristiques de la population à traiter.
L’initiation du traitement de l’hépatite C en médecine générale : une pratique très minoritaire
Les données récentes sur l’activité de dépistage des hépatites virales en laboratoire de biologie médicale en France hexagonale et dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) montrent, entre 2016 et 2021, une diminution du taux de positivité des tests de dépistage des anticorps anti-VHC réalisés (de 0,73% en 2016 à 0,67% en 2021), malgré l’augmentation du nombre de tests réalisés (enquête LaboHEP 2021 19). En parallèle, ces dernières années, le nombre d’initiations de traitements de l’hépatite C diminue 12, reflet à la fois d’une diminution du nombre de personnes restant à traiter et de difficultés à atteindre certaines d’entre elles, potentiellement plus éloignées des soins. L’analyse des données du SNDS entre mai 2019 et décembre 2022 montre que la primo-prescription d’AAD par un MG libéral est une pratique très minoritaire, représentant seulement 4,9% du total des primo-prescriptions d’AAD sur la période d’étude (et concernant 5,4% des personnes identifiées comme éligibles à une PEC simplifiée), sans augmentation, y compris dans la période post-Covid-19. Cette analyse suggère également que près de sept adultes avec hépatite C chronique sur 10 identifiés sur la période d’étude et traités étaient éligibles à une PEC simplifiée de l’hépatite C, et, de ce fait, à la prescription du traitement par un MG. Les limites à l’identification dans le SNDS de certains critères d’éligibilité à la PEC simplifiée, et notamment l’absence de données précises sur l’atteinte histologique hépatique, peuvent toutefois conduire à une surestimation du nombre de personnes pouvant bénéficier d’une telle PEC. Des données antérieures ont montré qu’Epclusa® et Maviret® constituaient la quasi-totalité des AAD prescrits entre 2019 et 2021 12. En dépit de ce contexte favorable à une simplification de la PEC de l’hépatite C, engageant des acteurs de santé de proximité, les MG semblent s’être encore peu saisis de la possibilité de prescrire des AAD. Le nombre restreint de cas d’hépatite C auxquels peuvent être confrontés les MG libéraux en pratique courante, en lien avec la faible prévalence de la maladie en population générale 20, peut en partie expliquer ce constat. Par ailleurs, une étude qualitative menée en 2022 auprès de 22 MG exerçant en Nouvelle-Aquitaine 21 indique que le manque de formation et le besoin de s’appuyer sur un réseau de spécialistes du VHC pourraient expliquer la réticence de certains MG à prescrire ces traitements de l’hépatite C. En revanche, une étude menée en miroir dans la même région auprès de personnes infectées ou à risque d’infection par le VHC a mis en évidence une attente de la patientèle quant à la possibilité d’une prise en charge de proximité, par leur médecin traitant, avec qui une relation de confiance s’était établie. Seules les personnes déjà suivies à l’hôpital, notamment celles présentant des comorbidités (par exemple co-infection VIH-VHC) exprimaient une préférence pour un suivi de l’hépatite C par des spécialistes 21. La propension des MG à prescrire des AAD est également influencée par les caractéristiques de leur patientèle. Ainsi, la crainte de devoir gérer des cas cliniques complexes (par exemple patients avec comorbidités) et la rareté des cas d’hépatite C dans la patientèle apparaissent comme des freins à la prescription des traitements de l’hépatite C 21. Les compétences des MG dans la PEC de populations spécifiques jouent également un rôle. Dans une étude quantitative menée auprès de 117 MG exerçant en Ille-et-Vilaine, les médecins dont la patientèle comportait une proportion plus importante de personnes migrantes montraient un intérêt plus marqué vis-à-vis de la prescription des AAD 22. Dans notre étude, la primo-prescription d’AAD par un MG libéral était plus fréquente chez les personnes ayant reçu un TSO ou un traitement contre la surdose d’opioïdes dans l’année de la prescription, suggérant une plus grande facilité à prescrire les AAD chez les MG plus expérimentés dans la PEC de populations spécifiques comme les usagers de drogues. Une moyenne d’âge plus jeune dans cette population pourrait également jouer un rôle dans les modalités de PEC. Dans le panel 2019-2020 d’observation des pratiques et conditions d’exercice en médecine générale, 66% des 2 412 MG participants déclaraient initier ou renouveler des prescriptions de TSO 23. Par ailleurs, en 2017, près de 9 délivrances de TSO sur 10 étaient effectuées en ville, avec comme principaux prescripteurs les MG 23. Ces données confirment la nécessité de poursuivre et de renforcer l’information sur le dispositif de PEC simplifiée à travers des campagnes de formation auprès des MG prenant en charge les populations à risque, en particulier ceux prescrivant des TSO, en rappelant à la fois la simplicité d’utilisation des AAD et les bénéfices (hépatiques et extra-hépatiques) de la guérison virologique 24.
Des différences marquées entre les régions
Le pourcentage de primo-prescriptions d’AAD par un MG libéral diffère de façon significative selon les régions au cours de la période d’étude. Les pourcentages les plus élevés sont observés pour les régions Grand Est (8,3%), Corse (8,2%), et Bourgogne-Franche-Comté (7,1%). L’absence de CHU en Corse et une part plus importante de personnes recevant des TSO parmi les personnes traitées par AAD en Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est peuvent en partie expliquer ces résultats. À l’échelle individuelle, de façon attendue, les personnes résidant dans un désert médical (APL≤2,5) bénéficient moins de la primo-prescription d’AAD en médecine générale. À l’échelle régionale, le lien avec les déserts médicaux est moins évident : par exemple, en Bretagne, seulement 2,8% des primo-prescriptions d’AAD étaient effectuées par un MG, alors que cette région ne compte pas parmi celles pour lesquelles l’accès aux médecins généralistes est le plus difficile 18. De la même façon, on ne retrouve pas d’association au niveau régional entre le pourcentage de primo-prescriptions d’AAD par un MG libéral et la densité de MG libéraux ou la prévalence de l’hépatite C chronique. De façon intéressante, les pourcentages de primo-prescriptions d’AAD par un MG libéral étaient de niveau intermédiaire dans les régions Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie, régions dans lesquelles les taux de dépistage du VHC et de positivité des tests étaient les plus élevés en 2021 19, et dans lesquelles d’autres indicateurs clés pour la surveillance de l’hépatite C (taux d’initiation d’AAD, taux de nouveaux bénéficiaires de l’ALD pour l’hépatite C, taux de personnes présentant un diagnostic d’hépatite C chronique parmi les personnes hospitalisées) sont les plus élevés ces dernières années 12,25,26,27. Dans ces régions en particulier, un soutien et une formation des MG à la PEC de l’hépatite C s’avèrent nécessaires, afin d’en inciter le plus grand nombre à prescrire des AAD.
Forces et limites de l’étude
L’utilisation des données du SNDS, qui regroupe la quasi-totalité de la population française, constitue la principale force de cette étude. Toutefois, le SNDS ne comporte pas à ce jour de données biomédicales (résultats de tests, d’examens, etc.), ce qui limite la vérification des critères de non-éligibilité à une PEC simplifiée de l’hépatite C. Ainsi, il n’est pas possible, par exemple, d’identifier les personnes présentant un diabète mal contrôlé ou une obésité, ou encore une consommation d’alcool à risque (hors séjours hospitaliers pour sevrage). De la même façon, les personnes présentant une fibrose hépatique avancée n’ayant pas donné lieu à une hospitalisation ou à une mise sous ALD ne peuvent pas être repérées. Enfin, cette étude s’intéressant à la primo-prescription d’AAD, les pratiques de prescription pour les traitements multiples (réinfection, échec de traitement), qui n’entrent pas dans les critères de la PEC simplifiée, ne sont pas décrites.
Conclusion
En France hexagonale, malgré la possibilité donnée depuis 2019 à l’ensemble des médecins de prescrire ces traitements dans le cadre d’une prise en charge simplifiée, la primo-prescription d’AAD en médecine générale demeure très minoritaire, avec des différences marquées selon les régions. Elle concerne notamment les usagers de drogues. Alors que le nombre d’initiations de traitement de l’hépatite C diminue, la prescription d’AAD par les MG, acteurs majeurs du dépistage de l’infection par le VHC, constitue un levier d’action significatif pour l’élargissement de l’accès aux traitements de l’hépatite C. Il est important de soutenir et d’encourager les MG à intégrer la prescription d’AAD à leurs pratiques, partout où cela est possible, en particulier dans les territoires où le maillage de soins de santé de proximité reste suffisant.
Financement
Le projet de recherche ANRS Fantasio 2 a été financé par l’Agence nationale de recherches sur le VIH/Sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE).
Liens d’intérêt
Marc Bourlière déclare des liens d’intérêt avec Gilead, AbbVie, GSK, Janssen, Precision BioSciences. Philippe Sogni et Benjamin Rolland déclarent des liens d’intérêt avec Gilead et AbbVie. Les autres auteurs ne déclarent aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.