Surveillance et prévention « One health » de la résistance aux antibiotiques en France. Bilan 2016-2022 de la synthèse annuelle coordonnée par Santé publique France

// One Health surveillance and prevention of antimicrobial resistance in France. Review of the 2016–2022 annual summaries coordinated by Santé publique France

Sylvie Maugat (sylvie.maugat@santepubliquefrance.fr), Philippe Cavalié, Anne Berger-Carbonne et les membres du groupe de Travail Synthèse Antibiorésistance « One health »*
Santé publique France, Saint-Maurice

*Santé publique France et partenaires : Sylvie Maugat, Anne Berger-Carbonne, Michèle Nion-Huang, Ghaya Ben Hmidene, Philippe Cavalié, Mélanie Colomb-Cotinat, Sophie Fégueux (Santé publique France), Catherine Dumartin, Muriel Péfau, Emmanuelle Reyreaud, LoryDugravot, Loïc Simon, Amélie Jouzeau, Christian Martin, Aurélie Chabaud (Mission nationale Spares), Anne-Gaëlle Venier, Romane Baroux (Mission nationale Matis), Olivier Lemenand, Sonia Thibaut Jovelin, Jocelyne Caillon, Gabriel Birgand (Mission nationale Primo). ANSM : Karima Hider-Mlynarz, Isabelle Pelanne, Alban Dhanani. Anses : Anne Chevance, Nathalie Jarrige, Lucie Collineau, Sophie Granier, Agnès Perrin-Guyomard, Jean Yves Madec. Assurance maladie : Rémi Pécault-Charby, Anne Sophie Lelong. Haute Autorité de santé (HAS) : Marie-Claude Hittinger, Inserm Univ. Limoges, CHU Limoges, RESINFIT, U1092 : Christophe Dagot, Marie-Cécile Ploy. Société de pathologie infectieuse de langue française : Serge Alfandari, Solen Kerneis, Pierre Tattevin, France Cazenave-Roblot, Emmanuelle Varon, Bernard Castan. Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire : Maxime Jarnoux, Claire Fuentens. Direction Générale Commissariat général au développement durable : Laura Barbier, Céline Couderc-Obert. Ministère de la Santé et de la Prévention : Céline Pulcini, Julien Morin. Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) : Anne-Marie Rogues, Didier Lepelletier, Olivia Keita-Perse, Pierre Parneix, Bruno Grandbastien.
Soumis le : 29.09.2023 // Date of submission: 09.29.2023
Mots-clés : Antibiotiques | Résistance bactérienne | Une seule santé | Prévention | Bon usage
Keywords: Antibiotics | Antimicrobial resistance | One Health | Prevention | Stewardship

Résumé

La synthèse antibiorésistance « One health » coordonnée par Santé publique France et publiée annuellement à l’occasion de la semaine du bon usage des antibiotiques s’inscrit dans la démarche initiée à la fin des années 1990 pour combattre l’antibiorésistance et favoriser un meilleur usage des antibiotiques. Après deux éditions dédiées spécifiquement à la santé humaine, le document a intégré en 2016 la santé animale et l’environnement, dans le cadre de la feuille de route interministérielle 2016.

Les indicateurs retenus dans la synthèse pour leur disponibilité et intérêt en secteurs humain et animal portent sur la consommation d’antibiotiques et la résistance aux céphalosporines de troisième génération et aux fluoroquinolones chez Escherichia coli. Pour l’environnement, la présence d’antibiotiques ou de leurs métabolites, ainsi que la présence de bactéries et de gènes de résistance dans les différents compartiments de l’environnement ciblent en particulier les gènes marqueurs de la présence d’E. coli dans l’environnement et de son caractère de résistance.

Depuis 2016, les consommations d’antibiotiques diminuent. Cette diminution a été très progressive (-7,8% entre 2016 et 2019) en santé humaine et plus importante chez l’animal (-19% entre 2016 et 2019), après une diminution drastique chez l’animal entre 2011 et 2016 (-37%). Dans la même période, les actions favorisant le bon usage se sont multipliées, portées par un réseau d’acteurs en pleine structuration. Malgré cette évolution encourageante, la contamination de l’environnement par des résidus d’antibiotiques est fréquente et atteint souvent des niveaux importants.

Ce document de vulgarisation est destiné aux professionnels de santé non experts pour les informer des actualités et des tendances dans le domaine complexe de la prévention de l’antibiorésistance. Son élaboration a participé au rapprochement des acteurs qui développent aujourd’hui des analyses intégrées. Sensibiliser le grand public et améliorer la disponibilité de données environnementales sont les prochains défis à relever.

Abstract

The “One Health” antimicrobial resistance brochure is produced annually since 2014 in support of the global approach to tackling antimicrobial resistance and promoting better use of antibiotics, as initiated in the 1990s. After two editions devoted to human health, in 2016 the document integrated data from animal health and the environment in coherence with the inter-ministerial road map.

The brochure presents indicators selected for their relevance and availability in the human and animal sectors. These indicators focus on antibiotic consumption and resistance to third-generation cephalosporins and fluoroquinolones in Escherichia coli. For the environment, the presence of antibiotics or their metabolites, and the presence of bacteria and resistance genes in the various compartments of the environment target specifically the marker genes for the presence of E. coli in the environment and its resistance profile.

Since 2016, antibiotic consumption has been decreasing. This decline was very gradual in human health (-7.8% between 2016 and 2019) but more significant in animals (-19% between 2016 and 2019). A drastic decrease in animal antibiotic consumption had already occurred between 2011 and 2016 (-37%). In the same period, the actions of stewardship have increased, supported by a network of actors that is gaining in structure. Despite this promising development, environmental contamination by antibiotics is frequent and often reaches significant levels.

This brochure is intended to raise awareness among non-expert health professionals, helping to inform them of updates and trends in the complex field of antimicrobial resistance prevention. Its elaboration has contributed to improved collaboration between actors who today develop AMR integrated data analyses. Raising awareness among the public and improving the availability of environmental data are the next challenges to address.

Introduction

En France, la prévention de l’antibiorésistance en santé humaine est structurée depuis les années 1990 et plus spécifiquement pour le bon usage des antibiotiques depuis les années 2000. Chez l’animal, le premier plan Écoantibio 1 a été mis en œuvre en 2012.

Dès 1999, une résolution adoptée par le Conseil de l’Europe soulignait que la résistance aux antibiotiques constituait un problème majeur de santé publique. En effet, au cours de ces dernières décennies, la mise sur le marché de nouveaux antibiotiques s’est toujours accompagnée du développement rapide de résistances (figure 1).

Figure 1 : Antibiorésistance : un engrenage de la surconsommation à l’impasse thérapeutique
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Cette résolution a été à l’origine de nombreuses actions, tant au niveau national qu’européen. Sur le plan européen, en santé humaine, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (European Centre for Disease Prevention and Control – ECDC) coordonne deux réseaux de surveillance des consommations antibiotiques et des résistances : Esac-Net pour la consommation antibiotique (1) et EARS-Net pour la résistance aux antibiotiques (2), créés en 2001 et fondés sur les données des réseaux nationaux (3). En santé animale, un réseau de surveillance des consommations d’antibiotiques à usage vétérinaire (4), coordonné par l’Agence européenne des médicaments, a été constitué en 2011. En complément, une surveillance de la résistance aux antibiotiques à l’abattoir et dans les viandes fraîches est coordonnée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).

Depuis 2006, l’ECDC organise chaque année une journée pour la préservation des antibiotiques le 18 novembre, reprise par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2015. À cette occasion, en 2014, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Institut de veille sanitaire ont décidé de publier une synthèse annuelle commune des données de surveillance les plus récentes en santé humaine. L’objectif initial était, d’une part, de disposer d’un document unique regroupant les principaux résultats de surveillance se rapportant aux antibiotiques, à l’instar des rapports produits par d’autres pays, tels que le Danemark 2 et, d’autre part, de mieux valoriser les travaux respectivement conduits par ces deux agences et de leur permettre une plus grande diffusion.

En parallèle, à partir de 2015, l’OMS a promu une approche « One health » (une seule santé) de la prévention de l’antibiorésistance. En effet, les antibiotiques sont utilisés par l’homme et par l’animal, et sont déversés dans l’environnement, ce qui contribue à la diffusion de l’antibiorésistance (figure 2).

En France, la première feuille de route interministérielle pour la prévention de l’antibiorésistance a été publiée en novembre 2016. Prenant en compte cette démarche « One health », le document annuel de synthèse interagences des données de surveillance s’est progressivement étendu à la santé animale puis à l’environnement, complétant son partenariat avec les agences sanitaires, les ministères, les acteurs académiques, les sociétés savantes et les autres acteurs clés de la surveillance, de la prévention et du bon usage des antibiotiques.

Cette synthèse antibiorésistance (ATBR) « One health » (5), qui a désormais huit ans d’existence, fait l’objet d’un premier bilan dans cet article.

Figure 2 : Antibiorésistance : une menace mondiale
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Méthode

Lors de la première édition en 2016, la synthèse ATBR « One health » avait pour cible le grand public averti, comme par exemple les personnes travaillant dans des professions proches de la santé et les professionnels de santé non spécialisés en infectiologie. En 2022, la cible a été modifiée et s’est reportée sur l’ensemble des professionnels : santé humaine, santé animale et environnement.

Les indicateurs présentés ont été sélectionnés pour leur disponibilité. En santé humaine, la consommation d’antibiotiques est mesurée en doses définies journalières et prescriptions/1 000 habitants en ville ou pour 1 000 journées d’hospitalisation en établissements de santé (ES). En ville et en ES, la consommation est stratifiée par classe d’âge et par famille ou groupe de molécules. Les données de ville sont détaillées par Santé publique France à partir du système national de données de santé et pour les ES par la mission de surveillance et de prévention de l’antibiorésistance en établissements de santé (Spares).

Chez les animaux, l’exposition aux antibiotiques est mesurée en Alea (Animal level of exposure to antimicrobials) : il est obtenu en divisant le poids vif traité par la masse animale totale pour une espèce animale donnée. Les tendances de ces indicateurs sont mises en perspective. Pour la santé animale, les données sont détaillées par espèce (bovins, volailles, porcs, chiens-chats…). La consommation d’antibiotiques par molécule est ciblée sur les antibiotiques « critiques », fortement générateurs de résistance.

Concernant la résistance bactérienne, les indicateurs communs choisis sont : la résistance aux céphalosporines de troisième génération et la résistance aux fluoroquinolones chez Escherichia coli (E. coli). Leur évolution est décrite sur 10 ans. Elle est exprimée en proportion de résistance au sein de l’espèce, complétée par des données d’incidence pour 1 000 journées d’hospitalisation en ES.

Les indicateurs sont présentés au niveau national, certaines années au niveau régional et au niveau européen. Pour situer la place de la France en Europe, la synthèse ATBR « One health » s’est appuyée sur les données des quatre réseaux européens déjà mentionnés : EARS-Net, Esac-Net, Esvac et Efsa. Jusqu’en 2019, les données EARS-Net pour la France étaient issues du réseau de l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (Onerba), puis à partir de 2020, de la mission Spares. Les données Esac-Net sont issues des données de ventes d’antibiotiques recueillies par l’ANSM chaque année en ville et en ES. Parallèlement, l’Agence nationale du médicament vétérinaire, intégrée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), recueille et analyse les données de vente d’antibiotiques à usage vétérinaire que déclarent les laboratoires pharmaceutiques. Les données de résistance chez les animaux sains (portage) sont issues du dispositif Efsa, et chez les animaux malades (bactéries isolées d’infections), elles sont issues du Réseau de surveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) piloté par l’Anses. La diffusion des bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe), en particulier les entérobactéries productrices de carbapénémases, est une problématique majeure de santé humaine. Les données des signalements d’infections nosocomiales (via l’outil e-SIN) sont illustrées dans la plupart des numéros. En santé animale, les BHRe ne sont pas au premier plan, car absentes chez les animaux d’élevage et sporadiques chez les animaux de compagnie.

Pour l’environnement, les données rapportées chaque année depuis 2016 concernent la présence d’antibiotiques ou de leurs métabolites, et la présence de bactéries et gènes de résistance dans l’environnement (eaux usées, eaux de surface et sols notamment). Le choix des travaux relayés est guidé par les indicateurs retenus en santé humaine et animale, ciblant en particulier E. coli résistant et les gènes de résistance marqueurs de sa présence dans l’environnement, ainsi que la présence d’antibiotiques d’usage courant en santé humaine ou animale.

Enfin, la synthèse ATBR « One health » relaye les outils, projets, et évaluations disponibles concernant le bon usage et la prévention des infections, incluant la formation des professionnels et la sensibilisation du grand public à l’antibiorésistance.

De 2016 à 2018, la publication de la synthèse ATBR « One health » a été relayée par chaque agence contributrice. Depuis 2019, à la demande du ministère de la Santé et de la Prévention, la communication est plus largement portée par Santé publique France. En 2022, sa sortie s’est articulée avec la campagne de marketing social pédagogique sur le bon usage des antibiotiques (6).

Résultats

Indicateurs de surveillance en santé humaine et animale

Depuis 2016, on observe une diminution des consommations d’antibiotiques en santé humaine et de l’exposition (Alea) des animaux de rente et de compagnie en santé animale. Chez l’homme, cette diminution a été très progressive (-7,8% entre 2016 et 2019), alors que chez l’animal, on a observé une poursuite importante de la baisse (-16,5% entre 2016 et 2021), drastique entre 2011 et 2016 (-37%) après le premier plan Écoantibio 3.

En santé humaine, la diminution de la consommation d’antibiotiques a été modérée jusqu’en 2019 (figures 3a et 3b). En 2020, une diminution importante de la consommation d’antibiotiques a été observée. La forte baisse constatée résulte en grande partie des mesures prises pour contenir la pandémie de Covid-19 (confinements et gestes barrières en particulier). La consommation a de nouveau augmenté, modérément en 2021 et fortement en 2022, dans le secteur de ville 4.

Concernant les résistances bactériennes, les indicateurs choisis ont montré des tendances contrastées : en santé humaine, la résistance aux céphalosporines de troisième génération (C3G) chez E. coli a diminué, après avoir augmenté en ville et en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) jusqu’en 2014 et jusqu’en 2016 en ES. La résistance aux fluoroquinolones a diminué sur toute la période 2012-2021 en ES et de façon plus marquée en Ehpad, mais elle était en augmentation en secteur de ville. En santé animale, parmi les souches isolées d’infection (données Résapath), la résistance aux C3G et la résistance aux fluoroquinolones chez E. coli ont fortement diminué dans toutes les espèces, sauf chez les équidés (figure 4). Les données issues de e-SIN montrent une augmentation régulière des signalements de BHRe jusqu’en 2019. Ces signalements ont chuté en 2020. Cette évolution a également été observée par le Centre national de référence pour la résistance aux antibiotiques 5.

Figure 3a : Prescription d’antibiotiques de 2011 à 2021, par classe d’âge et pour toute la population en secteur de ville
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Figure 3b : Exposition aux antibiotiques de 2011 à 2021 par espèce animale
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Figure 4 : Évolution sur 10 ans de la résistance aux antibiotiques chez E. coli en santé humaine et animale
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Indicateurs de surveillance dans l’environnement

En 2018, une infographie réalisée à partir d’une publication de 2009 6 montre que tous les milieux sont contaminés par des molécules d’antibiotiques et métabolites variés, principalement au niveau des effluents hospitaliers, urbains et industriels. Une autre infographie (figure 5) montre parallèlement que la présence de bactéries résistantes et de gènes de résistance bactérienne aux antibiotiques prédomine au niveau des effluents urbains et hospitaliers.

Les données les plus nombreuses concernent la présence d’antibiotiques dans les eaux de surface, dont la détection relève de la directive-cadre sur l’eau (DCE) 7,8. En 2019, les données du réseau Naïade (7) concernant la dissémination d’antibiotiques dans les eaux de surface étaient présentées dans la synthèse ATBR « One health ». Il y figurait 7 antibiotiques et 1 biocide (figure 6). Malgré certaines limites techniques, les données issues de cette surveillance constituent un jeu de données inédit.

Les deux dernières éditions de la synthèse ATBR « One health » rapportent comment la surveillance de l’antibiorésistance dans l’environnement se structure au niveau national, plus particulièrement sous l’impulsion du groupe AMR-Env du méta-réseau Promise et grâce à la mise en œuvre de la DCE. Le méta-réseau Promise, piloté par l’Inserm (8), permet également de développer des coopérations « One health » en rapprochant les réseaux de surveillance.

Figure 5 : Dissémination des gènes de résistance aux antibiotiques des bactéries présentes dans l’environnement
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Figure 6 : Dissémination des antibiotiques mesurée dans les eaux de surface (cours d’eau) en France. Données 2016-2019, Réseau Naïade, Office français de la biodiversité
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Situation de la France en Europe

En termes de consommation d’antibiotiques et de résistance bactérienne en santé humaine ou d’exposition aux antibiotiques des animaux, et malgré les évolutions observées, le rang de la France est globalement resté stable au fil des années.

En santé humaine, la France était en 2021 le quatrième pays européen le plus consommateur d’antibiotiques dans le secteur de ville 9. Son classement a évolué entre la première et la cinquième place durant ces vingt dernières années. Aucun changement majeur n’a été observé en Europe : quelle que soit l’année considérée, ce sont les mêmes pays qui se caractérisent soit par le niveau modéré, soit par le niveau élevé de leur consommation d’antibiotiques. Dans le secteur hospitalier, cependant, la consommation française est proche de la moyenne européenne.

Concernant la résistance aux C3G parmi les souches de E. coli isolées d’hémocultures, la France se situait en 2021 au neuvième rang des pays présentant les valeurs les plus faibles et, durant la période 2001-2020, son classement a fluctué entre le septième et le onzième rang. En revanche, concernant la résistance des entérobactéries aux carbapénèmes, la France reste bien placée, avec des taux de résistance autour de 1% selon l’espèce bactérienne.

En santé animale, avec une consommation de 56,6 mg/PCU (population correction unit) en 2020, la France se situait en dessous de la moyenne européenne des consommations d’antibiotiques, estimée à 89,0 mg/PCU 10. Cette position était plutôt stable, car la plupart des pays européens se sont également engagés dans une démarche de réduction des utilisations d’antibiotiques ; ainsi, entre 2011 et 2020, les quantités d’antibiotiques vendues au niveau européen ont diminué de 43,2%. La surveillance de la résistance bactérienne au niveau européen vise essentiellement la chaîne alimentaire (portage de bactéries résistantes par des animaux d’élevage sains) ; elle a montré que la France se situait à un niveau intermédiaire en Europe (par exemple, en quinzième position des pays de l’Union Européenne/Espace économique européen avec la plus forte proportion de souches d’E. coli complètement sensibles à un panel de neuf classes d’antibiotiques chez le poulet en 2020). En complément, une surveillance de la résistance en médecine vétérinaire (animaux malades) est en cours de structuration dans le cadre du réseau EARS-Vet, dont l’état d’avancement est présenté dans la synthèse ATBR « One health » de 2022. Près de la moitié des pays européens interrogés rapportent avoir un système de surveillance de l’antibiorésistance chez les bactéries pathogènes des animaux. Ces travaux conduits dans le cadre de l’action conjointe européenne sur la résistance aux antimicrobiens et les infections associées aux soins (EU-Jamrai) 2019-2022 constituent une valorisation à l’échelle européenne de l’expérience de plus de quarante ans du réseau français Résapath (9).

Prévention de l’antibiorésistance

La synthèse ATBR « One health » présente chaque année des actions de prévention conduites en santé humaine, animale et dans l’environnement. En santé humaine comme en santé animale, deux axes principaux ressortent : le respect des mesures d’hygiène pour le contrôle des infections et le bon usage des antibiotiques. Les actions de bon usage relayées incluent la promotion des tests rapides d’orientation diagnostique, la promotion de la légitimité du praticien à ne pas prescrire d’antibiotiques lorsque leur usage n’est pas nécessaire, en particulier en cas d’infections non bactériennes, et la promotion des outils d’aide à la prescription pour ajuster au mieux les prescriptions nécessaires. Enfin, plusieurs éditions de la synthèse ATBR « One health » ont rapporté des actions de sensibilisation des différents publics à l’antibiorésistance et la nécessité de préserver l’efficacité des antibiotiques, notamment l’édition 2019, avec une page spécifique dédiée à cette thématique.

Au fil des années, la synthèse ATBR « One health » a rendu compte de plusieurs évolutions structurantes dans le domaine de l’antibiorésistance. En santé humaine, la création de cinq missions nationales pour la surveillance et la prévention des infections associées aux soins et de l’antibiorésistance a permis de développer le volet prévention en parallèle de la surveillance de la résistance et de la consommation antibiotique dans les trois secteurs de soin.

La Direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France a été chargée de conduire une campagne de sensibilisation du grand public sur l’antibiorésistance. Les études préliminaires ont mis en évidence un faible niveau de connaissance de la population sur ce sujet.

Le dispositif de marketing social, initié en 2022, se déroule en plusieurs étapes : de 2022 à 2024, les messages doivent promouvoir les outils d’aide à la prescription auprès des professionnels de santé. « Les antibiotiques, bien (se) soigner, c’est d’abord bien les utiliser » est le slogan retenu pour la population et les professionnels de santé. En 2025, l’objectif sera de mieux sensibiliser le grand public à l’antibiorésistance et au risque de perte d’efficacité des antibiotiques.

Enfin, l’intégration du bon usage des antibiotiques dans la stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance s’est accompagnée de la création du réseau de centres régionaux en antibiothérapie (CRATB) par le décret no 2022-1445 du 18 novembre 2022.

Ces centres constituent un nouveau levier d’action pour préserver l’efficacité des antibiotiques en ville comme en ES et en Ehpad.

Le plan Écoantibio 8 s’est attaché à consolider les efforts de la profession vétérinaire pour un bon usage des antibiotiques. Un réseau de vétérinaires référents en antibiothérapie, incluant un référent par filière animale, a été constitué en 2017 (10) apportant aux praticiens un appui pour optimiser leurs prescriptions. Un guide d’hygiène pour les établissements vétérinaires a été rédigé par un groupe de travail « Qualitevet » 11. Ces éléments ont été présentés dans l’édition 2021 de la synthèse ATBR « One health ».

Depuis 2017, la communication s’effectue auprès des vétérinaires et leur patientèle à l’aide de divers supports, notamment des affiches portant le slogan : « les antibios, comme il faut, quand il faut ».

La prévention de l’impact des biocides dans l’émergence des résistances bactériennes dans l’environnement est prévue dans le cadre du PNSE4 12. Certains éléments de ce plan sont décrits dans l’édition 2021 de la synthèse ATBR « One health ».

Discussion

Depuis sa création, ce document de synthèse annuelle a présenté un grand nombre d’informations se rapportant aux actions de surveillance et de prévention de l’antibiorésistance. Ainsi a-t-il permis, pour la première fois en France, de mettre en perspective des données humaines, animales et environnementales. À l’heure de la mise en place de la nouvelle feuille de route interministérielle, ce document constitue un historique appréciable.

Une étude d’impact, conduite auprès d’un panel de 103 professionnels des trois secteurs dans le cadre du projet Surv1Health a révélé un vif intérêt pour cette synthèse « One health » (données non publiées). Ainsi, 96% des répondants se disaient intéressés par les résultats de la surveillance issus d’autres secteurs que le leur. 92% estimaient que la synthèse ATBR « One health » avait une valeur ajoutée en comparaison de rapports individuels ou sectoriels. Les participants à l’enquête rapportaient utiliser la synthèse ATBR « One health » pour différents usages, en particulier pour mieux connaître les acteurs impliqués dans la surveillance de l’antibiorésistance en France (figure 7). Néanmoins, 35% des répondants n’avaient jamais entendu parler de la synthèse ATBR « One health » avant l’enquête. Ce dernier résultat invite à améliorer la visibilité et la diffusion du document auprès des professionnels des trois secteurs.

Figure 7 : Évaluation de la synthèse antibiorésistance « One health »
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Le document permet de comparer grâce à des indicateurs communs les effets des différents plans sur l’évolution des consommations antibiotiques et des résistances, mettant en évidence, en particulier, l’efficacité des mesures réglementaires prises dans le secteur vétérinaire. Il montre cependant que cette mise en perspective est difficile pour plusieurs raisons :

les antibiotiques utilisés chez l’homme et l’animal ne sont pas toujours les mêmes ;

les indicateurs de consommation sont différents, permettant uniquement de comparer des évolutions ;

les liens entre l’homme et l’animal pour la transmission de l’antibiorésistance sont encore peu documentés, et ils le sont encore moins avec l’environnement.

Par ailleurs, concernant l’environnement, la surveillance est encore à l’étape de la recherche. Les indicateurs demeurent très variés selon les substances, les gènes de résistances et les milieux. La structuration d’une surveillance avec des méthodes standardisées, des indicateurs pertinents partagés et une couverture nationale des différents compartiments de l’environnement (sols, sédiments, eaux de surface, eaux souterraines, etc.) est en cours.

Plusieurs projets ont mis en perspective les données de surveillance de la résistance et de la consommation d’antibiotiques chez l’homme et l’animal, notamment dans un contexte international (projet Tricycle 13). Dans le cadre de Promise, une mise à plat de l’ensemble des réseaux de surveillance a été entreprise et publiée (projet Surv1health 14). Ce travail a montré la complexité et la multiplicité des réseaux de surveillance, notamment en santé humaine.

Les initiatives internationales, telles que EU-JAMRAI2, qui débutera en 2024, les actions du G7 dans ce domaine, ainsi que le soutien de l’Europe à la recherche, notamment via le programme international d’initiative européenne, le « Joint Programming Initiative on Antimicrobial Resistance » (JPI-AMR) se poursuivent et se renforcent. Ainsi, à partir de 2024, un nouveau partenariat européen prendra la suite du JPIAMR (11)). Ce type d’initiatives devrait contribuer à impulser une nouvelle dynamique dans ce secteur.

En France, la nouvelle feuille de route interministérielle est porteuse d’espoir pour l’apparition de projets de développement des connaissances sur les interactions homme-animal-environnement, qui favorisent la diffusion de l’antibiorésistance.

Les actions de prévention en santé animale, qui ont eu un effet très important sur la consommation d’antibiotiques, ont été portées par les différents plans Écoantibio. En santé humaine, la première campagne d’information conduite par l’Assurance maladie, « Les antibiotiques, c’est pas automatique ! », au cours des hivers 2002-2003 et 2003-2004 a permis de diminuer la consommation d’antibiotiques de 22% entre 2000 et 2004 15. Les deux campagnes suivantes ont eu beaucoup moins d’effets. Le suivi des indicateurs permettra d’évaluer l’efficacité de la campagne en cours portée par Santé publique France dans le cadre de la stratégie nationale 2022-2025.

Conclusion

La synthèse ATBR « One health » est un document de vulgarisation destiné aux professionnels de santé non experts pour les informer sur les actualités et les tendances dans le domaine très complexe de la prévention et de la surveillance de l’antibiorésistance. Deux défis restent encore à relever, au-delà du cadre de ce document annuel : mieux sensibiliser le grand public à cette problématique, et obtenir des données environnementales permettant de mieux comprendre le rôle de ce secteur dans la diffusion de l’antibiorésistance.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier Nikky Millar pour la conduite de l’évaluation de la synthèse ATBR « One health » auprès d’un panel de professionnels de santé humaine, animale et environnementale. Ce travail a été réalisé en 2021 dans le cadre du projet Surv1Health, coordonné par l’Anses et Santé publique France.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Écoantibio 2 : plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire (2017-2022). Paris: Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. https://agriculture.gouv.fr/le-plan-ecoantibio-2-2017-2022
2 Birgitte Borck Høg, Ute Wolff Sönksen. DANMAP 2021. Use of antimicrobial agents and occurrence of antimicrobial resistance in bacteria from food animals, food and humans in Denmark. Copenhagen; National Food Institute, Technical University of Denmark, Statens Serum Institute: 2022. 176 p.
3 Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Plan ÉcoAntibio 2012-2017 : lutte contre l’antibiorésistance 7. Paris: Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. https://agriculture.gouv.fr/plan-ecoantibio-2012-2017-lutte-contre-lantibioresistance
4 Cavalié P, Ben Hmidene G, Maugat S, Berger-Carbonne A. Évolution de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville en France entre 2012 et 2022. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(22-23):451-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/22-23/2023_22-23_1.html
5 Jousset AB, Emeraud C, Bonnin RA, Naas T, Dortet L. Caractéristiques et évolution des souches d’entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC) isolées en France, 2012-2020. Bull Épidémiol Hebd. 2021;(18-19):351-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_4.html
6 Segura PA, François M, Gagnon C, Sauvé S. Review of the occurrence of anti-infectives in contaminated wastewaters and natural and drinking waters. Environ Health Perspect. 2009;117(5):675-84.
7 Parlement européen. Protection et gestion des eaux. Strasbourg: Parlement européen. https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/74/protection-et-gestion-des-eaux
8 République française. Arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodes et critères d’évaluation de l’état écologique, de l’état chimique et du potentiel écologique des eaux de surface pris en application des articles R. 212-10, R. 212-11 et R. 212-18 du code de l’environnement. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000021865356
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12 Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Le plan national santé environnement (PNSE). Le 4e plan santé environnement : « Un environnement, une santé » (2021-2025). Paris: Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Mis à jour le 24 octobre 2023. https://www.ecologie.gouv.fr/plan-national-sante-environnement-pnse
13 Organisation mondiale de la santé. Global tricycle surveillance E. coli BLSE. WHO integrated global surveillance on ESBL-producing E. coli using a “One Health” approach: Implementation and opportunities. Genève: OMS; 2021. 76 p. https://www.who.int/publications/i/item/9789240021402
14 Collineau L, Bourély C, Rousset L, Berger-Carbonne A, Ploy MC, Pulcini C, et al. Towards One Health surveillance of antibiotic resistance: Characterisation and mapping of existing programmes in humans, animals, food and the environment in France, 2021. Euro Surveill. 2023;28(22):pii=2200804.
15 Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. La consommation des Antibiotiques en France de 2000 à 2020. Saint-Denis: ANSM; 2023. 46 p. https://ansm.sante.fr/uploads/2023/07/26/20230726-rapport-antibiotiques-periode-2000-2020.pdf

Citer cet article

Maugat S, Cavalié P, Berger-Carbonne A, groupe de travail « Synthèse Antibiorésistance « One health ». Surveillance et prévention « One health » de la résistance aux antibiotiques en France. Bilan 2016-2022 de la synthèse annuelle coordonnée par Santé publique France. Bull Épidemiol Hebd. 2023;(22-23):494-503. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/22-23/2023_22-23_7.html