L’épidémiologie de la tuberculose en France à l’ère de la pandémie de Covid-19

// Tuberculosis epidemiology in France in the era of the COVID-19 pandemic

Jean-Paul Guthmann (jean-paul.guthmann@santepubliquefrance.fr), Delphine Viriot
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 20.11.2023 // Date of submission: 11.20.2023
Mots-clés : Tuberculose | Épidémiologie | Surveillance | Covid-19.
Keywords: Tuberculosis | Epidemiology | Surveillance | COVID-19.

Résumé

Introduction –

La France est un pays de faible incidence de tuberculose, avec une baisse moyenne de près de 5% par an depuis un demi-siècle. Cette tendance régulière a néanmoins été parfois interrompue par des variations plus marquées en lien avec des événements extérieurs. Nous analysons l’impact de la survenue de la pandémie de Covid-19 sur l’épidémiologie de la tuberculose.

Matériel et méthodes –

Les cas de tuberculose maladie déclarés en France en 2022 à travers le dispositif de la déclaration obligatoire (DO) sont décrits. Les issues de traitement des cas déclarés en 2021 sont analysées. Les nombres de cas, taux de déclaration et pourcentages de cas ayant complété le traitement sont comparés avant et après la survenue de la pandémie de Covid-19.

Résultats –

En 2020, 4 606 cas de tuberculose maladie ont été déclarés (taux de déclaration de 6,8 cas/100 000 habitants), soit une baisse significative de 10,4% par rapport à 2019 (p<0,01). La baisse du taux de déclaration, plus faible mais toujours significative, s’est poursuivie en 2021 (6,4 cas/100 000 habitants, n=4 306) et 2022 (6,2 cas/100 000 habitants, n=4 217) (soit une baisse de 7,0% et 2,6% comparé à l’année précédente, respectivement). Les données provisoires montrent une augmentation des cas en 2023 avec 4 728 cas déclarés. Entre 2018 et 2022, le nombre de cas pédiatriques, des cas graves (total et pédiatriques), des cas multirésistants (MDR – MultiDrug-Resistant –) et des décès chez les patients atteints de tuberculose est stable ou en baisse. Le taux de déclaration des cas nés hors de France est de 32 cas/100 000 habitants en 2022, en baisse par rapport aux années précédentes (38,5 cas/100 000 habitants en 2019, 33,6 cas/100 000 habitants et 2020 et 32,2 cas/100 000 habitants en 2021). La proportion de cas de tuberculose déclarés en 2021 ayant achevé leur traitement est de 83,1%, sans variation significative comparé à l’année pré-pandémique (82,6% pour les cas déclarés en 2018, p=0,60), mais 45% des cas n’ont pas d’issue de traitement renseignée.

Discussion –

L’incidence de la tuberculose en France a été touchée par l’ensemble des mesures sanitaires et sociales mises en place afin de limiter la diffusion de la pandémie de Covid-19, comme cela a été observé partout dans le monde. En 2022, la pandémie de Covid-19 n’avait pas eu de conséquences sur la sévérité et la mortalité par tuberculose. L’augmentation de l’incidence en 2023 est en faveur d’un rattrapage des cas diagnostiqués. Mieux renseigner les issues de traitement reste un objectif majeur de la surveillance de la tuberculose.

Abstract

Introduction –

France is a low-incidence country for tuberculosis, with an average decline close to 5% per year over the past half-century. However, this steady trend has occasionally been interrupted by more marked variations linked to external events. The present article analyzes the impact of the COVID-19 pandemic on tuberculosis epidemiology.

Methods –

 Cases of tuberculosis disease reported in France in 2022 through the compulsory notification system are described. Treatment outcomes for cases reported in 2021 are analyzed. The number of cases, notification rate and percentage of cases completing treatment are compared before and after the occurrence of the COVID-19 pandemic.

Results –

 In 2020, 4,606 tuberculosis cases were reported (notification rate of 6.8 cases/100,000 inhabitants), representing a significant drop of 10.4% compared with 2019 (p<0.01). The lower but still significant decline in the notification rate continued in 2021 (6.4 cases/100,000 inhabitants, n=4,306) and 2022 (6.2 cases/100,000 inhabitants, n=4,217); equivalent to a drop of 7.0% and 2.6%, respectively, compared with the previous year. Provisional data show an increase in cases in 2023, with 4,728 cases reported. Between 2018 and 2022, the number of pediatric cases, severe global and pediatric cases, multidrug-resistant (MDR) cases and deaths in tuberculosis (TB) cases is stable or has declined. The notification rate for cases born outside France was 32 cases/100,000 inhabitants in 2022, lower than in 2019 (38.5 cases/100,000 inhabitants), 2020 (33.6 cases/100,000 inhabitants) and 2021 (32.2 cases/100,000 inhabitants). The proportion of tuberculosis cases reported in 2021 having completed their course of treatment was 83.1%, with no significant variation compared with the pre-pandemic year (82.6% for cases reported in 2018, p=0.60). However, only 45% of cases had a treatment outcome reported.

Discussion –

The incidence of tuberculosis in France was impacted by health and social measures implemented to limit the spread of the COVID-19 pandemic, as observed worldwide. In 2022, the COVID-19 pandemic had had no consequences on TB severity and mortality. The increase in incidence in 2023 supports a catch-up of diagnosed cases. Improving information on treatment outcomes remains a major objective of TB surveillance.

Introduction

La tuberculose, qui a été historiquement une des principales causes de morbidité et de mortalité en Europe, a vu son incidence régulièrement baisser depuis la fin du xixe siècle. Cette diminution était due à de multiples facteurs, au premier rang desquels l’amélioration des conditions de logement et de nutrition. Elle s’est accompagnée d’une chute de la mortalité avec un taux de mortalité par tuberculose qui est passé, dans la plupart des pays de l’ouest de l’Europe, de plus de 200 pour 100 000 habitants en 1885 à moins de 100 en 1935 1. La baisse de cette incidence s’est accentuée au milieu des années 1950 avec l’apparition des traitements associant plusieurs antituberculeux. La situation en France a été marquée par cette même dynamique avec, depuis de nombreuses décennies, une baisse régulière des cas déclarés et des décès. Alors qu’en 1972 le nombre de cas déclarés était de 31 167 cas, soit un taux d’incidence de 60,3 cas/100 000 habitants, ces chiffres étaient en 2019 respectivement de 4 945 cas et de 7,6 cas/100 000 habitants 2, soit une baisse moyenne des cas de 558 par an et du taux d’incidence de 4,7% par an en près d’un demi-siècle. Avec une incidence inférieure à 10 cas/100 000 habitants, la France est classée dans le groupe des pays à faible incidence de tuberculose, comme la plupart des autres pays de l’Union européenne 3.

Cette tendance à la baisse constante de l’incidence en France a néanmoins été interrompue, à certains moments, par des hausses limitées et transitoires, en lien avec des événements directement ou indirectement associés à la tuberculose, comme cela a pu être observé pendant les deux guerres mondiales 1. Plus récemment, de faibles et brèves augmentations, toujours réversibles en deux à trois ans, ont été constatées lors de la mise de la tuberculose à la déclaration obligatoire (DO) en 1964, au début des années 1990 en lien probablement avec le développement de l’épidémie d’infection par le VIH, de 2007 à 2008 à la suite de la mise en place d’un programme national de lutte contre la tuberculose en 2007 et à la meilleure sensibilisation des professionnels de santé qui l’a accompagné 4, et enfin en 2016 et 2017 à la suite de l’arrivée massive de réfugiés du Proche-Orient sur le sol européen en 2015 2.

La survenue de la pandémie de Covid-19 a constitué un épisode sanitaire sans précédent dans les années récentes. Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait la Covid-19 en tant qu’urgence de santé publique de portée internationale 5. À la mi-mars, la région européenne était devenue l’épicentre de la pandémie, rapportant autour de 40% des cas confirmés 6. Comme de nombreux pays 7, la France allait mettre en place des mesures de gestion et de prévention exceptionnelles pour endiguer la diffusion du virus dans la population et prévenir la survenue de nouveaux cas. La gestion de cette pandémie et le bouleversement qu’elle allait provoquer étaient susceptibles d’avoir des répercussions sur le contrôle et la surveillance d’autres maladies considérées comme moins prioritaires, et donc d’avoir un effet sur leurs tendances épidémiologiques. Pour des maladies à transmission respiratoire comme la tuberculose, les mesures barrières mises en place pouvaient aussi potentiellement jouer un rôle sur l’incidence, en limitant les contacts entre personnes ou en perturbant la prise en charge des malades depuis le dépistage jusqu’au traitement. En mai 2020, l’OMS incitait les pays à maintenir les services essentiels permettant de prendre en charge les patients tuberculeux 8, reconnaissant l’effet potentiellement dévastateur de la pandémie sur les programmes de lutte antituberculeuse. Nous décrivons dans cet article l’évolution de l’épidémiologie de la tuberculose en France après la survenue de la pandémie de Covid-19.

Matériel et méthodes

La DO de la maladie tuberculeuse est ancienne, mais a été élargie en 2007 à la surveillance des issues de traitement des patients atteints de tuberculose maladie. En France, l’analyse des cas de tuberculose maladie concerne les cas déclarés l’année n-1 alors que l’analyse des issues de traitement concerne les cas déclarés l’année n-2. Le délai supérieur pour cette dernière analyse permet une saisie plus complète de cette donnée, documentée dans la fiche de DO au plus tard un an après le début du traitement mais souvent au-delà. Cet article décrit les cas de tuberculose maladie déclarés en France en 2022 et les issues de traitement des cas déclarés en 2021, ainsi que sommairement la tendance de l’incidence à partir des données encore provisoires des déclarations de 2023 (analyse au 31 janvier 2024). Nous comparons les données d’incidence de 2022 avec celles des années pré-pandémiques (2019) et pandémiques (2020-2021). Un cas de tuberculose maladie correspond à un patient chez qui un traitement antituberculeux a été mis en route, qu’il y ait eu ou non confirmation bactériologique. Un cas grave est défini comme un cas à localisation méningée ou miliaire. Les cas de tuberculose à souches multirésistantes (MDR, résistance à l’isoniazide et à la rifampicine) et RR (résistance à la rifampicine seule), confirmés par le Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA), sont analysés ensemble. L’organisation du dispositif de surveillance de la tuberculose et le rôle des différents acteurs impliqués ont déjà été décrits en détail 9. En résumé, le circuit de la déclaration associe plusieurs acteurs ayant chacun son propre rôle dans la surveillance de la tuberculose : le médecin ou le biologiste qui fait le diagnostic et notifie le cas et l’issue de traitement ; l’Agence régionale de santé (ARS) qui est au centre du dispositif et valide la déclaration ; le Centre de lutte antituberculeuse (Clat) dont le rôle essentiel est de conduire l’enquête dans l’entourage du cas index afin de rechercher d’autres personnes malades ou infectées, mais aussi de participer au suivi du patient sous traitement et de documenter l’issue de traitement ; le CNR-MyRMA qui confirme les cas multirésistants (MDR) ; Santé publique France qui participe à la surveillance via ses cellules régionales et qui coordonne l’ensemble du dispositif depuis son siège à Saint-Maurice. La DO tuberculose est actuellement dans un processus de dématérialisation mis en place dans les ARS en juillet 2019 puis étendu à tous les utilisateurs en avril 2022, date à partir de laquelle la déclaration peut être effectuée directement sur Internet 10. Cette saisie en ligne permet de créer une base de données nationale qui est validée par Santé publique France. L’analyse de cette base permet de produire des indicateurs (nombre de cas déclarés, taux de déclaration, pourcentage de malades ayant complété leur traitement) déclinés par territoire géographique et par caractéristique sociodémographique de la population. Dans le calcul des taux (ex. 2022), les dénominateurs sont les estimations de population au 1er janvier de l’année n+1 (ex. 2023) établies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Pour le calcul des taux par région de naissance et par année d’entrée en France, les données utilisées sont les dernières estimations de l’Insee (2020). Pour les estimations chez les personnes sans domicile et les personnes détenues, les dénominateurs proviennent respectivement de l’Insee et de la Fondation Abbé Pierre 11. Le traitement des données est effectué avec le logiciel Stata® version 16.0.

Résultats

Évolution de l’incidence nationale à la suite de l’arrivée de la pandémie

En 2019, année pré-pandémique, 5 114 cas de tuberculose maladie ont été déclarés en France, soit un taux de déclaration de 7,6 cas/100 000 habitants. Ce taux était de 6,8 (4 606 cas) en 2020, soit une baisse de 10,4% par rapport à l’année précédente (p<0,01) (figure 1). La baisse du taux de déclaration s’est poursuivie en 2021 (6,4 cas/100 000 habitants ; 4 306 cas) et en 2022 (6,2 cas/100 000 habitants ; 4 217 cas), bien que plus faible (baisse de 7,0% et 2,6% par rapport à l’année précédente, respectivement) mais toujours significative (p<0,01). Les données provisoires montrent une augmentation des cas en 2023 avec 4 728 cas déclarés dans l’année. Entre 2018 et 2022, le nombre de cas pédiatriques, des cas graves (total et pédiatriques), des cas multirésistants (MDR) et des décès chez les patients atteints de tuberculose est stable ou en baisse (tableau).

Figure 1 : Nombre total de cas et taux de déclaration de tuberculose, France, 2000-2023a
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Tableau : Nombre et pourcentage de cas de tuberculose et de décès selon l’âge et la gravité, France, 2018-2022
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Évolution de l’incidence en région

Dans toutes les régions de France excepté trois, le taux de déclaration en 2022 est d’environ 5 cas pour 100 000 habitants, généralement proche ou légèrement inférieur aux valeurs pré-pandémiques (figure 2). Trois régions rapportent des taux élevés : Guyane (18,9 cas/100 000 habitants), Mayotte (13,2 cas/100 000 habitants) et Île-de-France (11,8 cas/100 000 habitants). Ces taux sont globalement en baisse par rapport à l’année 2019 sauf à Mayotte où le taux est, plus qu’ailleurs, très dépendant des mouvements de population et donc plus difficile à interpréter. La région Île-de-France concentre à elle seule plus d’un tiers des cas déclarés (n=1 459), mais cette incidence varie selon les départements avec le taux le plus élevé en Seine-Saint-Denis qui rapporte le taux départemental le plus élevé de France métropolitaine, soit 18,5 cas/100 000 habitants. Des analyses par département plus détaillées sont disponibles sur le site de Santé publique France 2.

Figure 2 : Taux de déclaration de la tuberculose par région, France, 2019-2022
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Évolution de l’incidence dans les principaux groupes à risque

En 2022, 71,6% des cas sont nés hors de France, groupe de la population dont le taux de déclaration est de 32 cas/100 000 habitants, en diminution par rapport aux années précédentes (38,5 cas/100 000 habitants en 2019, 33,6 cas/100 000 habitants en 2020 et 32,2 cas/100 000 habitants en 2021). Ces taux sont particulièrement élevés chez les cas provenant d’Afrique subsaharienne (129 cas/100 000 habitants en 2019, 100 cas/100 000 habitants en 2022) et d’Asie (51 cas/100 000 habitants en 2019, 55 cas/100 000 habitants en 2022). Le taux de déclaration chez les personnes nées hors de France est le plus élevé chez les personnes arrivées en France depuis moins de deux ans (245 cas/100 000 habitants). Parmi les autres populations à haut risque de tuberculose, le taux de déclaration est de 63 cas/100 000 habitants chez les personnes sans domicile et de 44 cas/100 000 habitants chez les personnes détenues. Ces taux sont en baisse par rapport à la période pré-pandémique (respectivement de 221 cas/100 000 habitants et 58 cas/100 000 habitants pour l’année 2019). La diminution très importante chez les personnes sans domicile est en grande partie biaisée par une nouvelle estimation du dénominateur, réévalué à 300 000 personnes sans domicile vs 143 000 pour les années antérieures 11.

Principales caractéristiques démographiques et cliniques des cas déclarés

En 2022, le nombre de cas est plus élevé chez les hommes (n=2 878, 68%) et chez les adultes jeunes entre 20 et 39 ans (n=1 776, 42%, âge médian=41 ans), alors que les enfants de moins de 5 ans représentent 2,0% des cas (n=86). Les formes pulmonaires (associées ou non à d’autres localisations) représentent 71% des cas (n=3 004) et les formes exclusivement extra-pulmonaires 28% (n=1 165). Parmi les formes pulmonaires, 1 364 (45%) ont un examen microscopique positif alors qu’il est négatif ou non renseigné mais avec une culture positive sur prélèvement respiratoire chez 752 (25%) patients. Le nombre de cas de tuberculose pulmonaire considérés comme potentiellement contagieux (cas avec un résultat positif de microscopie ou de culture sur prélèvement respiratoire) est donc de 2 116, soit 70% des cas déclarés avec une localisation pulmonaire. L’ensemble de ces caractéristiques est proche de ce qui a été publié dans notre précédent bilan 12.

Évolution des issues de traitement

Moins de la moitié des tuberculoses maladie déclarées en 2021 ont une issue de traitement renseignée, en forte baisse depuis 2017 (figure 3). La pandémie n’a pas amélioré la complétude des issues de traitement qui a poursuivi sa tendance à la baisse. Parmi les issues de traitement renseignées, le taux de traitement achevé est de 83,1%, avec une tendance à la hausse d’environ 10 points depuis 2009 et sans variation importante comparé à l’année pré-pandémique (82,6% pour les cas déclarés en 2018, p=0,60).

Figure 3 : Issues de traitement des cas de tuberculose maladie déclarés, France, 2009-2021
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Discussion

Avant l’arrivée de la pandémie de Covid-19, la tuberculose était la première maladie infectieuse au monde quant à la mortalité et l’une des premières quant à la morbidité, responsable d’environ 10 millions de nouveaux cas et de 1,5 million de décès chaque année, mais avec une incidence globalement en baisse dans de nombreux pays 13. Dans la région Europe de l’OMS, on observait une baisse régulière des cas notifiés, en moyenne de 5,1% par an entre 2015 et 2019 13. La même tendance était observée en France où la baisse moyenne du taux d’incidence était de 1,8% par an entre 1999 et 2019 2.

La survenue de la pandémie de Covid-19 au début de l’année 2020 allait bouleverser le paysage sanitaire et social du pays. En 2020, l’épidémie allait évoluer en deux grosses vagues avec des pics au premier et au dernier trimestre 14 et une incidence régionale variable selon la région et le moment de l’évolution pandémique (1). Elle allait être responsable d’une forte mortalité, provoquant 69 000 décès en 2020 avec des taux de mortalité particulièrement élevés en Île-de-France, dans le Grand Est et en Auvergne-Rhône-Alpes 15. Cet événement majeur amena les pays touchés à mettre en place un ensemble de mesures sanitaires et sociales afin de limiter la diffusion de la pandémie et de prévenir la survenue de nouveaux cas. Ce fut le cas en France avec notamment les deux périodes de confinement (du 17 mars au 11 mai et du 29 octobre au 15 décembre 2020), l’obligation du port du masque dans les espaces publics, la fermeture des écoles et la restriction des déplacements nationaux et internationaux. Les activités de prévention et la prise en charge des malades de la Covid-19 allaient avoir un large retentissement sur le système de santé. Ce dernier allait devoir s’adapter à cette nouvelle situation, restructurant des services de soin, priorisant des activités médicales, réattribuant des équipements dans les laboratoires et réaffectant du personnel médical à des activités pandémiques 16,17,18. Tout cela allait, in fine, affecter la prise en charge et parfois le pronostic de nombreuses autres maladies comme cela a été décrit en France 19,20,21.

L’incidence de la tuberculose en France a également été touchée par l’ensemble de ces mesures, comme décrit dans cet article où nous montrons la forte diminution des cas et du taux de déclaration l’année de survenue de la pandémie et qui s’est poursuivie les deux années suivantes. Cette baisse est la plus importante variation annuelle de l’incidence constatée en France depuis 20 ans. Elle est cohérente avec la situation internationale documentée dès le mois de mars 2020, confirmant une baisse précoce dans de nombreux pays dans les suites immédiates des mesures de confinement 22. Ces premières données allaient se confirmer très largement pour l’ensemble de l’année 2020 et dans les différents continents 7,23,24,25. Dans la région Europe de l’OMS, alors qu’au premier trimestre de 2020 la baisse de l’incidence de 5,6% était cohérente avec les tendances antérieures, les notifications ont baissé de 35,5% au deuxième trimestre, comparé au même trimestre de l’année antérieure 7. En France comme ailleurs en Europe 7, la diminution concernait également les tuberculoses MDR, en baisse de 11% en 2020 et de 42% en 2021 comparé à 2019.

Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer cette baisse de l’incidence de la tuberculose l’année de l’arrivée de la pandémie. Les déplacements au sein des villes et des campagnes ont été limités ainsi que les voyages nationaux et internationaux. En Europe, la plus grande baisse des cas déclarés était observée dans les pays dans lesquels les limitations de déplacements étaient les plus importantes 7. Ces limitations ainsi que les autres mesures de distanciation sociale comme les confinements ou le port du masque ont pu diminuer la transmission de la tuberculose comme montré pour certaines infections virales 26 ou comme évoqué pour certaines infections bactériennes à transmission respiratoire 27, expliquant en partie une baisse réelle de l’incidence de la tuberculose 24,28. La baisse des voyages internationaux et de l’arrivée de ressortissants en provenance de pays de forte endémie tuberculeuse sur le sol européen pourrait aussi expliquer cette baisse, notamment en France où le taux de déclaration chez les personnes nées hors de France a baissé de 5 points entre 2019 et 2020, une chute qui s’est poursuivie en 2021. Les restrictions de déplacements à l’intérieur du pays ont pu aussi entraîner une baisse des diagnostics, du fait de la moindre fréquentation et la crainte de fréquenter des structures de soins surchargées de patients Covid-19, un lien qui a pu être considéré comme potentiellement dangereux comme suggéré en France 29,30, ou par la moindre disponibilité des équipes chargées des dépistages ou des enquêtes autour de cas index 31. Cette dernière hypothèse a été évoquée en France pour les équipes des Clat réaffectées à des activités liées à la Covid-19 (2). Une autre explication pourrait être que, face à des signes cliniques peu spécifiques, dans un contexte pandémique, les médecins aient été conduits à rechercher en premier lieu une infection par le SARS-CoV-2, négligeant une possible tuberculose 28,31. Enfin, la sous-déclaration par les médecins est aussi une raison pour expliquer une baisse de l’incidence 24, ceux-ci étant débordés par des activités pandémiques et sans temps suffisant pour effectuer une tâche administrative considérée comme non prioritaire. Toutes ces raisons ont pu conduire aussi à la diminution de l’incidence en France, bien qu’à notre connaissance, aucune donnée n’a permis de montrer le rôle précis de chacun de ces facteurs dans la baisse des cas reportés. À ces raisons, il faut rajouter les difficultés initiales liées à l’introduction du nouvel outil de déclaration des cas de tuberculose (e-DO) à partir de juillet 2019 qui a pu contribuer également à la sous-déclaration des cas.

Nos données provisoires montrent un changement de tendance, avec une augmentation de l’incidence en France en 2023. Ce fait était observé dans la région européenne de l’OMS dès 2021 et dans la plupart des pays de l’Union européenne 3. Cette augmentation concernait également le nombre de décès, le nombre de cas graves et le nombre de cas MDR, ce dernier phénomène étant surtout observé dans les pays de forte incidence de tuberculose mais pas constaté en France ou ailleurs dans l’Union européenne 3. Le nombre de décès reportés dans la DO doit cependant être interprété avec prudence car il sous-estime la réalité, comme le montrent les données de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) (qui indiquent également une tendance décroissante : 347 décès par tuberculose en 2019, 295 en 2020 et 282 en 2021) 25. Cette tendance ascendante retardée des cas déclarés et des cas graves dans de nombreux pays est mise sur le compte des retards diagnostics (augmentant la période de transmissibilité de l’infection tuberculeuse) et des mises sous traitement de patients tuberculeux diagnostiqués à un stade plus avancé de la maladie 32,33. Ce phénomène était prévu par les premiers travaux de modélisation effectués en 2020 peu après la survenue de la pandémie indiquant que la perturbation des services de soins pourrait dans certains cas entraîner un excès de cas et de décès dans les prochaines années, principalement dû à l’accumulation de cas non diagnostiqués pendant la première année pandémique et les périodes de confinement 34,35,36,37. Cette situation, très dépendante des contextes nationaux et de l’organisation du système de soins dans chaque pays, ne semble pas avérée en France trois ans après la survenue de la pandémie. Le dernier rapport de l’OMS montre d’ailleurs qu’en 2022, alors que le nombre de cas déclarés dans le monde continue d’augmenter, le nombre de décès par tuberculose n’augmente plus et qu’au contraire, il est en diminution par rapport à 2021 38.

En France, compte tenu de nos données provisoires pour 2023 et aussi de la situation observée dans d’autres pays, la vigilance reste de mise. La surveillance de la tuberculose doit rester une priorité de notre système de santé afin de détecter précocement une évolution défavorable des indicateurs épidémiologiques de cette maladie potentiellement grave. Par ailleurs, nos données épidémiologiques indiquent que les actions de dépistage et de prise en charge des personnes infectées et des malades doivent continuer à cibler les sous-groupes de la population les plus touchés par la tuberculose, notamment dans les régions particulièrement concernées de notre territoire. Elles soulignent également la nécessité de réfléchir aux leviers permettant d’augmenter la couverture des déclarations des issues de traitement, encore très insuffisante, ce qui doit rester un objectif majeur de la surveillance de la tuberculose.

Remerciements

Nous remercions Isabelle Parent du Châtelet et Harold Noël (Santé publique France) pour leur lecture attentive du manuscrit. Nous remercions chaleureusement les médecins et biologistes déclarants et les personnels des Clat et des ARS qui contribuent à l’amélioration de la qualité des données de surveillance de la tuberculose.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Daniels M. Tuberculosis in Europe during and after the second world war. Br Med J. 1949;2(4636):1065-72.
3 European Centre for Disease Prevention and Control, World Health Organization Regional Office for Europe. Tuberculosis surveillance and monitoring in Europe 2023 – 2021 data. Stockholm: ECDC. 166 p. https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/tuberculosis-surveillance-and-monitoring-europe-2023-2021-data
4 Comité national d’élaboration du programme de lutte contre la tuberculose. Programme de lutte contre la tuberculose en France, 2007-2009. Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports; 2007. 72 p.
5 World Health Organization Emergency Committee. Statement on the second meeting of the International Health Regulations (2005) Emergency Committee regarding the outbreak of novel coronavirus (2019-nCoV). 2020. https://www.who.int/news/item/30-01-2020-statement-on-the-second-meeting-of-the-international-health-regulations-(2005)-emergency-committee-regarding-the-outbreak-of-novel-coronavirus-(2019-ncov)
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Citer cet article

Guthmann JP, Viriot D. L’épidémiologie de la tuberculose en France à l’ère de la pandémie de Covid-19. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(6-7):108-15. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/6-7/2024_6-7_1.html

(2) Enquêtes auprès du Réseau national des Clat mars-novembre 2020, Philippe Fraisse, résultats non publiés.