Toucher les plus éloignés du système de santé reste le plus grand enjeu de la lutte contre le VIH
// Reaching those furthest from the healthcare system is still the biggest challenge in the fight against HIV
L’objectif fixé par l’Onusida (Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida) de mettre fin à l’épidémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en 2030 arrive vite, probablement trop vite. Il y a un an, au Royaume-Uni, des chercheurs montraient qu’il serait peu probable d’atteindre l’objectif de moins de 50 infections par le VIH par an d’ici à 2030 chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) 1.
Les derniers chiffres publiés par Santé publique France sur le territoire français concernant les découvertes d’infection par le VIH ne vont pas dans le bon sens 2. Le nombre de ces dernières augmente et cela ne peut être expliqué par un taux de dépistage qui, en 2023, a atteint un niveau record en France. Même chez les HSH nés en France, la baisse des nouveaux diagnostics n’est plus observée, alors même qu’elle était continue depuis plus de dix ans. Ce sont chez les HSH nés à l’étranger et les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger que le nombre de découvertes augmente le plus. La part des diagnostics réalisés à un stade tardif était, quant à elle, toujours à un niveau élevé, avec 43% de découvertes au stade sida ou avec moins de 350 CD4/mm3.
Pourtant l’arsenal de prévention continue à se développer, en particulier avec l’arrivée de plusieurs molécules de prophylaxie pré-exposition (PrEP) à longue durée d’action, même si cela suscitera de nouvelles questions comme l’organisation du parcours de soin, depuis son entrée jusqu’à son maintien. Parallèlement, l’organisation de la lutte contre le VIH en France est actuellement en pleine restructuration, avec la transformation des comités de coordination régionaux de lutte contre le VIH (CoreVIH) en comités de coordination régionaux de la santé sexuelle (CoReSS). Si on peut se réjouir que la lutte contre le VIH fasse naturellement partie intégrante de la santé sexuelle, les efforts et engagements pour arriver à l’éradication du VIH doivent garder la même force et dynamique, sans faiblir. Ce numéro thématique du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH) rend compte de dispositifs innovants qui viennent renforcer le système de lutte contre le VIH.
Les autotests VIH font partie intégrante de ces dispositifs, avec chaque année plus de 60 000 unités vendues. Delphine Rahib et coll. 3 rapportent les données sur l’utilisation de ces autotests VIH par les HSH. Les auteurs s’appuient sur l’Enquête rapport au sexe (Eras), enquête qui ne cesse de nous fournir de riches informations sur les plus de 10 000 HSH interrogés 4. Près de 14% des hommes avaient utilisé un autotest durant la dernière année, et cela concernait des utilisateurs plutôt éloignés du système de santé.
Nous avons besoin également de moyens innovants en communication. Le marketing social, qui se base sur l’utilisation de techniques du marketing commercial afin d’encourager les comportements favorables, en est un exemple. Zoé Chameau et coll. 5 présentent une évaluation de la connaissance par les HSH du dispositif de marketing social Sexosafe, là encore via l’enquête Eras 2023. Près d’un tiers des HSH répondants connaissaient Sexosafe via le site internet ou les réseaux sociaux et avaient plus souvent des comportements préventifs vis-à-vis du VIH. Mais il existe des personnes moins touchées par ces messages de prévention, notamment les jeunes ou ceux vivant en milieu rural.
Le dispositif VIHTest, mis en place en janvier 2022, et qui fait suite à l’expérimentation concluante de « Au labo sans ordo » dans les Alpes-Maritimes et à Paris, a changé le paradigme de la prescription sur ordonnance. Après la réalisation de tests de dépistage par PCR (polymerase chain reaction) du Covid-19 pendant la pandémie, c’est la première fois qu’un examen biologique, la sérologie VIH, est réalisé sans prescription. L’objectif est bien entendu de faciliter son accès. Mélanie Martel et coll. 6 décrivent le déploiement de VIHTest durant ses deux premières années. En 2023, dès sa deuxième année de déploiement, le nombre de sérologies réalisées dans ce cadre a plus que triplé, représentant 15% des tests remboursés et permettant à plus d’hommes et de personnes âgées de 40 à 59 ans de se faire dépister. Les territoires ayant connu une promotion du dispositif ont vu le nombre de tests augmenter, preuve que la communication est toujours un enjeu dans nos actions de santé publique. VIHTest ne connaît d’ailleurs pas le même succès dans toutes les régions françaises.
Ainsi, dans une analyse réalisée dans cinq régions, Sarah Brunet et coll. 7 montrent que les personnes âgées de 50 ans et plus étaient plus enclines à utiliser VIHTest qu’une sérologie sur ordonnance, et que, pour certaines de ces régions, les usagers de VIHTest avaient réalisé moins de dépistages conventionnels du VIH et/ou des IST dans l’année et se définissaient moins souvent comme HSH. Cela montre que VIHTest, désormais élargi à « Mon test IST », atteint un de ses objectifs qui est de s’adresser à des personnes qui ne se font habituellement pas dépister sur prescription médicale.
Ce BEH nous donne également des analyses plus fines de l’épidémie du VIH en France. Dix ans après l’enquête ANRS-Parcours, puis Ganymède, nous avons une nouvelle évaluation des personnes migrantes qui se contaminent après leur arrivée en France. Selon Amber Kunkel et coll. 8, 45% des personnes nées à l’étranger découvrant leur séropositivité en France entre 2012 et 2022 ont été contaminées sur le territoire national. La part des HSH nés à l’étranger qui ont été contaminés en France était plus élevée que celle des personnes hétérosexuelles. Si ce chiffre a connu de petites variations, l’estimation est globalement stable sur la période. Cette précieuse estimation mériterait d’être plus largement connue de l’opinion publique, dans une période où des débats sur l’immigration sont, opportunément, au-devant de la scène. La méthodologie utilisée pour ce travail nous laisse espérer que l’on sera en mesure de connaître régulièrement la proportion de migrants contaminés en France, et complète elle aussi le panel d’outils de lutte contre le VIH. Ces travaux se basent sur les déclarations obligatoires (DO) du VIH, preuve que la remontée des données épidémiologiques est essentielle, et qu’elle participe à l’objectif d’éradication du VIH. Or, nous sommes dans un contexte où la DO souffre d’une sous-déclaration et d’une incomplétude significative, et le recueil des données épidémiologiques, avec les moyens alloués, est en pleine mutation dans le cadre de la création des CoReSS.
Ce numéro du BEH se termine par une description des cas de sida de ces dix dernières années par Françoise Cazein et coll. 9, ce qui nous rappelle, s’il est utile de le faire, que l’infection par le VIH est, et reste, une maladie potentiellement grave. Près de 800 personnes chaque année sont diagnostiquées à ce stade, chiffre stable depuis 2020, et la moitié d’entre elles sont nées à l’étranger. Soixante-deux pourcents des cas de sida sont survenus chez des personnes ignorant leur séropositivité, preuve supplémentaire qu’il reste des personnes que les programmes de dépistage n’arrivent pas à atteindre. Une trop grande part connaissait leur séropositivité, donc n’avait pas rejoint le système de santé. À l’heure où l’accès aux soins des migrants en situation irrégulière grâce à l’Aide médicale d’État (AME) est menacé, ces chiffres mettent en évidence la nécessité de maintenir ce dispositif dans le cadre de l’éradication du VIH.
Le plus grand enjeu est donc de toucher les plus éloignés du système de santé, reliant prévention et soin. Les innovations présentées dans ce numéro participent à cet objectif. Il faut alors veiller à inclure l’ensemble de la population dans nos dispositifs, quel que soit son lieu de vie, sa sexualité, son pays de naissance et sa situation administrative. Depuis plus de 40 ans, la lutte contre le VIH a été un modèle dans cette perspective, elle doit pouvoir se poursuivre avec la même vision, et avec l’objectif de mettre fin à l’épidémie.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.