Déploiement du dispositif VIHTest en France
// Implementation of an HIV testing scheme in France: VIHTest
Résumé
Introduction –
Le dispositif VIHTest est effectif depuis le 1er janvier 2022. Ainsi, chaque assuré social qui se présente dans un laboratoire pour faire un test de dépistage du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans le cadre de l’offre fait l’objet de la même prise en charge qu’un patient qui se présenterait avec une prescription médicale. Cette offre supplémentaire fait suite aux résultats positifs de l’expérimentation « Au labo sans ordo » (Also). L’objectif de cet article est de décrire le déploiement et la montée en charge de ce dispositif entre janvier 2022 et décembre 2023 en France.
Méthode –
Les données sont issues du Système national des données de santé (SNDS). L’évolution du déploiement est présentée en France entière, par sexe, classe d’âge et par région.
Résultats –
Le dispositif monte en charge avec une part des VIHTest représentant 5% des tests VIH remboursés en 2022 et près de 15% en 2023. Les hommes sont surreprésentés par rapport à l’ensemble des tests remboursés, ainsi que les 40-59 ans. Des disparités régionales existent avec des régions présentant un taux de VIHTest plus important.
Conclusion –
Le déploiement du dispositif s’accélère sur l’ensemble du territoire et semble toucher une population différente de celle se faisant dépister sur prescription. Cependant, l’hétérogénéité dans la mise en œuvre de VIHTest selon les régions renforce le besoin d’harmoniser la promotion du dispositif, en particulier auprès de la population ciblée par les recommandations de dépistage du VIH de la Haute Autorité de santé (HAS).
Abstract
Background –
The VIHTest scheme has been in place since 1 January 2022. Within this scheme, any beneficiary of national health insurance can request an HIV test directly from a medical laboratory under the same conditions as a patient with a medical prescription. This offer follows on from the positive results of the “Au Labo Sans Ordo” (ALSO) trial, whereby HIV tests were offered on a walk-in basis, with no prescription or upfront fees required. The aim of this article is to describe the implementation and uptake of this system between January 2022 and December 2023 in France.
Method –
The data comes from the French National Health Data System (SNDS). The scheme’s implementation was analysed for mainland and overseas France, by gender, age group and by region.
Results –
The scheme is showing increasing uptake, with VIHTest representing 5% of reimbursed tests in 2022 and almost 15% in 2023. Men are over-represented compared with all reimbursed tests, as is the 40–59 age group. There are regional disparities, with some regions showing a higher rate of VIHTests.
Conclusion –
The scheme is increasingly used throughout France and appears to be reaching a different population to the patients screened on prescription. However, the unequal implementation of VIHTest across different regions highlights the importance of promoting the scheme, without losing sight of the population targeted by the National Health Authority’s HIV screening strategy.
Introduction
En 2020 en France, 5,4 millions de sérologies VIH (virus de l’immunodéficience humaine) avaient été réalisées par les laboratoires de biologie médicale (LBM). L’activité de dépistage du VIH, qui avait augmenté entre 2013 et 2019, avait diminué entre 2019 et 2020 (-14%), en raison d’une baisse importante du recours au dépistage lors du premier confinement au printemps 2020 1. Le nombre de découvertes de séropositivité en 2020 était estimé entre 3 699 et 5 113 1, en diminution également par rapport à 2019. Cette diminution du nombre de diagnostics d’infection à VIH pouvait être expliquée en partie par la diminution de l’activité de dépistage avec la crise Covid-19.
C’est dans ce contexte que s’est inscrite la feuille de route Santé sexuelle 2021-2024 2, dont l’un des principaux objectifs était de renforcer la lutte contre le VIH et les IST (infections sexuellement transmissibles), en faisant un pas décisif pour faciliter l’accès au dépistage et aux outils de prévention, notamment grâce à une simplification des parcours (large distribution des laboratoires sur le territoire et leurs larges horaires d’ouverture) et à la levée des obstacles psychologiques d’avoir à évoquer sa sexualité avec un médecin pour la prescription d’un dépistage VIH.
Ainsi, l’article 77 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 prévoyait la généralisation de l’accès au dépistage du VIH par sérologie sans prescription dans tous les LBM du territoire, et la prise en charge à 100% par l’Assurance maladie sans avance de frais, via le dispositif VIHTest 3. Cette généralisation s’appuyait sur les résultats positifs de l’expérimentation « Au labo sans ordo » (Also), menée dans deux territoires (Paris et les Alpes-Maritimes) du 1er juillet 2019 au 31 décembre 2020 4,5. Les résultats de l’expérimentation Also ont montré qu’une extension de l’offre de dépistage du VIH avait permis de recruter des catégories de population auparavant moins bien dépistées, et ainsi susceptibles de contribuer au maintien de l’épidémie du VIH non diagnostiqué (personnes vivant avec le VIH qui ignorent leur séropositivité). Cette population était notamment constituée d’hommes, de jeunes de 18-24 ans et de personnes de 45-54 ans, et habituellement moindres utilisateurs du système de soin.
Le dispositif VIHTest est réglementaire depuis le 1er janvier 2022. Les assurés sociaux qui se présentent dans un LBM pour faire un test de dépistage dans le cadre de l’offre VIHTest font l’objet de la même prise en charge qu’un patient qui se présenterait pour un test avec une prescription médicale. Les personnes sans droits ouverts sont réorientées vers les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) par les LBM. En cas de sérologie positive, si le patient ne souhaite pas être pris en charge par son médecin traitant, le biologiste du LBM contacte la structure effectuant la navigation (1), Sida info service (2) ou le Comité de coordination régionale de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (Corevih), pour proposer un établissement de référence pour une prise en charge rapide.
Cet article décrit le déploiement du dispositif VIHTest et sa contribution à l’offre globale de dépistage entre janvier 2022 et décembre 2023 en France, à partir des données de remboursement de l’Assurance maladie.
Méthode
Les données ont été extraites à partir du Système national des données de santé (SNDS) pour les années 2022 et 2023. Cette base, créée en 2016, regroupe entre autres les données de remboursements de soins par l’Assurance maladie (consultations, actes diagnostiques…). Sa finalité est la mise à disposition de ces données auprès des personnes habilitées afin de favoriser les études, recherches ou évaluations présentant un caractère d’intérêt public 6. Les données du SNDS portent sur l’ensemble des assurés affiliés aux différents régimes d’assurance maladie ainsi que leurs ayants droit, et permet donc une surveillance de la quasi-totalité de la population. Elles permettent également d’avoir la répartition par âge, sexe et département de résidence.
Les données de remboursement du SNDS ont été extraites en juin 2024 pour identifier les tests de dépistage du VIH prescrits par un professionnel de santé et réalisés dans les laboratoires privés (laboratoires de ville et d’établissements de santé privés), ou publics. Ces données concernent les remboursements de près de 99% de la population résidant en France, mais elles ne couvrent pas l’ensemble des tests de dépistage effectués dans la mesure où elles n’incluent pas ceux qui ne bénéficient pas d’un remboursement individuel (tests réalisés en secteur public lors d’une hospitalisation, tests gratuits prescrits par un CeGIDD, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), personnes ayant payé leur test faute de couverture maladie, etc.). L’identification des tests s’est faite en sélectionnant le code 388 (sérodiagnostic de dépistage du VIH) de la Nomenclature des actes de biologie médicale (NABM). Les données de remboursement de l’ensemble des tests VIH ont été extraits par Santé publique France. Les données spécifiques à VIHTest ont été extraites par la Caisse nationale de l’assurance Maladie (Cnam). En effet, l’identification des VIHTest repose sur l’utilisation d’un code prescripteur spécifique par les LBM pour la facturation des tests, code qui n’est pas encore accessible à Santé publique France.
Les résultats ont été analysés pour la France entière. L’analyse descriptive globale a porté sur le nombre de VIHTest et sa comparaison avec le nombre total de tests remboursés réalisés dans les laboratoires privés, par sexe et par classe d’âge. Les taux de VIHTest pour 1 000 habitants ou rapportés à la population et par région ont été calculés afin d’observer les disparités territoriales.
Par ailleurs, à la demande des agences régionales de santé (ARS), une enquête Santé publique France a été réalisée dans cinq régions (Grand Est, Guadeloupe, Martinique, Normandie et Occitanie), afin d’évaluer le profil sociodémographique et comportemental des usagers de VIHTest par rapport à la population dépistée sur prescription. Ces résultats sont présentés dans un autre article de ce numéro 7.
Résultats
De janvier 2022 à décembre 2023, 1 092 581 dépistages via VIHTest ont été remboursés (251 145 en 2022, 841 436 en 2023). Ces VIHTest réalisés représentaient 5,3% de l’ensemble des tests de dépistage du VIH remboursés en 2022 et 14,9% en 2023. On observe une montée en charge stable du dispositif à partir de juin 2022, puis une augmentation plus importante sur le dernier trimestre 2023 (figure 1).
En 2022, une part équivalente d’hommes et de femmes ont bénéficié de l’offre VIHTest : 48,9% étaient des hommes et 51,1% des femmes (figure 2). Sur l’ensemble des tests de dépistage remboursés (VIHTest et autres), 37,7% étaient des hommes.
En 2023, plus de femmes ont bénéficié des VIHTest (54,3% de femmes et 45,8% d’hommes, figure 2). La répartition est restée stable pour l’ensemble des tests remboursés avec 39,1% d’hommes.
La proportion d’hommes est plus élevée parmi les utilisateurs de VIHTest que dans l’ensemble des tests.
Globalement, l’offre VIHTest attire plutôt une population âgée de 40-59 ans (36,6% en 2023) avec une augmentation de près de 9 points du nombre de bénéficiaires de plus de 60 ans entre 2022 (16,0%) et 2023 (24,8%). Tandis que parmi l’ensemble des tests VIH remboursés, le nombre de bénéficiaires est plus important chez les 25-39 ans (42,7% en 2023), sans doute en lien avec les tests liés à la grossesse chez les femmes, avec une répartition par classe d’âge stable entre 2022 et 2023 (figure 3).
Le déploiement de VIHTest est variable selon les régions avec un taux de VIHTest par habitant plus important dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et à La Réunion en 2023 (figure 4a). Le taux de dépistage de l’ensemble des tests VIH remboursés est quant à lui plus important dans les départements d’outre-mer, en Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie (figure 4b).
L’évolution de la proportion de VIHTest parmi l’ensemble des tests de dépistage du VIH remboursés dans les cinq régions ayant mené une enquête spécifique sur le dispositif VIHTest en LBM montre une augmentation de la montée en charge du dispositif moins d’un mois après le lancement de l’enquête (figure 5). Dans le reste de la France, cette proportion augmente également, mais un mois plus tard et avec une moindre amplitude.
Discussion
L’expérimentation Also, conduite dans deux territoires français, avait montré l’intérêt de ce dispositif dans un contexte marqué par une baisse du dépistage du VIH en 2020, en lien avec la crise de la Covid-19 (confinements) et avec une proportion de diagnostics tardifs qui ne diminue pas 4,5.
La généralisation de ce dispositif, via VIHTest, depuis janvier 2022 montre :
–une montée en charge lente, qui s’accentue en 2023, notamment à partir d’octobre (les VIHTest représentent 5% des tests remboursés en 2022 et près de 15% en 2023) ;
–des convergences avec le bilan de l’expérimentation Also : les hommes sont surreprésentés par rapport à l’ensemble des tests remboursés, ainsi que les 40-59 ans ;
–qu’à la différence d’Also, le dispositif VIHTest ne montre pas de surreprésentation des jeunes par rapport à l’ensemble des tests remboursés ;
–des disparités territoriales qui se dessinent avec des taux de VIHTest hétérogènes selon les régions.
Concernant les disparités régionales, l’augmentation plus marquée du nombre de VIHTest réalisés dans les régions ayant mené une enquête spécifique auprès des usagers en LBM 7 reflète le rôle prépondérant des laboratoires dans le déploiement du dispositif, en particulier en l’absence initiale d’une campagne de promotion du dispositif dans l’espace public. Chaque groupe de laboratoires peut mettre en œuvre sa propre stratégie (à titre d’exemple, une proposition systématique du dépistage du VIH par les préleveurs), ce qui peut provoquer un déploiement hétérogène au sein des territoires. La mise en place de l’enquête a pu modifier ces pratiques dans une partie des laboratoires participants.
Cependant, même si un des objectifs du dispositif VIHTest est d’élargir le dépistage aux publics qui étaient jusque-là éloignés du test, il serait souhaitable que la cible des dépistages VIH reste proche des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) 8, à savoir :
–au moins une fois dans sa vie entre 15 et 70 ans pour toute personne, hors risque d’exposition à un risque de contamination ;
–tous les trois mois, pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, tous les ans pour les utilisateurs de drogues injectables, et les personnes originaires de zones où l’infection par le VIH est fréquente ;
–dans certaines circonstances de la vie (grossesse, contraception, diagnostic d’IST, etc.) ;
–et sur démarche individuelle et volontaire.
Les données du SNDS montrent une augmentation des dépistages VIHTest chez les 60 ans et plus entre 2022 (16%) et 2023 (25%). On observe notamment en 2023 deux fois plus de VIHTest qu’en 2022 chez les personnes de plus de 70 ans, non concernées par les recommandations de dépistage de la HAS. Ainsi, bien que le dispositif VIHTest soit accessible à tous, il devrait préférentiellement s’orienter vers les populations ciblées par les recommandations des sociétés savantes.
Actuellement les données VIH sont extraites et transmises par l’Assurance maladie à Santé publique France de façon agrégée, sans résultats du test associé, et sans données sur les caractéristiques sociodémographiques des usagers, ce qui limite les interprétations. La possibilité d’extraction directe depuis le SNDS par Santé publique France permettrait un accès à des données plus détaillées pour mieux décrire la contribution des dépistages VIHTest à l’offre globale de dépistage. Par ailleurs, l’article sur l’enquête de Santé publique France auprès des usagers permet d’approfondir ces caractéristiques 7.
Conclusion
Le dispositif VIHTest, effectif depuis le 1er janvier 2022 sur l’ensemble du territoire, a attiré une population plus âgée et plus souvent masculine que celle se faisant dépister sur prescription. VIHTest semble ainsi recruter une population moins touchée par les offres de dépistage déjà existantes. Une diminution de l’épidémie cachée de VIH au cours des prochaines années permettra de confirmer que le dispositif VIHTest a contribué à améliorer l’ensemble de l’offre de dépistage.
Cependant le déploiement hétérogène de VIHTest selon les régions renforce le besoin d’harmoniser la promotion du dispositif, en particulier auprès des populations cibles de la stratégie de dépistage de l’infection à VIH.
Remerciements
Les auteurs remercient madame Sophie Fantin, Direction de la stratégie, des études et des statistiques (DSES), Caisse nationale de l’assurance maladie, pour la transmission des données agrégées sur les VIHTest remboursés.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.