Tuberculose : ce que nous ont appris les dernières années
// Tuberculosis: What we have learnt in the past few years
Depuis la précédente publication du BEH concernant la présentation de l’état des lieux de la tuberculose maladie en France 1, beaucoup de choses ont changé. À commencer par la pandémie de SARS-CoV-2 qui a eu un impact direct sur la prise en charge de la tuberculose en France et dans le monde, avec une nette diminution du nombre de cas diagnostiqués, notamment du fait des confinements successifs et de la difficulté d’accès aux structures de soins habituelles 2,3,4. À cet égard, l’article de Guthmann et Viriot 5 publié dans ce numéro du BEH est particulièrement intéressant : il décrit pour la première fois ce qui s’est passé en France depuis l’irruption du SARS-CoV-2 dans le paysage sanitaire. Outre la baisse « historique » du nombre de cas de tuberculoses maladie déclarés, la plus importante constatée en France depuis 20 ans, il rapporte un point particulièrement préoccupant : moins de la moitié des tuberculoses maladie déclarées en 2021 ont eu une issue de traitement renseignée. Or, le renseignement des issues de traitement constitue un indicateur indirect de la qualité de la prise en charge des patients et notamment de leur suivi. On peut donc craindre un relâchement des efforts menés depuis plusieurs décennies dans la lutte contre la tuberculose en France, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur le système de santé. La variation des profils de patients atteints de tuberculose entre les périodes pré-Covid-19 (2018-2019) et Covid-19 (2020-2021) dans le département des Bouches-du-Rhône illustre aussi cet aspect de la lutte antituberculeuse, qui doit en permanence s’adapter aux parcours des individus et coller au plus près à la réalité du terrain 6. Il est donc crucial de ne pas relâcher nos efforts en matière de lutte antituberculeuse en France.
L’expérience des 18 premiers mois de fonctionnement de la télédéclaration de la tuberculose (e-DO) également relatée dans ce numéro du BEH 7 illustre les difficultés rencontrées sur le terrain par les centres de lutte antituberculeuse concernant ce nouvel outil, dont la mise en place initialement prévue en 2020 a aussi été décalée à cause de la pandémie à SARS-CoV-2.
L’autre événement majeur récent est la survenue d’une guerre en Ukraine ayant notamment eu pour conséquence directe le déplacement massif de réfugiés vers l’Europe de l’Ouest. L’impact de cette migration rapide sur le système de soins a été réel : l’article de Fraisse et coll. 8 décrit tout ce qui a été mis en place pour effectuer un dépistage actif de la tuberculose chez ces personnes déplacées tandis que celui de Veziris et coll. 9 rapporte l’augmentation du nombre de cas de tuberculoses à bacilles multirésistants constaté en France en 2022 à la suite de l’arrivée de plusieurs cas en provenance d’Ukraine et de Géorgie. La tuberculose se moque des frontières : il est donc particulièrement important de disposer d’outils de dépistage efficaces et rapidement mobilisables en cas de crise sanitaire. D’ailleurs, la tuberculose est malheureusement encore très loin d’avoir été éradiquée dans le monde. Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’environ 10,6 millions d’individus ont développé une tuberculose maladie en 2022 et note surtout que le nombre de cas officiellement déclarés dans le monde en 2022 est très nettement supérieur à ceux des années précédentes, en hausse de 16% par rapport à 2021 et de 28% par rapport à 2020 10. Depuis que l’OMS a mis en place ce système de surveillance mondiale au milieu des années 1990, il s’agit tout simplement du plus grand nombre de cas déclarés au cours d’une seule année 10. Certaines populations restent à très haut risque de tuberculose du fait de leurs conditions de vie ou de leur parcours personnel. Chez elles, la prévalence de la tuberculose peut être très élevée, dépassant 2% dans certains cas : pour rompre les chaînes de transmission, il est essentiel de se donner les moyens d’aller vers ces populations vulnérables pour les dépister très activement, à l’exemple de ce qui a pu être réalisé avec succès à Hai Phong au Vietnam chez les usagers de drogues injectables, infectés ou non par le VIH 11.
Le dernier fait marquant est la prise en compte récente de l’importance grandissante des séquelles pouvant affecter certains patients ayant terminé avec succès leur traitement antituberculeux : des patients certes guéris de la tuberculose, mais à quel prix ? De nombreuses initiatives ont vu le jour au cours des dernières années pour mieux prendre en compte cet aspect encore souvent négligé de la lutte contre la tuberculose. Cette entité de « maladie pulmonaire post-tuberculeuse » devient de mieux en mieux connue et discutée lors des grands congrès scientifiques, comme celui de l’American Thoracic Society ou de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires. Bien que l’estimation précise du nombre de patients ayant survécu à leur tuberculose reste difficile, on admet qu’environ 155 millions de personnes étaient en vie en 2020 après avoir dû affronter une tuberculose 12. Les individus ayant survécu à une tuberculose représenteraient donc actuellement environ 2% de la population mondiale. Or, des données récentes provenant de Corée du Sud indiquent que les personnes ayant survécu à une tuberculose sont exposées à un surrisque de mortalité estimé à 1,62 par rapport à des contrôles appariés pour l’âge et le sexe 13.
Les problèmes respiratoires survenant après une tuberculose pulmonaire peuvent être très invalidants. Une méta-analyse ayant compilé les données provenant des études publiées jusqu’à début décembre 2022 a montré que 59,1% des patients ayant réalisé un test respiratoire (spirométrie) après avoir terminé leur traitement antituberculeux avaient des résultats anormaux, contre seulement 5,4% des sujets contrôle 14. Chez ces patients, il est important de noter que le développement d’une bronchopneumopathie chronique obstructive peut survenir même en l’absence de séquelles radiologiques thoraciques, comme l’a récemment montré une étude sud-coréenne réalisée chez des sujets de plus de 40 ans 15. Enfin, le surrisque de développer un cancer bronchopulmonaire après un diagnostic de tuberculose a de nouveau été mis en évidence dans cette méta-analyse 14, tout comme dans une autre étude dédiée à ce sujet 16. Il faudra donc rapidement réfléchir à mettre en place des stratégies visant à dépister précocement les cancers bronchopulmonaires chez les patients guéris de leur tuberculose, y compris s’ils ne sont pas fumeurs. Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques, notamment immunologiques 17, contribuant au développement des séquelles respiratoires post-tuberculeuses sera également indispensable pour tenter d’améliorer la prise en charge de ces patients, inéluctablement de plus en plus nombreux au fil des ans. La constitution de cohortes permettant un suivi longitudinal des patients sur plusieurs années en sera le prérequis naturel.
Les événements survenus depuis 2020 tout comme les connaissances accumulées durant cette période nous ont appris que la tuberculose reste une maladie tragiquement d’actualité. La poursuite d’une lutte antituberculeuse active, dynamique et sachant s’adapter au contexte est donc cruciale. Aller vers les populations les plus à risque parce que vulnérables est notamment indispensable pour interrompre les chaînes de transmission. Se préoccuper beaucoup plus activement de l’existence fréquente de séquelles respiratoires chez les patients ayant terminé leur traitement va également devenir incontournable, du moins espérons-le. Ne relâchons surtout pas nos efforts car le combat n’est pas gagné…
Références
Citer cet article
106-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/6-7/2024_6-7_0.html