Résistance aux antituberculeux en France en 2014-2015

// Anti-tuberculosis drug resistance in France in 2014-2015


Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA), CHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris, France
Auteur correspondant : Jérôme Robert (jerome.robert@aphp.fr)
Soumis le 04.01.2017 // Date of submission: 01.04.2017
Mots-clés : Antituberculeux | Résistance
Keywords: Antitubercular antibiotics | Resistance

Introduction

La résistance de Mycobacterium tuberculosis aux antituberculeux est un phénomène mondial, qui met en danger l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’éradication de la tuberculose (TB) dans le monde en 2035 1. C’est la résistance combinée à l’isoniazide et à la rifampicine qui définit la TB à bacilles multirésistants (MDR, pour multidrug-resistant). Elle est très préoccupante car elle diminue les chances de guérison de manière significative. Une résistance supplémentaire aux fluoroquinolones et à au moins un antituberculeux injectable de deuxième ligne définit l’ultra-résistance (XDR, pour extensively drug resistance). La prise en charge des TB MDR ou XDR est longue et complexe, en raison notamment du choix thérapeutique limité avec les antituberculeux de seconde ligne.

Le nombre de nouveaux cas de TB MDR dans le monde est estimé à près de 500 000 par an, dont 10% seraient liés à des souches XDR. Pour ces derniers, la mortalité est très élevée, proche de celle d’une TB non traitée.

La surveillance de la résistance aux antituberculeux est un objectif de santé publique, à la fois pour mesurer l’importance et l’évolution de l’incidence des TB MDR/XDR et pour évaluer la qualité du programme national de lutte contre la tuberculose. Cette surveillance est intégrée dans les données de déclaration obligatoire (DO) depuis 2007, mais le nombre de données manquantes est encore important. Ce système de DO est complété par les données du Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA), qui sont présentées ici.

Sources et méthodes

Le CNR-MyRMA s’appuie sur deux réseaux distincts complémentaires pour réaliser la surveillance de la résistance de Mycobacterium tuberculosis aux antituberculeux :

le réseau « sentinelle » des laboratoires des CHU (AZAY-Mycobactéries), qui surveille depuis 1995 la résistance aux antituberculeux de première ligne (isoniazide (INH), rifampicine (RMP), éthambutol (EMB),) et les caractéristiques cliniques et démographiques des malades concernés (antécédent de traitement, permettant de distinguer la « résistance primaire » chez les malades jamais traités par des antituberculeux de la « résistance secondaire » et, chez les malades déjà traités, pays de naissance et statut VIH) ;

le réseau national de tous les laboratoires de mycobactériologie piloté par le CNR-MyRMA, qui se concentre depuis 1992 surla surveillance de la TB à bacilles MDR et ses tendances temporelles.

Résultats

Surveillance sentinelle de la résistance primaire et secondaire

En 2015, les données colligées par le réseau AZAY-Mycobactéries portaient sur 1 472 cas de TB à culture positive, dont 1 149 cas (78,0%) jamais traités, 112 (7,7%) avec des antécédents de traitement et 211 (14,3%) avec antécédents non renseignés.

Chez les nouveaux cas de TB (sans antécédent de TB), la proportion de la résistance à au moins un des trois antituberculeux de première ligne (INH, RMP, EMB) était de 9,2% (8,9% à INH et 2,9% à RMP), et la proportion de MDR était de 2,8%. On notait une augmentation significative de la fréquence de la résistance primaire à INH, passée de 3,6% en 1995 à 8,9% en 2015 2, ainsi qu’à RMP (passée de 1,1% à 2,9%), cette dernière étant principalement liée à l’augmentation du nombre de cas MDR 3 (Cf infra).

Chez les malades déjà traités, la proportion de la résistance à au moins un des trois antituberculeux de première ligne était de 25,0% (25,0% à INH, 17,9% à RMP), et la proportion de cas de MDR était de 17,9%.

Comme attendu, la fréquence de la résistance était bien plus élevée chez les malades nés à l’étranger que chez ceux nés en France, tant chez les nouveaux cas que chez ceux déjà traités.

Surveillance de la tuberculose MDR

De 1992 à 2011, le nombre annuel de cas de MDR était compris entre 30 et 80 4 et leur proportion parmi l’ensemble des cas de TB fluctuait entre 0,4 et 1,4 %.

En 2012, alors que le nombre total de cas de TB à culture positive diminuait, le nombre de personnes atteintes de TB à bacilles MDR a brusquement augmenté pour atteindre 94 3. Cette augmentation était quasi exclusivement liée à des souches isolées chez des malades nés en Europe de l’Est. Ce nombre élevé s’est depuis stabilisé, avec 82 et 110 cas MDR recensés respectivement en 2013 et 2014. Il en résulte qu’en 2014, la proportion de TB MDR a atteint 2,6%, proportion la plus élevée jamais observée en France. Parmi les cas recensés en 2012-2014, seuls 3% étaient chroniques, c’est-à-dire connus les années précédentes, 74% étaient des hommes et seulement 43% avaient des antécédents de traitements antituberculeux. Fait important, 91% étaient nés à l’étranger, dont 57% en Europe. Près de la moitié de ces cas (46%) ont été diagnostiqués en région Île-de-France, proportion plus faible qu’au début de la surveillance, dans les années 1990, où la région cumulait presque 2/3 des cas de TB MDR.

Discussion

La proportion de résistance aux antituberculeux reste généralement faible en France. L’augmentation de la résistance primaire à l’INH (sans multirésistance) est confirmée 2. Aucune donnée n’est disponible à ce jour pour expliquer cette augmentation. L’augmentation de la multirésistance observée depuis 2012 s’est stabilisée autour de 100 cas par an. Le nombre total de cas reste toutefois faible en regard de ce qui est observé dans d’autres pays 1. La multirésistance concerne principalement des personnes nées à l’étranger et surtout celles originaires d’Europe de l’Est. Un dépistage précoce des cas de TB chez les migrants provenant de ces régions est fortement souhaitable, en particulier pour les cas les plus contagieux (à examen microscopique des crachats positif) pour lesquels un dépistage rapide de la résistance à la RMP, marqueur de la multirésistance et de l’ultrarésistance, est recommandé 5. La prise en charge de ces malades est difficile et nécessite des équipes multidisciplinaires entrainées. Récemment, une évaluation du devenir des cas de TB MDR et XDR a été effectuée par des équipes d’Île-de-France, en liaison avec le CNR-MyRMA, en mettant en place une cohorte de malades traités par un nouvel antituberculeux, la bédaquiline 6. L’analyse de cette cohorte a montré un devenir globalement très satisfaisant si on prend en compte la gravité de cette pathologie. D’autres données françaises montrent également des résultats très satisfaisants 7,8. Il sera important de continuer à recueillir des informations sur les issues de traitement des cas MDR et XDR sur l’ensemble du territoire français pour apporter des éléments sur la qualité de la prise en charge en France sur une période prolongée.

Remerciements

Le CNR-MyRMA tient à remercier les biologistes participant aux deux réseaux ainsi que les cliniciens qui partagent leurs données sur les cas MDR.

Références

1 Organisation mondiale de la santé. Rapport sur la lutte contre la tuberculose dans le monde. Genève: OMS ; 2016. [Internet]. http://www.who.int/tb/publications/global_report/fr/
2 Meyssonnier V, Veziris N, Bastian S, Texier-Maugein J, Jarlier V, Robert J. Increase in primary drug resistance of Mycobacterium tuberculosis in younger birth cohorts in France. J Infect. 2012;64(6):589-95.
3 Bernard C, Brossier F, Sougakoff W, Veziris N, Frechet-Jachym M, Metivier N, et al; MDR-TB Management group of the NRC. A surge of MDR and XDR tuberculosis in France among patients born in the Former Soviet Union. Euro Surveill. 2013;18(33):20555.
4 Veziris N, Jarlier V, Robert J. La résistance aux antituberculeux en France en 2009-2010. Bull Epidémiol Hebd. 2012;(24-25):291-3. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10760
5 Haut Conseil de la santé publique. Tuberculoses à bacilles résistants : diagnostic et prise en charge. Lignes directrices. Paris: HCSP; 2014. 60 p. http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcspr20141218_tuberbacilresistdiagetprischarg.pdf
6 Guglielmetti L, Jaspard M, Le Dû D, Lachâtre M, Marigot-Outtandy D, Bernard C, et al. Long-term outcome and safety of prolonged bedaquiline treatment for multidrug-resistant tuberculosis. Eur Respir J. (sous presse).
7 Catho G, Couraud S, Grard S, Bouaziz A, Sénéchal A, Valour F, et al; Lyon TB Study Group. Management of emerging multidrug-resistant tuberculosis in a low-prevalence setting. Clin Microbiol Infect. 2015;21:472.e7-10.
8 Henry B, Revest M, Dournon N, Epelboin L, Mellon G, Bellaud G, et al. Preliminary favorable outcome for medically and surgically managed extensively drug-resistant tuberculosis, France, 2009-2014. Emerg Infect Dis. 2016;22(3):518-21.

Citer cet article

CNR-MyRMA. Résistance aux antituberculeux en France en 2014-2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(7):127-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/7/2017_7_2.html