La tuberculose maladie dans les Bouches-du-Rhône de 2018 à 2021 : caractéristiques des cas et étude des délais diagnostiques avant et pendant la pandémie de Covid-19
// Tuberculosis disease in the Bouches-du-Rhône department from 2018 to 2021: Characteristics of cases and study of diagnostic delay before and during the COVID-19 pandemic
Résumé
Introduction –
La réduction de l’accès aux services de santé pendant la pandémie de Covid-19 a déstabilisé la lutte antituberculeuse provoquant une baisse du nombre de cas diagnostiqués de tuberculose entre 2019 et 2020. Une étude a été menée dans le département des Bouches-du-Rhône afin d’étudier les filières et modalités de recours aux soins et au diagnostic des cas de tuberculose déclarés entre 2018 et 2021.
Matériel et méthode –
L’étude rétrospective a porté sur les dossiers des patients atteints de tuberculose pris en charge de 2018 à 2021 par le centre de lutte antituberculeuse des Bouches-du-Rhône (Clat13). Les parcours de soins, dont les délais diagnostiques, ont été comparés entre 2018-2019 et 2020-2021. Les facteurs associés à un allongement des délais diagnostiques ont été analysés par des régressions logistiques binomiales.
Résultats –
Au total, 518 patients ont été inclus dans l’étude. Le nombre de cas a diminué pendant la pandémie (-24%), mais les tendances étaient différentes selon les classes d’âge, le pays de naissance ou le lieu de résidence. Le délai patient médian était inférieur lors de la pandémie. Le délai patient était plus souvent court chez les patients en situation de grande précarité (odds ratio ajusté, ORa=0,2 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [0,1-0,6]). Lors de leur premier recours, les patients qui avaient consulté un médecin généraliste avaient plus fréquemment présenté un délai soignant long que ceux ayant consulté un service d’urgence hospitalier (ORa=8,2 [3,8-18,7]).
Discussion et perspectives –
Les résultats incitent à renforcer la formation des médecins généralistes et à maintenir les actions « d’aller vers » mises en place pour l’accès aux soins des plus précaires pendant la pandémie.
Abstract
Background –
The reduction in access to health services during the COVID-19 pandemic has destabilized tuberculosis control, resulting in a decrease in the number of tuberculosis cases diagnosed between 2019 and 2020. A study was conducted in the Bouches-du-Rhône department of France to study the pathways and modalities of access to care and diagnosis for reported tuberculosis cases between 2018 and 2021.
Material and Method –
The retrospective study focused on the medical records of patients treated for tuberculosis between 2018 and 2021 by the Tuberculosis control center of Bouches-du-Rhône (Clat13). Healthcare pathways, including diagnostic delays, in 2018–2019 were compared to 2020–2021. Factors associated with prolonged diagnostic delays were analyzed using binomial logistic regressions.
Results –
In total, 518 patients were included in the study. The number of cases decreased during the pandemic (-24%), but trends varied according to age group, country of birth, or type of residence. The median patient waiting time was lower during the pandemic. Patient waiting time was more often shorter among patients in a situation of high precarity (adjusted odds ratio, aOR=0.2, 95% confidence interval 95%CI: [0.1–0.6]). Patients whose care pathway was initiated through consultation with a general practitioner more frequently experienced a long clinician-associated delay compared to those who consulted a hospital emergency service (aOR=8.2, 95%CI: [3.8–18.7]).
Discussion –
The results suggest the need to strengthen the training of general practitioners and to continue the outreach efforts put into place during the pandemic to ensure access to care for the most vulnerable.
Introduction
La pandémie de Covid-19 a eu un impact majeur sur l’accès aux soins des patients, toutes causes confondues. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le nombre de diagnostics de tuberculose a diminué en 2020 par insuffisance de dépistage, et, sur les 10 millions de patients touchés par la tuberculose maladie, seuls 5,8 millions ont été signalés 1.
En France, dans un contexte de recrudescence des taux de déclaration de la tuberculose depuis 2017, une forte baisse a été enregistrée en 2020 et 2021, interrogeant sur une évolution du recours au diagnostic pendant l’épidémie de Covid-19 2,3. Une étude a été réalisée à partir des dossiers médicaux du centre de lutte antituberculeuse des Bouches-du-Rhône (Clat13). Le Clat13 est chargé des enquêtes autour des cas de tuberculose diagnostiqués et déclarés dans le département des Bouches-du-Rhône, où l’évolution du taux de déclaration de la tuberculose était globalement comparable à celle observée en France métropolitaine 4,5. Les dossiers médicaux du Clat13 comportent des informations plus complètes que la fiche de déclaration obligatoire (DO), notamment sur des déterminants socio-économiques pouvant être associés au risque de transmission (couverture sociale, profession, type d’hébergement) et sur les dates de début des symptômes et de premier recours aux soins, permettant ainsi de calculer les délais diagnostiques 6,7.
Les objectifs de cette étude étaient de comparer les caractéristiques des cas de tuberculose résidant dans les Bouches-du-Rhône, pris en charge par le Clat13 entre les années de l’épidémie de Covid-19 (2020-2021) et les deux années antérieures (2018-2019), et d’étudier les facteurs associés aux délais diagnostiques, susceptibles d’aggraver la maladie et d’augmenter le risque de transmission secondaire 8.
Matériel et méthode
Une enquête transversale, rétrospective, descriptive et analytique a été menée à partir des dossiers médicaux du Clat13. Tous les cas résidant dans les Bouches-du-Rhône ou sans domicile fixe (SDF), pris en charge par le Clat13 pour une tuberculose diagnostiquée par preuve bactériologique ou combinaison de signes cliniques/radiologiques évocateurs de tuberculose entre 2018 et 2021, ont été inclus. Les infections tuberculeuses latentes ont été exclues.
Les données des patients ont été recueillies rétrospectivement dans les dossiers médicaux. Elles comportaient les items de la fiche de DO, complétés par des données sociodémographiques (couverture maladie, profession, type d’hébergement…), médicales (date des premiers symptômes, comorbidités, facteurs de risque, dates de recours au système de soins…) et de prise en charge (date de mise en route du traitement, résultats bactériologiques…).
L’étude des délais diagnostiques a porté exclusivement sur les patients atteints de tuberculose pulmonaire ou pleurale bacillifère, seules formes contagieuses de la maladie, et diagnostiqués lors d’un recours spontané aux soins.
Le délai diagnostique total a été défini comme le nombre de jours entre la date d’apparition des symptômes et la date de mise en route du traitement. Ce délai total était constitué du délai patient (délai entre la date d’apparition des symptômes et le premier recours aux soins) et du délai soignant (délai entre le premier recours et la mise en route du traitement).
En l’absence de définition standard des délais diagnostiques court et long dans la littérature, nous nous sommes appuyés sur les définitions utilisées dans une étude française référencée 9. Ainsi, les délais patient et soignant ont été considérés comme longs au-delà de 14 jours, et le délai total lorsqu’il dépassait 60 jours.
Les résultats de l’analyse descriptive ont été exprimés en pourcentages ou médianes et leurs intervalles interquartiles. Dans l’analyse bivariée, les tests de Fisher, du Chi2 ou de Mann-Whitney ont été utilisés pour comparer les périodes pré-Covid-19 (2018-2019) et Covid-19 (2020-2021). Les variables associées au seuil d’inclusion (p≤0,2) ont été incluses dans l’analyse multivariée (régressions logistiques binomiales) pour étudier les facteurs associés aux délais patient ou soignant longs. Une étude de colinéarité a été menée et une sélection pas à pas descendante a été appliquée. Les odds ratio ajustés (ORa) obtenus sont présentés avec leurs intervalles de confiance (IC95%). Le seuil de significativité retenu était 5%.
En conformité avec le règlement européen sur la protection des données, l’étude a été inscrite dans le registre des activités de traitement du délégué à la protection des données du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône.
Résultats
Description de la population
Un total de 518 patients atteints de tuberculose maladie ont été inclus dans l’étude. Le nombre de cas et le taux de déclaration annuel moyen ont diminué au cours de l’épidémie de Covid-19, passant de 295 cas (7,2/100 000 habitants) en 2018-2019 à 223 cas (5,4/100 000 habitants) en 2020-2021 (tableau 1).
Caractéristiques sociodémographiques des cas de tuberculose maladie
Sur l’ensemble de la période, l’âge médian des cas était de 39 ans et 67% étaient des hommes (tableau 1). Le taux de déclaration annuel moyen le plus élevé était observé chez les 25-39 ans (11,3 pour 100 000 habitants) (tableau 2).
L’âge médian était plus faible en 2020-2021 (36 ans vs 43 en 2018-2019, p=0,04). Les taux de déclaration augmentaient pendant la pandémie chez les moins de 15 ans (p=0,04) alors qu’ils ont diminué chez les 40-59 ans (p=0,01) et les 60-74 ans (p<0,001).
Plus de deux tiers des cas inclus dans l’étude étaient nés à l’étranger (69%), majoritairement sur le continent africain (53% des cas). Le taux de déclaration chez les personnes nées à l’étranger était de 23,7/100 000 habitants. Il était plus élevé chez les personnes nées en Afrique subsaharienne (75,9/100 000 habitants). Trente et un pour cent des cas nés à l’étranger étaient arrivés en France depuis moins de deux ans.
Le taux de déclaration pour 100 000 habitants a globalement diminué en 2020-2021 chez les personnes nées à l’étranger (p=0,02), notamment chez les personnes nées en Afrique du Nord (p=0,005) et en Europe (p=0,04). Une augmentation non significative du taux de déclaration (p=0,6) était toutefois observée chez les personnes nées en Afrique subsaharienne. La proportion des cas arrivés depuis moins de deux ans en France montrait une diminution non significative pendant la période Covid-19 (p=0,13), équivalente quel que soit le pays de naissance.
Cinquante-sept pour cent des cas étaient affiliés au régime général ou à un autre régime, 24% étaient bénéficiaires de la Complémentaire santé solidaire (CSS) et 4% de l’Aide médicale de l’État (AME). Quinze pour cent des cas, quasi exclusivement nés à l’étranger, n’avaient aucune couverture sociale.
Dix-sept pour cent des cas vivaient en situation de très grande précarité, dont la plupart (95%) étaient nés à l’étranger : structures d’hébergement pour personnes précaires ou migrantes (9%) ou SDF (8%). Le nombre de cas SDF a été divisé par 2 entre 2018-2019 et 2020-2021, sans que la diminution soit significative (p=0,1).
Les taux de déclaration les plus élevés étaient retrouvés dans les quartiers du centre de Marseille (20,2/100 000 habitants) où ils étaient stables pendant la période Covid-19, alors qu’ils diminuaient dans les quartiers Nord (p=0,04), et dans les autres communes du département (p=0,004).
Parcours de soins, caractéristiques cliniques et paracliniques
Le diagnostic a été posé lors d’un recours spontané au système de soins pour 77% des cas et pour 13% des cas, dans le cadre d’un dépistage systématique ou d’une enquête (tableau 3). La découverte était fortuite pour 10% des cas, lors d’une prise en charge médicale pour un autre motif. Le premier contact avec le système de soins était un service d’urgence hospitalier pour 38% des patients et un médecin généraliste libéral pour 26%.
du-Rhône, 2018-2021
Près de 3 patients sur 4 présentaient une forme pulmonaire (73%), dont 44% était bacillifère. La moitié des cas présentaient une ou plusieurs comorbidités (53%), dont 16% étaient atteints de maladies cardiovasculaires et 3% présentaient une co-infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Les fumeurs actifs représentaient 25% des cas, 7% présentaient un alcoolisme chronique.
Trois cas de multirésistance (MDR – multidrug-resistant) et 1 cas d’ultrarésistance (XDR – extensively drug-resistant) ont été identifiés par le Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA) sur la période d’étude.
Aucune différence n’était retrouvée entre 2018-2019 et 2020-2021 pour ces caractéristiques.
Délais diagnostiques
Pour l’analyse des délais diagnostiques, 274 cas de tuberculose ont été exclus, dont 139 avaient une localisation extra-pulmonaire isolée ou non précisée, 106 pour lesquels le diagnostic n’avait pas été porté lors d’un recours spontané au soins, 18 sans date de symptômes et 11 sans date de recours au soins, ou pour lesquels les délais étaient aberrants.
Pour les 244 cas retenus, les délais médians patient et soignant étaient respectivement de 15 jours ([4-49]) et 16 jours ([6-49]). Le délai médian total était de 54 jours ([27-112]).
Le délai patient médian était plus court pendant la période pandémique que pendant la période pré-pandémique (14 jours vs 22, p=0,03), alors que le délai médian soignant (16 jours vs 24) et le délai médian total (51 jours vs 68) ne différaient pas statistiquement.
L’analyse multivariée montrait qu’un délai patient long était associé au fait d’être originaire d’un pays de la zone Asie (ORa=4,3 ; IC95%: [1,2-16,7]), à un premier recours à un professionnel de santé « autre » (ORa=9,3 [3,1-32,9]) et à un alcoolisme chronique (ORa=11,1 [2,6-62,9]) (tableau 4).
2018-2021 (N=210a)
Un délai patient court était associé à des conditions de vie très précaires (squat, bidonville ou dans la rue) (ORa=0,2 [0,0-0,6]), à l’exercice d’une profession sanitaire ou sociale (ORa=0,2 [0,1-0,7]) ou à une maladie cardiovasculaire (ORa=0,3 [0,2-0,8]).
Le délai soignant était plus long chez les cas ayant consulté un médecin généraliste lors de leur premier recours (ORa=8,2 [3,8-18,7]) ou un professionnel de santé « autre » (ORa=4,0 [1,4-11,5]), que ceux ayant consulté un service d’urgence hospitalier (tableau 5).
Un délai soignant court était associé au fait d’être bénéficiaire de la Complémentaire santé solidaire (CSS) (ORa=0,4 [0,2-0,8]) ou sans couverture sociale (ORa=0,3 [0,1-0,8]) ou de résider dans les quartiers Nord de Marseille (ORa=0,3 [0,1-0,8]). Le délai soignant était également plus court chez les cas bacillifères (ORa=0,3 [0,1-0,6]).
Discussion et perspectives
Le nombre de cas de tuberculose déclarés entre 2019 et 2020 a chuté de 18% dans le monde, de 10% en France, et de 14% dans notre étude 1,10. Cette baisse s’est poursuivie en 2021 en France et dans les Bouches-du-Rhône à l’instar de la plupart des pays de l’Union européenne 11.
Notre étude montre que le taux de déclaration a diminué chez les cas âgés de 40 à 74 ans lors de la pandémie de Covid-19, alors qu’il restait stable chez les jeunes adultes. Ce rajeunissement des cas de tuberculose à l’échelle régionale et nationale est un marqueur notable de l’évolution de la maladie et des enjeux de la lutte antituberculeuse dans les pays à faible incidence et haut niveau socio-économique 4,10. En revanche, chez les moins de 15 ans, le taux de déclaration a augmenté pendant la pandémie. Les périodes de confinement successives ont pu jouer un rôle en majorant le risque de transmission secondaire intrafamiliale.
En 2020-2021, on observe une baisse des taux de déclaration chez les cas nés à l’étranger, probablement en raison des restrictions de déplacement instaurées par la plupart des pays qui ont interrompu les parcours migratoires durant les deux premières années de la pandémie. Les statistiques relatives à l’asile en France estiment une baisse de 41% des demandes d’asile en 2020 12. Alors qu’entre 2018 et 2021, les taux de déclaration de la tuberculose diminuaient chez les cas nés en Afrique du Nord ou en Europe, ils ont continué de progresser chez les cas nés en Afrique subsaharienne. Parallèlement, dans les arrondissements du centre de Marseille, où une part importante des personnes nées en Afrique subsaharienne réside, les taux de déclaration sont restés stables et élevés, alors qu’ils diminuaient dans la plupart des communes du département. Lors des périodes de confinement, les conditions de promiscuité dans les centres d’hébergement d’urgence ou les foyers, où vit une grande part des personnes d’origine africaine, ont probablement entraîné un niveau élevé de transmission, alors que les interventions « d’aller vers » ont pu y favoriser le dépistage et la prise en charge des cas, ce qui pourrait expliquer que le nombre de cas déclarés n’ait pas baissé dans cette population.
Une diminution non significative du nombre de cas SDF atteints de tuberculose maladie a été mise en évidence pendant la pandémie, même si leur nombre demeure faible. Cette diminution peut s’expliquer par l’augmentation des places d’hébergement d’urgence mises à disposition durant la pandémie de Covid-19, la prolongation de la « trêve hivernale » en mars 2020 ou encore, la diminution des flux migratoires qui constituent une part importante de la population SDF 13.
Dans notre étude, le délai diagnostique médian total était de près de deux mois (54 jours). Les délais médians patient et soignant étaient respectivement de 15 jours et de 16 jours. À l’échelle nationale, une seule étude récente, publiée en 2012, retrouve des résultats supérieurs pour les médianes des délais soignant (25 jours) et total (68 jours) alors que le délai patient médian était similaire (14 jours) 9. Dans d’autres pays à faible incidence de la tuberculose, la médiane du délai total était supérieure à celle de notre étude, notamment au Canada (62 jours), en Italie (66 jours) ou en Angleterre (84 jours) 14,15,16.
Une diminution du délai patient médian est observée en 2020-2021. Un recours aux soins plus fréquent pour symptômes respiratoires pendant la pandémie pourrait expliquer cette évolution. Le délai patient est apparu plus court chez les personnes en situation de grande précarité. Ce dernier résultat n’a pas été retrouvé dans d’autres études 9. Ce résultat pourrait être expliqué par les interventions « d’aller vers » les populations les plus vulnérables, et « ramener vers » le système de soins, menées dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, qui ont pu également contribuer à une baisse globale du délai patient 17. Un délai soignant long a été trouvé associé à un premier contact avec un médecin généraliste. Ce résultat retrouvé dans la littérature pourrait traduire un défaut de connaissance d’une maladie à laquelle la médecine générale est peu confrontée, mais également un accès plus rapide à un plateau technique permettant le diagnostic lorsque le premier recours est hospitalier 9,18. Les patients bénéficiaires de la CSS ainsi que ceux ne bénéficiant d’aucune couverture sociale présentaient un délai soignant plus court, ainsi que ceux résidant dans les quartiers Nord de Marseille, où la part des ménages à bas revenus est particulièrement élevée 19. Le lien entre précarité et tuberculose est bien décrit dans la littérature, ainsi que l’association entre précarité et délai soignant court 18,20. Le pays de naissance du patient et un faible statut socio-économique représentent à juste titre, des critères de suspicion de la tuberculose. De plus, pour des raisons financières ou des difficultés d’accès aux soins, certains patients consultent tardivement, à un stade avancé de la maladie 21. Les facteurs associés aux délais diagnostiques ont été étudiés sur la totalité de l’échantillon. Une étude comparative avant et pendant la pandémie n’a pas pu être réalisée, du fait de trop faibles effectifs.
Les principales limites de notre étude étaient liées, comme pour toute étude rétrospective, à la qualité des données disponibles dans les dossiers médicaux du Clat13, parfois incomplètes ou imprécises. Le manque de complétude de certains dossiers a contribué à réduire la taille de la population étudiée et la puissance de l’étude, et a pu introduire des biais liés aux données manquantes. L’imprécision de certaines dates, ou leur absence, a pu surestimer ou sous-estimer certains délais. Un premier contact avec le système de soins étiqueté « autre » n’a pas pu être détaillé, ni décrit, alors qu’il représentait près d’un tiers des patients et a été retrouvé associé à des délais patient et soignant longs. Enfin, le tableau clinique lors des recours aux soins, insuffisamment renseigné dans les dossiers, n’a pas pu être étudié, alors qu’il est un déterminant essentiel de l’orientation du patient et de la démarche diagnostique 9,22.
L’étude a également mis en évidence des discordances entre le nombre annuel de cas de tuberculose recensés dans les dossiers du Clat13 et dans le dispositif des DO, essentiellement en 2019, où 18 cas de plus ont été retrouvés au Clat13, ou en 2021, où 22 cas supplémentaires ont été recensés dans le bilan des DO 3. Ces écarts pourraient s’expliquer par le fait que certains dossiers patients n’ont pas été retrouvés lors du recueil, et par des échanges insuffisants entre le Clat13 et l’Agence régionale de santé (ARS) pour les mises à jour des DO.
Cette étude illustre l’intérêt des informations contenues dans les dossiers médicaux des Clat et la nécessité d’en améliorer la complétude. Par ailleurs, l’application « e-DO » de déclaration en ligne de la tuberculose, accessible aux déclarants depuis le 14 avril 2022, devrait permettre de simplifier et d’accélérer les échanges d’informations entre les cliniciens, les Clat et les ARS, et ainsi de déclencher plus rapidement les enquêtes autour des cas, mais aussi d’améliorer l’exhaustivité et la qualité des données de surveillance 21.
Plusieurs études évoquent un effet rebond post-pandémique à moyen terme avec une recrudescence des cas de tuberculose du fait d’une prise en charge différée des cas 10,23. Afin de pallier cette possible augmentation, il est essentiel, dans les années à venir, de renforcer les actions de dépistage ciblé et hors les murs, menées par les Clat et leur réseau de partenaires (permanences d’accès aux soins de santé, Samu social, associations…). Les interventions « d’aller vers » les populations les plus vulnérables et « ramener vers » les services de santé qui ont été déployées pendant la pandémie de Covid-19 devraient être maintenues, notamment dans les quartiers prioritaires, afin d’améliorer l’accès au diagnostic et aux soins. Il serait également important que les formations initiales et continues des médecins généralistes aux missions de prévention et dépistage de la tuberculose soient développées, ainsi que les formations à l’éducation thérapeutique du patient, afin d’améliorer les délais de prise en charge et l’adhésion au traitement.
En France, comme dans les pays à faible incidence autochtone, le dispositif actuel de lutte contre la tuberculose en France doit évoluer et s’adapter aux nouveaux enjeux épidémiologiques pour permettre un accès rapide au dépistage et au traitement de tous les patients selon une procédure simplifiée, sur le principe de gratuité du traitement, l’organisation efficace d’un dépistage ciblé des cas secondaires et des primo-infections, en complément de la poursuite de la vaccination des enfants à risque.
Enfin, il serait intéressant de compléter ce travail par une étude permettant de conforter ces résultats, de vérifier l’évolution ultérieure des taux de déclaration et de comparer les facteurs associés aux délais diagnostiques patients et soignant avant et pendant la pandémie.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.