Qui sont les personnes ayant développé un sida en France depuis 2012, malgré l’existence de traitements efficaces ?
// Which people in France have developed AIDS since 2012, despite the existence of effective treatments?
Résumé
Introduction –
Malgré l’efficacité de la prise en charge de l’infection au virus de l’immunodéficience humaine (VIH), plusieurs centaines de cas de sida sont encore diagnostiqués chaque année en France. L’objectif de cet article est de décrire les nouveaux diagnostics de sida de 2012 à 2023, à partir de la déclaration obligatoire du sida.
Matériel et méthode –
L’analyse a porté sur les nouveaux diagnostics de sida entre 2012 et 2023, déclarés au 30 juin 2024.
Résultats –
Le nombre estimé de diagnostics de sida a diminué de 2012 (environ 1 200 cas) jusqu’en 2020 (environ 750), puis s’est stabilisé autour de 800 cas par an. La moitié des personnes diagnostiquées étaient nées en France. La part des personnes de 50 ans et plus a augmenté jusqu’en 2023, et la proportion des diagnostics de sida sur la base de pathologies inaugurales multiples a augmenté entre 2012 et 2021. Sur l’ensemble de la période, 62% des diagnostics de sida sont survenus chez des personnes ignorant leur séropositivité avant le sida, et 18% qui, bien que leur infection à VIH soit connue, n’avaient pas reçu d’antirétroviraux (ARV). La part des personnes diagnostiquées mais non traitées a diminué de 2012 à 2019, puis s’est stabilisée. La part des personnes ignorant leur séropositivité a augmenté jusqu’en 2019 puis a diminué de 2019 à 2023. Les personnes diagnostiquées non traitées, nées à l’étranger, étaient arrivées en France depuis un délai médian de 8 ans. Leur première sérologie positive avait été réalisée en France pour les trois quarts d’entre elles.
Discussion-conclusion –
Ces données confirment que la majorité des cas de sida surviennent chez des personnes qui ignoraient leur séropositivité, soulignant l’importance de l’amélioration du dépistage dans la lutte contre le sida. Cependant, l’observation d’une part non négligeable de diagnostics de sida chez des personnes connaissant leur séropositivité, mais non traitées par ARV, montre qu’un renforcement du lien au soin reste nécessaire pour une partie des découvertes de séropositivité.
Abstract
Introduction –
Despite effective treatment for HIV infection, several hundred cases of AIDS are still diagnosed each year in France. Our objective was to describe AIDS diagnoses between 2012 and 2023, based on data from the mandatory reporting of AIDS.
Material and method –
The analysis focused on new cases of AIDS diagnosed between 2012 and 2023, reported by 30 June 2024.
Results –
The estimated number of AIDS diagnoses decreased from around 1,200 cases in 2012 to around 750 in 2020, then stabilised at around 800 cases per year. Half of the people diagnosed were born in France. The proportion of people aged 50 and over increased until 2023, and the proportion of AIDS diagnoses associated with multiple indicative diseases increased from 2012 to 2021. Over the entire period, 62% of AIDS diagnoses concerned people who were previously unaware of their HIV status and 18% of diagnoses concerned people who, although aware of their HIV infection, had not received antiretroviral therapy (ART). The proportion of people diagnosed with HIV but not treated fell between 2012 and 2019, and has since stabilised. The proportion of people previously unaware of their HIV status increased until 2019 and then decreased from 2019 to 2023. People born abroad who were diagnosed with HIV but not treated had been in France for a median of 8 years, and three-quarters of them had first tested positive for HIV in France.
Discussion-conclusion –
These data confirm that the majority of AIDS cases occur in people who were unaware of their HIV status, underlining the importance of improving screening to fight against AIDS. However, the fact that a significant proportion of AIDS diagnoses concerned people who knew they were HIV-positive but did not receive ART shows it remains necessary to strengthen linkage to care for a subset of people who discover their HIV status.
Introduction
Malgré les progrès considérables réalisés dans la prise en charge de l’infection au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) 1, le sida, stade le plus avancé de l’infection, est encore diagnostiqué en France chez plusieurs centaines de personnes par an 2. Grâce à l’efficacité des traitements antirétroviraux (ARV) disponibles, un diagnostic et un traitement précoce du VIH permettent aux personnes vivant avec le VIH (PVVIH) de rester en bonne santé 3, et d’éviter de transmettre le virus à leurs partenaires 4. Les personnes qui ignorent leur séropositivité, ne pouvant pas bénéficier des ARV, constituent donc la majorité des personnes qui développent un sida. Néanmoins, des cas de sida sont également diagnostiqués chez des personnes connaissant leur infection à VIH. À partir des données de la déclaration obligatoire (DO) du sida, cet article a pour objectif de décrire les cas de sida diagnostiqués en France entre 2012 et 2023, en portant une attention particulière aux personnes connaissant leur séropositivité, mais n’ayant pas reçu d’ARV avant le sida.
Matériel et méthode
Les objectifs de la DO du sida sont de connaître le nombre et les caractéristiques des personnes ayant atteint ce stade avancé de l’infection à VIH, que celles-ci ignorent leur séropositivité avant le diagnostic de sida, qu’elles connaissent leur séropositivité sans avoir reçu d’ARV avant le sida, ou qu’elles aient bénéficié d’ARV.
La DO du sida, mise en place en 1986, remaniée en 2003 lors de l’instauration de la DO de l’infection à VIH, est effectuée par les cliniciens qui doivent déclarer, avec un code d’anonymat, tout nouveau diagnostic de sida, stade caractérisé par la survenue d’une pathologie opportuniste entrant dans la définition de cas 5. Le code d’anonymat est calculé à partir de l’initiale du nom de naissance, du soundex (traitement phonétique) du prénom, de la date de naissance et du sexe assigné à la naissance. Ce code permet de repérer les éventuels doublons, et de les réunir avec la déclaration initiale pour éviter les doubles comptes. Depuis 2016, ces déclarations sont dématérialisées via l’application www.e-do.fr.
Pour chaque diagnostic de sida déclaré, ne sont enregistrées que la première pathologie opportuniste, et le cas échéant, celles survenues simultanément dans un délai maximal d’un mois.
Bien qu’obligatoire, cette DO n’est pas exhaustive, et pour en connaître l’évolution indépendamment des variations d’exhaustivité, le nombre total de diagnostics de sida est estimé pour tenir compte :
–des délais de déclaration (délai entre le diagnostic et l’envoi de la déclaration). L’approche utilisée 6 fait l’hypothèse que la distribution des délais est stable, après stratification par type de déclaration (papier ou en ligne) ;
–de la sous-déclaration (diagnostics jamais déclarés). En l’absence de dénominateur pour calculer directement l’exhaustivité de la DO du sida, cette correction repose sur l’hypothèse que l’exhaustivité de la DO de sida est la même, que le sida soit diagnostiqué en même temps que l’infection à VIH ou ultérieurement. Nous appliquons l’exhaustivité, calculée sur la DO du VIH à l’hôpital pour les diagnostics simultanés VIH et sida, à l’ensemble des cas de sida. Les déclarants sont les mêmes et l’outil (application www.e-do.fr) est le même. Le choix d’utiliser l’exhaustivité hospitalière plutôt que l’exhaustivité globale de la DO du VIH est lié au fait que la quasi-totalité des déclarations de sida sont faites à l’hôpital 2.
À la différence de la DO du VIH, les données manquantes sont limitées dans la DO du sida, et ne nécessitent donc pas de correction. Les proportions sont calculées en excluant ces valeurs manquantes.
Les caractéristiques des cas de sida sont décrites sur la période 2012-2023, à partir des données brutes arrêtées au 30 juin 2024, selon les variables suivantes : la région de domicile, l’âge, le genre, le lieu de naissance, le délai depuis l’arrivée en France pour les personnes nées à l’étranger, le mode de transmission probable, la connaissance ou non de la séropositivité VIH au moins trois mois avant le diagnostic de sida et la prise éventuelle d’ARV pendant au moins trois mois avant le diagnostic de sida, les pathologies inaugurales les plus fréquentes (>5% des cas), le nombre de lymphocytes CD4 et la charge virale au diagnostic du sida. Les comparaisons sont basées sur un test du Chi2 et les évolutions par année des proportions sont testées par régression logistique.
Résultats
Au 30 juin 2024, les cliniciens avaient déclaré 6 981 cas de sida diagnostiqués entre 2012 et 2023 (données brutes), mais en tenant compte de la sous-déclaration et des délais de déclaration, le nombre réel de diagnostics de sida sur cette période est estimé à environ 11 300 (données corrigées). Le nombre estimé de diagnostics de sida a diminué de 2012 (environ 1 200 cas) jusqu’en 2020 (environ 750), et fluctue depuis entre 800 et 900 cas par an, le dernier point étant à interpréter avec précaution en raison des délais de déclaration (figure 1).
Ces estimations permettent de constater que, sur la période 2012-2023, 61% (de 54% à 67% selon les années) des diagnostics de sida ont fait l’objet d’une DO. La description des diagnostics de sida ci-après est effectuée uniquement à partir de ces diagnostics de sida ayant fait l’objet d’une DO.
Caractéristiques des personnes ayant développé un sida entre 2012 et 2023
Genre, âge, pays de naissance et mode de transmission
Plus des deux tiers (69%) des personnes ayant développé un sida entre 2012 et 2023 étaient des hommes cisgenres, 30% étaient des femmes cisgenres, et 1% étaient des personnes trans (tableau 1). Moins de 0,5% des cas de sida ont concerné des enfants de moins de 15 ans, 4% des jeunes de 15 à 24 ans, 59% des adultes de 25 à 49 ans, et 37% des séniors de 50 ans et plus. L’âge médian au diagnostic de sida était de 45 ans, plus élevé chez les hommes (46 ans) et les femmes (42 ans) cisgenres que chez les personnes trans (36 ans).
Près de la moitié des cas (48%) étaient nés en France, 32% en Afrique subsaharienne, 7% sur le continent américain et 6% en Europe hors France. Parmi les personnes nées à l’étranger, 36% étaient arrivées en France moins d’un an avant le diagnostic de sida, alors que 45% étaient en France depuis 5 ans ou plus. Le délai médian entre l’arrivée en France et le diagnostic de sida était de 3 ans (intervalle interquartile, IQR: [0-14]), variable selon le lieu de naissance : <1 an pour les personnes nées en Europe hors France [0-7], 3 ans pour l’Afrique subsaharienne [0-13], 5 ans pour les Amériques [0-15], 6 ans pour l’Asie [0-16], et 14 ans pour l’Afrique du Nord [2-32].
Près des deux tiers des cas (63%) avaient été contaminés par rapports hétérosexuels (respectivement 22% et 41% pour ceux nés en France ou à l’étranger), 29% par rapports sexuels entre hommes (23% et 6% pour ceux nés en France ou à l’étranger), 5% à l’occasion d’usage de drogues injectables ; 1% étaient des personnes trans contaminées par rapports sexuels.
L’ensemble de ces caractéristiques a fluctué sans tendance particulière entre 2012 et 2023, à l’exception de l’âge : la part des personnes de 50 ans et plus au diagnostic de sida a augmenté, de 32% en 2012 à 46% en 2023.
Pathologies indicatrices de sida et nombre de CD4 au diagnostic de sida
Entre 2012 et 2023, 84% des diagnostics de sida ont été déclarés avec une pathologie indicatrice de sida isolée, et 16% avec des pathologies multiples (simultanées ou dans un délai d’1 mois). La proportion de pathologies multiples a augmenté de 2016 (11%) à 2021 (21%).
Parmi les pathologies inaugurales isolées, les plus fréquentes (>5% des cas) étaient la pneumocystose pulmonaire (PCP, 27%), la tuberculose (17% : pulmonaire 10%, extra-pulmonaire 7%), la toxoplasmose cérébrale (11%), la candidose œsophagienne (10%), la maladie de Kaposi (9%) et les lymphomes non Hodgkiniens (LNH) (7%).
En cas de pathologies multiples, les plus fréquemment associées étaient la pneumocystose et la candidose œsophagienne (14% des diagnostics de sida avec pathologies multiples), la tuberculose pulmonaire et extra pulmonaire (11%), la pneumocystose et l’infection à cytomégalovirus (CMV) (10%), la candidose œsophagienne et l’infection à CMV (7%).
La grande majorité (82%) des cas de sida chez les personnes de 15 ans et plus ont été diagnostiqués avec moins de 200 CD4/mm3. Seuls 4% avaient plus de 500 CD4/mm3 lors du diagnostic de sida. La médiane des CD4 au diagnostic, globalement de 54 CD4/mm3, était plus basse chez les personnes présentant des pathologies multiples (33/mm3), une PCP (34/mm3) ou une toxoplasmose cérébrale (35/mm3) isolées. La médiane était plus élevée chez celles présentant comme pathologie inaugurale de sida un Kaposi (143), un LNH (165) ou une tuberculose pulmonaire (173) isolés. La charge virale médiane au diagnostic de sida était de 228 888 copies/mL.
Connaissance de la séropositivité VIH et traitement antirétroviral avant le diagnostic de sida
Sur l’ensemble de la période, la très grande majorité (80%) des diagnostics de sida concernaient des personnes n’ayant pas reçu d’ARV avant le sida : 62% parce qu’elles ignoraient leur séropositivité VIH, et 18% qui, bien que leur infection à VIH soit connue, n’avaient pas reçu d’ARV. Les personnes ayant reçu des ARV avant le sida représentaient 20% des diagnostics de sida, les données recueillies par la DO ne renseignant ni la durée, ni l’observance au traitement, ni de potentielles résistances aux ARV.
La part des personnes ignorant leur séropositivité VIH avant le diagnostic de sida a augmenté entre 2012 et 2019 (de 58% à 69%, p<0,001), puis a diminué (64% en 2023, p=0,03). La part des personnes connaissant leur séropositivité VIH mais non traitées par ARV avant le diagnostic de sida a diminué entre 2012 et 2019 (de 24% à 13%, p<0,001), puis s’est stabilisée (16% en 2023) (figure 2).
Caractéristiques des personnes connaissant leur séropositivité mais non traitées par ARV avant le diagnostic de sida, 2012-2023
Les personnes diagnostiquées pour leur séropositivité VIH mais non traitées par ARV étaient majoritairement des hommes (65%). Leur âge médian était de 44 ans (45 ans pour les hommes, 43 pour les femmes, 38 pour les personnes trans). Deux tiers (64%) avaient été contaminées par rapports hétérosexuels, 27% par rapports sexuels entre hommes, 7% par usage de drogues injectables et 1% étaient des personnes trans contaminées par rapports sexuels (tableau 1).
Près de la moitié de ces personnes étaient nées à l’étranger (49%), arrivées en France depuis 8 ans en médiane (IQR : [1-16]). Ce délai médian était proche de celui observé chez les personnes nées à l’étranger traitées par ARV (6,5 ans [0-18]) mais plus long que chez les personnes ignorant leur séropositivité avant le sida (2 ans, [0-11]).
Parmi les personnes nées à l’étranger diagnostiquées pour le VIH mais non traitées par ARV, la première sérologie positive avait été majoritairement réalisée en France : soit l’année de l’arrivée en France (19%) soit ultérieurement (57%). Seul un quart (24%) d’entre elles avait été diagnostiquées avant l’année d’arrivée en France.
Le délai médian entre le 1er diagnostic d’infection à VIH et le diagnostic de sida était de 7,5 ans chez les personnes diagnostiquées non traitées par ARV avant le sida, (9,3 ans pour les personnes nées en France et 5,8 ans pour celles nées à l’étranger). Ce délai était plus long chez les personnes traitées par ARV avant le sida (12,5 ans).
L’entrée dans le sida par des pathologies inaugurales multiples était plus fréquente (16%) chez les personnes diagnostiquées non traitées par ARV, que chez celles traitées (8%) (p<0,001). La répartition des pathologies isolées différait également : plus de pneumocystoses (24% vs 15%) et de toxoplasmoses cérébrales (13% vs 7%), moins de tuberculoses pulmonaires (7% vs 12%) et de LNH (5% vs 12%) étaient diagnostiquées chez les personnes non traitées par ARV que chez les personnes traitées par ARV (p<0,001).
La médiane des CD4 au diagnostic de sida était de 50 CD4/mm3 pour les personnes diagnostiquées non traitées avant le sida, proche de celle des personnes non diagnostiquées (46 CD4/mm3), et inférieure à celle des personnes traitées par ARV (137 CD4/mm3). La charge virale médiane était de 234 000 copies/mL chez les personnes diagnostiquées non traitées avant le sida, beaucoup plus élevée que chez les personnes traitées par ARV avant le sida (1 408 copies/mL).
Diagnostics de sida entre 2012 et 2023, par région de domicile
Un tiers (33%) des cas concernaient des personnes domiciliées en Île-de-France, 10% en Auvergne-Rhône-Alpes, 7% en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) comme en Occitanie, 6% en Nouvelle-Aquitaine, 5% dans le Grand Est et moins de 5% dans chacune des autres régions (tableau 2).
La proportion de femmes était comprise entre 23% et 36% selon les régions (1), sauf en Guyane (41%) et à Mayotte (40%). L’âge médian au diagnostic de sida variait entre 44 et 48 ans selon les régions, sauf à Mayotte (35 ans) et en Guyane (39 ans).
La proportion de personnes nées à l’étranger variait selon la région : elle était plus élevée en Guyane (90%), à Mayotte (79%) et en Île-de-France (66%), et plus faible à La Réunion (22%) et en Martinique (23%) que dans les autres régions.
Les rapports hétérosexuels étaient le mode de contamination de 79 à 98% des cas en Guyane, Mayotte, Martinique et Guadeloupe/Saint-Martin/Saint-Barthélemy, alors qu’ils représentaient entre 49 et 67% dans les autres régions.
La part des personnes ignorant leur séropositivité avant le sida variait selon la région entre 54% et 73%, sauf en Martinique (39%) et à Mayotte (83%). Celle des personnes diagnostiquées, mais non traitées par ARV, était de de 33% en Martinique, inférieure à 10% à Mayotte, en Guyane et à La Réunion, et comprise entre 14% et 23% dans les autres régions. Dans toutes les régions sauf en Guadeloupe, à Mayotte et en Occitanie, le délai entre les diagnostics d’infection au VIH et de sida étaient plus longs chez les personnes ayant reçu des ARV, que chez celles n’en ayant pas reçu.
La pneumocystose était la pathologie inaugurale de sida isolée la plus fréquente dans toutes les régions, représentant entre 21% (Mayotte) et 36% (Occitanie) des cas, à l’exception de la Guadeloupe/Saint-Martin/Saint-Barthélemy, où la candidose œsophagienne isolée était plus fréquente (25%), et de la Guyane où la pathologie inaugurale isolée la plus fréquente était l’histoplasmose (38%).
Discussion
Cet article décrit les cas de sida diagnostiqués entre 2012 et 2023, à partir de la DO du sida. Les données brutes (diagnostics de sida ayant fait l’objet d’une DO) ont été redressées pour estimer le nombre total de diagnostics et son évolution dans le temps, indépendamment des variations de la sous-déclaration. Les données brutes ont été utilisées directement pour décrire les caractéristiques des cas, elles représentent 61% du nombre estimé de diagnostics.
La diminution du nombre de nouveaux diagnostics de sida, rapide dans les années 2000 7, s’est poursuivie sur un rythme plus lent entre 2012 et 2020 (d’environ 1 200 à environ 750), et s’est stabilisé depuis (environ 800). Une tendance à la diminution et un palier en 2021 sont aussi observés dans les autres pays d’Europe de l’Ouest 8. Cette similitude suggère que ce palier pourrait être lié aux difficultés de recours aux soins et aux freins à la migration, liés à la pandémie de Covid-19, qui ont affecté l’ensemble des pays. Cependant, en Europe de l’Ouest, le nombre de cas diminue à nouveau en 2022, ce qui n’est pas encore le cas en France.
La diminution au cours du temps du nombre de cas de sida reflète à la fois l’efficacité croissante des stratégies d’utilisation des ARV dans la prise en charge de l’infection à VIH 9 et une prise en charge plus précoce après un diagnostic de séropositivité, observée dans les cohortes hospitalières 10. Cependant, la persistance de plusieurs centaines de nouveaux cas de sida chaque année, dont le nombre ne semble plus diminuer depuis 2020, interroge, dans le contexte de l’efficacité des traitements disponibles et de l’objectif d’élimination du VIH/sida d’ici 2030.
Les diagnostics de sida sont survenus, pour leur majorité (62%), chez des personnes dont l’infection à VIH n’avait pas été diagnostiquée avant le sida, les privant ainsi de l’opportunité de bénéficier des traitements efficaces. Outre l’effet délétère sur leur santé, puisque l’infection progresse plus vite en l’absence de traitement précoce 11, cette situation favorise la transmission du virus dans la population. Les personnes non traitées ont en effet une charge virale plus élevée, elles sont donc plus à risque de transmettre le VIH. De plus, ignorant qu’elles sont porteuses du virus, elles sont moins susceptibles d’adopter des mesures de prévention 12. Le nombre de ces diagnostics simultanés VIH et sida est en lente diminution, mais il dépasse toujours 500 cas annuels, qui pour la plupart d’entre eux auraient pu être évités par un diagnostic plus précoce de la séropositivité. La promotion du dépistage reste donc nécessaire, notamment dans les populations qui en sont les plus éloignées. Parmi les personnes ignorant leur séropositivité avant le sida, environ la moitié étaient nées à l’étranger et arrivées en France depuis un délai médian de 2 ans, ce qui aurait pu permettre des opportunités de dépistage si ces personnes ont été en contact avec un système de soin. Mais les premiers mois après la migration ne sont pas toujours les plus propices à des préoccupations de santé pour des personnes accaparées par des questions administratives et économiques, qui constituent des obstacles au recours au test 13.
Environ 20% des cas de sida sur la période 2012-2023 ont été diagnostiqués chez des personnes qui avaient bénéficié d’ARV. Les circonstances exactes de ces traitements (type, modalités de prise, durée, observance, interruptions, éventuelles résistances…) pourraient probablement expliquer l’apparition du sida, mais ne sont pas documentées dans la DO. Seules des données de cohorte ou d’études spécifiques pourraient permettre de comprendre les raisons de survenue du sida chez ces personnes. Même s’il a été de durée limitée, ou s’il a été interrompu, le délai entre diagnostic du VIH et sida, plus long que chez les personnes non traitées, témoigne d’une certaine efficacité du traitement à l’échelle de cette population.
Enfin, une part non négligeable des cas de sida (18% sur la période 2012-2023) concernait des personnes qui, bien que connaissant leur séropositivité, n’avaient pas reçu d’ARV avant le sida, alors que les recommandations de prise en charge de l’infection à VIH, depuis 2013, sont de proposer un traitement antirétroviral précoce, dès le diagnostic d’infection à VIH quel que soit le niveau de CD4 14. Ces recommandations, ainsi que la disponibilité de traitements plus simples à prendre et mieux tolérés, expliquent sans doute pourquoi la part de ces cas a diminué entre 2012 (24%) et 2019 (13%), sans toutefois se poursuivre depuis. Les données recueillies par la DO, nécessairement succinctes, ne permettent pas de connaître les raisons de l’absence de traitement ARV pour ces personnes. Cependant, certaines caractéristiques des personnes concernées peuvent donner des pistes d’explication et d’amélioration du lien vers le soin. Celles qui étaient nées à l’étranger (la moitié des cas diagnostiqués), étaient arrivées en France plusieurs années avant le diagnostic de sida (médiane de 8 ans), délai qui aurait pu permettre un lien vers le soin après un premier test VIH positif, d’autant que ce premier test avait été le plus souvent (pour les trois quarts d’entre elles) réalisé après l’arrivée en France. Le lien au soin après la première sérologie positive, s’il s’est amélioré au cours du temps, doit encore progresser. Tout contact avec le système de soin, même à distance de la migration, pourrait être l’occasion de proposer ou de renouveler un test VIH, afin de pouvoir amener ces personnes vers le soin.
Conclusion
Sur la période 2012-2023, les personnes qui ont développé un sida étaient le plus souvent des personnes n’ayant pas connaissance de leur infection à VIH, donc n’ayant pu bénéficier d’une prise en charge adaptée. L’amélioration du dépistage, permettant un traitement précoce, est un levier d’importance pour continuer à faire diminuer le nombre de cas de sida. Mais ce levier ne suffira pas pour atteindre l’objectif de « zéro nouveau diagnostic de sida », s’il n’est pas complété par la poursuite de l’amélioration du lien au soin des personnes dont la séropositivité VIH est diagnostiquée.
Remerciements
Nous remercions les professionnels de santé participant à la surveillance du sida, et notamment les cliniciens qui notifient les cas de sida qu’ils diagnostiquent. Nous remercions également Lotfi Benyelles et Maria-Clara Da Costa (Santé publique France) pour la gestion des DO sida.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.