Sur le chemin de l’élimination des hépatites virales

// Towards the eradication of viral hepatitis

Pr Stanislas Pol
Université de Paris, Hôpital Cochin, AP-HP, Département d’hépatologie, Paris

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé pour objectif l’élimination des infections par les virus des hépatites chroniques d’ici 2030 définie par une réduction de 10% de la mortalité, l’accès au diagnostic de 90% des sujets infectés et aux traitements de 80% d’entre eux 1.

Cet objectif ne sera probablement pas atteint pour l’ensemble des pays, même si 15 pays à haut revenu sur 40 sont sur la voie de l’élimination grâce à des politiques proactives, intégrant les trois piliers d’une politique d’élimination efficace incluant dépistage, accès aux soins et aux traitements (préventifs, comme la vaccination, et antiviraux), et suivi des patients. La France fait partie de ces 15 pays 2 et le Pr Agnès Buzyn, ministre de la Santé en 2019, avait fixé un objectif d’élimination de l’hépatite C en France pour 2025.

Ce numéro du BEH illustre la situation française en 2024 de différents axes d’élimination, les méthodes, leur faisabilité, les résultats et leurs limites, permettant d’identifier de nouvelles pistes pour concrétiser l’espoir d’une élimination. L’amélioration du dépistage des hépatites virales reste l’axe crucial et sa précocité, l’acuité des techniques et leur répétition en cas de persistance de l’exposition aux risques optimisent la cascade de soins.

La stratégie en deux étapes pour la détection de l’infection virale C (positivité du test sérologique et alors détection de l’ARN VHC par une technique sensible de biologie moléculaire sur un second échantillon biologique) est une limite, particulièrement pour les populations vulnérables (usagers de drogues, migrants, travailleurs du sexe) pour lesquelles l’observance des recommandations reste aléatoire et l’altération du réseau veineux chez les usagers de drogues peut constituer un frein majeur au dépistage. Le dépôt de sang capillaire sur papier filtre (DBS) est largement utilisé et son évaluation dans les structures de bas seuil (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie – CSAPA –, et centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues – Caarud) dans l’étude de Chevaliez et coll. 3 confirme la faisabilité de cette modalité de dépistage, montrant un taux de positivité élevé des marqueurs sérologiques d’infection par les VHC, VHB et VIH (16,3%, 1,3% et 1,3% respectivement) dans ces structures où 55% des sujets avaient un ou plusieurs facteurs de risques d’exposition aux virus des hépatites. Ce dépistage a permis l’accès aux traitements des patients infectés par le VHC avec un taux de guérison virologique de 90%. Le nombre de sujets en rupture de suivi avant le début de traitement et en cours de traitement était très faible. Le dépistage est d’autant plus important qu’un tiers des individus avaient une fibrose significative (F>2, dont 11,2% avaient une cirrhose). Chez les usagers de drogues, la nécessité du dépistage et sa répétition, du fait de la permanence du risque infectieux et de l’accès aux traitements, sont justifiés, certes pour des bénéfices individuels, mais aussi collectifs puisque la guérison de l’hépatite C permet une réduction de 50% des nouvelles infections dans les communautés à risque 4. Enfin, la nécessité du suivi post-guérison s’impose pour la prévention du risque de carcinome hépatocellulaire ou de cholangiocarcinome et pour le dépistage d’éventuelles réinfections.

Le dépistage de l’infection par le virus de l’hépatite Delta (VHD), satellite de l’infection par le virus de l’hépatite B, est une autre priorité, d’autant plus que le bulévirtide, inhibiteur d’entrée du VHB et du VHD est aujourd’hui disponible, en attendant la mise à disposition de nouveaux traitements. Un « reflex testing » (contrôle systématique des anticorps anti-VHD en cas de positivité de l’antigène HBs, et contrôle de l’ARN VHD par RT-PCR en cas de positivité aux anticorps anti-VHD) est indispensable 5, notamment car le risque de cirrhose et de carcinome hépatocellulaire lié au VHD est deux à trois fois supérieur, par comparaison à l’infection virale B isolée. Le traitement, donc le dépistage, sont d’autant plus justifiés que, comme pour le VHC, les traitements antiviraux permettent d’espérer une éradication complète du VHD, certes à une fréquence inférieure (98% vs 25%, respectivement). L’étude de Rigaud et coll. 6 avait pour objectif, à partir du Système national des données de santé (SNDS), de comparer au cours du temps le nombre de sérologies virales Delta effectuées en cas de positivité de l’antigène HBs. Les recommandations ont été en partie mises en œuvre puisque le nombre de tests est en progression sur la période 2016-2022 de 45% pour l’antigène HBs, de 130% pour les anticorps anti-VHD et de 206% pour l’ARN VHD. Il existe des disparités géographiques avec une plus grande fréquence de dépistage en région parisienne et en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), et près de la moitié des patients dépistés sont en situation précaire. Le dépistage s’améliore mais reste insuffisant dans la perspective d’une élimination. Une modélisation suggère qu’un « reflex testing » exhaustif chez les porteurs de l’antigène HBs réduit de 35% les événements liés au foie et la mortalité, et qu’il est coût-efficace : l’information sur le « reflex testing » et sa faisabilité sur papier buvard doit être diffusée 5.

Les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), accessibles à tous et particulièrement aux populations les plus exposées ou les plus éloignées du système de soins, ont pour mission d’assurer la prévention, le dépistage et le diagnostic des infections par le VIH, des infections sexuellement transmissibles (IST), des hépatites virales et leurs traitements ambulatoires. Les données de dépistage en CeGIDD ne sont pas incluses dans le SNDS. Elles complètent donc les données apportées par les études SNDS. L’étude de Tamandjou et coll. 7 (plus de 500 000 consultations pour 304 CeGIDD recensés) montre un taux de positivité des anticorps anti-VHC de 0,7% (dont 12% d’ARN VHC positifs) et de l’antigène HBs de 1,1%. Les taux sont plus élevés chez les sujets nés à l’étranger (4% pour le VHB et 1,6% pour le VHC) avec 0,8% pour les hommes cis hétérosexuels, 1,4% pour le VHB et le VHC chez les personnes transgenres et 0,5% pour le VHC chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes. Les taux de positivité varient en fonction des régions avec les taux les plus élevés en Guyane, en région Auvergne-Rhône-Alpes et en Île-de-France pour le VHB, dans le Grand Est pour le VHC et en Centre-Val de Loire pour les deux virus. Ces données confirment que les hépatites virales B, malgré la disponibilité large du dépistage et des traitements efficaces, restent un problème important de santé publique touchant de façon disproportionnée certaines populations, particulièrement les personnes nées à l’étranger et celles en situation de précarité sociale.

Un bilan d’une incitation au dépistage du VHB/VHC/VIH à la suite d’un signalement aux autorités sanitaires d’un manquement aux conditions d’hygiène dans deux structures de soins dentaires en région Bourgogne-Franche-Comté a été effectué par Terrien et coll. 8. Si le taux de dépistage global n’était que de 25,8%, les résultats sont néanmoins rassurants : pas d’infection par le VIH et les données épidémiologiques pour le VHC (7 anti-VHC+ dont 1 ARN VHC+ sur les 4 testés), et génotypiques pour les 7 AgHBs+ ne suggèrent pas de transmission liée aux soins, même si quelques cas anecdotiques bien documentés de transmission liée aux soins dentaires ont été rapportés dans la littérature.

Depuis plus de 20 ans la surveillance de l’hépatite B aiguë par déclaration obligatoire contribue à l’évaluation de l’impact des stratégies vaccinales contre le VHB. Le travail de Laporal et coll. 9 portant sur la période 2011-2022 suggère une baisse de moitié de l’incidence de l’hépatite B aiguë sous réserve que l’exhaustivité de la déclaration obligatoire (27% en 2016) n’ait pas diminué, sachant que seules 10 à 20% des hépatites B aiguës sont symptomatiques. La proportion des cas pour les quarantenaires a diminué (possiblement due à la vaccination en milieu scolaire avant les années 1990), alors que la proportion des hépatites aiguës des 20 à 29 ans a augmenté, reflétant probablement l’absence de vaccination recommandée en milieu scolaire pour cette tranche d’âge et de l’absence de vaccination obligatoire avant janvier 2018. Parmi les cas rapportés, 81% avaient une indication vaccinale et seulement 5% était vaccinés. Pour les personnes nées à l’étranger, un séjour en zone de forte endémicité de l’hépatite B est deux fois plus rapporté qu’une exposition sexuelle. Il est donc essentiel, comme cela est recommandé dans le dernier rapport d’expert sur la prise en charge du VIH, des hépatites virales et des IST 5, d’identifier des opportunités de rattrapage vaccinal de l’hépatite B pour les adolescents, en association avec la proposition de vaccination HPV et de vaccination des adultes particulièrement exposés (Journée défense et citoyenneté, rendez-vous de prévention), conformément au calendrier vaccinal. Six cas déclarés sur 10 sont nés à l’étranger, illustrant la faible couverture vaccinale dans certains pays d’origine, des expositions à risque plus fréquentes dans les pays d’origine, de transit et/ou à l’arrivée en France notamment chez les personnes migrantes en situation irrégulière ou précaire. Près de la moitié des cas rapportés concernaient des personnes primo-arrivantes, donc contaminées à l’étranger ou dans les mois suivant leur arrivée en France. Des actions de rattrapage vaccinal chez les adolescents et les jeunes adultes et de prévention par dépistage et vaccination auprès des personnes migrantes sont donc nécessaires ; le renforcement de l’exhaustivité de la déclaration obligatoire l’est aussi pour mieux comprendre les évolutions et suivre avec la vaccination obligatoire l’extinction progressive de l’infection virale B. Si les informations apportées par la déclaration obligatoire de l’hépatite B sont limitées par sa faible exhaustivité et le manque de représentativité (surreprésentation des formes graves en milieu hospitalier), on retiendra malgré tout une diminution de moitié des cas d’hépatite aiguë ne dispensant pas de la nécessité de cibler le dépistage et la prévention des personnes à risques, adolescents et migrants.

Enfin si le dépistage est crucial pour la cascade de soins, il suppose que des traitements soient disponibles, virosuppresseurs (VIH, VHB) ou éradicateurs (VHC, VHD). Le travail de Marcellin et coll. 10 montre les variations temporelles et régionales de la primo-prescription d’antiviraux à action directe du VHC (AAD) par les médecins généralistes, autorisée en 2019 pour augmenter l’accès aux traitements. Les résultats sont plutôt décevants puisque ce ne sont que 2,7 à 8,3% des patients primo-traités selon les régions qui le sont par leur médecin généraliste, pour près de 16 000 personnes éligibles à une prise en charge simplifiée selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) 11. En analyse multivariée ajustée sur la région de résidence, la primo-prescription par le médecin généraliste était plus fréquente chez les sujets recevant des traitements de substitution aux opiacés, et moins fréquente chez ceux bénéficiant de l’aide médicale de l’État (AME) ou résidant dans un désert médical. Dans l’objectif de l’élimination de l’hépatite C, la primo-prescription des AAD en médecine générale doit devenir un axe prioritaire. Dans la période 2016-2021, le taux de positivité des tests de dépistage anti-VHC a diminué de 0,73% en 2016 et 0,67% en 2021 malgré l’augmentation du nombre de tests réalisés. La diminution du nombre d’initiations d’AAD reflète la diminution du nombre de personnes restant à traiter et les difficultés à atteindre certaines d’entre elles, potentiellement plus éloignées des soins.

En conclusion, la France reste bien placée dans la perspective de l’élimination des hépatites virales B, C et D. L’évaluation de la triade d’élimination dépistage/accès aux soins/traitements antiviraux et vaccination antivirale B obligatoire montre que les politiques proactives d’accès au dépistage et aux traitements ont déjà porté leurs fruits, mais elles devront être amplifiées pour faciliter l’accès aux populations défavorisées (dépistage du VHB, qui sera gratuit avec le IST-Test pour les moins de 26 ans, et vaccination des migrants, amplification des politiques de réduction des risques). Les traitements curatifs supposent que le dépistage d’amont ait été effectué, et le « reflex testing » systématique, possible pour VHB/VHC et VHD, est une façon d’améliorer la cascade de soins. L’histoire du VHB et la disponibilité du vaccin depuis 1980 qui promettait une éradication du VHB pour l’an 2000 nous invite à l’humilité et à la vigilance : les outils efficaces et le dévouement des acteurs de terrain ne suffisent pas ; ils doivent être doublés d’une volonté politique internationale sans faille pour l’élimination.

Liens d’intérêt

Le Pr Stanislas Pol a reçu des honoraires de consultant ou d’orateur de Gilead, Abbvie, ViiV, LFB, Pfizer et des bourses Abbvie, Gilead.

Références

1 World Health Organization. Global hepatitis report 2017. Geneva: WHO; 2017. 83 p. https://www.who.int/publications/i/item/9789241565455
2 Polaris Observatory, HCV Collaborators. Global prevalence and genotype distribution of hepatitis C virus infection in 2015: A modelling study. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2017:2(3);161-76.
3 Chevaliez S, Garrigou O, Ortonne V, Carmona D, Bourdel A, Canva V, et al. Dépistage des hépatites virales et du VIH dans les structures médico-sociales d’addictologie (CSAPA et Caarud), France, 2018-2023. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):337-43. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_1.html
4 Boerekamps A, van den Berk GE, Lauw FN, Leyten EM, van Kasteren ME, van Eeden A, et al. Declining hepatitis C virus (HCV) incidence in Dutch human immunodeficiency virus positive men who have sex with men after unrestricted access to HCV therapy. Clin Infect Dis. 2018;66(9):1360-65.
5 Razavi HA, Buti M, Terrault NA, Zeuzem S, Yurdaydin C, Tanaka J, et al. Hepatitis D double reflex testing of all hepatitis B carriers in low-HBV- and high-HBV/HDV-prevalence countries. J Hepatol. 2023;79(2):576-80.
6 Rigaud C, François S, Loustaud-Ratti V. Cartographie du dépistage de l’hépatite Delta en France métropolitaine de 2016 à 2022 à partir des données du Système national des données de santé (SNDS). Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):343-54. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_2.html
7 Tamandjou C, Delmas G, Chazelle É, Lot F, Brouard C, Comité d’appui thématique SurCeGIDD, et al. Dépistage et diagnostic des hépatites B et C en CeGIDD en 2022, surveillance SurCeGIDD. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):354-63. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_3.html
8 Terrien É, Delmas E, Lot F, Soing Altrach S, Brouard C, Retel O. Bilan de l’incitation au dépistage des virus hématogènes chez les patients de deux centres dentaires, Bourgogne-Franche-Comté, 2021-2022. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):363-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_4.html
9 Laporal S, Tamandjou C, Lot F, Brouard C. Surveillance de l’hépatite B aiguë en France : données issues de la déclaration obligatoire, 2011-2022. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):369-77. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_5.html
10 Marcellin F, Di Beo V, Brouard C, Ramier C, Allier Y, Mourad A, et al. Traitement de l’hépatite C : variations temporelles et régionales de la part des primo-prescriptions d’antiviraux à action directe par les médecins généralistes et facteurs associés, projet ANRS Fantasio 2, France hexagonale, 2019-2022. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):377-85. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_6.html
11 Haute Autorité de santé. Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B, C ou D. 2024. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3324682/fr

Citer cet article

Pol S. Éditorial. Sur le chemin de l’élimination des hépatites virales. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(16-17):334-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/16-17/2024_16-17_0.html