L’organisation et le bilan du dépistage de la tuberculose chez les déplacés d’Ukraine en France en 2022

// Organization and assessment of tuberculosis screening among displaced persons from Ukraine in France, 2022

Philippe Fraisse1 (philippe.fraisse.tuberculose@gmail.com), Jean-Paul Guthmann2 et le Réseau national des centres de lutte antituberculeuse*
1 Réseau national des centres de lutte antituberculeuse (RNCLAT), Groupe de recherche et d’enseignement en pneumo-infectiologie (GREPI) de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), Paris
2 Santé publique France, Saint-Maurice

* Liste des contributeurs disponible à l’adresse : https://splf.fr/clat/
Soumis le 20.11.2023 // Date of submission: 11.20.2023
Mots-clés : Tuberculose | Dépistage | Migration | Crise | Ukraine
Keywords: Tuberculosis | Screening | Migration | Crisis | Ukraine

Résumé

L’Ukraine était en 2021 le deuxième pays où l’incidence de la tuberculose était la plus élevée en Europe. À la suite de l’invasion du pays le 24 février 2022, 8 millions de déplacés ont fui vers des pays étrangers. Cet article rend compte de la stratégie active de dépistage de la tuberculose par les centres de lutte antituberculeuse (Clat) chez les déplacés provenant d’Ukraine en France. La prévalence des cas rapportés par les Clat s’élevait à 197/100 000. Elle était supérieure à l’incidence annuelle estimée en Ukraine. La présence d’un réseau national des Clat organisé a favorisé le dépistage des personnes déplacées, malgré des difficultés inhérentes à un afflux massif de réfugiés. Des pistes d’amélioration pour l’exhaustivité des dépistages sont proposées.

Abstract

Ukraine was the country with the second highest tuberculosis (TB) incidence in Europe in 2021. Following the invasion of Ukraine on February 24, 2022, 8 million displaced people fled to foreign countries. This article reports on the active tuberculosis screening strategy among displaced persons from Ukraine in France led by the dedicated control centers (centres de lutte antituberculeuse, CLAT). The prevalence of cases reported by the CLAT was 197/100,000. This was higher than the annual incidence in Ukraine. The presence of an organized national CLAT network facilitated the reception and screening of displaced people, despite the difficulties inherent to a large influx of refugees. Suggestions for ways to improve the comprehensiveness of screenings are proposed.

Introduction

L’Ukraine était en 2021 le deuxième pays d’incidence la plus élevée de tuberculose dans la région Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 1. En 2022 l’incidence y était estimée à 90 nouveaux cas (intervalle d’incertitude : [60-126]) pour 100 000 habitants et par an 2. La prévalence dans certains groupes à risque s’élevait jusqu’à 1 839/100 000 entre 2014 et 2018 3. Le taux de résistances MDR (MultiDrug Resistant) c’est-à-dire multi-résistance à l’isoniazide et à la rifampicine soit RR (résistance à la rifampicine) y était estimé à 29% en 2022 chez les nouveaux cas et 43% chez les patients antérieurement traités 2.

À la suite de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, environ 8 millions de déplacés ont fui vers des pays étrangers, dont 118 000 vers la France. Le flux des déplacés en quelques mois fut alors le plus rapide en Europe depuis la deuxième guerre mondiale 4. Cette crise mettait à l’épreuve l’organisation de leur accueil sanitaire dans de nombreux pays. Trois points d’accueil principaux étaient prévus en France par le ministère de l’Intérieur (Roissy-Paris, Nice et Strasbourg). Ces déplacés bénéficiaient du statut de protection temporaire (directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001), sur décision du Conseil de l’Union européenne (UE) depuis le 24 février 2022 5,6. À distinguer du statut de réfugiés, la protection temporaire leur donnait immédiatement un accès à des droits notamment sanitaires équivalents à ceux des nationaux.

Peu de données publiées rendent compte du rendement des filières de prévention dans ce contexte. Cet article rapporte les résultats de la stratégie active de dépistage de la tuberculose chez les déplacés provenant d’Ukraine en France.

Matériel et méthodes

Les centres de lutte antituberculeuse (Clat) ont la charge de dépister les cas de tuberculose chez les personnes migrantes nées dans un pays d’incidence >40/100 000 quel que soit leur âge, et les infections latentes chez les sujets de moins de 18 ans 7,8. Pour ce faire, ils proposent des radiographies thoraciques et des consultations au plus proche des bénéficiaires, en partenariat avec les centres du Dispositif national d’accueil, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), les services de santé des étudiants et de multiples coopérateurs associatifs. Ils sont répartis en 105 centres dans 96 départements et organisés en un réseau national : le Réseau national des Clat (RNCLAT).

En réaction à l’afflux migratoire en provenance d’Ukraine, le RNCLAT diffusait le 18 mars 2022 une alerte rappelant les normes du dépistage de la tuberculose et plus largement les aspects sanitaires chez ces déplacés. À la suite d’une première visioconférence nationale le même jour, un protocole spécifique était partagé le 20 mars 2022. Le 23 mars 2022, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) publiait un avis insistant sur le dépistage des maladies transmissibles dont la tuberculose et sur le rôle essentiel des Clat 9. Le 30 mars, une large documentation était diffusée par le RNCLAT, comportant des documents d’information multilingues. D’autres réunions nationales étaient mises en œuvre jusqu’au 10 mai 2022.

Afin d’apprécier le rendement de ces dépistages de la tuberculose (maladie active), un premier sondage (Surveymonkey©) était réalisé dans le RNCLAT en octobre-novembre 2022, obtenant les réponses de 35 Clat. Pour augmenter l’exhaustivité, une nouvelle enquête téléphonique était effectuée fin novembre avec Santé publique France auprès de tous les Clat sur leurs résultats de février à octobre 2022, obtenant cette fois-ci 105 répondants (100%) 1. Parallèlement était effectué un recueil de données du Clat67, situé sur l’un des trois points d’entrée nationaux. Les questions posées par le Clat67 étaient complémentaires aux autres enquêtes et recueillaient : le délai entre l’arrivée en France et le dépistage, le lieu de résidence, l’âge au moment du dépistage, le sexe, la proportion des sujets effectivement dépistés par rapport aux sujets connus du Clat, le recours à l’interprétariat, la scolarisation des enfants et les dépistages d’infection latente, les freins au dépistage d’après les coopérateurs (organisations non gouvernementales – ONG). Nous rapportons par conséquent les réponses à l’enquête 2 et aux questions du Clat67. Le nombre de personnes à dépister pour trouver un cas de tuberculose a été calculé comme l’inverse de la prévalence.

En parallèle, les cas de tuberculose déclarés 2022 concernant les patients nés en Ukraine quelle que soit leur date d’arrivée en France étaient analysés par Santé publique France à partir de la déclaration obligatoire.

Résultats

Au moment de la deuxième enquête nationale, 8 621 déplacés avaient été dépistés (tous recours confondus). Les résultats ont été publiés 1 (tableau 1). Dix-sept cas de tuberculose étaient rapportés soit 197/100 000, tous pulmonaires (une localisation osseuse associée). Dix de ces cas résultaient d’un dépistage stricto sensu (sujets asymptomatiques) soit 116/100 000. Deux patients se sont présentés pour la continuité de leur traitement antituberculeux. L’examen microscopique (direct) des sécrétions respiratoires était positif chez 7 patients (dont 3/10 diagnostiqués à la suite de dépistages stricto sensu) et la culture chez 14/17 patients rapportés dont 9/10 chez les dépistés stricto sensu.

Tableau 1 : Nombre de cas de tuberculose rapportés par le Réseau des Clat chez les personnes fuyant l’Ukraine (février-octobre 2022)
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Le Clat67, l’un des trois points d’accueil nationaux, a détaillé ses résultats. Ce Clat connaissait 874 sujets à dépister : l’âge moyen était de 31 ans (médiane=34 ans) et 67% étaient des femmes, 810 étaient de nationalité ukrainienne. Les lieux de vie, souvent improvisés, étaient variés et inhabituels : 39 en foyers de travailleurs migrants, 247 en hôtels réquisitionnés, 9 seulement en centres d’accueil des demandeurs d’asile, 74 en centres communaux d’action sociale, 148 en centres d’accompagnement pour travailleurs handicapés, 197 dans des foyers improvisés par des ONG, 105 en campings, 26 en structure de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et 24 en habitat « diffus », soit 899 lieux car certains mentionnaient deux adresses. Au total 444 personnes furent dépistées (50,8%), le délai depuis leur arrivée était de 2,56 mois en moyenne (médiane=2,5 mois). Un interprétariat professionnel téléphonique (ISM Interprétariat) fut sollicité 156 fois, les langues parlées étaient l’ukrainien (240), le russe (64), l’anglais (33) ou d’autres langues. Pour 502 personnes, la langue parlée n’était pas renseignée.

L’étude des déclarations obligatoires de tuberculoses concernant des patients nés en Ukraine par Santé publique France au cours de l’année 2022 a recensé 33 cas dont 9 avaient été dépistés par les Clat et 9 MDR (27%) (tableau 2). Les 24 cas restants, dont 15 arrivés depuis l’invasion de l’Ukraine, n’avaient pas été détectés à la suite d’un dépistage mais le plus souvent par consultation spontanée. En estimant la population née en Ukraine totale en France à 19 100 personnes résidentes avant la guerre et 118 914 ayant fui l’Ukraine, l’incidence globale des cas déclarés était évaluée à 24/100 000 1. Avant le début de la guerre en Ukraine, le nombre de cas de tuberculose nés en Ukraine et déclarés dans la DO était faible, en moyenne inférieur à 5 cas/an au cours de la décennie précédant la guerre. Pour ne parler que des trois dernières années avant 2022, le nombre de cas déclarés était de 8 cas en 2019, 4 cas en 2020 et 4 cas en 2021. Ceci nous permet de conclure à une forte augmentation en 2022 après le déclenchement de la guerre. Les données de 2023 (provisoires) indiquent un nombre de cas déclarés nés en Ukraine de 17 cas (12 hommes) tous âgés de plus de 20 ans sauf un. Parmi ces 17 cas, 10 avaient été diagnostiqués après un recours spontané au système de soins, 2 après enquête autour d’un cas et 3 après dépistage (contexte du diagnostic inconnu dans 2 cas). Ces données montrent que, bien que plus élevé comparé aux années pré-guerre, le nombre de cas chez les Ukrainiens est en franche diminution.

Tableau 2 : Caractéristiques des cas de tuberculose chez les personnes nées en Ukraine, d’après la déclaration obligatoire en France, 2022
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Le dépistage de l’infection tuberculeuse latente (ITL) a été tenté dans plusieurs Clat. Un retour concernant ces dépistages n’était pas demandé au cours de nos enquêtes nationales. Dans le Clat67, 295 enfants mineurs relevaient d’un dépistage de l’ITL. Parmi eux 63 (21%) furent dépistés, les autres non dépistés par refus des parents : 2 ITL furent diagnostiquées (3%), et 3 ne sont pas venus pour la lecture de l’intradermoréaction à la tuberculine (IDR).

Discussion

Les retours d’expérience concernant les dépistages de déplacés d’Ukraine sont rares. En Californie, le dépistage ciblé de 299 déplacés a détecté 1 cas de tuberculose à bacilles sensibles et 22 ITL (tests de détection d’interféron gamma positifs) (7,4%) dont 14 traitées 10. En Allemagne, la proportion des cas de tuberculose notifiés chez des Ukrainiens par dépistage, rapportée à la totalité y compris aux recours spontanés à la filière de soins, fut de 53% en 2022 contre 18% les années 2017-2021 11. Le Portugal a rendu compte d’une enquête de pratiques 12.

Des avis a priori furent émis en Suisse 13, en France 14. Il en fut de même pour les enfants en Allemagne 15 et en Europe 16. La recommandation du HCSP en France est un dépistage des primo-arrivants quand l’incidence dans leur pays d’origine est >40/100 000 8 et chez les déplacés venant d’Ukraine 9. Chez ces déplacés, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’OMS recommandent un dépistage (si possible radiographique) de la tuberculose seulement en cas de risque particulier 17.

En France, le rendement de la filière de dépistage stricto sensu de la tuberculose par les Clat dans la population dépistée s’est avéré satisfaisant, avec une prévalence de 117/100 000, dépassant l’incidence dans leur pays d’origine 2, l’incidence estimée chez les Ukrainiens résidant en France d’après la déclaration obligatoire 1 et le seuil de 100 préconisé par l’ECDC en faveur d’un dépistage 17. Ainsi, il fallait dépister 862 sujets pour trouver 1 cas de tuberculose. Le nombre à dépister de 862 dans notre étude est comparable à celui rapporté par une revue récente de la littérature portant sur le dépistage de migrants vers un pays de moyenne ou faible incidence, estimé à 1 027 par score de symptômes et 695 par la seule radiographie 18.

Toutefois la prévalence observée ici ne concerne que les personnes effectivement dépistées (8% seulement de ces réfugiés), on ne peut en déduire la prévalence de la tuberculose chez l’ensemble des déplacés. Cette donnée sera difficilement appréciée d’après les déclarations de tuberculose les années suivantes, car la population restée en France ne sera pas la même que celle venue en 2022.

Dix cas étaient révélés par le dépistage systématique, dont 7 étaient asymptomatiques et n’auraient pas été décelés en dehors d’un dépistage de principe. Ainsi nous pensons que notre stratégie de dépistage a révélé des cas de tuberculose qui n’auraient été diagnostiqués que plus tard. Trois d’entre eux étaient fortement contagieux (EM positif), et 4 porteurs des bacilles MDR. Cela étaye l’utilité du dépistage aussi bien à titre individuel que pour la collectivité (logements d’hébergement collectif). Les résultats en Allemagne mentionnés plus haut soulignent également l’intérêt de ce dépistage permettant un diagnostic précoce 11.

Les langues parlées par les déplacés dans notre étude, quand elles étaient renseignées, étaient conformes au résultat de l’enquête conduite en Europe par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) 19. L’utilisation d’une plateforme téléphonique d’interprétariat linguistique professionnel a été un appui précieux aux Clat.

Deux patients se sont présentés pour continuité du traitement. L’OMS recommande en priorité la disponibilité des traitements dans les pays d’accueil 20.

Cette situation hors norme a mis sous tension la filière de dépistage et globalement l’accès des déplacés à leurs besoins sanitaires. D’après l’enquête de l’UNHCR auprès de 10 pays de l’UE (n’incluant pas la France), 86% des déplacés d’Ukraine signalaient des besoins urgents dont 35% liés à la santé. Un besoin d’information lié à la santé était exprimé par 27% d’entre eux, le canal pour l’obtenir aurait été de préférence un réseau social (67%), un site web (33%), un appel téléphonique (32%) ou les conseils de la famille sur place (28%). Les difficultés d’accès aux soins étaient liées aux files d’attente (67%), à la barrière de la langue (30%), à l’incapacité de payer (26%), à un refus de prise en soins (les urgences seulement assurées dans certains pays), à l’indisponibilité des accès aux soins (13%), au manque d’information ou de documentation (16%). Une remarque importante était que l’exercice de chaque droit social constituait une condition pour bénéficier des autres droits 19. Les déplacés les plus récents pourraient avoir souffert de la désorganisation du système de santé ukrainien secondaire à la guerre 21. Chez les enfants originaires d’Ukraine, la tuberculose en particulier MDR est un des aspects à prendre en compte lors des dépistages dans le pays d’accueil 22 : une analyse systématique de la littérature entre 2010 et 2022 révélait que la tuberculose était une des causes principales de différences de mortalité infantile selon les régions du pays. Parmi les cas de tuberculose enregistrés dans le registre national entre 2015 et 2018, une résistance à la rifampicine était observée chez 376 des 2 163 adolescents dont l’antibiogramme était connu (17%), et 129 étaient classés pré-XDR (c’est-à-dire MDR et de plus résistance aux fluoroquinolones) ou XDR (c’est-à-dire résistance à la rifampicine et éventuellement à l’isoniazide et de plus résistance à au moins un antibiotique parmi bédaquiline ou linézolide) 23.

Malgré le statut de protection temporaire, notre expérience illustre certaines limites au dépistage d’une population fuyant massivement son pays d’origine. Ainsi, moins de 10% des 118 000 déplacés en France auront été dépistés par les Clat en 2022. Malgré une disponibilité systématique « d’aller vers », seules 51% des 874 personnes connues du Clat67 ont pu être dépistées. Cet écart tient à plusieurs facteurs. Ces personnes ne bénéficiaient pas du Dispositif national d’accueil des réfugiés, coopérateur régulier des Clat. Au contraire elles étaient hébergées dans des centres de court terme improvisés et caractérisés par un turn-over fréquent. Ceux qui logeaient chez l’habitant étaient difficilement repérables et groupables pour les dépistages. Peu de personnes souffraient de symptômes, de sorte qu’ils n’étaient pas enclins à recourir à la filière de soins. Le dépistage proposé en France semblait inutile à certains déplacés qui disaient en avoir bénéficié en Ukraine (radiographies régulières des professionnels de santé et du secteur public, IDR à la tuberculine des enfants à la rentrée scolaire), sans toutefois en présenter ou en connaître les résultats. La protection temporaire leur assurant une couverture maladie, certains ne comprenaient pas l’intérêt d’un dépistage supplémentaire. Enfin la priorité des arrivants était plutôt centrée sur les besoins matériels immédiats (ce qui concorde avec le délai de 2,56 mois constaté à Strasbourg), ou sur la scolarité des enfants (ainsi à Strasbourg 70% des enfants étaient déjà scolarisés au moment du dépistage).

Il est probable qu’une coordination entre la filière d’accueil (ministère de l’Intérieur), d’insertion (Éducation nationale, en 2022 ministère du Travail, ministère des Solidarités et des Familles) et la filière de dépistage (ministère de la Santé) serait susceptible d’améliorer le rendement et la précocité des dépistages de la tuberculose en cas de nouvelle crise migratoire. Le groupement actuel du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités pourrait y contribuer.

Cependant les ressources des Clat auraient-elles été suffisantes si les 118 000 personnes déplacées avaient été disponibles pour le dépistage sur leur lieu d’accueil ? En admettant que chacun des Clat des trois sites d’accueil (Nice, Roissy et Strasbourg) ait été en mesure de les recruter à leur arrivée, on aurait dû leur répartir pour effectuer le dépistage au total 23,6 équivalents temps pleins (ETP) de médecins, autant d’infirmiers et 47,2 d’assistants sociaux 7, et sans doute davantage de manière transitoire car ces ETP sont proposés sur une année pleine sans prendre en compte un afflux soudain. Un rattrapage était ensuite possible en cas de mobilité de la personne accueillie. Une réflexion prospective avec les agences régionales de santé (ARS) pour résoudre de telles crises sanitaires serait souhaitable.

Des solutions innovantes ont été envisagées par l’UNHCR : incorporer des soignants ukrainiens dans le système de santé national, harmoniser les prises en soins dans l’UE, adapter les filières de soins aux spécificités, identifier les barrières pratiques à l’accès aux soins et établir un bilan en vue de futures situations 19. Une approche culturelle et linguistique, une connaissance des spécificités des pathologies dans le pays d’origine et une collecte des données de santé a été préconisée d’après une revue de la littérature et des recommandations internationales 24.

Une évaluation du dispositif de protection temporaire en Europe devrait être publiée au plus tard en mars 2024 (Recommandation 2248 (2023) de l’Assemblée parlementaire, réponse adoptée par le Comité des ministres le 14 juin 2023 lors de la 1 469e réunion des Délégués des ministres). La surveillance de l’incidence des cas de tuberculose chez des Ukrainiens en France dans les prochaines années sera utile pour vérifier le « rattrapage » des cas non dépistés en 2022.

Conclusion

Le rendement du dépistage actif de la tuberculose chez des personnes connues des Clat venant d’Ukraine en France apparaît satisfaisant. Nos résultats soulignent l’intérêt d’un réseau des Clat français bien organisé, qui a permis de réagir rapidement à un afflux massif de déplacés provenant d’un pays de haute incidence de tuberculose. Toutefois ce dépistage n’a pu recruter que moins de 10% de la population cible présumée. Plusieurs pistes conduiraient à un recrutement plus exhaustif et plus rapide, notamment une approche intersectorielle (coordination interministérielle pour la santé dans toutes les politiques) 25. Le HCSP souligne dans sa proposition sur la Stratégie nationale de santé 2023-2033 la « nécessité de mobiliser tous les secteurs (Health in all policies, évaluation des impacts en santé) » 26.

Remerciements

Nous remercions vivement les professionnels de tous les centres de lutte antituberculeuse, qui ont bien voulu répondre à nos questionnaires, le Clat67 qui a collecté et analysé l’ensemble de ses données propres sur un des trois points d’accueil des personnes venant d’Ukraine et le Centre national de référence des mycobactéries (Jérôme Robert, Isabelle Bonnet) qui a apporté les données des cas de bacilles MDR.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Éthique

Les données recueillies auprès des Clat étaient anonymes agrégées et résultaient de leur mission obligatoire de routine. Aucune autre approbation n’est requise.

Références

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Fraisse P, Guthmann JP ; et le Réseau national des centres de lutte antituberculeuse. L’organisation et le bilan du dépistage de la tuberculose chez les déplacés d’Ukraine en France en 2022. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(6-7):120-5. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/6-7/2024_6-7_3.html