Épidémiologie de la tuberculose en France en 2015. Impact de la suspension de l’obligation vaccinale BCG sur la tuberculose de l’enfant, 2007-2015
// Tuberculosis epidemiology in France in 2015. Impact of the suspension of BCG mandatory vaccination on child tuberculosis, 2007-2015
Résumé
Introduction –
La France, où la morbidité et la mortalité dues à la tuberculose ont considérablement baissé, est considérée comme un pays de faible endémie. La vaccination BCG de l’enfant constitue l’un des moyens de prévention contre la maladie. En 2006, le vaccin par multipuncture a été remplacé par le BCG intradermique et, en 2007, l’obligation vaccinale a été remplacée par une recommandation de vaccination des enfants les plus exposés à la tuberculose. Nous présentons les données sur les cas de tuberculose maladie déclarés en France en 2015, en faisant un focus sur les enfants nés après 2006 afin de juger de l’impact des modifications des modalités vaccinales sur l’incidence de la tuberculose de l’enfant.
Résultats –
Le nombre de cas de tuberculose maladie déclaré en France en 2015 était de 4 741, dont 3 422 cas avec une localisation pulmonaire, soit des taux de 7,1 cas pour 105 habitants et de 5,1/105 pour les formes pulmonaires. Les enfants de moins de 5 ans représentaient 2,5% des cas déclarés (n=121), soit un taux de déclaration de 3,1/105. Les taux de déclaration de la maladie les plus élevés étaient observés dans trois régions (Mayotte : 25,9/105, Guyane : 18,3/105 et Île-de-France : 14,5/105), ainsi que chez certaines populations spécifiques : personnes sans domicile fixe (166,8/105), personnes incarcérées (91,3/105) et personnes nées à l’étranger (35,1/105). Le nombre annuel de cas de tuberculose maladie chez les enfants nés après 2006 diminuait en Île-de-France et augmentait en France métropolitaine hors Île-de-France. Le nombre de cas de tuberculoses sévères chez les enfants nés après 2006 était en moyenne de 2,2 méningites et de 1,3 miliaire par an entre 2007 et 2015.
Conclusion –
Ces données montrent une poursuite de la baisse du nombre de cas de tuberculose déclarés en France. Les données chez l’enfant n’indiquent pas d’impact des nouvelles modalités de vaccination par le BCG au-delà de ce qui était attendu. Il convient cependant de continuer à suivre attentivement l’évolution de l’incidence de la tuberculose, notamment dans les nouvelles générations d’enfants, surtout dans la situation d’inquiétude actuelle provoquée par les incertitudes concernant l’approvisionnement en vaccin BCG.
Abstract
Introduction –
France, where tuberculosis morbidity and mortality have considerably decreased, is considered as a low endemic country. BCG vaccination in children is one on the preventive measures against tuberculosis disease. In 2006, the BCG multipuncture device was replaced by the intradermal BCG device, and in 2007 mandatory BCG vaccination was replaced by a recommendation to vaccinate children at high risk of tuberculosis. We present data on tuberculosis disease cases notified in France in 2015, and focus on children born after 2006 in order to analyze the impact of the new vaccination policy on the incidence of tuberculosis in children.
Results –
The number of tuberculosis cases notified in 2015 in France was 4,741 (7.1 cases per 105 inhabitants), among whom 3,422 were pulmonary cases (5.1 cases per 105 inhabitants). Children under 5 years old represented 2.5% of notified cases (n=121), yielding a notification rate of 3.1/105. Disease notification rates were higher in three regions (Mayotte: 25.9/105, French Guyana: 18.3/105 and Ile-de-France: 14.5/105) and in some population groups: the homeless (166.8/105), prisoners (91.3/105) and persons born abroad (35.1/105). The annual number of tuberculosis cases in children born after 2006 decreased in Ile-de-France region and increased in mainland France outside Ile-de-France. The annual mean number of severe tuberculosis cases in children born after 2006 was 2.2 for meningitis and 1.3 for miliary cases between 2007 and 2015.
Conclusion –
Our data show an ongoing decreasing trend of tuberculosis cases reported in France. Data in children do not show an impact of the new BCG vaccination policy on the incidence of the disease beyond what was expected. The incidence of tuberculosis should however be closely monitored, especially in the new generations of children, also taking account the concerns generated by the current shortages of BCG vaccine.
Introduction
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on estime à 10,4 millions le nombre de nouveaux cas de tuberculose dans le monde en 2015 1. Leur distribution mondiale est hétérogène, l’Afrique (275 cas/105 habitants) et l’Asie du Sud-Est (246 cas/105) concentrant le plus gros fardeau de la maladie. Les tendances montrent cependant une décroissance globale de l’incidence dans le temps, avec une baisse particulièrement marquée dans les 31 pays de l’Union européenne (UE) / Espace économique européen (EEE), où le taux de déclaration était de 11,7 cas/105 habitants en 2015 2. En France, l’incidence est aussi en diminution régulière avec un taux de déclaration de 7,5 cas/105 en 2013 3. Cette amélioration masque néanmoins d’importantes disparités territoriales et populationnelles incitant à une grande vigilanceen matière de lutte antituberculeuse. Les outils majeurs pour maitriser la tuberculose restent l’identification rapide descas et leur prise en charge précoce et adéquate, qui vise à guérir le patient et permet de limiter la transmission du bacille dans la communauté ainsi que le développement de la résistance aux antituberculeux 4,5. En France, depuis 1964, la surveillance épidémiologique est basée sur la déclaration obligatoire qui permet, grâce au signalement des cas, de mettre en œuvre les investigations autour des cas afin d'instaurer les mesures de prévention et le traitement des éventuels cas identifiés. Elle permet aussi d’analyser les tendances et les caractéristiques des cas afin d’adapter les mesures de contrôle.
La vaccination BCG du nourrisson a été obligatoire jusqu’en 2005 en France et effectuée très majoritairement par voie percutanée. Cette politique était justifiée par le constat de l’induction par le BCG d’une protection d’environ 85% contre les formes extrapulmonaires de tuberculose et d’environ 50% contre les formes pulmonaires 6. En janvier 2006, le vaccin par multipuncture (Monovax®) a été retiré du marché et remplacé par le vaccin BCG SSI administrable par voie intradermique, ce qui a conduit à une baisse immédiate de la couverture vaccinale 7. En juillet 2007, faisant suite à une expertise française qui estimait que la vaccination des seuls enfants à risque (moins de 15% des enfants) pouvait éviter les trois quarts des cas de tuberculose jusque-là évités par le BCG 8, l’obligation de vaccination des enfants par le BCG a été remplacée par une recommandation de vaccination des enfants les plus exposés à la tuberculose 9, notamment les enfants nés, ou dont au moins l’un des parents était né en zone de forte endémie tuberculeuse, et tous les enfants résidant en Île-de-France ou en Guyane. Cette recommandation a été depuis étendue à Mayotte, devenu département français en 2011.
Cet article fait le point sur l’épidémiologie de la tuberculose en France en 2015, en faisant un focus sur les enfants nés après 2006 afin de juger de l’impact des modifications des modalités vaccinales sur l’incidence de la tuberculose de l’enfant. Les résultats de la surveillance de la résistance aux antituberculeux par le Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA) sont présentés dans l’autre article de ce numéro 10.
Méthodes
Source de données
Les données présentées concernent les cas de tuberculose maladie déclarés en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer (DOM) pour l’année 2015 via la déclaration obligatoire (DO). Les résultats sur la France entière comprennent les données de Mayotte à partir de 2011.
Les DO sont collectées et gérées par les Agences régionales de santé (ARS) et transmises une fois par an à Santé publique France sous forme de fichier électronique anonymisé. Des données complémentaires sur les issues de traitement sont collectées dans l’année qui suit la mise en route du traitement ou le diagnostic de tuberculose (données non présentées dans cet article).
Définition de cas de tuberculose maladie
Les cas à déclarer comme tuberculose maladie comprennent les cas avec des signes cliniques et/ou radiologiques compatibles avec une tuberculose, s’accompagnant d’une décision de traitement antituberculeux standard, que ces cas soient confirmés par la mise en évidence d’une mycobactérie du complexe tuberculosis à la culture (cas confirmés) ou non (cas probables).
Les formes pulmonaires comprennent les atteintes du parenchyme pulmonaire, de l’arbre trachéo-bronchique et du larynx 11.
Données de population et taux
Les données de population utilisées pour les taux sont les estimations localisées de population de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) au 1er janvier de chaque année. Pour Mayotte, les données de population utilisées sont issues du recensement de 2012.
Pour les données par lieu de naissance ou par ancienneté d’arrivée en France, ce sont les données du recensement de 2012 qui ont été utilisées. Elles portent sur la France entière, sans Mayotte.
Les données de population sur les personnes sans domicile fixe sont issues d’une enquête réalisée en 2012 12.
Les taux de déclaration concernant des personnes en prison ont été calculés en utilisant les données sur la population écrouée détenue au 1er décembre 2015 13.
La dénomination taux de déclaration est utilisée plutôt que taux d’incidence en raison de la sous-déclaration des cas 14.
Analyse
Les fichiers transmis par les ARS ont été validés au cours d’un processus d’apurement où, notamment, les doublons ont été exclus de la base de données ainsi que les cas de tuberculose déclarés dont le diagnostic de tuberculose avait été secondairement exclu (34 cas en 2015). Les cas de tuberculose maladie ont été analysés par lieu de déclaration, caractéristiques sociodémographiques, cliniques, bactériologiques et contexte de diagnostic.
Les pourcentages présentés sont calculés parmi les cas pour lesquels l’information était renseignée, sauf indication contraire dans le texte.
L’analyse des données a été effectuée avec le logiciel Stata (version 12, StataCorp®, College Station, Texas, États-Unis). Les comparaisons de données ont été faites au moyen du test du Chi2, avec une signification statistique au seuil de 5%.
Pour l’analyse d’impact de la suspension de l’obligation vaccinale sur l’incidence de la tuberculose de l’enfant, l’analyse a porté chaque année sur le nombre de cas de tuberculose maladie déclarés parmi les enfants appartenant à la classe d’âge susceptible d’avoir été touchée par la baisse de couverture vaccinale observée dès 2006, suite au retrait du Monovax® et à la suspension de l’obligation de vaccination de juillet 2007. Ainsi, ces enfants étaient âgés de 0-1 an en 2007, 0-2 ans en 2008, 0-3 ans en 2009, etc. Le nombre de cas de tuberculose dans cette tranche d’âge pour une année donnée a été comparé au nombre de cas dans la même tranche d’âge déclarés en 2005, lorsque l’ensemble des enfants étaient encore soumis à l’obligation de vaccination et le Monovax® disponible. L’analyse a été faite séparément pour l’Île-de-France, la Guyane et la France métropolitaine hors Île-de-France. Dans cette dernière région, nous avons calculé le pourcentage de cas éligibles à la vaccination et non vaccinés.
Résultats
Les cas de tuberculose maladie déclarés en 2015 étaient au nombre de 4 741. Parmi eux, 205 (4,3%) avaient été déclarés dans les DOM. Le taux de déclaration pour la France entière était de 7,1 cas pour 105 habitants toutes formes de tuberculose confondues, et de 5,1/105 pour les formes pulmonaires. La décroissance régulière observée depuis plusieurs années s’est poursuivie en 2015, où le taux de déclaration a baissé de 17% par rapport à 2005 et de 11% par rapport à 2010 (figure 1).
Distribution géographique des cas de tuberculose
Les régions concentrant le plus grand nombre de cas étaient celles où sont présentes les plus grandes agglomérations : l’Île-de-France occupait la première place (37% des cas), suivie de la région Auvergne-Rhône-Alpes (9%). Cette distribution est proche de celle des années précédentes. Le nombre de cas déclarés était inférieur à 20 dans 48 départements français.
Les taux de déclaration les plus élevés étaient observés, comme les années précédentes, en Guyane (18,3/105), en Île-de-France (14,5/105) et à Mayotte (25,9/105). On notait dans cette dernière région un doublement du taux de déclaration (13,2/105 en 2014). En dehors de ces trois régions, le taux de déclaration était inférieur à 8 cas pour 105 habitants (figure 2). Les neuf départements avec les taux de déclaration les plus élevés (supérieur à 10/105) comprenaient six des huit départements de l’Île-de-France ainsi que l’Eure et Loir, Mayotte et la Guyane, ces deux derniers considérés administrativement à la fois comme une région et comme un département.
Caractéristiques sociodémographiques des cas
La distribution par groupe d’âge montre une concentration des cas chez l’adulte jeune (38% des cas avaient entre 20 et 39 ans) et chez le sujet âgé (21% des cas après 65 ans et 9% chez les sujets âgés de 80 ans ou plus) (figure 3), avec un âge médian de 41 ans. Les taux de déclaration dans ces deux catégories étaient les plus élevés, environ 10/105 ou au-delà. Les personnes âgées de plus de 80 ans avaient plus souvent des antécédents de tuberculose traitée (12,2% versus 8,4%) et étaient plus souvent nées en France (72,7% versus 35,6%) que les personnes de moins de 80 ans (p<0,001 pour chacune des comparaisons). La localisation chez les personnes âgées de plus de 80 ans était pulmonaire dans 74,6% des cas et extrapulmonaire dans 25,3%, sans différence significative avec les personnes âgées de moins de 80 ans (71,9% et 27,9% respectivement, p=0,44). Les enfants de moins de 5 ans représentaient 2,5% des cas déclarés (n=121), soit un taux de déclaration de 3,1/105. Les taux de déclaration étaient de 1,4/105 (60 cas) et de 1,6/105 (65 cas) chez les enfants de 5-9 ans et de 10-14 ans respectivement. La majorité des cas (61%) étaient des hommes. Chez les enfants de moins de 15 ans, cette proportion était moindre, avec un sex-ratio proche de 1 (118/128).
Les personnes sans domicile fixe (SDF) représentaient 5,7% (n=236) des cas dont l’information était renseignée. Le taux de déclaration était de 166,8/105 chez les personnes SDF contre 5,8/105 chez les personnes non SDF.
Les personnes vivant en collectivité représentaient 14% des cas avec une information renseignée (n=596/4 161). Parmi elles, la majorité (42%) vivait en centre d’hébergement collectif, 11% en établissement pour personnes âgées, 10% en établissement pénitentiaire et 29% dans une autre structure (squat, congrégation religieuse, établissement pour personnes handicapées, résidence étudiante, etc.), le type de résidence n’étant pas renseigné pour 8%. Le taux estimé de déclaration parmi les personnes incarcérées était de 91,3/105.
Parmi les 4 471 cas de tuberculose dont le lieu de naissance était renseigné (94% des cas déclarés), 59% étaient nés à l’étranger. Parmi ceux-ci, 65% étaient nés en Afrique (40% en Afrique subsaharienne et 25% en Afrique du Nord), 16% dans un pays européen (11% dans un pays de l’UE, 5% dans un autre pays d’Europe), 14% en Asie et 5% aux Amériques ou en Océanie. La proportion de cas vivant en collectivité ou étant SDF était plus importante chez ceux nés à l’étranger que chez ceux nés en France (respectivement 18,5% versus 8,6 et 8,4% versus 1,9%, p<0,001). La majorité des cas chez les étrangers survenaient chez des personnes dont l’arrivée en France était récente (figure 4).
Le taux de déclaration était 10 fois plus important chez les personnes nées à l’étranger que chez celles nées en France (respectivement 35,1/105 et 3,2/105). Ce taux plus important chez les étrangers était observé dans tous les groupes d’âge quinquennaux. Il variait également selon le continent de naissance et l’ancienneté d’arrivée en France. Comme les années précédentes, les taux de déclaration les plus élevés concernaient les personnes nées en Afrique subsaharienne (108,1/105) et en Asie (58,0/105). Le taux de déclaration était de 12,9/105 pour les personnes nées dans l’UE, de 20,4/105 chez celles nées en Europe hors UE et de 24,4 /105 pour celles nées en Afrique du Nord. Le taux de déclaration chez les personnes nées à l’étranger était le plus élevé chez les personnes arrivées en France depuis moins de deux ans (202,0/105) et diminuait avec l’allongement de l’ancienneté de l’entrée en France (12,2/105 chez les personnes arrivées depuis 10 ans ou plus) (tableau 1).
Caractéristiques cliniques et microbiologiques des cas
La présence d’un antécédent de tuberculose maladie traitée par antituberculeux standard était renseignée pour 59% des cas, soit 2 777 cas, dont 11% avaient un antécédent. Cette proportion était significativement plus élevée chez les personnes SDF (23,1% versus 10% chez les autres, p<0,001) et chez les personnes incarcérées (23,5% versus 9,6% chez les autres, p=0,01). Elle n’était pas différente chez les étrangers comparés aux personnes nées en France (10,6% versus 9,8%, p=0,44) et chez les personnes vivant en collectivité comparées aux autres (11,9% versus 10,1%, p=0,07).
En 2015, la localisation de la maladie était renseignée pour 99,8% des cas déclarés. Les formes pulmonaires de tuberculose (associées ou non à d’autres localisations) représentaient 72% des cas (n=3 422/4 733) et les formes exclusivement extrapulmonaires 28% des cas (n=1 311/4 733) (tableau 1). Parmi les cas avec une localisation pulmonaire, le résultat d’examen microscopique était renseigné pour 3 196 (94%) cas. Parmi ces derniers, 1 659 (52%) avaient un examen microscopique positif et 927 (29%) un examen microscopique négatif ou non renseigné et un résultat de culture positif sur prélèvement respiratoire. Le nombre de cas de tuberculose considérés comme potentiellement contagieux (cas pulmonaires avec un résultat positif de microscopie ou de culture sur prélèvement respiratoire) était de 2 586, soit 75% des cas déclarés avec une localisation pulmonaire.
Plus de la moitié des cas (55,5%) avait un résultat de culture renseigné. Le pourcentage de cas sans résultat de culture renseigné était relativement stable au cours du temps ces dernières années, autour de 40-45%. Dans la majorité des cas (62% des cultures sur prélèvement respiratoire), la culture avait été réalisée mais le résultat n’était pas disponible au moment où la fiche de DO a été renseignée dans le logiciel de saisie. Au total, 2 497 cas avaient une culture positive à mycobactérie du complexe tuberculosis, soit 95% des cas avec un résultat de culture renseigné et 53% du total des cas déclarés.
Une localisation méningée (isolée ou associée à d’autres localisations) a été signalée chez 98 cas de tuberculose déclarés (2,0%), tous âgés de plus de 15 ans. Une forme miliaire (isolée ou associée à d’autres localisations) était signalée chez 137 patients. Parmi celles-ci, trois concernaient des enfants de moins de 15 ans : un enfant de 11 ans dont le statut vaccinal BCG était inconnu et deux enfants âgés respectivement de 5 mois et un an et 11 mois ayant tous les deux une indication de vaccination BCG (le premier né en Asie, le deuxième né en France d’une mère originaire d’Europe de l’Est), mais non vaccinés.
Contexte du diagnostic
L’information sur le contexte du diagnostic est collectée depuis 2007. En 2015, elle était renseignée pour 88% des cas déclarés contre 34% en 2007. Parmi les 4 189 patients pour lesquels cette donnée a été renseignée, le diagnostic de tuberculose avait été effectué dans le cadre d’un recours spontané au système de soins pour 77%, dans le cadre d’une enquête autour d’un cas pour 6%, dans celui d’un dépistage pour 4% et dans un autre contexte pour 13%. Cette répartition variait fortement selon l’âge et le lieu de naissance. Ainsi, la proportion de patients dont le diagnostic de tuberculose avait été effectué dans le cadre d’une recherche active de cas (enquête autour d’un cas ou dépistage) était la plus élevée chez les moins de 10 ans (autour de 50%) et baissait avec l’âge, alors que la proportion de ceux ayant eu un recours spontané aux soins augmentait avec l’âge et atteignait 80% chez les personnes de 25 ans et plus (figure 5).
Impact de la suspension en 2007 de l’obligation vaccinale BCG sur la tuberculose de l’enfant
En France, hormis en 2008 (+3%) et en 2014 (+1%), le nombre de cas a diminué chaque année chez les enfants nés après 2006 comparativement aux cas déclarés dans la même classe d’âge en 2005 (tableau 2). Ce nombre était en baisse en Île-de-France, alors qu’il augmentait en France métropolitaine hors Île-de-France. Le nombre de cas en Guyane est faible et stable. Les variations moyennes entre 2007 et 2015 étaient de –31%/an en Île-de-France et de +15%/an en France métropolitaine hors Île-de-France. Dans cette dernière zone géographique, la part des cas non vaccinés était en diminution depuis 2012. On note également dans cette zone qu’entre 40 et 50% des cas éligibles à la vaccination n’étaient pas vaccinés par le BCG chaque année, sauf en 2008 : 74%. Le nombre de cas de tuberculoses sévères chez les enfants nés après 2006 était en moyenne de 2,2 méningites et de 1,4 miliaire par an entre 2007 et 2015 (tableau 3). Parmi ces cas sévères, le nombre de cas chez des enfants éligibles à la vaccination BCG et non vaccinés (c’est-à-dire le nombre de cas qui aurait pu être évité par la vaccination) variait chaque année entre 1 et 4.
Discussion
Une poursuite de la baisse de l’incidence et une distribution hétérogène
Les données de surveillance montrent en 2015 une poursuite de la baisse du nombre de cas de tuberculose maladie, avec une distribution des cas selon les principales caractéristiques sociodémographiques et cliniques proche de celle observée les années précédentes 3. Si on tient compte de l’exhaustivité de la DO de 73% 14, le nombre réel de nouveaux cas dans la population est de 6 500 environ, soit un taux d’incidence de 9,8 cas/105 habitants. Mayotte, l’Île-de-France et la Guyane sont les trois régions françaises les plus affectées, confirmant la nécessité d’y poursuivre les efforts afin de mieux contrôler la maladie. Le doublement en un an du taux de déclaration à Mayotte est probablement à mettre en relation au moins en partie avec la hausse des flux migratoires constatée pour cette période. En effet, sur les 52 cas de nationalité étrangère enregistrés en 2015 à Mayotte, 40 avaient une date d'arrivée récente à Mayotte (à partir de 2013). Cependant, certains migrants récents ont pu être contaminés à Mayotte compte tenu des conditions de vie très précaires auxquelles ils sont exposés.
Cette tendance à la baisse en France est la même que celle observée dans la majorité des pays de l’UE/EEE, où l’on note une baisse pratiquement continue depuis 1996. Le taux de déclaration moyen était de 11,7/105 en 2015 avec cependant une grande variation entre pays, allant de 2,1/105 en Islande à 76,5/105 en Roumanie 2. En 2014, l’OMS a lancé une nouvelle stratégie « End TB » 1, dont l’un des objectifs est de réduire le nombre des nouveaux cas de tuberculose de 90% entre 2015 et 2035 et d’amener l’incidence à environ 10 cas/105 habitants. Ce niveau est celui des pays de faible endémie 15, ce qui était le cas dans 22 des 31 pays de l’UE/EEE en 2015, dont la France 2.
Les cas de tuberculose chez les sujets de plus de 80 ans représentent 9% des cas, alors que ce groupe d’âge ne représente que 5,7% de la population générale (Insee, 2014). Ces personnes étaient souvent nées en France et avaient parfois des antécédents de tuberculose traitée. Ces cas correspondent probablement à des réactivations d’infections ayant eu lieu à une période ancienne, où la tuberculose était fréquente en France. Cependant, ils pourraient aussi résulter d’une transmission plus récente 16. Avec le vieillissement de la population, le nombre de cas chez les personnes âgées pourrait augmenter en France dans les prochaines années. Dans les pays de l’UE, les plus de 65 ans représentaient 19% des cas, mais dans certains pays comme la Croatie, la Slovénie ou la Finlande, ce pourcentage était d’environ 40% 2. Ce poids croissant de la tuberculose chez les personnes âgées a été signalé dans d’autres continents 16. Il pourrait compliquer la lutte contre la tuberculose du fait du diagnostic plus difficile chez ces cas, de la présence de comorbidités et d’un risque plus fréquent d’effets secondaires au traitement antituberculeux, lié à une fréquente polymédication 16. La surveillance par la DO devra être attentive à l’évolution de la tuberculose dans ce groupe d’âge.
La tuberculose continue à être très fréquente dans les populations d’origine étrangère, qui ne représentent que 11,5% de la population de l’ensemble de la France (données Insee, recensement 2012), mais concentraient près de 60% des cas de tuberculose en 2015, contre 40% en 2000. Ce risque élevé de tuberculose dans les populations migrantes, en particulier pendant les premières années suivant leur arrivée en France, justifie la mise en œuvre d’un dépistage précoce. C’est en effet dans ces populations que la fréquence des cas avec des antécédents de tuberculose, et donc à plus fort risque de tuberculose multirésistante 10, est la plus élevée. Les demandeurs d’asile, arrivés récemment en France en provenance de régions de conflit (Corne de l’Afrique, Moyen-Orient…) et cumulant souvent plusieurs facteurs de risque (prévalence élevée dans le pays d’origine, conditions de la migration les exposant à des personnes malades, conditions de logement et difficultés à accéder au système de soins dans le pays d’accueil, etc.) devraient faire l’objet d’une attention particulière car, à leur arrivée, ces personnes ont un risque de tuberculose proche de celui du pays d’origine, où l’incidence est souvent très élevée 17.
Une bonne qualité de données mais qui reste à améliorer
Des estimations réalisées en 2013 montraient une exhaustivité de la DO de 73% 14. Le nombre de cas de tuberculose en 2015 continue vraisemblablement à être sous-estimé. Par ailleurs, la complétude des données dans les fiches de déclaration continue de s’améliorer, comme observé les années précédentes 3. Un progrès est aussi constaté dans l’information sur la localisation de la maladie (pulmonaire ou extrapulmonaire) : seuls 8 cas n’avaient pas de localisation indiquée en 2015, alors que ce nombre était d’environ 100 ou plus avant 2010. Une importante proportion de cas (41% en 2015) n’avait pas d’information sur les antécédents de tuberculose traitée, et ce pourcentage est en augmentation (<25% avant 2008). Cette information est essentielle, parce qu’elle permet de distinguer la résistance « primaire » chez les malades sans antécédents de tuberculose traitée de la résistance « secondaire » chez les malades déjà traités 10. De plus, l’antécédent de tuberculose traitée est un déterminant d’issue non favorable du traitement 18. Les données microbiologiques sont encore très insuffisamment renseignées (56% pour les cultures en 2015 et autour de 35% pour l’antibiogramme phénotypique pour l’isoniazide et la rifampicine). Cette insuffisance s’explique par la longueur du délai pour l’obtention du résultat des cultures (de 4 à 6 semaines) et par l’absence de transmission systématique de ce résultat à l’ARS, qui ne peut donc pas renseigner la DO. En raison de cette insuffisance, la France est l’un des trois pays sur les 30 pays de l’UE/EEE à ne pas renseigner cet indicateur microbiologique dans l’enquête européenne EULabCap menée chaque année par le Centre européen de prévention et contrôle des maladies (ECDC) 19, soulignant cette faiblesse de notre système de surveillance. Ce sont donc les données d’antibiogramme collectées par le CNR-MyRMA 10 qui continuent de constituer la référence au niveau national, ainsi que dans la surveillance de la résistance aux antituberculeux au niveau international, à travers le réseau européen coordonné par ECDC 2.
La complétude des informations reste à améliorer, afin de permettre de mieux caractériser les cas de tuberculose, ce qui est utile pour la gestion du signalement au plan local et pour l’interprétation des résultats de la surveillance au niveau national. Le projet « e-DO tuberculose », actuellement en cours de développement par Santé publique France, vise à mettre en place une plateforme de télédéclaration en ligne, qui devrait simplifier le processus de déclaration et contribuer à améliorer la complétude et la qualité des données, notamment des données bactériologiques, en raison de la possibilité de déclarer en ligne pour les laboratoires et le CNR.
Une absence d’impact de la suspension en 2007 de l’obligation vaccinale sur la tuberculose de l’enfant
Le nombre de cas de tuberculose maladie déclarés en France chez les enfants nés après 2006 est inférieur chaque année (sauf en 2008 et 2014) au nombre de cas chez les enfants de la même tranche d’âge en 2005, lorsque la vaccination était faite chez tous les enfants par le Monovax® et que la couverture vaccinale par le BCG était supérieure à 95%. Cette baisse globale est le reflet d’une diminution du nombre de cas en Île-de-France et d’une hausse hors Île-de-France, où on note une forte proportion de cas éligibles à la vaccination et non vaccinés. On note par ailleurs un nombre de formes graves (méningites et miliaires tuberculeuses) qui reste généralement faible chez les enfants nés après 2006. Un certain nombre de ces cas graves n’aurait de toute façon pas pu être évité par la vaccination, soit parce qu’ils avaient déjà été vaccinés, soit parce qu’il s’agissait de cas nés à l’étranger et suspectés d’avoir été contaminés avant leur arrivée en France.
Cette situation contrastée concernant l’incidence de la tuberculose traduit la situation inégale touchant à la couverture vaccinale BCG. Celle-ci était élevée et supérieure à 80% à l’âge de 9 mois en Île-de-France en 2014 (données Santé publique France non publiées), alors qu’en France métropolitaine hors Île-de-France elle était faible, les données les plus récentes montrant qu’elle ne dépassait pas 50% chez les enfants à risque suivis en secteur libéral en 2008-2009 20,21. Des données nationales de couverture vaccinale n’existent pas pour les années plus récentes, mais les nombreux témoignages des praticiens sur le terrain indiquent qu’en raison de l’insuffisance actuelle d’approvisionnement en vaccin BCG, ces couvertures vaccinales sont en baisse importante. Des données ont montré que cette vaccination insuffisante, mesurée hors Île-de-France, témoignait probablement d’un manque d’identification des enfants à risque par les médecins vaccinateurs ainsi que de leur difficulté à utiliser la technique intradermique 21. Avec la baisse de l’incidence constatée chaque année, la France est confrontée à une baisse de l’expertise sur la tuberculose, qui se focalise dans les régions concentrant le plus de cas. La formation et la sensibilisation des professionnels de santé à la tuberculose, aux indications de vaccination et à la technique de vaccination intradermique sont des aspects essentiels dans la lutte contre la tuberculose en France et devraient être renforcés.
Nos résultats sont rassurants et ne témoignent pas à ce jour d’un impact des nouvelles modalités de vaccination par le BCG au-delà de ce qui était attendu. Pour mémoire, compte tenu du ciblage de la vaccination et sous l’hypothèse d’une couverture vaccinale des enfants à risque de 50% et d’une efficacité vaccinale de base (75% sur les méningites et miliaires et 50% sur les autres localisations), on pouvait s’attendre à avoir chaque année (à échéance des 15 ans après la suspension de l’obligation vaccinale), 193 cas additionnels de tuberculose parmi les enfants de moins de 15 ans, dont 80 parmi les enfants à faible risque non vaccinés 8. Le nombre annuel de cas additionnels de méningites avait été estimé à 10 en cas d’arrêt de la vaccination et à 5 en cas de vaccination sélective des enfants à risque, avec des couvertures vaccinales élevées dans cette population 8. Les données présentées ici montrent que nous sommes très en dessous de ces prévisions et que cette situation ne permet pas de remettre en cause la stratégie vaccinale par le BCG. Il convient cependant de continuer à suivre attentivement l’évolution de l’incidence de la tuberculose, notamment dans les nouvelles générations d’enfants, ainsi que les niveaux de couverture vaccinale parmi les enfants à risque, surtout dans la situation d’inquiétude actuelle provoquée par les incertitudes concernant l’approvisionnement de vaccin BCG.
Remerciements
Aux médecins et biologistes déclarants et aux personnels des Centres de lutte antituberculeuse et des Agences régionales de santé, qui contribuent à l’amélioration de la qualité des données de surveillance de la tuberculose.
Références
System_EULabCap_-_Report_on_2014_survey