Prédicteurs associés à l’utilisation et à la perception d’efficacité de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et chez les personnes transgenres éligibles à la PrEP en 2018 selon le Net Gay Baromètre
// Predictors associated with Pre-Exposure Prophylaxis (PrEP) efficacy perception and use among men who have sex with men and transgender people eligible for PrEP in 2018, according to the Net Gay Barometer
Résumé
La prophylaxie pré-exposition (PrEP) est un outil efficace dans la réduction de l’infection au VIH, adressé principalement aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et aux personnes transgenres les plus exposées. Cependant, malgré une connaissance de ce traitement préventif et une perception positive de son efficacité, une minorité de personnes pourtant éligibles y adhèrent. Pour mieux comprendre cette situation, nous avons cherché à examiner les facteurs qui prédisent le fait d’appartenir au groupe des répondants utilisateurs de la PrEP ainsi qu’à un groupe de non-PrEPeurs, satisfaisant aux critères d’éligibilité au moment de l’enquête et rapportant une vision positive sur l’efficacité du traitement, parmi les participants au Net Gay Baromètre 2018.
Cette édition a réuni 10 853 répondants dont 3 251 (38,7%) rencontraient les critères d’éligibilité à la PrEP en France en 2018. Parmi eux, les 445 PrEPeurs et les 1 327 non-PrEPeurs ayant une vision positive de l’efficacité de la PrEP ont été comparés aux 1 479 non-PrEPeurs, moins informés ou dubitatifs, qui constituaient le groupe de référence dans la régression logistique multinomiale effectuée.
Bien que similaires à plusieurs égards aux autres participants éligibles, les PrEPeurs sont plus susceptibles d’être engagés dans des pratiques anales non protégées en contexte de sérodivergence et dans celles du chemsex, alors que ces comportements à risque les préoccupent de façon significative. Les non-PrEPeurs ayant une perception positive du traitement partagent avec eux des similarités en termes de pratiques sexuelles, de proximité à la région parisienne, d’une meilleure connaissance des stratégies de réduction des risques et de sentiment d’appartenance à la communauté LGBTQI (lesbienne, gay, bisexuelle, trans, queer, intersexe). Les répondants du groupe de référence, plus souvent bisexuels, ont une moindre connaissance des stratégies comportementales de réduction des risques, tout en étant plus susceptibles de rapporter régulièrement ne pas protéger leurs relations anales avec le préservatif, sans que cela ne les préoccupe.
La PrEP étant gratuite en France et rendue accessible en primo-prescription par les médecins généralistes, des efforts devraient être faits pour promouvoir cet outil de prévention auprès d’un public moins identitaire et plus distant de la communauté LGBTQI, tout en maintenant une approche holistique en santé sexuelle.
Abstract
Pre-Exposure Prophylaxis (PrEP) is an efficient tool for reducing HIV infections, mainly aimed at men who have sex with men (MSM) and transgender people who are most exposed to the risk. However, even when aware of this preventive treatment and with a positive perception of its efficacy, a minority of eligible individuals choose to use it. To further understand this situation, we sought to investigate factors that predict whether respondents would be in the PrEP-user group or rather the non-user group with a positive view of the treatment, among the Net Gay Barometer 2018 participants eligible for PrEP at the time of the study.
This edition recruited 10,853 participants, out of which 3,251 (38.7%) met PrEP eligibility criteria in France in 2018. Among them, the 445 PrEP-users and the 1,327 non-users with a positive perception of PrEP efficacy were compared to the 1,479 less-informed or uncertain non-users, which formed the reference group in the multinomial logistic regression generated.
Even if similar to other eligible participants, PrEP-users are more likely to engage in serodiscordant condomless anal sex and chemsex practices, even though these at-risk behaviors cause them significant concern. Non-users with a positive perception of PrEP share similarities with PrEP-users in terms of sexual practices, proximity to the Paris region, a better knowledge of risk reduction strategies and greater identification with the LGBTQI (lesbian, gay, bisexual, trans, queer, intersex) community. Participants in the reference group, more often bisexual, have a lesser knowledge of behavioural risk-reduction strategies, while being more likely to declare regular condomless anal sex, which does not cause them significant concern.
Since PrEP is free of charge in France and is now accessible through general practitioners for first-time prescriptions, efforts must be made to promote this prevention tool to a public more distant from LGBTQI communities, while maintaining a holistic approach to sexual health.
Introduction
Depuis le début de l’épidémie, en Europe comme en Amérique du Nord, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) sont les plus exposés à l’infection au VIH et forment, aujourd’hui encore, le groupe le plus surreprésenté 1,2.
Si l’arrivée des trithérapies, au milieu des années 1990, fut suivie en France d’une baisse de la transmission du VIH chez les HSH, l’augmentation de la fréquence des pénétrations anales non protégées (PANP) par le préservatif et du nombre de partenaires occasionnels masculins ont conduit, dès les années 2000 3, à une croissance annuelle constante de diagnostics d’infection au VIH 4 dans ce groupe. Cette tendance, quoique stabilisée dans la dernière décennie, n’a pu s’orienter à la baisse qu’en 2017. Sur la même période, les autres infections sexuellement transmissibles (IST) rapportées dans différentes enquêtes ont progressé de façon préoccupante 5.
Répondant à ces défis, s’est opéré, non sans résistance voire confrontation 6, un changement de paradigme dans la prévention du VIH proposant la combinaison d’interventions structurelles, biomédicales et comportementales 7,8. Lors de campagnes de prévention, les stratégies comportementales de réduction des risques sexuels furent donc plus systématiquement associées au dépistage 9, à la prophylaxie post-exposition (post-exposure prophylaxis : PEP), au TasP (Treatment as Prevention) 10, ainsi qu’à l’utilisation de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) 11. Validée par l’essai ANRS-Ipergay 12, cette dernière fut rendue disponible en 2016, son suivi faisant l’objet du programme ANRS Prévenir 13.
La PrEP, adossée à la prévention diversifiée, est un outil efficace 10,11,13 dans la réduction de l’infection au VIH, et son apport devrait permettre de soutenir une première baisse significative de 7% du nombre de découvertes de séropositivité relevée entre 2017 et 2018 par Santé publique France 14.
Si les populations pouvant bénéficier de la PrEP sont bien identifiées, les barrières qu’elles rencontrent le sont moins et doivent donc être cernées pour faciliter l’entrée du plus grand nombre dans ce parcours. En effet, les HSH forment la presque totalité des utilisateurs et, selon plusieurs études, ces PrEPeurs ne représentent qu’une très faible proportion des répondants éligibles selon les recommandations précédemment en vigueur 15,16,17,18,19. Par ailleurs, peu d’études ont démontré que les personnes séronégatives issues des sous-groupes les plus vulnérables étaient bien informées et utilisatrices de la PrEP : citons les HSH fermement engagés dans la pratique du barebacking 20,21 (entendue comme la recherche de pénétrations anales intentionnellement non protégées, qu’elles soient ou non associées aux échanges de fluides) ou dans celle du chemsex 22,23 (entendue comme la consommation de substances psychoactives en contexte sexuel), les travailleurs et travailleuses du sexe 24 ou les hommes et femmes trans. Le Net Gay Baromètre questionnant ces cultures de sexe et parcours minoritaires, cet article s’appuie sur les données issues de son édition française de 2018, inclusive au regard des personnes de diversité sexuelle et de genre, pour tenter d’enrichir ces savoirs en déterminant les prédicteurs de l’usage ou du non-usage de la PrEP, mais aussi d’une perception positive de celle-ci, chez les HSH et les personnes trans éligibles au traitement au moment de leur complétion de l’enquête.
Méthode
Le Net Gay Baromètre
Rappelons que le Net Gay Baromètre (NGB) recrute en France depuis 15 ans, de manière périodique (tous les 4 ans) des participants à partir du réseau Internet. Peuvent répondre à l’enquête des personnes de diversité sexuelle ou de genre ayant utilisé le réseau Internet à des fins sociales, affectives ou sexuelles au cours des 12 derniers mois.
Les campagnes publicitaires sont proposées sous la forme de bannières et de messages sur les sites de rencontre partenaires, alors que, pour le réseau social Facebook, elles passent par la création de campagnes ciblées sur une liste d’intérêts en relation avec la communauté LGBTQI (lesbienne, gay, bisexuelle, trans, queer, intersexe). Avec 8 sections et 17 thématiques, le NGB est l’une des enquêtes les plus exhaustives sur le mode de vie, la sexualité et la santé des HSH, ainsi que des personnes trans ou non-binaires. Certaines sections sont conditionnelles (ex. : vie de couple, consommation de substances, travail du sexe, PrEP, parcours de transition) alors que d’autres sont proposées à tous les répondants (ex. : dimensions sociodémographiques, dépistage, réduction des risques, santé sexuelle, mentale et discriminations).
L’édition 2018 a fait l’objet d’une promotion tout au long de l’année et a permis de réunir 10 853 questionnaires entièrement complétés sur environ 30 000 questionnaires initiés. Les répondants sont issus majoritairement du réseau social Facebook et d’Instagram (59,4%), de plusieurs sites de rencontres généralistes destinés aux HSH (21,5%), d’un site de rencontre gay d’intérêt « bondage, discipline, sadomasochisme » (BDSM ; 15,1%) et d’un autre, s’adressant aux HSH recherchant des « plans bareback » (4,0%).
Construction de la variable d’éligibilité à la PrEP
Le tableau 1 présente les critères d’éligibilité adaptés de Morlat 15 et de la Haute Autorité de santé (HAS) 16 pour les variables mesurées dans le NGB 2018 ; un critère dans chaque colonne doit être au moins présent pour qu’une personne soit considérée éligible, donc incluse dans nos analyses. Les critères d’éligibilité retenus sont donc ceux en vigueur au moment de la complétion de l’étude et non les critères d’éligibilité élargis récemment en contexte Covid-19, suite à l’avis du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) sur la place de la PrEP dans la prévention du VIH 25.
Combinaison de la variable d’éligibilité à l’efficacité perçue de la PrEP et création des groupes
Lors d’analyses préliminaires 17, l’efficacité perçue de la PrEP était ressortie comme une variable prédictrice statistiquement significative (p<0,001) du fait de prendre la PrEP chez les personnes qui y étaient éligibles. Conséquemment, il nous a donc semblé pertinent de segmenter nos participants non-PrEPeurs en deux groupes selon leur connaissance et efficacité perçue du traitement. Ainsi, nos analyses distinguent trois catégories de répondants : les PrEPeurs, les non-PrEPeurs ayant une vision positive de la PrEP (NPE+) et les non-informés ou dubitatifs quant à son efficacité à prévenir le VIH (NPE-).
Ce dernier groupe sert de référence dans le modèle statistique qui vise donc à prédire quelles variables sont associées à l’usage ou non-usage de la PrEP, mais aussi celles qui favorisent une perception positive de la PrEP.
Analyses statistiques
Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel IBM SPSS Statistics 26. Des Chi2 et des analyses de variance (ANOVA) ont, dans un premier temps, été effectués sur plus d’une centaine de variables-clés de l’enquête afin de dresser un portrait contrasté selon leur groupe de l’échantillon de participants éligibles à la PrEP (NPE-, NPE+ et PrEPeurs).
Les variables présentant des différences significatives entre ces groupes (64 variables) ont été ensuite testées dans une régression logistique multinomiale une à la fois (en univarié) afin de les conserver ou non pour un modèle multivarié. Une matrice de corrélations a ensuite été créée afin de repérer les possibles cas de multicolinéarité entre deux prédicteurs.
Après vérification des postulats de la régression logistique multinomiale, un modèle multivarié final a été obtenu à partir de 10 variables indépendantes sociodémographiques, introduites par entrée forcée à des fins de contrôle, et 42 variables indépendantes entrées pas-à-pas de manière ascendante. Un total de 20 variables indépendantes (sur les 42) fut conservé dans ce modèle, présentant un ajustement satisfaisant. Respectivement, les critères d’information d’Akaike (AIC) et bayésien (BIC) ont été réduits de 1 403,357 et 551,307 entre le modèle de base et final. Un test de classification a permis de prédire correctement l’appartenance aux groupes de 66,3% des participants à partir des variables incluses dans le modèle final.
Résultats
Les résultats proposent une description de l’ensemble des répondants du NGB 2018, suivie du portrait sociodémographique contrasté des trois groupes de participants éligibles en 2018 à la PrEP auquel succède le modèle de régression logistique multinomiale permettant de déterminer les variables prédictrices d’un engagement dans la PrEP ou d’une vision favorable de son efficacité.
Les répondants de l’édition 2018 du Net Gay Baromètre
Parmi les 10 853 répondants, 10 628 (97,9%) résidaient en France et, si 8 809 (81,2%) se déclaraient séronégatifs, les personnes vivant avec le VIH représentaient 10,2% de l’échantillon. Les participants avaient en moyenne 38,5 ans (écart-type, ET=14,7), les hommes cis constituant 94,8% de l’échantillon, alors que les personnes trans et non-binaires en représentaient 4,2%. La majorité des répondants rapportaient résider dans un centre urbain (64,3%) ou une banlieue (23,3%), une minorité d’entre eux vivant en milieu rural (7,3%) ou dans une ville isolée (4,6%). Les deux tiers (66,0%) avaient complété des études universitaires et la moitié (50,2%) déclaraient des revenus confortables. Un peu plus de la moitié (55,8%) des répondants de l’échantillon rapportaient avoir fait un test de dépistage du VIH au cours des 12 derniers mois. Sur le plan des infections sexuellement transmissibles (IST), près d’un quart (24,4%) des participants déclaraient avoir contracté au moins une IST (excluant le VIH et l’hépatite C). Dans les 12 derniers mois, 11,2% des répondants avaient eu recours au travail du sexe, que ce soit en tant que travailleur, travailleuse ou client.
Catégorisation et description des groupes de répondants éligibles
Parmi les 8 411 HSH et personnes trans séronégatives vivant en France, 3 251 (38,7%) étaient considérés comme éligibles à la PrEP selon les critères d’éligibilité primaire et secondaire employés 15,16. Le tableau 2 présente, pour ces répondants éligibles, la connaissance et l’efficacité perçue de la PrEP pour réduire les risques de contracter ou transmettre le VIH. Des 3 251 participants éligibles à la PrEP, 445 (13,7%) utilisaient la PrEP, constituant donc le groupe des PrEPeurs, 1 327 (40,8%) la considéraient comme « plutôt » ou « très » efficace sans pour autant la prendre (constituant le groupe NPE+ des non-PrEPeurs éligibles optimistes), les 1 479 (45,5%) restants constituaient ainsi le groupe NPE– (non-PrEPeurs éligibles ne connaissant pas la PrEP, ne voulant pas s’exprimer ou étant dubitatifs par rapport à son efficacité). Le tableau 3 présente le portrait sociodémographique de ces trois groupes.
Les NPE+ représentaient le groupe le plus jeune, avec un âge moyen de 36,6 ans, alors que les NPE– et PrEPeurs avaient en moyenne 39,2 ans. Les PrEPeurs étaient les plus nombreux à avoir été recrutés sur le site de rencontres bareback (12,4%), tandis que la majorité des NPE+ provenaient des réseaux sociaux (64,4%) et que les NPE– étaient les plus représentés parmi les sites de rencontres généralistes (32,0%). Ces derniers étaient aussi plus nombreux à déclarer résider en milieu rural ou dans une ville isolée. Les groupes ne présentaient pas de différences statistiquement significatives quant à leur identité de genre.
Comparés aux deux autres groupes, les PrEPeurs étaient les plus nombreux à habiter en région parisienne (44,0%), à être nés à l’étranger (9,0%), à avoir complété des études universitaires (84,3%), à être salariés à temps plein (59,5%) et chefs d’entreprise ou indépendants (14,0%), à gagner plus de 5 000 € mensuels net (9,0%), à être pacsés (10,1%) et à se déclarer d’orientation homosexuelle (93,9%). De plus, les PrEPeurs s’avéraient, assez logiquement, être ceux cumulant le plus de critères d’éligibilité secondaire à la PrEP, avec une moyenne de près de 3 critères.
Le modèle prédictif dévoile des caractéristiques partagées entre PrEPeurs et NPE+
Le tableau 4 présente les résultats du modèle multivarié de régression logistique multinomiale. Des résultats additionnels qui ne font pas partie de ce tableau sont présentés dans les paragraphes qui suivent afin d’en faciliter la compréhension.
Nous pouvons constater que les NPE+ et les PrEPeurs partagent des similarités en comparaison aux NPE-, en suivant une gradation dans laquelle les PrEPeurs présentent ces caractéristiques de façon généralement plus prononcée. Ainsi, NPE+ et PrEPeurs sont plus nombreux à résider en région parisienne (rapport de cote ajusté, RCa=2,055-2,865), à avoir complété des études universitaires (RCa=1,594-3,976) et à avoir été recrutés à partir du site bareback (RCa=2,483-2,383), étant plus susceptibles de rapporter qu’appartenir à la communauté LGBTQI est un aspect important de leur identité (RCa=1,715-2,154). Les deux groupes présentent moins souvent une orientation bisexuelle (RCa=0,719-0,255) et, conséquemment, déclarent un nombre moins élevé de partenaires occasionnelles féminines cis (RCa=0,932-0,880), nombre qui est d’ailleurs bien inférieur à 1 partenaire dans les 12 derniers mois en moyenne (NPE– : 0,8 ; NPE+ : 0,3 ; PrEPeurs : 0,2).
Il en va de même sur le plan sociosexuel. Par exemple, NPE+ et PrEPeurs rapportent plusieurs interactions quotidiennes sur les applications mobiles de rencontre (RCa=1,926-5,368) et un plus grand nombre de partenaires occasionnels masculins (RCa=1,004-1,011), avec une moyenne de 51 partenaires dans les 12 derniers mois pour les PrEPeurs, 21 pour les NPE+, contre 18 pour les NPE-. De façon régulière ou occasionnelle, ils se retrouvent plus souvent en contexte de « sérodivergence certaine » avec ces partenaires lors des PANP (RCa=2,772-5,774) et présentent un registre partenarial plus étendu dans leur pratique du barebacking (RCa=1,474-1,916). Les deux groupes connaissent un plus grand nombre de stratégies de réduction des risques VIH (RCa=1,209-1,342) et ont plus de chances d’être très préoccupés par les comportements sexuels à risque (RCa =1,767-10,018), soit 10 fois plus que les NPE– pour les PrEPeurs. On constate qu’au regard de l’hépatite C, les deux groupes ont une plus forte propension à avoir rencontré le problème sans qu’il ne les préoccupe (RCa=2,469-8,658).
Cependant, certains traits caractérisent les PrEPeurs : leur pratique du barebacking est plus susceptible de ne concerner que des partenaires occasionnels masculins (RCa=2,396), leur sexualité avec ces derniers présente plus fréquemment des PANP avec échanges de fluides (breeding) et des pratiques sexuelles en groupe, où ils peuvent parfois être soumis en tant que passifs à l’ensemble des participants (gangbangs) (RCa=1,105), alors que leur consommation de substances psychoactives en contexte sexuel (chemsex) a plus de chances d’être rapportée (RCa=1,830). Notons, sur le plan de leur santé sexuelle, une moindre fréquence d’application des stratégies de réduction des risques VIH (RCa=0,879) et la contraction d’un plus grand nombre d’IST (RCa=1,153). Notons qu’ils ont près de trois fois plus de chance de percevoir un nombre de lieux important où s’opèrent des discriminations au regard de leur sérologie au VIH (RCa=2,734).
Enfin les NPE-, bien qu’ayant un nombre de partenaires occasionnels masculins un peu moins élevé, sont plus susceptibles de recevoir compensation lors de relations sexuelles tarifées et de ne pas protéger leurs pénétrations anales par le préservatif avec leurs partenaires occasionnels masculins que les NPE+, sans que cette prise de risque ne les préoccupe autant que les autres groupes.
Discussion
Rappelons que nos analyses s’appuient sur la 5e édition du Net Gay Baromètre (NGB 2018) dont les méthodes de recrutement permettent de minimiser les biais de l’échantillon. L’enquête suit, au fil de ses éditions et sur une liste d’indicateurs clefs, la santé des répondants en tenant compte de l’impact des réseaux sociaux et des applications mobiles, devenues le lieu privilégié pour recruter des partenaires occasionnels dans un registre étendu de pratiques, dont certaines à haut risque de transmission du VIH 20,21,26. Ainsi, depuis 2004, les sujets abordés par l’étude ont été enrichis pour rejoindre, de manière inclusive, les réalités de sous-groupes plus vulnérables et apportent, aujourd’hui, un point de vue renouvelé concernant la prédiction de l’usage ou d’une vision positive de la PrEP.
Les utilisateurs de la PrEP ne représentent que 13,7% des participants rencontrant l’ensemble des critères d’éligibilité au traitement en 2018, et cette proportion, proche de celle rapportée par d’autres études 19,25, est loin d’être satisfaisante au regard des objectifs visés par la HAS. Alors que la PrEP se présente comme un outil « complémentaire » visant à réduire la transmission du VIH dans des populations à haut risque, dont les HSH et les personnes trans, 86,3% des répondants du NGB 2018 qui lui étaient éligibles ne la prenaient pas, cet ensemble se divisant en deux sous-groupes presque égaux, le premier constitué de ceux dont la vision du traitement est positive et le second de ceux qui, majoritairement, méconnaissent la PrEP. Ces derniers, insuffisamment informés sur la PrEP ou dubitatifs à son propos, sont pourtant plus susceptibles de rapporter des PANP régulières sans en être préoccupés, sachant que leur connaissance des stratégies comportementales de réduction des risques est moindre. Même s’ils ont plus de chances de recevoir une compensation pour des relations sexuelles, ces participants fréquentent de manière moins assidue les applications mobiles de rencontres et rapportent un nombre moins important de partenaires sexuels occasionnels masculins, ce qui les distingue des autres groupes
En effet, nos analyses montrent que les PrEPeurs et non-PrEPeurs éligibles dont la vision du traitement est positive partagent d’autres caractéristiques tant sur le plan sociodémographique que sociosexuel : ils s’identifient plus souvent homosexuels, sont plus nombreux à résider en région parisienne et présentent une plus forte proximité ou appartenance à la communauté LGBTQI. Alors que ces caractéristiques sont habituellement rapportées aux PrEPeurs 17,20, nous dégageons une proximité et un continuum dans le parcours sociosexuel des NPE+ et des PrEPeurs décrivant une sexualité plus abondante associée à l’usage intense des applications mobiles, au recrutement d’un nombre plus important de partenaires sexuels occasionnels masculins, avec lesquels des PANP par le préservatif ont lieu en contexte de sérodivergence possible ou certaine. Cette sexualité s’adosse cependant à une meilleure connaissance des stratégies comportementales de réduction des risques et à une plus forte préoccupation en matière de santé sexuelle à propos de leurs comportements sexuels à risque. Ces deux caractéristiques sont prépondérantes dans le modèle, en particulier pour les PrEPeurs, montrant un engagement plus marqué dans des pratiques et perceptions du risque, et confirmant leur plus forte appropriation des outils de réduction des risques.
Ainsi les caractéristiques des PrEPeurs, en particulier sur le plan sociodémographique, rejoignent celles rapportées récemment par le CNS dans son avis sur la place de la PrEP dans la prévention du VIH 25. Leurs pratiques sexuelles montrent une plus forte adhésion à la culture de sexe bareback 26,27, qui, possiblement adossée au chemsex, les expose particulièrement au VIH. Leur forte préoccupation concernant leur santé sexuelle et leur perception des discriminations sérophobes, dans nombre d’espaces de socialisation et de vie, semblent favoriser leur engagement dans un parcours PrEP.
Cette enquête permet donc d’enrichir les savoirs sur les répondants non-PrEPeurs et de dégager quelques pistes d’intervention. Si rejoindre les intérêts des NPE+ pourrait passer par le développement de campagnes de sensibilisation abordant de manière holistique leur santé sexuelle valorisant la PrEP, communiquer auprès des NPE– imposerait de s’affranchir de plusieurs barrières : leur éloignement des villes-centres et du milieu LGBTQI, leur méconnaissance des outils de réduction des risques, tout en s’adressant à eux en tenant compte de leur bisexualité. Nous pouvons espérer que l’autorisation de la primo-prescription par les médecins généralistes et l’élargissement des indications de la PrEP permettront de promouvoir le traitement auprès de ce public.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Financement
CNRS.
Références
publiquefrance.fr/docs/recrudescence-des-prises-de-risque-et-des-mst-parmi-les-gays.-resultats-preliminaires-de-l-enquete-presse-gay-2000
org/content/10.2807/ese.14.48.19425-en
infections-sexuellement-transmissibles/vih-sida/documents/bulletin-national/bulletin-de-sante-publique-infection-a-vih.-mars-2019