En route vers l’élimination des hépatites virales B et C en France

// Towards the elimination of viral hepatitis B and C in France

Pr François Dabis
Université de Bordeaux, Institut d’épidémiologie et santé publique (Isped)
Inserm U1219 (Bordeaux Population Health)
CHU de Bordeaux, Corevih Nouvelle-Aquitaine
Président de la deuxième Feuille de route de la Stratégie nationale de santé sexuelle

Il y a bientôt quatre ans (mars 2018), le plan Priorité prévention 2018-2022 énonçait 25 mesures phares pour améliorer la santé globale de la population française. Parmi elles, l’élimination du virus de l’hépatite C (VHC) d’ici 2025. Le 1er janvier 2018, la vaccination contre le virus de l’hépatite B (VHB) devenait obligatoire pour les nourrissons et était recommandée pour tous les enfants jusqu’à l’âge de 15 ans. La France s’engageait ainsi nettement dans le mouvement international qui, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), cible l’élimination globale de ces deux virus d’ici 2030.

Santé publique France a publié la dernière actualisation des données de surveillance des hépatites virales B et C en mars 2021 1 et celles sur la couverture vaccinale contre le virus de l’hépatite B (VHB) en mai 2021 2. Plusieurs indicateurs montraient alors des tendances à long terme encourageantes :

1) La cohorte de naissances 2019 a été vaccinée contre l’hépatite B à 90,5% (3 doses), soit un gain de six points par rapport à la cohorte 2017 ;

2) L’activité de dépistage des deux hépatites a continué une progression marquée en 2019 ;

3) En ce qui concerne les affections de longue durée (ALD), le nombre de personnes prises en charge est en hausse pour l’hépatite B chronique, mais en baisse pour l’hépatite C, principalement grâce à l’usage des antiviraux à action directe (AAD) pris en charge par l’Assurance maladie depuis 2014 et prescrits de façon universelle depuis 2017 ;

4) Quant à l’hépatite B aiguë, sa sous-déclaration massive rend toute interprétation épidémiologique des tendances observées hasardeuse.

Un nouveau rapport d’étape s’imposait. Ce numéro thématique du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) vient compléter, enrichir et consolider nos connaissances, au travers de sept articles originaux abordant différentes dimensions de la lutte contre ces deux infections virales chroniques en métropole et dans les outre-mer. Ce bilan reflète en grande partie la situation juste avant que la pandémie de Covid-19 ne vienne profondément perturber notre système de santé, et notamment la demande et l’offre en dépistage. Ce bilan peut être qualifié d’imparfait, mais il montre bien là où les efforts doivent être consentis.

Le Conseil national du sida et des hépatites s’est tout d’abord penché sur le parcours de soins pour l’hépatite C en milieu carcéral. Les données rassemblées dans trois régions métropolitaines donnent une image épidémiologique assez complète pour 40% des détenus en France, même si l’ancienneté de beaucoup de ces données doit être soulignée. Cette population cumule de nombreux facteurs de risque d’acquisition de cette infection, majorés pour certains dans le contexte de la détention. La prise en charge apparaît inégale et encore largement perfectible, alors qu’il reste très peu d’obstacles de nature scientifique et médicale au dépistage du VHC, au bilan pré-thérapeutique et au traitement simplifié et de courte durée par les AAD pendant le temps de l’incarcération. C’est bien en matière de dépistage que les unités sanitaires en milieu pénitentiaire ont le plus d’efforts à fournir, en renforçant leur offre combinée de dépistage VHB, VHC et VIH, si possible avec le soutien de l’administration pénitentiaire et avec l’appui des CeGIDD (centres gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par les virus du VIH, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles) et des acteurs associatifs.

La connaissance du fardeau de l’infection à VHC en population générale doit être régulièrement actualisée et affinée par région. L’estimation de la prévalence de l’hépatite C chronique était de 0,15% en 2019 pour l’ensemble du territoire national, soit 100 600 malades 3. L’enquête communautaire réalisée à Mayotte en 2018-2019 et rapportée ici, indique que l’hépatite C y est moins fréquente qu’en métropole : 0,21% de porteurs d’anticorps anti-VHC, la moitié d’entre eux seulement ayant une hépatite chronique, soit 0,10%. En ce qui concerne la contribution de l’hépatite C chronique aux hospitalisations, l’analyse sur 15 ans des données nationales du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) présentée par Santé publique France est encourageante, puisque cette part a été divisée par quatre sur la période. L’hépatite C chronique ne concerne plus désormais qu’une hospitalisation sur 1 000. Les formes compliquées y sont nettement plus fréquentes, témoignant d’un effet stock. L’efficacité remarquable des AAD pour obtenir une guérison a fait chuter considérablement la mortalité des patients hospitalisés. Un autre article analyse le profil des carcinomes hépatocellulaires (CHC) à partir du Système national de données de santé (SNDS) sur la période 2015-2019 et permet de constater que son incidence est deux fois plus élevée en métropole que dans les départements d’outre-mer et que les CHC associés au VHC y sont même 2,5 fois plus fréquents. L’incidence standardisée du CHC associé au VHC atteint 1,02 cas pour 100 000 personnes années pour la population métropolitaine. Au total, l’élimination de l’hépatite C en France semble en bonne voie, comme l’indique aussi une étude plus globale des données du SNDS portant sur le nombre et le profil des patients traités par AAD sur la même période, étude récemment publiée dans le Lancet par Pol et coll. 4. Mais, l’incertitude sur l’usage du dépistage et sur son rendement depuis deux ans pèse fortement sur l’avenir de cette ambitieuse et prometteuse politique de santé publique.

L’épidémiologie de l’hépatite B diffère de celle de l’hépatite C en France, même si elle en partage beaucoup de modalités de transmission et de populations à risque. La vaccination a longtemps fait l’objet de doutes dans la population, mais est maintenant réalisée dès le plus jeune âge, avec un rattrapage encouragé jusqu’à l’adolescence. La guérison de l’hépatite B chronique n’est toujours pas d’actualité, mais le traitement est possible. La situation globale reste cependant encore incertaine en France, avec plus de 135 000 porteurs d’infection chronique, souvent diagnostiqués tardivement. La série d’articles présentés dans ce numéro renforce ce constat.

La population de Mayotte est fortement touchée par le VHB, trois adultes sur 100 étant porteurs de l’Ag HBS, soit 10 fois plus qu’en métropole, mais avec très peu d’hépatites Delta. Près d’un habitant sur deux âgés de 15 à 29 ans n’a aucune forme d’immunité (acquise par l’infection ou vaccinale) contre le VHB, imposant une stratégie prioritaire de prévention, de dépistage et d’organisation des parcours de soins sur ce territoire ultra-marin.

L’enquête réalisée entre novembre 2020 et janvier 2021 par l’association SOS hépatites et maladies du foie auprès de 41 structures de prise en charge, dont la moitié des centres experts français, a montré que des fortes inégalités de prise en charge du VHB persistaient, en partie expliquées par les différences sociales et territoriales telles que la proportion de populations migrantes. Les analyses des bases de données du PMSI montrent bien, comme pour le VHC, des tendances à la baisse pour la prise en charge hospitalière des hépatites B chroniques, mais une augmentation de la proportion des formes compliquées parmi les personnes hospitalisées. Les données du SNDS indiquent, quant à elles, que le VHB induit plus fréquemment un CHC que le VHC dans les départements et territoires d’outre-mer (0,64 pour 100 000 personnes-années versus 0,38), et plus qu’en métropole (0,54 pour 100 000 personnes-années). L’enquête menée en 2019 dans le cadre des États généraux de l’hépatite B objective les difficultés de la vie quotidienne, avec une hépatite B pour un patient sur deux.

C’est à l’aune de ces différents constats qu’il faut lire les propositions émanant de la consultation menée par les États généraux dans six lieux différents en France, entre décembre 2019 et mars 2020, publiées dans ce numéro. Regroupées en six axes prioritaires, ces recommandations concernent la formation des professionnels, la communication positive sur cette affection encore trop souvent stigmatisante, l’apprentissage du vivre avec et surtout l’optimisation des parcours de soins, en commençant par l’intensification quantitative et qualitative du dépistage, ainsi que la poursuite des efforts vaccinaux.

L’élimination du VHC en France d’ici 2025 est un objectif de santé publique ambitieux, mais atteignable. Le contrôle durable du VHB dans les mêmes délais est possible, mais exigeant, surtout dans les territoires ultra-marins. La deuxième feuille de route (2021-2024) de la stratégie nationale de santé sexuelle 5 constitue un cadre de référence adapté pour organiser ces efforts, de par la multiplicité des actions proposées et l’engagement des acteurs qui devraient ainsi être mieux et plus coordonnés. Diversifier l’accès aux dépistages et aux outils de prévention afin de réduire au maximum les occasions manquées (actions n°11, 12 et 13 de la deuxième feuille de route) constitue le principal défi en ces temps de Covid-19. On citera aussi ce qui est proposé dans les actions n° 24 et 28, à savoir l’amélioration de la remontée des données en temps réel en provenance des différents systèmes d’information afin de disposer d’un tableau de bord des progrès de la lutte contre le VHB, le VHC, le VIH et les principales infections sexuellement transmissibles. La route est encore longue, mais les perspectives de réussite sont sérieuses.

Références

1 Santé publique France. Hépatites B et C : données épidémiologiques 2019. Saint-Maurice: Santé publique France; 2021. https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/hepatites-b-et-c-donnees-epidemiologiques-2019
2 Santé publique France. Bulletin de santé publique vaccination. Saint-Maurice; Santé publique France; 2021. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/vaccination/documents/bulletin-national/bulletin-de-sante-publique-vaccination.-mai-2021
3 Brouard C, Laporal S, Bruyand M, Pillonel J, Lot F. Hépatites B et C, mise à jour des données épidémiologiques. Journée nationale de lutte contre les hépatites B et C. Paris: ministère des Solidarités et de la Santé; 2019. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/s1_hepatites_b_et_c_donnees_brouard.pdf
4 Pol F, Fouad F, Lemaître M, Rodriguez I, Lada O, Rabiega P, et al. Impact of extending direct antiviral agents (DAA) availability in France: An observational cohort study (2015-2019) of data from French administrative healthcare databases (SNDS). Lancet Reg Health Eur. 2021;13:100281.
5 Ministère des Solidarités et de la Santé. Feuille de route Stratégie nationale de santé sexuelle 2021-2024. Paris: ministère des Solidarités et de la Santé; 2021. 95 p. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille_de_route_
sante_sexuelle_16122021.pdf

Citer cet article

Dabis F. En route vers l’élimination des hépatites virales B et C en France. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(3-4):38-40. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/3-4/2022_3-4_0.html