Évaluation de la notoriété de Sexosafe, dispositif de marketing social dédié aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes
// Evaluating awareness of Sexosafe, a social marketing scheme aimed at men who have sex with men
Résumé
Introduction –
Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) restent une population disproportionnellement touchée par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les autres infections sexuellement transmissibles (IST). Depuis 2016, Sexosafe est le dispositif de marketing social en santé sexuelle destiné aux HSH, coordonné par Santé publique France. Son but est d’inciter à adopter des comportements favorables à la santé sexuelle. L’objectif de cet article est d’évaluer la notoriété de ce dispositif.
Méthodes –
Différents indicateurs sont mobilisés pour cette évaluation, provenant de deux sources : les bilans média 2022, c’est-à-dire les bilans de l’achat d’espace publicitaire, et les résultats de l’Enquête transversale rapport au sexe 2023 (Eras).
Résultats –
En 2022, la promotion de Sexosafe a généré 57 millions d’impressions publicitaires en ligne et atteint 9,4 millions de comptes sur les réseaux sociaux. 23 000 personnes ont été en contact avec une des 36 actions de terrain et 1 300 entretiens ont été effectués. Selon l’enquête Eras, 31,5% des répondants connaissent Sexosafe dont 86,9% identifient le site web, 49% les comptes sur les réseaux sociaux, et 19% les actions de terrain. Ceux qui connaissent le dispositif sont généralement plus diplômés, plus proches de la scène gay et du soin, plus multipartenaires et plus proches des recommandations de santé.
Conclusion –
Pour la première fois en 2023, Eras a intégré des éléments d’évaluation du dispositif Sexosafe, première pierre d’un dispositif d’évaluation plus complet, que la prochaine édition 2026 permettra de construire. Le nombre de partenaires est positivement corrélé à la connaissance du dispositif, ce qui démontre que celui-ci touche les personnes les plus concernées par la prévention du VIH et des IST, avec un comportement plus favorable à la santé sexuelle. Une attention renouvelée devra toutefois être portée au ciblage des populations jeunes, nées à l’étranger, éloignées des grands centres urbains et de la scène gay, en digital comme sur le terrain.
Abstract
Introduction –
Men who have sex with men (MSM) remain a population disproportionately affected by the human immunodeficiency virus (HIV) and other sexually transmitted infections (STIs). Introduced in 2016, Sexosafe is a sexual health social marketing scheme aimed at MSM, coordinated by Santé publique France. Its goal is to encourage the adoption of behaviours conducive to sexual health. This article’s objective is to assess awareness of the scheme.
Methods –
This assessment uses various indicators from two sources: Sexosafe’s 2022 media accounts, i.e. purchase records for advertising space, and the results of the 2023 cross-sectional MSM sexual health survey ERAS.
Results –
In 2022, the promotion of Sexosafe generated 57 million online impressions and reached 9.4 million social network accounts. 23,000 people came into contact with one of the 36 field campaigns and 1,300 interviews were conducted. According to the ERAS survey, 31.5% of respondents were aware of Sexosafe, 86.9% of whom identified the website, 49% the social network accounts and 19% the field campaigns. Those who were aware of the scheme tended to be better educated, were closer to the gay scene, had more partners and were more familiar with health recommendations.
Conclusion –
The ERAS survey featured components for evaluating the Sexosafe programme for the first time in 2023. It is the first step for a more comprehensive evaluation system, which will be developed with the next edition in 2026. The number of partners is positively correlated with the awareness of Sexosafe, demonstrating that the scheme reaches the people most concerned by HIV and STI prevention, whose behaviour is more conducive to sexual health. However, more attention should be paid to target young people, those born abroad, those far from major urban hubs and the gay scene, via both digital media and field campaigns.
Introduction
Depuis le début de l’épidémie de VIH/sida, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) sont disproportionnellement touchés par le VIH 1,2 et les autres infections sexuellement transmissibles (IST) 3,4. Des inégalités de santé sont par ailleurs observées dans certains segments de cette population, comme les jeunes HSH, les HSH éloignés des centres urbains, ou les HSH nés à l’étranger 5,6.
À partir de 1995, des actions de communication sur l’infection à VIH ont été adressées aux hommes homosexuels et bisexuels par les associations et les pouvoirs publics, par le biais de campagnes de prévention dans les médias grand public et par celui de campagnes ciblées dans les médias gays 7,8. Ces campagnes de sensibilisation ont peu à peu évolué vers des dispositifs de marketing social, qui visent, grâce à l’utilisation de techniques du marketing marchand, à améliorer la santé des personnes en faisant évoluer leurs comportements 9.
Depuis 2016, Sexosafe est le dispositif de marketing social en santé sexuelle destiné aux HSH, coordonné par Santé publique France. Son objectif est d’inciter à adopter des comportements favorables à la santé sexuelle.
Connaître la notoriété d’un dispositif fait partie intégrante d’une démarche d’évaluation. Afin d’atteindre l’élimination du VIH en 2030, il est important de savoir si Sexosafe est connu, par qui, et particulièrement parmi les populations en difficulté avec la prévention 10. C’est l’objectif de cet article qui mobilise différents indicateurs provenant de deux sources : les bilans média 2022 et les résultats de l’Enquête rapport au sexe 2023 (Eras).
Description du dispositif Sexosafe et bilan média des opérations de promotion en 2022
Le dispositif Sexosafe
Le territoire de marque de Sexosafe est au service du changement de comportement des HSH : le dispositif propose une information de référence et des services qui permettent aux hommes de vivre leur sexualité de manière sécurisée et satisfaisante, en utilisant une tonalité positive et connivente.
Le dispositif se compose de plusieurs points de contact (tableau 1). Le site internet est constitué de pages d’information et de services d’aide : il a pour vocation de diffuser une information complète et fondée scientifiquement qui favorise la mise en œuvre de comportements protecteurs de la santé sexuelle (en particulier l’adoption de la prévention diversifiée et du dépistage régulier). Il capte un public qualifié, c’est-à-dire déjà intéressé par le sujet de la santé sexuelle, que celui-ci ait effectué une recherche dans les moteurs de recherches, ou cliqué sur une bannière publicitaire ou un lien direct via un autre site. Les comptes sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) permettent la diffusion des messages de prévention à une audience qui n’est pas initialement en demande de contenu sur le sujet de la santé sexuelle et de créer un espace d’interaction avec ce public. Les actions de terrain, en partenariat avec les associations de prévention, permettent à la fois d’aller à la rencontre d’un public très exposé au risque VIH, dans les lieux de consommation sexuelle notamment, et d’un public plus large dans des événements tels que les marches des fiertés. Elles permettent d’accompagner le passage à l’action via des entretiens personnalisés et des dépistages menés par des associations habilitées à effectuer des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod). Enfin, les campagnes de communication ciblées visent à diffuser des messages de prévention.
Les opérations de promotion de Sexosafe en 2022
En 2022, les comptes Facebook et Instagram ont été promus en fil rouge via la sponsorisation de certaines publications. Ces publications s’affichaient alors, au-delà des seuls abonnés des comptes Sexosafe, dans les fils d’actualité des personnes ayant un profil proche de celui des visiteurs du site Sexosafe (technique de ciblage du look-alike).
Le site internet a été directement promu en continu par la diffusion d’annonces dans les pages de résultats des moteurs de recherche (aussi appelé SEA pour Search Engine Advertising). Lorsqu’un internaute effectuait une recherche en utilisant certains mots-clés, une annonce pour le site Sexosafe s’affichait, grâce à une mécanique d’enchère entre différents annonceurs.
Les campagnes visaient à diffuser des messages de prévention. Ce faisant, elles étaient signées Sexosafe et renvoyaient vers le site pour délivrer une information plus approfondie. Leurs volets digitaux sont donc comptabilisés dans le tableau 2 comme « promotion du site internet ». Une campagne multicanale (digital, affichage, radio et presse communautaire) de prévention du Mpox a été diffusée lors de l’été 2022 11. Une campagne de promotion de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) a été diffusée en digital à l’automne 2022.
Des opérations ponctuelles ont été menées tout au long de l’année sur le terrain, à la fois au sein d’établissements de convivialité gay (de consommations sexuelle, de clubbing, de soirées fétichistes, etc.) et en extérieur (principalement lors des marches des fiertés dans les grandes villes et villes de taille moyenne). Sexosafe proposait un stand pour mettre à disposition des objets promotionnels (boîtes et sucettes « brandées » servant à engager la conversation), et des documents pour informer et inciter au passage à l’acte. Les équipes répondaient aux questions sur la prévention, et les associations partenaires proposaient des Trod.
Les indicateurs média et les résultats
Tout achat d’espace fait l’objet d’un bilan média qui monitore la diffusion de campagne et sa performance avec des indicateurs variables en fonction de la nature des médias et l’objectif de la campagne (notoriété, considération ou conversion).
Concernant les comptes sur les réseaux sociaux, l’indicateur de notoriété est la portée des publications, c’est-à-dire le nombre de comptes qui sont exposés aux messages.
Concernant la promotion du site internet, l’indicateur de notoriété est le nombre d’impressions, c’est-à-dire le nombre de fois où des bannières digitales ou des annonces dans les pages de résultats se sont affichées sur des écrans.
Quant aux actions de terrain, un bilan quantitatif des actions permet d’estimer le nombre de personnes touchées.
En 2022, les bilans média indiquent que la promotion du dispositif a généré 57 millions d’impressions publicitaires en ligne et a atteint 9,4 millions de comptes sur les réseaux sociaux (tableau 2). 23 000 personnes ont été en contact avec une des 36 actions de terrain et 1 300 entretiens ont été effectués. C’est la promotion du site (incluant SEA et campagnes digitales) qui mobilise la grande majorité du budget, suivie de l’action de terrain et enfin de la sponsorisation sur les réseaux sociaux.
Évaluation de la notoriété de Sexosafe dans Eras 2023
Présentation de l’enquête Eras
Du 24 février au 6 avril 2023 s’est déroulée la 4e édition de l’enquête Eras. Il s’agit d’une enquête transversale anonyme, auto-administrée en ligne, basée sur le volontariat, répétée tous les 2 ans depuis 2017, sous la responsabilité scientifique de Santé publique France, avec le soutien de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). Son objectif principal est d’évaluer l’appropriation des différents outils de prévention contre le VIH chez les HSH. La méthodologie a été précédemment décrite 12. Brièvement, les participants sont recrutés via différents supports digitaux. Des bannières sont diffusées, d’une part sur des applications de rencontres géolocalisées gays et des sites d’information affinitaires, et d’autre part sur les réseaux sociaux, en ciblant des profils semblables à ceux des visiteurs du site Sexosafe. La validation du questionnaire nécessite de répondre à la totalité des questions.
Population de l’étude
La population incluse dans l’analyse est celle des HSH cis, trans ou non binaires résidant en France métropolitaine et dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), âgés de 18 ans et plus, ayant rapporté au moins un rapport sexuel avec un homme dans les 12 derniers mois.
Variables d’intérêt
La notoriété globale assistée correspond au pourcentage des personnes capables de reconnaître une marque ou une entité lorsque celle-ci est explicitement nommée 13. Elle a été évaluée à partir de la question suivante : « Avez-vous déjà entendu parler de Sexosafe qui regroupe des informations sur la prévention et la santé sexuelle pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ? ».
Plus spécifiquement, la notoriété des différents éléments constitutifs du dispositif ont été étudiés à partir des questions suivantes : « Plus précisément, avez-vous déjà entendu parler du site internet Sexosafe.fr ? », « Plus précisément, avez-vous déjà entendu parler de la page Facebook ou du compte Instagram Sexosafe ? », « Plus précisément, avez-vous déjà vu un stand Sexosafe en soirée ? ».
Plusieurs ensembles de variables ont été considérés pour caractériser les répondants :
–des caractéristiques sociodémographiques : âge, niveau d’études, lieu de naissance, taille de la commune de résidence, situation financière perçue ;
–des variables de socialisation : autodéfinition de l’orientation sexuelle, entourage amical, fréquentation des lieux de convivialité gays, applications de rencontre gays ;
–des variables de santé : le suivi régulier d’un médecin avec qui la santé sexuelle est abordée, le statut vaccinal lié au Mpox, le recours au dépistage VIH dans les 12 derniers mois, le statut VIH déclaré et l’usage de la PrEP ;
–des variables sur les comportements sexuels : le nombre de partenaires sexuels masculins dans les 6 derniers mois ; les comportements sexuels à risque vis-à-vis du VIH au cours des 6 derniers mois avec des partenaires occasionnels 14, à savoir soit être séropositif VIH sans traitement ou avec une charge virale détectable et ne pas avoir utilisé systématiquement le préservatif lors de pénétrations anales, soit être séronégatif VIH sans utiliser la PrEP ni systématiquement le préservatif lors de pénétrations anales, soit ne pas connaître son statut VIH ou ne jamais avoir de test de dépistage au cours de sa vie et ne pas utiliser systématiquement le préservatif lors de pénétrations anales.
Analyses statistiques
Les pourcentages issus des analyses bivariées ont été comparés en utilisant le test d’indépendance du Chi2 de Pearson, avec un seuil maximal d’erreur retenu à 5%. Une régression logistique multivariée a été menée pour étudier les liens entre la connaissance du dispositif Sexosafe et les caractéristiques sociodémographiques et économiques (âge, lieu de naissance, taille de l’agglomération de résidence, niveau d’étude, situation professionnelle, situation financière perçue). Pour chacune des variables de socialisation, de santé et de comportements sexuels, des régressions logistiques multivariées ont été réalisées en ajustant sur l’âge, le lieu de naissance, la taille de l’agglomération de résidence, le niveau d’études, la situation professionnelle, et la situation financière perçue afin de contrôler les éventuelles différences sociodémographiques. L’ensemble des analyses a été réalisé avec le logiciel Stata® 18.0.
Résultats de notoriété et description des caractéristiques des répondants
Sur les 39 513 questionnaires initiés, 25 502 ont été finalisés et validés (65%). Parmi ces questionnaires, 19 297 ont été complétés par des répondants HSH cis, trans ou non binaires, actifs sexuellement dans les 12 derniers mois (figure 1). Parmi ces répondants, 31,5% (6 087) avaient entendu parler du dispositif Sexosafe dont 86,9% identifiaient le site web, 49% les comptes sur les réseaux sociaux, et 19% les actions de terrain.
Le tableau 3 présente les caractéristiques sociodémographiques des HSH qui ont entendu parler du dispositif Sexosafe, quel que soit l’élément du dispositif cité. Ces répondants étaient pour 42,7% d’entre eux âgés de 30 à 44 ans (vs 39,4% pour ceux qui ne connaissaient pas le dispositif, p<0,001), et 10,4% d’entre eux étaient âgés de 18 à 24 ans (vs 17,7%, p<0,001). La majorité était née en France métropolitaine ou dans les DROM (94%). Près de la moitié résidait dans une agglomération de plus de 100 000 habitants (48,2% vs 36,5%, p<0,001). La moitié avait suivi des études universitaires de 2e ou 3e cycle universitaire ou équivalent (52,0% vs 39,6%, p<0,001), et ils rapportaient pour 67,0% une situation financière confortable (vs 62%, p<0,001).
La régression multivariée indique que la connaissance du dispositif est associée au fait d’être âgé de plus de 25 ans, d’être né en France, de résider dans une grande agglomération, d’avoir un niveau d’études élevé (tableau 3).
Les HSH ayant entendu parler du dispositif s’identifiaient majoritairement comme homosexuels (86,9% vs 77,1%, p<0,001). Près des trois quarts d’entre eux déclaraient fréquenter des lieux de convivialité gays (73,9% vs 57,6%, p<0,001) et 78,3% utilisaient des applications de rencontre gays (vs 72,7%, p<0,001).
Concernant les caractéristiques liées à la santé, les répondants connaissant Sexosafe étaient 65,6% à rapporter consulter un médecin et parler avec lui de prévention sexuelle (vs 44,5%, p<0,001). Ils déclaraient plus souvent avoir effectué un test de dépistage VIH dans les 12 derniers mois de l’enquête (65% vs 49,5%, p<0,001). Ils déclaraient plus souvent connaître leur statut VIH, et rapportaient plus souvent être séronégatifs et utiliser la PrEP (32,6% vs 15,4%, p<0,001). Ils rapportaient pour 45,3% d’entre eux avoir été vaccinés contre le Monkeypox en 2022 (vs 22,6%, p<0,001).
Les répondants connaissant Sexosafe étaient plus souvent multipartenaires : 18,9% rapportaient avoir eu entre 6 à 10 partenaires dans les 6 derniers mois (vs 15,9%, p<0,001) et 27,7% avoir eu plus de 10 partenaires masculins dans les 6 derniers mois (vs 18%, p<0,001). La plupart de ces répondants n’avaient pas un comportement sexuel à risque lié au VIH (85,6% vs 79,5%, p<0,001).
L’ensemble de ces différences se maintiennent après ajustement sur les caractéristiques sociodémographiques (tableau 4).
Discussion
L’édition 2023 d’Eras fournit pour la première fois une estimation de la notoriété assistée du dispositif Sexosafe. Cette dernière atteint près d’un tiers des répondants. Le dispositif Sexosafe se concentre sur la diffusion de messages de prévention (changement de comportement), et non sur la valorisation de sa marque (branding). La marque occupe une place anecdotique dans les supports de campagne (vidéo, bannière), ce qui affecte mécaniquement la connaissance du dispositif, même en cas de mémorisation du message. De plus, les évaluations de notoriété de marque sont souvent effectuées dans les jours qui suivent la diffusion d’une campagne, et enregistrent la notoriété optimale 15. Dans le cas d’Eras 2023, enquête de surveillance comportementale qui n’a pas pour objectif principal d’évaluer le dispositif Sexosafe, la notoriété est recueillie plusieurs mois après la dernière campagne, ce qui affecte négativement cet indicateur 16,17. Par ailleurs, les participants à l’enquête Eras sont recrutés par une campagne diffusée sur les mêmes canaux digitaux que les campagnes digitales du dispositif Sexosafe, ce qui crée un biais de sélection en faveur de participants déjà exposés à des messages publicitaires de Sexosafe. Par conséquent, il est difficile de comparer son niveau de notoriété à celui d’autres dispositifs. Il sera en revanche intéressant de monitorer l’évolution de cet indicateur au fil des éditions de l’enquête.
Cette notoriété globale du dispositif se décline de manière hétérogène en fonction des différents points de contact du dispositif. En cela, les données d’Eras viennent éclairer les données média et de répartition budgétaire en démontrant que l’achat d’espace sur les réseaux sociaux bénéficie d’un retour sur investissement largement supérieur à celui des autres canaux sur la dimension de la notoriété.
Les répondants qui connaissent Sexosafe adoptent plus souvent des comportements préventifs, comme le montre la pratique des dépistages réguliers, ou encore l’usage de la PrEP pour les répondants séronégatifs au VIH. Toutefois, il est difficile d’établir un lien de causalité entre le fait de connaître le dispositif Sexosafe et l’adoption de comportement préventifs, ou de définir la direction de ce lien : est-ce que ces comportements plus favorables sont consécutifs à l’exposition au dispositif, ou est-ce que les personnes ayant ces comportements connaissent Sexosafe car elles planifiaient déjà un changement de comportement et ont activement cherché des ressources sur le sujet ? Par ailleurs, l’adoption de comportements plus favorables peut également s’expliquer par un profil au capital socio-économique plus favorisé (niveau de diplôme et perception de la situation financière) 6. De même, ils déclarent également une plus grande proximité avec la scène gay (cercle amical homosexuel, fréquentation des lieux de convivialité gay), ils sont donc plus souvent exposés aux messages d’autres acteurs, dont les associations 18. Enfin, ils sont également plus nombreux à consulter un médecin et parler de prévention sexuelle avec lui.
En termes de comportements sexuels, plus les répondants ont de partenaires, plus ils sont susceptibles de connaître Sexosafe. Le dispositif atteint bien les personnes les plus concernées par les messages de prévention sur le VIH et les IST. En revanche, la notoriété de Sexosafe est plus faible parmi certaines populations, notamment les HSH de moins de 25 ans, éloignés de la scène gay, des grands centres urbains, et les HSH nés à l’étranger.
Il faut à cet égard prendre en compte les obstacles inhérents au ciblage de la population HSH, une population limitée, difficile à toucher étant données les réglementations en vigueur. Depuis les années 2010, le digital a permis, grâce à l’usage des données, de cibler les individus en fonction de leur catégorie sociodémographique (âge, sexe par exemple), leur comportements (historiques de navigation, intérêt sur les réseaux sociaux) et le contexte de navigation (mots-clés inclus dans une page). Or, depuis 2016, l’application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) a progressivement restreint les possibilités de ciblage qui concernent l’orientation sexuelle 19. Si l’on peut se réjouir de cette protection des internautes, elle affecte la capacité des acteurs de la prévention à toucher finement en digital les hommes gays et bisexuels. Cela contraint à adopter des stratégies de contournement : la diffusion sur des régies et des applications de rencontre communautaires identifiées, qui ne sont pas utilisées par tous les profils de HSH ; la diffusion sur les réseaux sociaux à des profils similaires aux visiteurs des comptes Sexosafe (look-alike), qui favorise une uniformité du profil plutôt que sa diversification. Une autre manière de contourner cette difficulté serait de diffuser les campagnes sur des canaux grand public (télévision, radio, affichage). Outre le coût important que cela représente, cette démarche a, par le passé, rencontré des oppositions violentes dans certaines franges de l’opinion qui considéraient la représentation d’hommes gays dans l’espace public comme une promotion de l’homosexualité 20.
Dans ce contexte, le ciblage média du dispositif Sexosafe fait l’objet d’un travail d’amélioration itératif. Malgré des contraintes non négligeables et une évolution constante, le digital offre toujours des opportunités intéressantes. Sexosafe optimise ainsi en continu son ciblage sur les réseaux sociaux et expérimente le partenariat avec des micro-influenceurs, permettant non seulement de toucher des populations spécifiques (plus jeunes, nées à l’étranger par exemple), mais aussi de bénéficier d’un traitement moins purement publicitaire des messages de santé publique, via notamment le témoignage de personnes concernées. En complément, il est nécessaire de maintenir la production et diffusion d’outils de communication pour le terrain. En effet, la mise à disposition de ces outils dans des lieux de soin tels que les centres gratuits d’information et de dépistage et diagnostics (CeGIDD), les permanences d’accès aux soins de santé (Pass), ou encore dans le cadre d’actions d’aller-vers est un enjeu primordial pour atteindre des populations plus vulnérables et difficiles à joindre. Par conséquent, il est crucial de continuer à soutenir le mouvement associatif qui est l’acteur essentiel de cet indispensable travail d’aller-vers.
Cette étude comporte des limites d’ordre méthodologique. La méthode de recrutement d’Eras, basée sur une participation volontaire, est utilisée auprès des populations dites difficiles à atteindre depuis le début de l’épidémie de VIH/sida 12. Pour autant, l’absence de contrôle lors du processus d’inclusion et de l’absence de base de sondage 1 ne permettent pas d’extrapoler les résultats d’Eras à l’ensemble de la population des HSH. Ces enquêtes tendent à surreprésenter les HSH les plus identitaires 21. Le recrutement via les réseaux sociaux a, cependant, permis de diversifier les profils sociodémographiques et affinitaires des répondants d’Eras, et d’inclure des hommes plus distants de la scène gay 22.
Conclusion
Pour la première fois en 2023, Eras, qui vise à documenter les comportements sexuels et préventifs des HSH, a inclus des éléments d’évaluation du dispositif Sexosafe. L’intégration d’un indicateur de notoriété est une première pierre pour l’édification d’un dispositif d’évaluation plus complet, que la prochaine édition 2026 permettra de construire. Cette édition nous enseigne que le nombre de partenaires est positivement corrélé à la connaissance du dispositif ce qui démontre que celui-ci touche les personnes les plus concernées par la prévention du VIH et des IST, avec un comportement plus favorable à la santé sexuelle. Une attention renouvelée devra toutefois être portée au ciblage des populations jeunes, nées à l’étranger, éloignées des grands centres urbains et de la scène gay, en digital comme sur le terrain.
Remerciements
Nous remercions toutes les personnes qui ont pris le temps de répondre à l’Enquête rapport au sexe ; l’ANRS (France Recherche Nord & Sud Sida-HIV Hépatites) pour son soutien, via notamment la mise à disposition d’un poste de moniteur d’études en sciences sociales ; les différentes personnes impliquées dans la mise en œuvre de l’enquête pour la qualité de leur travail ; nos partenaires associatifs pour leur soutien et relai des enquêtes dans leur réseau.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.