Étude comparative de la fréquence des hépatites B et C chez les personnes nouvellement diagnostiquées pour carcinome hépatocellulaire en France métropolitaine et dans les départements et régions d’outre-mer, 2015-2019
// Comparative study of frequency of viral hepatitis B or C in new diagnosed hepatocellular carcinoma patients in Mainland France and French Overseas departments and regions in 2015-2019
Résumé
Introduction –
Cet article présente la fréquence des hépatites virales chroniques B (VHB) et C (VHC) chez les patients diagnostiqués pour carcinome hépatocellulaire (CHC) dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), comparée à la métropole.
Matériel et méthode –
Les données proviennent du Système national de données de santé (SNDS). À l’aide des codes CIM-10, CIP/UCD et NABM, les informations des patients nouvellement diagnostiqués pour CHC entre 2015-2019 et qui présentaient ou non une infection virale B ou C ont été sélectionnées. La fréquence des patients, parmi la population de l’étude avec un diagnostic d’hépatites virales B ou C a été calculée. Les taux d’incidence, standardisés sur la structure d’âge de la population mondiale 1960, de CHC et de CHC avec VHB ou VHC ont été calculés.
Résultats –
Sur la période de l’étude, 28 868 nouveaux patients diagnostiqués et hospitalisés pour CHC ont été sélectionnés. L’âge moyen au diagnostic de CHC était de 69,1 ans (écart-type=11,3) en métropole et de 64,5 ans (écart-type=13,8) dans les DROM (p<0,001). Les taux d’incidence de CHC standardisés sur la population mondiale étaient de 4,15/100 000 personnes-années en métropole et 1,95/100 000 personnes-années dans les DROM. Le taux d’incidence de CHC avec VHB était de 0,50/100 000 personnes-années en métropole et 0,60/100 000 personnes-années dans les DROM. Pour les patients CHC avec VHC, le taux était 2,7 fois plus élevé en métropole (0,92/100 000 personnes-années) que dans les DROM (0,34/100 000 personnes-années). Quelle que soit la région des DROM, le taux d’incidence de CHC avec VHB était plus élevé que celui de CHC avec VHC, sauf en Martinique.
Conclusion –
L’incidence du CHC est deux fois moins élevée dans les DROM qu’en métropole. La participation des hépatites virales au diagnostic de CHC, avec une prédominance de VHB, est plus importante dans les DROM qu’en métropole.
Abstract
Introduction –
This article presents the frequency of chronic viral hepatitis B (VHB) and C (VHC) in patients diagnosed with hepatocellular carcinoma (HCC) in the Overseas Departments and Regions (DROMs) compared to metropolitan France.
Material and Method –
Using the ICD-10, CIP/UCD and NABM codes of data from the National Health Data System (SNDS), we selected information in patients newly diagnosed with HCC in 2015-2019 and who had or did not have a B or C virus infection. The frequency of patients in the study population with a viral hepatitis B or C infection was calculated. The incidence rates, standardized on the age structure of the 1960 world population, of HCC and HCC with VHB or VHC were calculated.
Results –
During the study period, 28,868 new patients diagnosed and hospitalized for HCC were selected. The mean age at diagnosis of HCC patients was 69.1 years (standard deviation = 11.3) in metropolitan France and 64.5 years (standard deviation=13.8) in the DROMs (p<0.001). The standardized incidence rates of HCC were 4.15 / 100,000 person-years in metropolitan France and 1.95 / 100,000 person-years in the DROMs.
The incidence rate of HCC with VHB was 0.50 / 100,000 person-years in metropolitan France and 0.60 / 100,000 person-years in the DROMs. For VHCs, the rate was 2.7 times higher in metropolitan France (0.92 / 100,000 person-years) than in the DROM (0.34 / 100,000 person-years). Regardless of the DROMs region, the incidence rate of HCC with VHB was higher than that of HCC with VHC except in Martinique.
Conclusion –
The incidence of HCC is two times lower in the DROMs than in metropolitan France. The participation of viral hepatitis in the diagnosis of HCC, with a predominance of VHB, is greater in the DROMs than in metropolitan France.
Introduction
En France métropolitaine, les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale du cancer primitif du foie (CPF) en 2018 étaient respectivement de 12,5 et 2,9/100 000 Personnes-Années (PA) chez les hommes et les femmes 1. Le CPF est un cancer principalement masculin (80% des cas). En termes d’incidence, il représente le 8e cancer chez l’homme et le 15e chez la femme. Les taux d’incidence ont augmenté régulièrement ces dernières décennies, en moyenne de 1,6% par an chez l’homme et de 3,5% par an chez la femme sur la période 1990-2018 1. Les âges médians au diagnostic en 2018 étaient de 69 et 73 ans chez les hommes et chez les femmes. En 2018, en termes de mortalité, le CPF était le 4e cancer chez l’homme et le 15e chez la femme, avec respectivement des taux de mortalité standardisés de 9 et 6,9/100 000 PA. Le pronostic du CPF reste mauvais, avec un taux de survie nette standardisée à 5 ans de 18% pour les cas diagnostiqués en 2010-2015 2.
Dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), les taux d’incidence du CPF chez les hommes et les femmes étaient respectivement de 3,6/100 000 PA et 1,1/100 000 PA en 2008-2014 en Guadeloupe, 3,3/100 000 PA et 1,8/100 000 PA en 2007-2014 en Martinique, 10,5/100 000 PA et 2,7/100 000 PA en 2010-2014 en Guyane 3 et 7,9/100 000 et 2,8/100 000 en 2014-2016 à La Réunion 4.
Le carcinome hépatocellulaire (CHC) représente le principal CPF. Il survient dans plus de 90% des cas chez les malades atteints de maladie chronique du foie sous-jacente, généralement parvenue au stade de cirrhose qui constitue un véritable état précancéreux 5. Les principaux facteurs de risque (FdR) du CHC sont la consommation excessive d’alcool, le tabac, la stéato-hépatite due à l’obésité et au diabète, les hépatites virales chroniques, l’hémochromatose, l’aflatoxine, les expositions environnementales et professionnelles (en lien avec l’arsenic, le chlorure de vinyle…). Dans le monde, les hépatites virales chroniques sont les causes majeures des maladies du foie et du CHC 6. Elles sont considérées comme une menace importante pour la santé publique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a fixé comme objectif leur élimination d’ici 2030. En France, l’alcoolisme chronique est la principale cause de CHC, suivie de l’infection par les virus des hépatites C (VHC), la stéato-hépatite non alcoolique (NASH) et l’infection par le virus B (VHB) 7.
Si en métropole, plusieurs études épidémiologiques 8,9,10,11 ont rapporté qu’environ un CHC sur quatre était imputable aux hépatites virales chroniques associées ou non à d’autres causes, dans les DROM, les informations sur l’importance de ce lien sont rares. Comme suggéré dans une récente étude sur la fréquence des hépatites virales chroniques associées au CHC en France métropolitaine 11, cette étude a pour objectif de mesurer la fréquence des hépatites virales chroniques chez les patients nouvellement diagnostiqués et hospitalisés pour CHC dans les DROM entre 2015-2019 et de la comparer à celle de la métropole.
Matériel et méthodes
Sources de données
Les données ont été extraites du Système national des données de santé (SNDS) notamment du programme de médicalisation des systèmes d’information hospitaliers (PMSI) et des bases de l’Assurance maladie. Les informations étaient pseudonymisées grâce à l’identifiant individuel anonyme commun (IIAC) qui permet de relier entre eux les différentes hospitalisations et les remboursements de soins d’un même patient.
Le PMSI
Il enregistre de manière exhaustive et systématique des informations standardisées pour tout séjour dans un établissement de santé public ou privé (hospitalisation complète ou ambulatoire), au sein d’un service de médecine, chirurgie, gynécologie obstétrique (MCO), de soins de suite et de réadaptation, de psychiatrie et en hospitalisation à domicile (HAD). Les principales informations médico-administratives utilisées sont notamment l’âge, le sexe, le code postal du lieu de résidence, l’année du séjour, les diagnostics rapportés pour chaque épisode de soins. Codés à l’aide de la classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10), les diagnostics sont détaillés en diagnostic principal (DP), relié (DR) et associés significatifs (DAS). Jusqu’en 2009, le DP représentait le « motif de prise en charge qui a mobilisé l’essentiel de l’effort médical du soignant au cours de l’hospitalisation ». Depuis 2009, il représente le motif d’hospitalisation du patient. Le DR représente tout diagnostic permettant d’éclairer le contexte pathologique, essentiellement lorsque le DP n’est pas lui-même une affection. Par exemple, lors de la réalisation de séances de chimiothérapie ou de radiothérapie pour cancer, le DR mentionne le cancer. Les DAS sont « les diagnostics, symptômes et autres motifs de recours significatifs d’une majoration de l’effort de soins et de l’utilisation des moyens, par rapport aux DP et DR ». Il peut s’agir d’une complication du DP ou du couple DP+DR, d’une complication du traitement ou d’une comorbidité.
Pour cette étude, les données disponibles du PMSI MCO et HAD de la période 2005-2019 ont été utilisées.
Les données de l’Assurance maladie
Les données de l’Assurance maladie comprennent notamment des informations détaillées sur les soins remboursés (consultations, médicaments, actes de biologie médicale…) ainsi que sur les assurés sociaux, les établissements de soins, les professionnels de santé et les affections de longue durée (ALD).
–Les données d’ALD
Les ALD sont un dispositif financier de l’Assurance maladie permettant de prendre en charge à 100% les soins et traitements en lien avec une maladie « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessitent un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse » 12. Il en existe une trentaine. Les ALD n° 6 et 30 concernent respectivement les maladies chroniques actives du foie ou cirrhoses et le cancer. Les données disponibles concernent les informations administratives et le motif médical de l’exonération codé à l’aide de la CIM-10.
–Les données de pharmacie et de biologie
Le codage des traitements pharmacologiques des patients repose sur les codes CIP (code identifiant de présentation) ou UCD (unité commune de dispensation) tandis que le codage des actes biologiques repose sur les codes NABM (nomenclature des actes de biologie médicale). Ces données sont disponibles à partir de 2006.
Les informations utilisées dans cette étude sont les ALD de la période 2005-2019 (en conformité avec les années d’hospitalisation et de prise en charge) et les remboursements des médicaments et actes de biologie médicale réalisés à l’hôpital (en activité externe) ou en médecine de ville de 2006-2019 (années disponibles dans le SNDS).
Sélection des patients et période d’étude
Les patients ont été sélectionnés à l’aide de l’algorithme développé par Kudjawu et coll. 11. Pour le diagnostic de CHC, à l’aide des codes CIM-10 enregistrés en DP ou DR dans le PMSI, les informations des patients hospitalisés pour CHC ont été sélectionnées par année de 2015 à 2019, puis chaînées avec celles des cinq années précédentes codées en DP, DR ou DAS dans le but d’identifier et d’exclure les patients hospitalisés antérieurement pour CHC. Les patients retenus qui présentaient, en DAS, un code CIM-10 de cancers de l’estomac, du pancréas, du côlon rectum, du sein, du poumon ou le mélanome, qui métastasent fréquemment vers le foie ont été exclus de la sélection. Nous avons ensuite recherché chez les patients retenus des antécédents de VHB, VHC, fibrose, cirrhose et complications de cirrhose à l’aide du code CIM-10 enregistré en DAS.
Pour le diagnostic des hépatites virales chroniques, les données du PMSI, d’ALD, de pharmacie et de biologie ont été utilisées et croisées entre elles à l’aide de l’IIAC. Dans le PMSI, à l’aide des codes CIM-10 enregistrés en DP, DR ou DAS, nous avons sélectionné de 2005 à 2019, les hospitalisations pour VHB ou VHC puis recherché chez les patients des antécédents de fibrose, de cirrhose ou de complications de cirrhose à l’aide des codes CIM-10 codés en DAS. Dans les données d’ALD, les bénéficiaires d’ALD pour VHB ou VHC entre 2005 et 2019 ont été sélectionnés. Dans les données de pharmacie, à l’aide des codes CIP et UCD, les patients qui ont été traités pour VHB ou VHC entre 2006 et 2019 ont été sélectionnés. Dans les données de biologie, à l’aide des codes NABM, les patients chez qui une demande de charge virale VHB ou VHC ou de génotypage VHC a été réalisée entre 2006 et 2019 ont été sélectionnés.
Pour le diagnostic de fibrose, cirrhose et complications de cirrhose, à l’aide des codes CIM-10 enregistrés en DP, DR ou DAS dans le PMSI, les hospitalisations pour ces pathologies ont été sélectionnées de 2005 à 2019.
Grâce à un appariement direct par l’IIAC, les informations des patients sélectionnés pour CHC, VHB, VHC, fibrose, cirrhose et complications de cirrhose dans les bases ont été appariées.
Le tableau 1 décrit les codes et les algorithmes utilisés pour sélectionner les patients et détaille le processus de la sélection. La période d’étude portait sur 2015-2019.
Population d’étude
La population d’étude était composée de patients domiciliés en France, nouvellement diagnostiqués et hospitalisés pour CHC entre 2015-2019, avec ou sans information relative à la fibrose, cirrhose et ses complications, ou aux VHB, VHC.
Analyse statistique
La population de l’étude a été décrite et comparée entre métropole et DROM. La fréquence des patients avec un diagnostic d’hépatite virale B ou C, parmi ceux nouvellement diagnostiqués et hospitalisés pour CHC en 2015-2019, a été calculée.
Les taux d’incidence de CHC et d’incidence de CHC avec VHB ou VHC, avec leur intervalle de confiance à 95%, ont été calculés et standardisés sur la structure d’âge de la population mondiale 1960.
Les données de population utilisées pour calculer les taux sont celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (2015-2019).
Les tests de khi2, de Student et Anova ont été utilisés pour comparer les données catégorielles et quantitatives avec un seuil de significativité de 5%.
Toutes les analyses ont été réalisées avec la version 7.1 du logiciel SAS® guide Enterprise (SAS. Inc).
Résultats
Description de la population d’étude
Sur la période 2015-2019 (tableau 2), 28 868 patients nouvellement diagnostiqués et hospitalisés pour CHC ont été sélectionnés, soit 5 773 patients en moyenne par an. Parmi ces patients, 28 556 (98,9%) résidaient en métropole, et 312 (1,1%) dans les DROM. Les patients étaient significativement plus jeunes dans les DROM (âge moyen : 64,5 ans, écart-type=3,8) qu’en métropole (69,1 ans, écart-type = 11,3) (p<0,001). La proportion d’hommes était significativement plus élevée que celle des femmes en métropole et dans les DROM, et la proportion de femme était significativement plus élevée dans les DROM (28,2%) qu’en métropole (19,0%) (p<0,001).
Il n’existait pas de différence significative entre les pourcentages de patients qui présentaient une fibrose et cirrhose en métropole (77%) et dans les DROM (73,4%).
Le tableau 3 montre les caractéristiques de la population d’étude dans chaque DROM.
Fréquence des hépatites virales chroniques chez les patients diagnostiqués pour carcinome hépatocellulaire
Les patients résidant dans les DROM présentaient plus fréquemment un CHC avec hépatite virale chronique (44,2%) que ceux résidant en métropole (29,1%) (p<0,001). Un diagnostic de VHB a été observé chez 9,6% et 26,6% (p<0,001) des patients résidant en métropole ou dans les DROM, respectivement, tandis qu’un diagnostic de VHC l’était chez 19,5% et 17,6% (p=0,4) (tableau 2).
Dans les DROM (tableau 4), Mayotte et La Réunion étaient les régions qui présentaient le pourcentage de VHB le plus élevé (61,9%) et le plus bas (17,2%) respectivement. Pour les VHC, le pourcentage le plus élevé était observé en Martinique (28,6%) et le plus bas à La Réunion (13,1%). La fréquence de CHC associé aux VHB ou VHC selon le sexe et le lieu de résidence est décrite dans le tableau 4.
Âge moyen des patients au diagnostic de carcinome hépatocellulaire associé aux hépatites virales chroniques
L’âge moyen au diagnostic de CHC avec VHB était significativement plus élevé chez les patients résidant en métropole (62,3 ans, écart-type=12,5) que ceux des DROM (56,5 ans, écart-type=14,1) (p<0,001). Il variait selon la région de résidence dans les DROM. Il était plus élevé en Martinique (64,9 ans, écart-type=10,5) et plus bas à Mayotte (41,1 ans, écart-type=8,5) (figure 1).
Pour les patients diagnostiqués pour CHC avec VHC, la différence entre l’âge moyen au diagnostic des patients de métropole (65,2 ans, écart-type=11,4) et des DROM (63,9 ans, écart-type=12,3) n’était pas significative. Dans les DROM, la moyenne d’âge la plus élevée était observée en Guadeloupe (70,0 ans, écart-type=9,4) et la plus basse à Mayotte (48,7 ans, écart-type=3,8).
Quel que soit le lieu de résidence (sauf pour la Martinique), l’âge moyen au diagnostic des patients CHC avec VHB était inférieur à celui des patients CHC avec VHC.
Taux d’incidence standardisé (TIS) de carcinome hépatocellulaire
Sur la période 2015-2019, les TIS de CHC étaient de 4,14/100 000 PA en métropole et de 1,95/100 000 PA dans les DROM où le TIS le plus élevé était observé à Mayotte (2,41/100 000 PA) et le plus faible en Martinique (1,25/100 000 PA) (tableau 5).
Les TIS de CHC avec VHB étaient de 0,50/100 000 PA en métropole et de 0,60/100 000 PA dans les DROM où ils étaient les plus élevés à Mayotte (1,23/100 000 PA) et en Guyane (1,08/100 000 PA) et les plus faibles à La Réunion (0,42/100 000 PA) et en Martinique (0,34/100 000 PA). Ils étaient chez les hommes de 1,04/100 000 PA dans les DROM et de 0,90/100 000 PA en métropole tandis que chez les femmes ils étaient presque deux fois plus élevés dans les DROM qu’en métropole.
Pour les CHC avec VHC, les TIS étaient 2,7 fois plus élevés en métropole (0,92/100 000 PA) que dans les DROM (0,34/100 000 PA), où la Martinique et Guyane présentaient les taux les plus élevés (0,41/100 000 PA) et la Guadeloupe le taux le plus bas (0,26/100 000 PA). Les TIS étaient trois fois et 1,5 fois plus élevés en métropole que dans les DROM respectivement chez les hommes et chez les femmes.
Quel que soit le DROM, le TIS de CHC avec VHB était plus élevé que celui de CHC avec VHC, excepté en Martinique.
Discussion
Les résultats de l’étude montrent un taux d’incidence de CHC deux fois plus élevé en métropole qu’en DROM. L’âge moyen au diagnostic de CHC avec VHB est inférieur à celui de CHC avec VHC. De façon non surprenante, la participation du VHB au diagnostic du CHC, rapportée à la population, était plus importante dans les DROM qu’en métropole, sauf en Martinique. Concernant le VHC, sa participation était inférieure à celle de la métropole pour tous les DROM.
Les taux d’incidence du CHC, type histologique qui représente 70% des CPF 13, retrouvés dans notre étude paraissent cohérents aux données épidémiologiques disponibles 1,3,4 sauf pour la Guyane et La Réunion où ils paraissent sous-évalués.
Notre étude est la première à évaluer l’imputabilité des infections virales B et C sur la survenue du CHC dans les DROM, comparativement à la métropole. Elle a permis de montrer que l’origine virale B ou C du CHC est incriminée dans 44,2% des cas dans les DROM contre 29,1% en métropole en raison de la prédominance des CHC sur VHB dans les DROM (26,6%). Ces résultats sont en accord avec les données épidémiologiques de prévalence des hépatites virales dans les DROM. En effet, toutes les études confirment une prévalence des VHB plus élevée dans les DROM qu’en métropole 14,15. Le nombre de tests de dépistage de l’hépatite B confirmés positifs pour 100 000 habitants en 2013 était plus élevé à Mayotte (242/100 000), en Guyane (101/100 000) et en Guadeloupe (92/100 000) qu’en métropole (48/100 000) 16.
La combinaison de plusieurs raisons telles que la méconnaissance des hépatites virales 17, la couverture vaccinale insuffisante à l’introduction du vaccin anti-VHB et le phénomène migratoire pourrait expliquer la prédominance des VHB chez les patients dans les DROM par rapport à la métropole. Concernant la vaccination anti-VHB mise en place en France en 1982, et qui a ciblé dans un premier temps les groupes à risque puis les nourrissons en 1991 18, la couverture vaccinale complète, de trois doses, faible au début, n’a cessé d’augmenter avec le temps. Ainsi, chez les enfants de 24 mois, elle a fortement progressé en France de 27% à 90% entre 1998 et 2018. Elle était de 43% en 2008-2009 chez les enfants de 15 ans 19. Dans les DROM, elle était supérieure à 90% en 2015 20. Malheureusement, la faible couverture vaccinale des années 1980 n’a pas suffisamment protégé la population de l’étude, née pour la quasi-totalité (99%) avant 1980, des risques liés aux VHB, d’autant plus qu’à cette époque il a existé une importante transmission materno-fœtale et une forte natalité. Par ailleurs, Mayotte et Guyane sont caractérisées par une forte immigration en provenance des Comores et des pays limitrophes de Guyane. La prévalence élevée des VHB dans les pays d’origine (70% de la cohorte infectée par le VHB à Mayotte provient des Comores 14) pourrait expliquer en partie l’importance de la participation du VHB sur la survenue du CHC dans ces régions.
Cette étude met également en exergue une différence d’âge au diagnostic du CHC avec infections virales B ou C entre les DROM. Faible à Mayotte (moins de 50 ans) et en Guyane (autour de 50 ans), l’âge est plutôt élevé, supérieur à 60 ans, et équivalent à celui de la métropole, en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. Cette différence pourrait s’expliquer par les modes de contamination des virus des hépatites, qui varient d’une région à l’autre :
(1) plutôt materno-fœtale, donc précoce à Mayotte et en Guyane, en lien avec l’immigration persistante, phénomène qui a (quasi) disparu dans les autres DROM ;
(2) plutôt sexuel et sanguin, donc plus tardif, en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion 14.
Les patients diagnostiqués pour CHC avec hépatites virales peuvent cumuler d’autres FdR de CHC comme l’alcool, l’obésité ou le syndrome métabolique. Ces FdR n’ont pas été évalués dans ce travail. Ils pourront faire l’objet d’étude complémentaire car il est probable qu’ils prennent une part de plus en plus importante comme FdR de CHC dans les DROM.
À La Réunion, on retrouve une incidence relativement élevée du CHC comparativement à une prévalence plutôt faible des infections virales B et C dans cette région 14 et une imputabilité faible dans la survenue du CHC. Ceci s’explique probablement par d’autres facteurs d’hépatopathie chronique tels que l’alcool, le diabète ou l’obésité très présents dans les DROM 21. Concernant l’alcool, principal facteur de risque de CHC en métropole 11, la prévalence de la consommation quotidienne parmi les 18-75 ans, en 2014, standardisée pour 100 habitants, variait dans les DROM de 5,2% [3,9 ; 6,8] en Guyane à 7,0% [5,6 ; 8,7] en Martinique, et en métropole de 7,1% [6,3 ; 8,1] en Île-de-France à 12,6% [11,1 ; 14,2] en Occitanie. Par ailleurs le taux de mortalité des principales pathologies en lien direct avec l’alcool à La Réunion est de 40% supérieur à celui de la métropole chez les hommes (68,3/100 000 versus 49,2) 22.
Notre étude contribue à enrichir les connaissances sur l’épidémiologie des infections virales B et C et le CHC en France. Toutefois elle présente des limites. Comme évoqué ailleurs 11, la production d’informations épidémiologiques à partir des données médico-administratives dépend fortement de la qualité du codage. Les données de ces sources sont également sensibles aux évolutions réglementaires de codage, comme le changement de définition du codage PMSI du DP en 2009. Par ailleurs le phénomène de fuites médicales de patients atteints de maladies graves comme le cancer, des DROM vers la métropole, à la recherche de plateaux techniques de prise en charge plus performants, n’a pas pu être mesuré. Ces fuites médicales, tout comme la pénurie de spécialistes dans certains DROM comme Mayotte, où il n’y avait que deux gastro-entérologues pour 212 000 habitants en 2016 13 et le nombre de patients CHC qui décèderaient à domicile sans jamais avoir été vus à l’hôpital et pour lesquels il n’existe pas de données documentées, pourraient contribuer à sous-estimer les effectifs de patients réellement diagnostiqués pour CHC avec infections virales B ou C dans les DROM. Enfin, le faible effectif de patients sélectionnés dans certains sous-groupes de population en Guyane et à Mayotte suggère d’interpréter avec précaution les résultats correspondants.
Conclusion
Si l’incidence du CHC est deux fois moins élevée dans les DROM qu’en métropole, la participation des hépatites virales au diagnostic de CHC y est une fois et demie plus importante, et ceci en particulier pour l’hépatite B. Il est donc important de renforcer les mesures de prévention des hépatites virales dans les DROM (information sur les hépatites virales, sensibilisation de la population et des professionnels de santé au dépistage, mesures de prévention proportionnées envers certaines populations).
De plus, si les hépatites virales représentent un facteur de risque majeur de CHC, plus de la moitié des CHC identifiés dans les DROM ne sont pas liés à une hépatite virale, cette part étant variable entre les DROM (de 24% à Mayotte à 70% à La Réunion), d’autres facteurs de risque de CHC évitables sont à prendre en compte dans les politiques de prévention.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Florence de Maria pour sa relecture et ses suggestions.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
donnees-sur-les-cancers-a-la-reunion
medecin/exercice-liberal/presciption-prise-charge/situation-patient-ald-affection-longue-duree/definition-ald
www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/vaccination/articles/donnees-de-couverture-vaccinale-hepatite-b-par-groupe-d-age