La télédéclaration de la tuberculose : premier bilan 21 mois après sa mise en place en France

// Electronic notification of tuberculosis: First assessment 21 months after implementation in France

Jean-Paul Guthmann1 (jean-paul.guthmann@santepubliquefrance.fr), Delphine Antoine2, Julien Durand1, Fatima Aït El Belghiti1, Daniel Dubois3, Minh Tai Vo Van4, Isabelle Parent du Châtelet1, Didier Che1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Santé publique France, Saint-Maurice, jusqu’en 2015
3 Santé publique France, Saint-Maurice, jusqu’en 2020
4 Santé publique France, Saint-Maurice, jusqu’en 2022
Soumis le 20.11.2023 // Date of submission: 11.20.2023

En France, le dispositif de surveillance de la tuberculose à travers la déclaration obligatoire (DO) a été mis en place en 1964 pour la tuberculose maladie et acté dans l’article 3113-8 du Code de la santé publique. Cette surveillance par la DO a été élargie en 2003 aux infections tuberculeuses latentes (ITL) chez les enfants âgés de moins de 15 ans 1, puis étendue aux personnes de moins de 18 ans en 2021 2. Depuis 2007, elle intègre la surveillance des issues du traitement des patients atteints de tuberculose maladie 3. Ces changements répondaient à la nécessité de s’adapter aux modifications de l’épidémiologie de la tuberculose en France et aux nouveaux outils diagnostiques et thérapeutiques. Ils permettaient, en améliorant la surveillance notamment dans les populations les plus à risque, une meilleure contribution à la politique de lutte antituberculeuse qui doit s’attacher à réduire les disparités populationnelles qui perdurent.

Les outils de recueil, de transmission et de traitement des informations recueillies ont été également adaptés. La fiche papier du Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs (Cerfa), sur laquelle médecins et biologistes déclarants inscrivent les informations cliniques, biologiques et sociodémographiques de chaque patient, s’est enrichie de nouvelles informations. Celles-ci permettent de mieux répondre aux besoins de surveillance en lien en particulier avec les avancées scientifiques, intégrant notamment les résultats diagnostiques (techniques de biologie moléculaire pour le diagnostic de l’infection et pour la détection de la résistance aux antituberculeux) et thérapeutiques (utilisation de la rifampicine à partir des années 1970) 2. De nouveaux moyens de communication (le fax puis le courriel) ont remplacé progressivement le courrier postal utilisé pour la transmission des fiches aux autorités de santé : les directions des affaires sanitaires et sociales départementales (Dass) et régionales (Drass) d’abord, puis les agences régionales de santé (ARS). Les outils de traitement et d’analyse ont évolué avec l’arrivée de l’informatique et des tableurs (Excel) dans les années 1980. Au début des années 1990, une application spécifiquement dédiée à la surveillance de la tuberculose et conçue pour une saisie des données en ARS et une analyse par l’Institut de veille sanitaire (InVS), appelée « BK4 », a été développée et utilisée pendant environ 20 ans. Cette application permettait de saisir, consulter et modifier les fiches de DO de tuberculose, d’éditer un certain nombre de rapports et de transmettre la base de données départementales chaque année à l’InVS. Ces outils ont permis de créer plus efficacement les bases de données à partir desquelles sont calculés les indicateurs qui décrivent l’épidémiologie de la tuberculose et ses tendances.

À partir de 2013, une réflexion naît sur la nécessité de remplacer l’application BK4 par un outil plus moderne et plus performant, et d’adapter les systèmes de surveillance à une réalité dans laquelle les communications se font de plus en plus par voie électronique. En réalité, cette réflexion ne concerne pas uniquement la tuberculose, mais les 31 maladies à déclaration obligatoire, et cherche à moderniser des outils devenus obsolètes. L’idée de départ est de commencer par les surveillances VIH/sida puis tuberculose, deux maladies qui se distinguent par le nombre élevé de déclarations et leurs circuits complexes. Concernant la tuberculose, l’application BK4 est devenue difficile à maintenir compte tenu de son ancienneté, du fait qu’elle a été développée avec une technologie ancienne et n’est pas utilisable via Internet. L’application, déployée localement dans chaque région et département impose aussi une organisation complexe en termes d’évolutions techniques, et pour la gestion de la saisie et remontée nationale des données. Cette situation a conduit l’InVS (qui est devenu Santé publique France en 2016) à engager à partir de 2015 un projet de dématérialisation du circuit de déclaration obligatoire (e-DO) de la tuberculose. Cette transmission électronique des DO suit celle déjà engagée pour la DO VIH/sida. Elle a pour principaux objectifs de simplifier les circuits de déclaration, de réduire les délais de transmission de l’information, de faciliter les échanges entre les différents secteurs, d’améliorer l’adhésion des professionnels de santé au processus de déclaration et, in fine, de renforcer la qualité de la surveillance épidémiologique et les capacités d’alerte.

Le développement d’e-DO tuberculose débute en 2016. Un Comité d’appui thématique chargé de la réflexion et de l’élaboration des grandes lignes et des fonctionnalités spécifiques de l’outil a été mis en place, associant tous les secteurs du dispositif de surveillance : cliniciens et biologistes déclarants, laboratoires de biologie médicale, centres de lutte antituberculeuse (Clat), agences régionales de santé (ARS), Direction générale de la santé (DGS), Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA) et Santé publique France. Des ateliers de travail permettent de préciser les besoins et d’établir un cahier des charges. Dans un premier temps et pour répondre aux besoins les plus immédiats, le projet prévoit le déploiement d’e-DO seulement dans les ARS avec une saisie des fiches papier non plus sur BK4 mais sur e-DO, tous les autres éléments du dispositif restant inchangés. Ceci est effectif en juillet 2019 après obtention de l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) 4. Cette première phase constitue une évolution majeure en termes de processus de remontée de données et de sécurisation informatique. En effet, d’une part, la connexion à l’application repose sur une authentification forte via l’utilisation des cartes de professionnels de santé (CPS) ou pour les non-professionnels de santé les cartes CPA (pour le personnel administratif) et, d’autre part, la saisie via une application en ligne qui permet de centraliser l’ensemble des données dans une base de données nationale unique de manière automatisée.

L’intégration des professionnels de santé déclarants via la connexion sur www.e-do.fr comprenant aussi l’accès à ce dispositif de tous les acteurs de la surveillance, prévue initialement en 2020, a été mise en place à partir d’avril 2022, encadrée par une instruction ministérielle 5. Elle a été accompagnée d’une communication auprès des utilisateurs (notamment via les sociétés savantes, les chefs d’établissements, les ARS et les Clat). Ce délai s’explique principalement par l’impact de la pandémie de Covid-19 entre 2020 et 2022, accaparant une grande partie du temps et des ressources des personnes impliquées dans le projet, aussi bien à Santé publique France qu’ailleurs. Le maintien de la « déclaration papier » a laissé le temps aux déclarants de se former et de s’équiper du matériel permettant la connexion sécurisée à l’application via le lecteur et la carte CPS.

Au 31 décembre 2023, le nombre d’utilisateurs d’e-DO était de 406 dans les 105 Clat et de 212 dans les 17 ARS de France métropolitaine et les DROM. Les personnels de ces deux organismes jouent un rôle essentiel dans ce dispositif, les Clat étant en charge de la gestion et du suivi des cas, et de la saisie des cas identifiés lors des enquêtes d’entourage, les ARS ayant le rôle de classement et de validation des cas enregistrés. Au quatrième trimestre 2023, 56% du total des cas de tuberculose déclarés l’étaient via la télédéclaration, en progression régulière depuis avril 2022 (figure 1). Cette proportion était inférieure à 30% dans 2 régions, de 30% à 50% dans 4 régions, de 50% à 60% dans 2 régions et supérieure à 60% dans 4 des 12 régions de France métropolitaine (Corse exclue en raison du faible nombre de cas déclarés) (valeurs extrêmes : 16%-74%).

Figure 1 : Pourcentage de déclarations tuberculose saisies sur e-DO par télédéclaration par trimestre, France, 16 avril 2022 – 31 décembre 2023 (N=18 240)
Agrandir l'image

Cette proportion variait en fonction du type de déclaration : au quatrième trimestre 2023, 89% des issues de traitement étaient déclarées via la télédéclaration (282/316), contre 69% pour les ITL (717/1 031) et 38% pour les tuberculoses maladies (500/1 309) ; ces dernières étant de loin les plus nombreuses mais les moins fréquemment télédéclarées (figure 2).

Figure 2 : Pourcentage de déclarations de tuberculose saisies en ligne directement sur e-DO par le déclarant (télédéclarations) par type de déclaration et par trimestre, France, 16 avril 2022 – 31 décembre 2023 (N=18 240)
Agrandir l'image

Le projet e-DO a dû faire face à un certain nombre de difficultés, au premier rang desquelles la relativement faible adhésion des déclarants, surtout aux étapes initiales du projet, liée en grande partie aux difficultés à s’équiper de cartes CPS et de lecteurs, ou au manque d’information et de temps pour se former, parfois dans un contexte de surcharge de travail et de personnel insuffisant. La période pandémique et l’épuisement qu’elle a pu provoquer n’a pas été un moment particulièrement favorable au lancement d’un nouvel outil de surveillance. Pour pallier ces difficultés et aussi pour aider le personnel des Clat et des ARS à prendre en main la gestion d’e-DO, du matériel support (tutoriels et vidéos) accessible sur le site de Santé publique France a été mis à disposition des utilisateurs, des séances régulières de formation en ligne ont été organisées et une adresse courriel permettant des échanges a été mise en place. Ces actions ont certainement contribué à améliorer la participation des déclarants. Cependant le nombre de fiches papier reste encore élevé, obligeant les ARS à les saisir dans e-DO (alors qu’elles devraient normalement être déchargées de cette tâche) et parfois même surchargeant de travail les Clat avec la saisie de fiches qui devraient l’être principalement par les déclarants hospitaliers ou de ville. Des délais parfois importants dans la résolution de certaines anomalies fonctionnelles et techniques ont pu aussi freiner le développement du projet, malgré une implication forte de l’équipe en charge du développement et de la maintenance de cette application, confiée à un prestataire.

L’expérience de ces 18 premiers mois de fonctionnement d’e-DO montre les progrès accomplis, mais aussi les nombreuses difficultés et les défis qu’il faudra relever. L’accompagnement et le soutien de tous les acteurs du dispositif seront toujours une composante importante de ce projet, en proposant par exemple, comme c’est le cas depuis septembre 2023, un espace hebdomadaire en ligne qui permet à des utilisateurs d’échanger sur des problèmes concrets. Faire évoluer cette application vers un outil encore plus convivial et plus simple à utiliser, permettant par exemple de retrouver plus rapidement des fiches ou déclarer plus facilement les issues de traitement, nécessitera des moyens à la hauteur de l’enjeu, ce qui ne sera pas simple dans une période de fortes contraintes budgétaires pour l’ensemble des acteurs. L’utilisation par les déclarants d’une carte CPS électronique (e-CPS) pourrait améliorer la participation et la couverture du dispositif. Interconnecter e-DO avec les autres systèmes d’information utilisés dans les hôpitaux et dans les Clat minimisera la double saisie, diminuera la charge de travail et encouragera encore davantage l’utilisation d’e-DO, mais cette question comporte elle-même ses propres difficultés. La production de rapports automatisés permettra aux acteurs de terrain de suivre plus régulièrement les tendances épidémiologiques, de mieux connaître la situation dans un département ou une région et de cibler plus efficacement, le cas échéant, les actions de contrôle. Ce sont là quelques axes de travail que nous espérons pouvoir affronter avec succès au cours des prochaines années.

Remerciements

Nous remercions les nombreuses personnes qui ont été, à un moment donné, impliquées dans ce projet et prions les personnes que nous aurions oublié de mentionner de bien vouloir nous excuser. À Santé publique France : Jérémy Saillant, Mohamed Hamdaoui, Marisol Tonyi, Sophie Mallejac, Anne-Sophie Barré, Daniel Lévy-Bruhl, Françoise Cazein, Pierre Pichon, Stella Laporal, Clothilde Hachin, Stéphane Nardy. Les personnes qui ont participé aux ateliers dans lesquels le projet a été construit et discuté : Thierry Comolet (Direction générale de la santé), Monika Wolska (ARS Auvergne-Rhône-Alpes), Anne-Sophie Ronnaux-Baron (ARS Auvergne-Rhône-Alpes), Christian Merle (ARS Île-de-France), Sandrine Moranville (ARS Hauts-de-France), Philippe Fraisse (Réseau national des Clat), Marie-Pierre Bertrand (Clat 94), Yassoungo Silué (Cellule régionale Île-de-France), Isabelle Poujol (Cellule régionale Auvergne-Rhône-Alpes), Jérôme Robert (CNR-MyRMA), Sophie Bulifon (AP-HP), Nadine Lemaître (CHU de Lille). Merci aux prestataires des groupes Klee et Sully Group qui ont accompagné le projet e-DO tout au long de ces années. Enfin, nous tenons à remercier les médecins et biologistes déclarants, le personnel des ARS et des Clat sans qui, ni la surveillance de la tuberculose, ni le développement d’un tel projet ne seraient possibles.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées. Arrêté du 10 février 2003 relatif à la notification obligatoire des maladies infectieuses visées à l’article D.11.1 du code de la santé publique. JORF. 2003;47:3338. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000783853
2 Ministère des Solidarités et de la Santé. Arrêté du 17 février 2021 modifiant l’arrêté du 22 août 2011 relatif à la notification obligatoire des maladies infectieuses et autres maladies mentionnées à l’article D. 3113-7 du Code de la santé publique. JORF. 2021;47. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043173410
3 Ministère de la Santé et des Solidarités. Arrêté du 16 avril 2007 relatif à la notification obligatoire des cas de tuberculose. JORF. 2007;114. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000822050
4 Commission nationale de l’informatique et des libertés. Délibération n° 2019-002 du 10 janvier 2019. https://www.legifrance.gouv.fr/cnil/id/CNILTEXT000038269185/
5 Ministère des Solidarités et de la Santé. Instruction N° DGS/SP2/2021/143 du 1er juillet 2021 relative au déploiement de l’application e-DO pour la télé-déclaration des cas de tuberculose. Bulletin officiel Santé – Protection sociale – Solidarité. 2021;12:147-59. https://sante.gouv.fr/fichiers/bo/2021/2021.12.sante.pdf#%5B%7B
%22num%22%3A596%2C%22gen%22%3A0%7D%2C%7B%22name%22%3A%22FitH%22%7D%2C842%5D

Citer cet article

Guthmann JP, Antoine D, Durand J, Aït El Belghiti F, Dubois D, Vo Van MT, et al. La télédéclaration de la tuberculose : premier bilan 21 mois après sa mise en place en France. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(6-7):116-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/6-7/2024_6-7_2.html