Prophylaxie pré-exposition (PrEP) de l’infection au VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes répondant à l’enquête Rapport au Sexe 2023 : qui sont les éligibles ? Qui sont les usagers ?
// HIV Pre-exposure prophylaxis among men who have sex with men responding to the Rapport au Sexe 2023 survey: Who is eligible? Who are the users?
Résumé
Introduction –
La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est un outil de prévention de l’infection au VIH pour les populations à haut risque d’exposition, dont les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Depuis 2021, la primo-prescription peut être délivrée en médecine de ville en plus des centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) ou de l’hôpital. L’objectif de cet article est de décrire les profils des HSH éligibles à la PrEP, qu’ils l’utilisent ou non au cours des six derniers mois, et de déterminer les facteurs associés à sa non-utilisation.
Méthodes –
Les données mobilisées sont issues de l’enquête Rapport au sexe (Eras) réalisée au premier semestre 2023, une enquête en ligne transversale et anonyme, auto-administrée et basée sur le volontariat auprès des HSH. Nous avons considéré qu’étaient éligibles à la PrEP les répondants multipartenaires non-séropositifs pour le VIH, ayant déclaré le non-usage systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels dans les 6 derniers mois lors de pénétrations anales.
Résultats –
Sur les 19 307 répondants rapportant être des HSH, cisgenres, résider en France et ne pas vivre avec le VIH, 6 439 répondants (33,4%) répondaient aux critères d’éligibilité à la PrEP. Parmi ces derniers, 3 278 (50,9%) l’avaient utilisé au cours des 6 derniers mois et 3 161 (49,1%) ne l’avaient pas utilisé. Par rapport aux usagers, les non-usagers étaient plus jeunes, moins souvent urbains, moins éduqués, avec une situation financière moins privilégiée, socialement moins connectés à la communauté gay et à ses modes de vie et également plus éloignés du système de soin et de l’offre médicale en santé sexuelle.
Discussion –
Nos résultats soulignent la persistance de freins individuels et structurels à l’utilisation de la PrEP au sein d’une population de HSH ayant des comportements sexuels à haut risque d’exposition au VIH. Pour l’instant, l’ouverture de la primo-prescription de la PrEP en médecine de ville n’atteint pas les objectifs attendus dont la diversification des caractéristiques sociodémographiques des usagers éligibles.
Abstract
Introduction –
Pre-exposure prophylaxis (PrEP) is a tool for preventing HIV infection in populations at high risk of exposure, including men who have sex with men (MSM). Since 2021, first-time PrEP prescriptions have been available from general practitioners as well as from free sexual health clinics (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic, CeGIDD) and hospitals. This article aims to describe the profiles of MSM eligible for PrEP, regardless of whether or not they have used it in the last 6 months, and to determine the factors associated with non-use.
Methods –
The data used come from the survey “Rapport au Sexe” (ERAS), a cross-sectional, anonymous, self-administered, voluntary online survey of MSM, which was carried out in the first half of 2023. HIV-negative respondents with multiple partners who reported non-systematic use of condoms during anal intercourse with occasional partners in the last 6 months were considered eligible for PrEP.
Results –
Of the 19,307 respondents who reported being MSM, cisgender, living in France and not living with HIV, 6,439 (33.4%) met the eligibility criteria for PrEP. Of these, 3,278 (50.9%) had used PrEP in the last 6 months and 3,161 (49.1%) had not. Compared to PrEP users, non-users were younger, less likely to be urban, less educated, less well-off financially, less socially connected to the gay community and its lifestyles, and also more distant from the health care system and sexual health services.
Discussion –
Our results highlight the persistence of individual and structural obstacles to the use of PrEP in a population of MSM who engage in high-risk sexual behaviour concerning exposure to HIV. To date, initial PrEP prescriptions in general practice have not achieved the expected objectives, which include diversifying the socio-demographic characteristics of eligible users.
Introduction
La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est un outil de la stratégie de prévention combinée de l’infection au VIH 1. Elle a montré son efficacité dans le cadre d’essais cliniques randomisés 2,3,4 et en vie réelle 5,6 chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Depuis 2016, elle est disponible en France et intégralement remboursée par l’Assurance maladie. Initialement, seuls les médecins infectiologues exerçant à l’hôpital ou dans un centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) pouvaient délivrer la première prescription de la PrEP. Depuis 2021, tout médecin, en particulier les médecins de ville, peut réaliser cette primo-prescription ainsi que son renouvellement 1. La PrEP s’adresse aux personnes exposées à des risques majorés d’infection par le VIH dont les HSH. Les dernières données de suivi de l’évolution de l’utilisation de la PrEP, issues du Système national des données de santé (SNDS), indiquent une augmentation de son initiation de 39% entre 2021 et 2022. Depuis 2016, 64 821 personnes ont initié la PrEP, majoritairement des hommes 7. Par ailleurs, les données des précédentes éditions de l’enquête Rapport au sexe (Eras) réalisées auprès des HSH, décrivent une augmentation de la proportion des HSH séronégatifs prenant la PrEP lors de leur dernière pénétration anale avec un partenaire occasionnel passant de 7% en 2017 à 28% en 2021. Cette proportion est cependant insuffisante. En effet, le niveau global de protection intégrant le TasP (traitement comme outil de prévention), la PrEP, le TPE (traitement post-exposition) ou le préservatif se maintient à 75% entre 2017 et 2021 8. En 2021, les HSH restent une population disproportionnellement touchée par l’épidémie de VIH/sida : 44% des nouveaux cas de VIH diagnostiqués avaient été contaminés par rapports sexuels entre hommes en 2021 9. L’objectif d’atteindre zéro nouvelle contamination VIH en 2030, inscrit dans la Stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030, nécessite, entre autres, une accélération du déploiement de la PrEP et une connaissance fine des profils des utilisateurs potentiels afin de mieux les informer et les inciter à son usage.
L’enquête Rapport au sexe (Eras) a pour objectif d’évaluer de façon répétée l’usage des différents moyens de prévention du VIH parmi les HSH en France. À partir des données de la dernière édition 2023, l’étude qui suit a pour objectif de décrire, parmi les HSH pouvant bénéficier de la PrEP sur les six derniers mois, le profil des utilisateurs et celui des non-utilisateurs, afin de définir des facteurs de sa non-utilisation.
Méthodes
Source de données
Rapport au sexe est une enquête transversale anonyme, auto-administrée, basée sur le volontariat, répétée tous les deux ans depuis 2017. La dernière édition s’est déroulée du 24 février au 6 avril 2023, sous la responsabilité scientifique de Santé publique France, avec le soutien de l’ANRS – maladies infectieuses émergentes (ANRS – MIE). Les participants ont été recrutés par le biais de différents supports digitaux. Des bannières ont été postées directement sur des applications de rencontres géolocalisées gays et des sites d’information affinitaires gays. Par ailleurs, des bannières ont été diffusées sur les réseaux sociaux, en ciblant des profils semblables à ceux des visiteurs du site de prévention Sexosafe (1) de Santé publique France. En cliquant sur ces dernières, les personnes étaient dirigées vers le site de l’enquête, où des informations sur ses objectifs étaient présentées ainsi que les conditions de participation et la confidentialité des données. Les participants étaient invités à donner leur consentement éclairé pour accéder au questionnaire en ligne. Aucune adresse IP n’a été collectée. Aucune incitation financière n’a été proposée. Les seuls critères d’inclusion pour participer étaient le fait d’être un homme et d’avoir 18 ans ou plus. L’étude était conforme aux directives éthiques de la déclaration d’Helsinki de 1975. Le protocole d’enquête en ligne a été évalué et approuvé par le Comité d’évaluation éthique de l’Inserm (IRB00003888 avis n°23-989).
Quatre grandes parties composent le questionnaire : les caractéristiques sociodémographiques, le mode de vie et la socialisation, les données de santé, et les comportements sexuels et préventifs au cours des six derniers mois et au cours du dernier rapport selon le type de partenaire (stable ou occasionnel).
Population d’étude
La population incluse dans l’analyse est celle des HSH cisgenres (personnes dont l’identité de genre est en accord avec leur sexe de naissance), résidant en France, âgés de 18 ans et plus, non séropositifs au VIH (c’est-à-dire dont le résultat du dernier test VIH était négatif ou inconnu, ou encore sans avoir jamais fait de test dans la vie) éligibles à la PrEP.
En se référant aux recommandations françaises de 2021 1, étaient éligibles à la PrEP les répondants multipartenaires non séropositifs pour le VIH, ayant déclaré le non-usage systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels dans les six derniers mois lors de pénétrations anales.
L’usage de la PrEP a été défini par le fait d’avoir positivement répondu à la question : « Ces 6 derniers mois, pour vos pénétrations anales (actives ou passives) avec l’un de vos partenaires occasionnels, avez-vous utilisé la PrEP ? ».
Variables d’intérêt
Plusieurs ensembles de variables ont été considérés dans l’analyse des facteurs associés à la non-utilisation de la PrEP dans les six derniers mois :
–des caractéristiques sociodémographiques : âge, niveau d’études, taille de la commune de résidence, situation financière perçue, situation familiale ;
–des variables de socialisation : autodéfinition de l’orientation sexuelle, entourage amical, fréquentation de lieux de convivialité (bar, sauna, backroom), des sites Internet et/ou applications de rencontres ;
–des variables de santé : être suivi régulièrement par un médecin et aborder avec lui des questions de prévention sexuelle, le nombre de tests de dépistage du VIH réalisés dans les 12 derniers mois ;
–des variables sur les comportements sexuels : nombre de partenaires dans les six derniers mois, consommation de produits psychoactifs (cocaïne, GHB/GBL, amphétamines, MDPV, 3-MMC, 4-MMC...) dans un contexte sexuel (chemsex).
Analyses statistiques
Dans un premier temps les hommes éligibles à la PrEP ont été comparés à ceux qui ne l’étaient pas. Dans un second temps, ces hommes éligibles ont été comparés selon qu’ils prenaient ou non la PrEP. Les pourcentages issus des analyses bivariées ont été comparés en utilisant le test d’indépendance du Chi2 de Pearson, avec un seuil maximal retenu à 5%. Une régression logistique multivariée a été menée afin de décrire les facteurs associés au fait d’être éligible à la PrEP mais de ne pas la prendre par rapport aux HSH l’utilisant. Les variables significatives au seuil de 20% en analyse bivariée ont été retenues pour les analyses multivariées. Le seuil de significativité retenu pour les analyses multivariées était de 5%. L’ensemble des analyses a été réalisé avec le logiciel Stata® 14.1.
Résultats
Population d’étude
Au total, 23 502 questionnaires ont été complétés et validés en 2023. Un total de 19 307 répondants rapportaient être des HSH, cisgenres, résider en France et ne pas vivre avec le VIH (figure 1). Parmi eux, 12 868 (66,6%) n’étaient pas éligibles à la PrEP. Les motifs de non éligibilité sont détaillés dans la figure 1. Au final, 6 439 HSH (33,4%) répondaient aux critères d’éligibilité à la PrEP.
Caractéristiques des répondants éligibles à la PrEP
Les répondants éligibles à la PrEP étaient plus âgés que ceux non éligibles (âge médian de 38 ans vs 35 ans), plus éduqués (45,0% avaient un diplôme du 2e ou 3e cycle vs 41,6%) et plus urbains (43,9% résidaient dans une agglomération de plus de 100 000 habitants vs 35,8%). Ils étaient plus en lien avec le milieu communautaire gay, que ce soit par leur identification homosexuelle (83,3% vs 74,9%), leur fréquentation des lieux de convivialité gay (bars, saunas ou backrooms, 75,7% vs 50,9%), ou celle des sites de rencontres sur Internet ou les applications (95,7% vs 70,7%).
Concernant leurs caractéristiques liées à leur santé, ils étaient plus souvent suivis régulièrement par un médecin (87,3% vs 78,8%), rapportaient moins souvent ne pas connaître leur statut VIH (7,9% vs 17,2%) et plus souvent avoir réalisé 3 tests et plus dans les 12 derniers mois (54,2% vs 12,8%). Plus spécifiquement sur la PrEP, 5,0% des répondants éligibles indiquaient ne pas savoir de quoi il s’agissait contre 14,4% des non éligibles. Alors que 53,5% des éligibles avaient pris la PrEP au cours de leur vie, ils étaient 11,5% parmi les non éligibles à l’avoir déjà prise.
Parmi les répondants éligibles à la PrEP, 3 278 (50,9%) l’avaient utilisée au cours des 6 derniers mois et 3 161 (49,1%) ne l’avaient pas utilisée.
Caractéristiques des usagers de PrEP
Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques et comportementales des usagers de la PrEP. L’âge médian des usagers de PrEP s’élevait à 40 ans (intervalle interquartile, IQ: [32-48]). Plus de la moitié avaient suivi au moins un second cycle universitaire ou équivalent (56,1%), 40,7% résidaient en région Île-de-France. Leur situation socio-économique était bonne : 85,4% étaient salariés ou indépendants, 68,8% indiquaient une situation financière aisée ou acceptable. Majoritairement homosexuels (91,4%), fréquentant des lieux de convivialité communautaires (86,5%), plus de la moitié (55,7%) rapportaient plus de 10 partenaires dans les 6 derniers mois et 29,4% pratiquaient le chemsex.
Ces usagers avaient reçu leur première prescription de PrEP en médiane en 2021 (IQ: [2019-2022]). Celle-ci avait eu lieu principalement en CeGIDD (43,7%) ou dans un service hospitalier d’infectiologie (29,9%). Cependant, plus la date de la primo-prescription était récente et moins les primo-prescriptions étaient réalisées dans ces services hospitaliers (52% en 2017 vs 17% en 2022) au bénéfice des CeGIDD (34% en 2017 vs 43% en 2022) ou de la médecine de ville (1% en 2017 vs 36% en 2022) (figure 2). La dernière prescription avait eu lieu majoritairement dans un CeGIDD (36,7%) ou en médecine de ville (36,6%). Un peu moins de la moitié des répondants (47,6%) prenait la PrEP quotidiennement.
au sexe 2023, France
Caractéristiques des HSH éligibles à la PrEP mais ne l’utilisant pas
Comparativement aux HSH prenant la PrEP, les répondants éligibles n’y ayant pas eu recours étaient plus jeunes (20,1% étaient âgés de moins de 25 ans vs 6,2% des usagers), moins éduqués (33,4% n’avaient pas suivi d’études supérieures vs 17,4%) bien qu’encore étudiants (14,7% vs 6,0%) avec une situation financière plus difficile (14,3% vs 9,0%) (tableau 1). Ils résidaient plus souvent dans des villes de moins de 2 000 habitants (19,2% vs 9,9%). Ils étaient plus distants du milieu gay et de ses modes de vie : se définissant plus souvent bisexuels (20,5% versus 6,3%), étant moins souvent en couple avec un homme (23,3% vs 40,3%), entourés moins souvent d’amis majoritairement homosexuels (7,8% vs 20,1%), fréquentant moins souvent les lieux de convivialité gay (64,4% vs 86,5%). Ils rapportaient moins de partenaires sexuels : 46,6% avaient eu entre 2 et 5 partenaires dans les 6 derniers mois vs 17,4% pour les usagers de PrEP. De même, ils indiquaient moins pratiquer le chemsex (13,7% vs 29,4%). Concernant leur rapport au soin, 21,3% n’étaient pas suivis régulièrement par un médecin contre 4,5%, ou s’ils l’étaient, n’abordaient pas de questions de prévention sexuelle avec lui (38,2% vs 8,5%). Quel que soit le vaccin, la couverture vaccinale était plus faible : 18,2% rapportaient avoir reçu au moins une dose de vaccin contre le Mpox vs 75,0% pour les usagers de PrEP. En termes de recours au dépistage VIH, 41,6% n’avaient réalisé aucun test dans les 12 derniers mois (vs 1,7%), 20,3% en avaient réalisé 3 ou plus (vs 86,8%). Pour les répondants testés, le dernier test avait été réalisé le plus souvent dans un laboratoire de biologie médicale (62% des non-usagers de PrEP testés et 65% des usagers testés). Toutefois, les non-usagers de PrEP y réalisaient plus souvent un test sans ordonnance que les usagers (10,0% vs 1,5%). De même, l’utilisation d’un autotest, bien que faible, était tout de même plus fréquente chez les non-usagers de PrEP (7,4% vs 0,6%). Concernant la PrEP, si 10,1% des éligibles non-usagers ne connaissaient pas cet outil de prévention, ils étaient 5,3% à l’avoir utilisé au cours de leur vie. En médiane, ils avaient pris la PrEP durant 365 jours, et l’avaient arrêtée parce qu’ils n’en n’avaient plus envie (30,5%), avaient moins de rapports sexuels (23,9%) ou avaient eu des effets secondaires (23,9%).
Les facteurs associés au fait d’être éligible à l’usage de la PrEP mais de ne pas l’avoir prise dans les 6 derniers mois sont présentés dans le tableau 2. Parmi les répondants éligibles à la PrEP et comparativement aux usagers, les caractéristiques indépendamment associées au non-usage étaient : être jeune, avoir un moindre niveau d’études, habiter dans des agglomérations moins densément peuplées, être dans une situation financière difficile, se définir moins souvent comme homosexuel, être moins souvent en couple avec un homme, moins fréquenter les lieux de convivialité, ne pas avoir de médecin ou ne pas parler de prévention sexuelle avec lui si l’on est suivi et avoir eu peu recours au dépistage du VIH.
Discussion
Deux ans après les nouvelles recommandations de prescription de la PrEP diversifiant les modes d’accès et autorisant son initiation en médecine de ville, les résultats de cette nouvelle édition d’Eras actualisent nos connaissances. Parmi les répondants HSH non séropositifs, un tiers était éligible à la PrEP selon les critères des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2021 1 et parmi ces derniers, près de la moitié rapportait ne pas avoir utilisé la PrEP durant les six derniers mois. Ils étaient plus jeunes, moins souvent urbains, moins éduqués avec une situation financière moins privilégiée, moins socialement connectés à la communauté gay et à ses modes de vie et également plus éloignés du système de soin et de l’offre médicale en santé sexuelle.
L’estimation de la part de HSH éligibles à la PrEP est concordante avec d’autres études antérieures réalisées auprès des HSH en France 10,11, en Australie 12 ou encore aux États-Unis 13, bien que les critères utilisés pour établir l’éligibilité ne soient pas totalement similaires. Ainsi, nous avons considéré que le fait d’être multipartenaires non séropositifs pour le VIH ayant déclaré le non-usage systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels dans les six derniers mois lors de pénétrations anales était l’indicateur le plus proche des « situations d’exposition au VIH présentes, passées ou futures » indiquées dans les recommandations de 2021 1. Ces critères prennent en compte les expositions actuelles et au cours des six derniers mois, occultant les changements de comportement de prévention antérieurs. Ainsi, nous avons pu identifier 11,5% de HSH utilisant la PrEP mais ne répondant pas aux critères utilisés dans notre analyse, proportion comparable à celles constatées dans d’autres études 10,12.
Les profils des HSH usagers ou éligibles à la PrEP ne sont pas différents de ceux décrits antérieurement, démontrant la persistance de barrières d’accès, qu’elles soient individuelles ou structurelles. Ainsi, les caractéristiques des usagers de la PrEP sont similaires à celles d’enquêtes réalisées auprès d’HSH ou de cohortes hospitalières 10,14,15,16,17,18 : quarante ans en médiane, socio-économiquement privilégiés, urbains, communautaires. La moitié des initiations à la PrEP sont postérieures à 2021. Plus elles sont récentes, et plus elles ont été prescrites soit en CeGIDD, soit en médecine de ville. Les dernières données du SNDS publiées en 2022 attestent de l’augmentation des prescriptions en médecine de ville 7. Ce contexte d’élargissement de la primo-prescription devrait permettre la diffusion de la PrEP à d’autres profils d’HSH exposés au VIH. Pour autant, nos résultats ne confirment pas cette tendance. En effet, les HSH éligibles à la PrEP non-usagers avaient rapporté moins souvent être suivis régulièrement par un médecin et s’ils l’étaient, avaient moins souvent abordé des questions de prévention sexuelle que les usagers. Cet éloignement du système de santé et la difficulté à aborder des questions de sexualité sont à mettre en regard avec d’autres facteurs associés comme le jeune âge des HSH non-usagers de PrEP 10,19. Comme les jeunes hommes en général 20, les jeunes HSH sont moins attentifs à leur état de santé 12 et sont plus enclin à avoir des difficultés à évoquer leur sexualité, voire parler de leur orientation sexuelle 19. Ce dévoilement nécessite à cette période de la vie d’avoir dépassé un processus interne d’acceptation de son orientation sexuelle 21. Parallèlement, plusieurs études réalisées auprès des médecins généralistes ont rapporté la difficulté pour ces derniers à aborder ces questions 22, comme c’est encore le cas pour la proposition de test de dépistage VIH ainsi que les freins à la prescription de la PrEP 23. La formation et l’information de ces professionnels de santé de proximité sont des leviers pour améliorer leur niveau de connaissance de la PrEP et plus globalement permettre une prise en charge en adéquation avec les recommandations spécifiques à la santé sexuelle des HSH, que ce soit en termes de dépistage du VIH ou encore de vaccination. Ces formations devraient leur permettre d’évoquer plus facilement la question de la sexualité et de l’orientation sexuelle de leurs patients. Un autre élément contribuant à la difficulté d’accès aux structures de soin délivrant la PrEP est le fait que les non-usagers de PrEP résidaient plus souvent dans des agglomérations moins densément peuplées, où l’offre de soin est plus restreinte et moins accessible, alors que des études ont également montré que l’accessibilité géographique était un déterminant de l’utilisation de la PrEP 10,11,12,13,14,15,16,17,18,19,20,21,22,23,24. Des innovations développées durant les confinements liés à la Covid-19, telles que les téléconsultations de délivrance de la PrEP 25, pourraient faciliter l’accès à la PrEP dans ces zones géographiques.
Le non-usage de la PrEP est également associé au fait d’être éloigné socialement de la communauté gay, qui joue, depuis le début de l’épidémie du VIH, un rôle majeur dans la diffusion des stratégies de prévention propres aux HSH, aussi bien en termes d’information que de promotion de services de prévention au sein des lieux de convivialité gay et des associations 12. Les premières initiatives d’information sur la PrEP ont ainsi été mises en œuvre par les associations communautaires et les autorités sanitaires à travers des campagnes ciblant les HSH, permettant d’augmenter le niveau de connaissance sur la PrEP des HSH connectés à la communauté. Cependant, les premières recommandations et communications ont mis l’accent sur les notions de haut niveau d’exposition au VIH dont le multipartenariat, dans lesquelles les HSH non-usagers peuvent ne pas se reconnaître et avoir une perception de leur risque sexuel minimisé par rapport à la réalité. En effet, 46% d’entre eux rapportaient avoir entre deux et cinq partenaires dans les six derniers mois. Pour autant, ils étaient 26% à rapporter plus de 10 partenaires et 13% à avoir pratiqué le chemsex dans les six derniers mois. Aussi, est-il majeur de trouver des moyens de sensibiliser ces personnes sur les bénéfices de la PrEP, afin qu’elles puissent s’en emparer.
Nos résultats soulignent, comme d’autres études 10,12,15, une association entre la non-utilisation de la PrEP et des facteurs de vulnérabilité socio-économique que sont un faible niveau d’études ou des difficultés financières, alors que ce dernier élément ne devrait pas être un frein à l’utilisation de la PrEP, celle-ci étant intégralement remboursée par l’Assurance maladie. Le niveau d’études est un proxy du niveau de littératie 26. Dans ces populations vulnérables, la question de la compréhension des messages de prévention et des programmes de PrEP (suivi trimestriel, etc.) et/ou de l’accès à ces messages se pose. Le lien avec la communauté et l’éducation par les pairs permettent de faciliter la diffusion des messages et les partages d’expériences. Les inégalités sociales vis-à-vis des comportements de protection contre l’acquisition du VIH, décrites dès les premières années de l’épidémie 27, perdurent donc.
Cette étude comporte des limites d’ordre méthodologique. Les enquêtes dites de convenance, basées sur le volontariat, comme Eras, tendent à surreprésenter les hommes les plus identitaires 28. Aussi, nos résultats ne peuvent être généralisés. Pour autant, le recrutement via les réseaux sociaux a permis de diversifier les profils sociodémographiques et affinitaires des répondants d’Eras et d’inclure des hommes plus distants de la scène gay. Malgré cela, les HSH nés à l’étranger participent peu (moins de 10%), ce qui rend difficile les interprétations. Ainsi, les données d’Eras 2023 indiquent que si les HSH nés à l’étranger sont plus susceptibles d’être éligibles à la PrEP, ils l’utilisent autant voire plus que ceux nés en France métropolitaine.
Par ailleurs, pour la première fois, le questionnaire de l’édition Eras 2023, permettait aux personnes trans de répondre. Cependant, l’effectif était trop faible (19 personnes) pour être inclus dans notre analyse et rendre compte de leur spécificité par rapport aux personnes cisgenres.
La PrEP est un levier majeur pour augmenter le niveau global de protection vis-à-vis de l’infection par le VIH. Son usage concerne principalement des HSH qui sont les plus exposés au risque d’acquisition du VIH par voie sexuelle et qui contribuent le plus à la dynamique de l’épidémie. Malgré la diversification des modes d’accès à la PrEP avec une prescription croissante dans les CeGIDD et la possibilité de l’initier en médecine de ville, la moitié des HSH à haut risque d’exposition au VIH n’utilisent pas la PrEP en 2023. Il est urgent d’identifier les barrières à son utilisation pour proposer une prévention adaptée aux besoins de ces personnes, dans l’espoir d’atteindre l’objectif d’élimination des contaminations au VIH en 2030. Les programmes de prévention doivent se poursuivre en s’adaptant à l’ensemble de la population HSH dans toute sa diversité et en promouvant l’ensemble des outils de prévention actuels.
Remerciements
Nous remercions toutes les personnes qui ont pris le temps de répondre à cette enquête ; l’ANRS - MIE pour son soutien, via notamment la mise à disposition d’un poste de moniteur d’études en sciences sociales ; Nicolas Etien, Virginie Bufkens, Cecile Marie (Santé publique France), Bérangère Gall et Solange Brugnaux (Institut BVA) pour la qualité de leur travail dans la mise en œuvre de l’enquête ; France Lert et Margot Annequin pour nos échanges fructueux ; nos partenaires associatifs pour leur soutien et relais des enquêtes dans leur réseau.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.