Le VIH et les IST au centre de la Stratégie nationale de santé sexuelle

// HIV and STIs at the heart of France’s national strategy for sexual health

Pr François Dabis
Université de Bordeaux (Isped) et CHU de Bordeaux (Corevih Nouvelle-Aquitaine)

Nous avons célébré cette année le quarantième anniversaire de l’identification du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à Paris. Cinq plans successifs de lutte contre le VIH se sont succédé en France entre la fin des années 1980 et 2014, avant que ce dispositif ne soit intégré à une Stratégie nationale de santé sexuelle (SNSS) 2017-2030 (1). Cette pandémie reste active en dépit de progrès scientifiques incontestables, tant en matière de prise en charge que de prévention biomédicale, progrès qui n’ont pourtant pas abouti à un contrôle durable et de niveau satisfaisant. La situation épidémiologique est en fait devenue de plus en plus contrastée et les spécificités populationnelles et territoriales sont de plus en plus remarquables. C’est dans ce contexte qu’il faut lire les cinq articles présentés dans ce numéro du BEH.

Observer et décrire les parcours jusqu’au diagnostic au travers des données de la déclaration obligatoire (DO) de l’infection à VIH reste un exercice utile. Dix ans de données chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) nés à l’étranger ont ici été exploitées 1. Elles montrent une assez grande hétérogénéité dans les caractéristiques de ce groupe, par rapport aux HSH nés en France et aux hétérosexuel(le)s né(e)s à l’étranger et une assez grande difficulté à dégager des tendances temporelles. L’insuffisance de l’usage du dépistage et de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) dans ce groupe n’en sont que plus criantes quand on note encore 40% de diagnostics tardifs. Enfin, l’avis récent du Conseil national du sida et des hépatites virales sur la qualité et l’exhaustivité de cette déclaration obligatoire (2) met bien en exergue les difficultés rencontrées aujourd’hui par ce dispositif de surveillance, notamment en matière de redressement des données observées, faiblesses qui devront être prises en compte au plus vite.

Les infections sexuellement transmissibles (IST) autres que le VIH sont étudiées au travers d’autres dispositifs de surveillance que la DO. Le réseau Sentinelles de médecine générale est une originalité française qui a fait ses preuves sur de nombreux thèmes. Sa pertinence est dans ce numéro confirmée pour les trois principales IST bactériennes que sont les infections à Chlamydia trachomatis (Ct), les gonococcies et la syphilis 2. On aurait pu penser que ce miroir était insuffisant pour ces événements supposés rares. Il n’en est rien dans cet échantillon de médecins volontaires, donc forcément sélectionnés. Une tendance marquée à la hausse entre 2020 et 2022 est clairement observée pour ces trois agents pathogènes. Il est difficile d’en tirer des leçons en l’absence de données antérieures à la période de confinement mais les auteurs concluent que les médecins généralistes sont devenus des acteurs importants de la SNSS en matière de lutte contre les IST ; ils appréhenderaient encore mieux ces situations si des outils plus performants de dépistage combiné étaient à leur disposition. Le département de Mayotte doit s’adapter à une population hautement vulnérable aux IST et un système de santé moins développé que les autres régions françaises. Il était donc légitime d’y approcher de manière différente la question du fardeau des IST. Une enquête porte-à-porte a ainsi été réalisée, s’est avérée faisable et a objectivé des taux de portage à Ct et Trichomonas vaginalis particulièrement élevés, quatre à cinq fois supérieurs à ceux estimés dans l’Hexagone 3. Les programmes de prévention combinant information, promotion du préservatif et du dépistage doivent être adaptés à ce contexte, comme le prévoient plusieurs mesures de la SNSS spécifiques aux outre-mer dans la deuxième feuille de route 2021-2024 (3).

Les évolutions épidémiologiques et comportementales amènent à adapter, voire repenser, les politiques et les actions de prévention. L’épidémie de Mpox déclarée en 2022 a ainsi conduit Santé publique France à développer, dans des délais très contraints et en sortie de la pandémie de Covid-19, une stratégie de marketing social inédite auprès des HSH. L’adaptation réussie du dispositif Sexosafe (4) est décrite dans ce numéro 4, confirmant si besoin était qu’un investissement de longue durée associant professionnels de santé, représentants des usagers et experts en communication permet de s’adapter dans des conditions de crise. Il reste cependant difficile comme l’admettent les auteurs d’évaluer les effets d’une telle action sur le cours de l’épidémie de Mpox qui reste finalement partiellement incompris.

La prévention biomédicale par la PrEP est incontestablement le plus grand progrès scientifique de la dernière décennie en matière de lutte contre le VIH. La croissance de son usage en France a repris depuis la fin de la pandémie de Covid-19 et le Système national des données de santé au travers du consortium Epi-Phare le caractérise bien. Les questions de l’éligibilité et de la couverture sont tout aussi essentielles du point de vue programmatique. L’enquête Rapport au sexe (Eras) 2023 5 permet d’estimer qu’un tiers des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes en France sont éligibles à la PrEP et qu’un sur six, soit la moitié des éligibles, l’a utilisée au cours des six derniers mois, avec les limites quant à la représentativité de cet échantillon. Les freins persistent donc et sont fortement corrélés aux inégalités sociales ; la diversification des sources de prescriptions de la PrEP notamment par les médecins généralistes, n’a pas modifié ce paysage. Sans compter que ces freins sont encore plus conséquents dans d’autres groupes vulnérables qui sont très peu couverts par la PrEP : personnes trans, étrangers, travailleurs et travailleuses du sexe. Les nouvelles formes injectables de PrEP pourraient faciliter son usage et un nouveau rapport de recommandations est attendu avec impatience pour en cadrer la prescription.

Les cibles de la SNSS sont assez précises en ce qui concerne le VIH, mais ne comportent aucun objectif de réduction de l’incidence à l’horizon 2030. Celles concernant les autres IST n’avaient pas été initialement quantifiées. Les résultats des travaux rapportés dans ce numéro indiquent que les IST restent un réel fardeau de santé publique en France hexagonale et ultramarine. Elles méritent donc une attention maintenue, adaptée aux populations les plus vulnérables qui sont plurielles et nécessitent des réponses coordonnées, intégrées et inscrites dans la durée ; enfin leur évaluation par rapport à des objectifs quantifiés est impérative.

Références

1 Cazein F, Kunkel A, Velter A, Stefic K, Lot F. Diagnostics d’infection à VIH chez des hommes nés à l’étranger, contaminés par rapports sexuels entre hommes, France 2012-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):508-14. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/24-25/2023_24-25_1.html
2 Niaré D, Launay T, Rossignol L, Lot F, Steichen O, Dupin N, et al. Surveillance des infections sexuellement transmissibles bactériennes en médecine générale, France métropolitaine, 2020-2022. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):515-25. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/24-25/2023_24-25_2.html
3 Ndeikoundam Ngangro N, Cazein F, Brouard C, Soulaimana I, Delmas G, Chazelle E, et al. Prévalence des infections à Chlamydia trachomatis, Trichomonas vaginalis, Neisseria gonorrhoeae et à VIH à Mayotte : enquête de santé en population générale « Unono Wa Maore », 2019. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):525-36. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/24-25/2023_24-25_3.html
4 Mercier A, Etien N, Velter A. Utilisation d’un dispositif de marketing social auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes en temps de crise : le cas de l’épidémie de Mpox en France. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):537-42. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/24-25/2023_24-25_4.html
5 Velter A, Champenois K, Girard G, Roux P, Mercier A. Prophylaxie pré-exposition (PrEP) de l’infection au VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes répondant à l’enquête Rapport au Sexe 2023 : qui sont les éligibles ? Qui sont les usagers ? Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):542-52. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/24-25/2023_24-25_5.html

Citer cet article

Dabis F. Éditorial. Le VIH et les IST au centre de la Stratégie nationale de santé sexuelle. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):506-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/24-25/2023_24-25_0.html