Évolution de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville en France entre 2012 et 2022

// Evolution of antibiotic consumption in the ambulatory sector in France 2012–2022

Philippe Cavalié (philippe.cavalie@santepubliquefrance.fr), Ghaya Ben Hmidene, Sylvie Maugat, Anne Berger-Carbonne
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 04.07.2023 // Date of submission: 07.04.2023
Mots-clés : Antibiotiques | Consommation | Covid-19 | Prescription | Secteur de ville
Keywords: Antibiotics | Consumption | COVID-19 | Prescription | Primary care

Résumé

L’analyse des consommations et des prescriptions d’antibiotiques dans le secteur de ville avait déjà fait l’objet d’un article dans le numéro du BEH consacré à l’antibiorésistance en 2021. Celui-ci en actualise les résultats. Il confirme que les prescriptions d’antibiotiques diminuent, mais montre également que l’impact de la pandémie de Covid-19 sur celles-ci s’est limité à l’année 2020. En 2021, une hausse de 4,9% de la consommation d’antibiotiques, exprimée en nombre de doses définies journalières (DDJ), et une augmentation de 6,2% du nombre de prescriptions ont été observées. En 2022, ces taux ont été encore plus élevés : respectivement 14% et 16,6%. Ces niveaux demeurent toutefois un peu inférieurs à ceux de 2019. Les résultats confirment également que les évolutions diffèrent en fonction de l’âge. Ainsi, la baisse de la consommation en DDJ la plus forte a été chez les enfants de cinq à quatorze ans, malgré une très forte reprise en 2022.

En restreignant la diffusion des maladies infectieuses, les gestes barrières et le confinement de la population avaient concouru à une moindre prescription d’antibiotiques en 2020. Toutefois, ces facteurs ont peu joué en 2021 et en 2022. Les gestes barrières ont été allégés ou rendus facultatifs et une reprise des pathologies hivernales a été observée. Ces épidémies ont contribué à la forte progression de la consommation en fin d’année 2022. En effet, les syndromes grippaux se sont caractérisés en 2022-2023 par une épidémie exceptionnellement longue. De même, une recrudescence des bronchiolites est observée depuis deux ans.

Dans ce contexte de reprise, le renforcement des programmes d’action mis en place pour favoriser le bon usage des antibiotiques et en diminuer la consommation demeure plus que jamais une nécessité.

Abstract

An analysis of antibiotic consumption and prescriptions in primary care was presented in the 2021 BEH issue dedicated to antibiotic resistance. This article updates the results. Herein, we confirm that antibiotic prescriptions are decreasing and show that the impact of the COVID-19 pandemic on such prescriptions was limited to 2020. In 2021, a 4.9% increase in antibiotic consumption (expressed in number of defined daily doses, DDD) and a 6.2% increase in number of prescriptions were observed. In 2022, these rates were even higher: 14% and 16.6%, respectively. However, these levels still remain slightly lower than those observed in 2019. The results also confirm different trends according to age. Thus, the greatest decrease in DDD consumption was among children aged 5 to 14 years, despite a very sharp rebound in 2022.

By restricting the spread of infectious diseases, the protective measures and lockdowns contributed to a lower number of antibiotic prescriptions in 2020. But these factors had little effect in 2021 and 2022. Protective measures had been eased or made optional and a resurgence of winter pathologies occurred. These epidemics contributed to the strong increase in consumption observed in late 2022. Influenza-like illness was indeed characterized in 2022–2023 by an exceptionally long epidemic. Similarly, an upsurge in bronchiolitis has been observed for the past 2 years.

Against this backdrop of recovery, it is more important than ever to strengthen the initiatives put in place to promote appropriate use of antibiotics and reduce consumption.

Introduction

Orientée vers une baisse entre 2012 et 2019 1, la consommation d’antibiotiques (ATB) a fortement diminué en 2020. Cette diminution résultait en grande partie des nombreuses mesures prises pour contenir la pandémie de Covid-19, et notamment du confinement de la population pendant 100 jours.

Portant sur les résultats de la période 2012-2022, cet article a pour objectif de décrire les caractéristiques de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville et d’actualiser les données déjà présentées dans le BEH thématique consacré en 2021 à l’antibiorésistance en France 2. L’étude de l’évolution récente des consommations doit également permettre d’établir si la pandémie de Covid-19 a seulement provoqué une brève rupture de tendance, sans impact durable.

Matériel et méthodes

Les données utilisées proviennent du Système national des données de santé (SNDS). Elles concernent les remboursements de tous les antibiotiques à usage systémique (codés « J01 » selon la classification anatomique, thérapeutique et chimique) qui sont délivrés en ville, quelle que soit l’origine de la prescription et quel que soit le régime d’affiliation de l’assuré. Elles intègrent les remboursements effectués dans les départements d’outre-mer.

Ces données incluent les prescriptions hospitalières lorsque celles-ci sont honorées par les officines de ville. De même, les prescriptions destinées à des patients résidant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont prises en compte lorsque l’Ehpad ne dispose pas d’une pharmacie à usage intérieur.

Les médicaments remboursés par l’assurance sont identifiés dans le SNDS par leur Code identifiant de présentation. En conséquence, les préparations magistrales autorisées fin 2022 pour pallier les ruptures de stock d’amoxicilline n’ont pu être prises en compte car elles ne disposent pas de cet identifiant.

Deux indicateurs ont été retenus pour mesurer la consommation. Le premier porte sur le nombre de doses définies journalières (DDJ) consommées. Définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la DDJ constitue une posologie de référence pour un adulte de 70 kilos. Afin de disposer de séries homogènes, les résultats présentés ont tous été calculés sur la base des DDJ en vigueur au 1er janvier 2023.

Le second indicateur de la consommation porte sur le nombre de prescriptions et recense le nombre total d’antibiotiques prescrits au cours de la période considérée. Si deux antibiotiques sont prescrits sur une même ordonnance, deux prescriptions sont comptabilisées, même si elles correspondent à un seul traitement.

Ces indicateurs sont exprimés pour 1 000 habitants et par jour pour les DDJ, et pour 1 000 habitants et par an pour les prescriptions. Le dénominateur de ce dernier indicateur a été modifié car la plupart des travaux internationaux conduits sur les prescriptions rapportent les prescriptions à 1 000 habitants et par an. Les données démographiques utilisées proviennent de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Afin de prendre en compte l’évolution de l’activité des professionnels de santé libéraux, un indicateur complémentaire rapportant le nombre de prescriptions d’antibiotiques au nombre de consultations et visites tous régimes a été calculé pour les années 2019 à 2022.

Analyse statistique

La tendance des indicateurs est mesurée par projection d’une fonction polynomiale ajustée sur les années précédentes (2012 à 2019). En ce qui concerne l’impact de la pandémie sur les consommations d’antibiotiques, les résultats des années 2020, 2021 et 2022 ont été comparés à ceux qui auraient été obtenus en projetant la tendance observée de 2012 à 2019 inclus. Les valeurs attendues pour ces trois dernières années représentent donc ce qui aurait été théoriquement obtenu si la pandémie de Covid-19 n’avait pas eu lieu et si la situation épidémiologique n’avait pas changé. Le différentiel entre la valeur observée en 2020 et la valeur attendue correspond à l’impact estimé de la Covid-19 en 2020. En 2021 et en 2022, ce différentiel aide à mieux mesurer l’ampleur des variations par rapport aux résultats attendus.

Résultats

Quel que soit l’indicateur étudié, l’utilisation d’antibiotiques à usage systémique a diminué entre 2012 et 2022 (figures 1 et 2). En effet, la consommation exprimée en DDJ a baissé de 1,24% par an en moyenne entre 2012 et 2022. Elle n’a toutefois été réellement orientée à la baisse qu’à partir de 2017 et s’est caractérisée par une forte diminution en 2020. Elle a ensuite augmenté en 2021 et 2022 (tableau 1). Le nombre de prescriptions a également diminué durant la même période, mais à un rythme plus soutenu : 2,17% par an en moyenne (tableau 2). Une diminution régulière a été observée entre 2012 et 2019, puis une forte baisse en 2020. Les prescriptions ont cependant de nouveau augmenté en 2021 et en 2022.

Figure 1 : Évolution de la consommation et des prescriptions d’antibiotiques dans le secteur de ville, par année, France, 2012-2022
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Figure 2 : Consommation d’antibiotiques par sexe, classe d’âge et année, France, 2012-2022
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Tableau 1 : Évolution de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville, exprimée en nombre de DDJ/1 000 hab/j, par classe et année, France, 2012-2022
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Tableau 2 : Évolution des prescriptions d’antibiotiques dans le secteur de ville, exprimées en nombre de prescriptions/1 000 hab/an, par classe et année, France, 2012-2022
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En 2022, en raison de l’augmentation des consommations et des prescriptions en 2021 puis en 2022, les valeurs mesurées étaient supérieures aux valeurs théoriquement attendues (figures 1 et 2). L’impact de la forte baisse de 2020 a donc été effacé. En nombre de DDJ, la consommation était supérieure de 6,1% à celle qui aurait été constatée si la tendance observée jusqu’en 2019 s’était poursuivie jusqu’en 2022. En nombre de prescriptions, le différentiel s’élevait à 11,0%.

Dans le secteur de ville, l’utilisation des pénicillines à large spectre (J01CA) se confondait presque avec celle de l’amoxicilline. En effet, l’amoxicilline représentait en 2022 97,5% des DDJ et 97,1% des prescriptions de cette famille d’antibiotiques. Plus d’une prescription d’ATB sur 3 portait en 2022 sur l’amoxicilline. Entre 2012 et 2022, sa part est passée de 26,0 à 37% en DDJ et de 25,5 à 35,5% en prescriptions. Par ailleurs, un nombre restreint de substances actives représentait une part de plus en plus importante de la consommation d’antibiotiques, que ce soit en DDJ ou en prescriptions. Ainsi, en 2022, les 3 substances actives les plus utilisées (amoxicilline, amoxicilline/acide-clavulanique et doxycycline) représentaient 68% de la consommation en DDJ et 59,2% en prescriptions. Les 10 premières constituaient 86,8% en DDJ et 85,4% en prescriptions. En 2012, les parts des trois premières et des 10 premières substances actives les plus utilisées étaient respectivement de 50,2% et de 78,3% en DDJ et de 51,2% et de 76,5% en prescriptions. Au sein de la famille des macrolides, il faut relever une forte progression de l’azithromycine entre 2012 et 2022 (+57% en DDJ et +45,3% en prescriptions – données non présentées) qui s’est accélérée pendant la pandémie : sa consommation exprimée en DDJ a progressé de 12,7% entre 2019 et 2020, de 12,1% entre 2020 et 2021 et de 29,2% entre 2021 et 2022. L’azithromycine est ainsi devenue le quatrième antibiotique le plus consommé en 2022. Malgré l’augmentation générale de la consommation d’antibiotiques, l’utilisation des tétracyclines a diminué en 2022 et se situait même à un niveau inférieur à celui de 2020, que ce soit en DDJ ou en prescriptions. Au sein des « autres bêta-lactamines » (J01D), la forte progression de la consommation des céphalosporines de troisième génération entre 2021 et 2022, s’élevant à +15,5% en DDJ (données non présentées), doit être notée. Cette hausse a particulièrement concerné deux céphalosporines orales : le cefixime et le cefpodoxime.

Les niveaux de consommation, mais également les rythmes d’évolution, diffèrent selon les classes d’âges (tableaux 3 et 4). Ainsi, entre 2012 et 2022, la baisse de la consommation en DDJ la plus forte était chez les enfants de cinq à quatorze ans, malgré une reprise de très grande ampleur des consommations en 2022 (+41,8% par rapport à 2021). Ainsi, pour cette classe d’âge, les consommations en DDJ et en prescriptions ont retrouvé en 2022 les niveaux de 2019. En revanche, pour les enfants de 0 à 4 ans, les consommations 2022 étaient supérieures à celles de 2019, quel que soit l’indicateur. Cette classe d’âge présente également une particularité : les prescriptions ont baissé beaucoup plus fortement que les consommations (DDJ) sur l’ensemble de la période (-24,7% contre -9,2%). Pour toutes les autres classes d’âge, les évolutions étaient assez homogènes et se traduisaient par des baisses modérées, de l’ordre de 1 à 2% en moyenne annuelle, que ce soit en DDJ ou en prescriptions.

Tableau 3 : Consommation d’antibiotiques exprimée en nombre de DDJ/1 000 hab/j, par classe d’âge et année, France, 2012-2022
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Tableau 4 : Nombre de prescriptions d’antibiotiques/1 000 hab/an, par classe d’âge et année, France, 2010-2022
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Les figures 2 et 3 montrent également que le niveau de consommation n’est pas seulement lié à l’âge du patient, mais également à son sexe. Sur l’ensemble de la période, les femmes ont eu en moyenne 30% de prescriptions d’antibiotiques de plus que les hommes (938,3 contre 697,8 en 2022). Toutefois, lorsque la consommation est mesurée en DDJ et se rapporte aux personnes âgées de 65 ans et plus, elle est supérieure chez les hommes.

Figure 3 : Prescriptions d’antibiotiques par sexe, classe d’âge et année, France, 2012-2022
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Les prescriptions initiées par les médecins généralistes (tableau 5) sont prédominantes : elles représentaient 75,5% des prescriptions totales en 2022. Elles ont diminué au cours de ces dix dernières années de 2,7% par an en moyenne (données non corrigées de la tendance). Compte tenu de la part prépondérante des généralistes, l’ensemble des prescriptions a diminué à un rythme proche de celui observé pour les généralistes (-2,2%). Cependant, les prescriptions des médecins spécialistes ont diminué à un rythme beaucoup plus faible (-1%) que celui des généralistes. Quant aux chirurgiens-dentistes (12,3% en 2022), leurs prescriptions ont régulièrement progressé depuis 2012 et, malgré la baisse observée en 2020, elles reviennent à un niveau légèrement supérieur à celui atteint en 2019. Les prescriptions des autres professionnels de santé étaient marginales, représentant 0,2% des prescriptions totales en 2022. Ce sont principalement des prescriptions établies par des sages-femmes, dont le nombre de consultations progresse chaque année 3.

Tableau 5 : Nombre de prescriptions d’antibiotiques/1 000 hab/j, par catégorie de prescripteur dans le secteur de ville, France, 2012-2022
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Les très légers écarts observés avec les totaux des tableaux 1 et 4 sont dus à quelques prescriptions dont l’origine n’a pu être identifiée.

La figure 4 retrace l’évolution au cours de la période 2019-2022 du nombre de prescriptions d’antibiotiques rapporté au nombre de consultations et visites des professionnels de santé libéraux habilités à prescrire des antibiotiques. Elle met en évidence que ce taux de prescription a fortement baissé en 2020, est resté stable en 2021, et a de nouveau augmenté en 2022.

Figure 4 : Taux de prescription d’antibiotiques par consultation et visite, France, 2019-2022
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Discussion

La forte baisse des prescriptions observée en 2020 a été en partie attribuée à un moindre recours aux soins, qui résultait lui-même de plusieurs facteurs. En premier lieu, les deux périodes de confinement, ainsi que les gestes barrières, ont contribué à une moindre diffusion des maladies infectieuses et ont donc concouru à ce que les consultations et visites diminuent (-8,7% en 2020). D’autre part, le confinement de la population a rendu plus difficile l’accès aux soins et a conduit, dans certains cas, des patients à ne pas consulter. En 2021, puis surtout en 2022, ces différents facteurs ont disparu. En effet, en ce qui concerne les gestes barrières, le port obligatoire du masque dans les écoles a été abrogé en mars 2022, puis dans les transports en commun, mi-mai 2022. La progression des consultations et visites a cependant été modérée en 2022 (+1,7%, contre +6,3% en 2021 pour le régime général) et le nombre de consultations et visites est demeuré en 2022 un peu inférieur à celui de 2019. Néanmoins, lorsque l’on met en regard de ces données générales l’indicateur présenté sur la figure 4 – qui relie directement les prescriptions d’antibiotiques aux consultations et visites – il apparaît que la reprise de la consommation en 2022 ne s’explique principalement pas par un recours accru au système de santé, mais bien davantage par une prescription plus fréquente d’antibiotiques lors d’une consultation ou d’une visite, notamment pour traiter des pathologies – souvent hivernales – courantes.

Toutefois, l’analyse de la consommation et de la prescription d’antibiotiques présentée dans cet article repose exclusivement sur les données de remboursement de l’Assurance maladie. Ces données ne comportent pas d’éléments de diagnostic qui permettraient d’étudier une corrélation entre la prévalence des maladies infectieuses dans leur ensemble et l’usage des antibiotiques. De telles données de prévalence ne sont, en effet, pas disponibles, bien que des travaux aient procédé à des estimations concernant les prescriptions d’antibiotiques associés aux virus hivernaux 4. Plusieurs surveillances ciblées sur certaines pathologies fournissent néanmoins des éléments d’interprétation. En ce qui concerne les syndromes grippaux, dont le taux d’incidence exerce un impact sur le niveau des consommations d’antibiotiques 5, aucune épidémie de grippe au cours de la saison 2020-2021 n’a été recensée et l’incidence calculée pour la saison 2021-2022 a été la plus faible de ces 10 dernières années 6 La forte reprise de la consommation observée au cours du second semestre 2021 puis au début de l’année 2022 ne peut donc pas être expliquée par une recrudescence importante des syndromes grippaux. En revanche, la saison 2022-2023 s’est caractérisée par une épidémie exceptionnellement longue et précoce 7 (dès novembre) qui a contribué à la forte progression de la consommation observée en fin d’année. De même, l’épidémie de bronchiolite en 2020-2021 a été d’une amplitude très inférieure à celle de la saison précédente. Cependant, l’amplitude de la saison 2021-2022 a été très nettement supérieure à celle des années précédentes : les données portant sur la saison 2022-2023 mettent aussi en évidence une recrudescence des bronchiolites 8 chez les jeunes enfants. Ces épidémies peuvent expliquer l’augmentation de la consommation d’antibiotiques dans cette classe d’âge. De surcroît, les gastro-entérites aigües – qui peuvent donner lieu à des traitements antibiotiques, même si elles sont très majoritairement d’étiologie virale – ont retrouvé des niveaux comparables à ceux d’avant la pandémie 9. Enfin, fin 2022, des infections invasives à Streptococcus pyogenes se sont développées et ont principalement concerné des enfants de moins de 10 ans dans plusieurs régions en France 10. Elles pourraient également avoir contribué à la hausse observée fin 2022.

Sur le plan international, la forte baisse de la consommation dans le secteur de ville en 2020 n’a pas contribué à rapprocher la consommation française de la moyenne européenne. En effet, des baisses importantes ont également été observées en 2020 dans la plupart des pays : la consommation exprimée en DDJ a diminué de 17,6% 11 dans le secteur de ville des 29 pays intégrés au réseau Esac-net. De plus, en 2021, la consommation d’antibiotiques dans le secteur ambulatoire est restée stable en Europe 12 à 15 DDJ/1 000 H/J. Il en résulte que l’écart entre la consommation observée en France et la moyenne européenne s’est même accentué au cours de ces dernières années : 32,6% en 2021, contre 29,4% en 2019.

L’utilisation préférentielle de quelques antibiotiques s’est accentuée au cours de la période étudiée. Diverses recommandations de bon usage ont abouti à ce que l’amoxicilline soit de plus en plus prescrite en première intention. Par ailleurs, les antibiotiques constituent désormais une classe de médicaments qui se caractérise par un faible taux d’innovation et donc par un nombre très restreint de commercialisation de nouveaux médicaments. Il en résulte que le nombre d’antibiotiques disponibles tend à diminuer. Aussi, lorsque des tensions d’approvisionnement et même des ruptures de stock se produisent, comme c’est le cas depuis la fin 2022 pour l’amoxicilline, seule ou en association, mais également pour certaines céphalosporines vers lesquelles les prescriptions se sont reportées, les prescripteurs ne disposent plus, dans certains cas, que d’un nombre limité d’alternatives thérapeutiques 13 De surcroît, ces tensions d’approvisionnement peuvent conduire à des reports vers d’autres antibiotiques plus générateurs de résistances bactériennes. Par ailleurs, les données disponibles sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) montrent que l’impact des préparations magistrales d’amoxicilline sur la consommation totale a été très faible et ne fausse pas les tendances dégagées.

Conclusion

La consommation d’antibiotiques en ville a augmenté en 2022, en raison, notamment, du retour des épidémies saisonnières virales courantes et d’un assouplissement des gestes barrières mis en place en 2020. L’augmentation du taux de prescription des antibiotiques en 2022 traduit cette situation.

Dans le BEH thématique consacré en 2021 à l’antibiorésistance, la forte baisse observée en 2020 avait conduit à se demander si la pandémie pourrait modifier durablement les comportements des patients et des professionnels de santé, et si elle aiderait à faire prendre conscience que de meilleures mesures d’hygiène ainsi que la vaccination contribuaient à prévenir les infections. Dans ce cas, la voie aurait été ainsi ouverte à un nouveau « paradigme » pour lequel une moindre prescription d’antibiotiques n’est pas perçue comme une moins bonne prise en charge.

Les résultats 2021 et 2022 infirment cette hypothèse. Même s’il convient d’être prudent dans l’interprétation de tendances – car le maintien de la tendance 2012-2019 si la pandémie n’était pas survenue reste seulement une hypothèse – la consommation dans le secteur ambulatoire se situe désormais à un niveau un peu supérieur à celui qui était attendu. Dans ces conditions, le renforcement des programmes d’action, mis en place au cours de ces dernières années pour favoriser le bon usage des antibiotiques et en diminuer la consommation dans le secteur de ville, demeure plus que jamais une nécessité si la France souhaite atteindre les objectis de réduction retenus, d’une part, par la Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance 14 (-25%) et, d’autre part, au niveau européen (-27%), par une très récente Recommandation du Conseil 15.

Références

1 Cavalié P, Le Vu S, Jezewski-Serra D, Maugat S, Berger-Carbonne A. Consommation d’antibiotiques en secteur de ville en France de 2009 à 2019. Synthèse des indicateurs mis en ligne sur Géodes. Saint Maurice: Santé publique France; 2020. 7 p.
2 Cavalié P, Le Vu S, Maugat S, Berger-Carbonne A. Évolution de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville en France 2010-2020. Quel est l’impact de la pandémie de Covid-19 ? Bull Épidémiol Hebd. 2021;(18-19):329-35. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/2021_18-19_1.html
3 L’Assurance maladie. Activité des sages-femmes libérales APE. Paris: L’Assurance maladie; 2023. https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/activite-sages-femmes-liberales-ape-region
4 Cheysson F, Brun-Buisson C, Opatowski L, Le Fouler L, Caserio-Schönemann C, Pontais I, et al. Outpatient antibiotic use attributable to viral acute lower respiratory tract infections during the cold season in France, 2010-2017. Int J Antimicrob Agents. 2021;57(6):106339.
5 Yaacoub S, Lanoy E, Hider-Mlynarz K, Saleh N, Maison P. Trend of antibiotic consumption and its association with influenza-like illnesses in France between 2004 and 2018. Eur J Public Health. 2021;31(6):1137-43.
6 Bernard-Stoecklin S, Campèse C, Parent du Châtelet I. Fardeau de la grippe en France métropolitaine : bilan des données de surveillance des épidémies de 2011-2012 à 2021-2022. Saint-Maurice: Santé publique France; 2023. 16 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/rapport-synthese/fardeau-de-la-grippe-en-france-metropolitaine-bilan-des-donnees-de-surveillance-lors-des-epidemies-2011-12-a-2021-22
7 Santé publique France. Bulletin hebdomadaire grippe Bilan saison 2022-2023. Saint-Maurice: Santé publique France. Mis à jour le 2 août 2023. 10 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-18.-bilan-preliminaire.-saison-2022-2023
8 Santé publique France. Bulletin hebdomadaire bronchiolite semaine 52 2022. Saint-Maurice: Santé publique France. Mis à jour le 4 janvier 2023. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/bronchiolite/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-bronchiolite-semaine-52.-saison-2022-2023
9 Santé publique France. Gastro-entérites aiguës : bilan des saisons hivernales 2020-2021 et 2021-2022. Saint-Maurice: Santé publique France. Mis à jour le 28 février 2023. https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2023/gastro-enterites-aigues-bilan-des-saisons-hivernales-2020-2021-et-2021-2022
10 Santé publique France. Situation des infections invasives à streptocoque A en France au 26 mars 2023. Saint-Maurice: Santé publique France; 2022: 7 p. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/situation-des-infections-invasives-a-streptocoque-a-en-france-au-26-mars-2023
11 European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial consumption in the EU/EEA (ESAC-Net) – Annual Epidemiological Report 2020. Stockholm: ECDC; 2021. 24 p. https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/surveillance-antimicrobial-consumption-europe-2020
12 European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial consumption in the EU/EEA (ESAC-Net) – Annual Epidemiological Report 2021. Stockholm: ECDC; 2022. 28 p. https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/surveillance-antimicrobial-consumption-europe-2021
13 Propositions du Groupe de Pathologie Infectieuse de la Société Française de Pédiatrie, de l’Association Française de Pédiatrie ambulatoire et de la Société Française de Pathologie Infectieuse de Langue Française face aux fortes tensions d’approvisionnement des formes pédiatriques orales d’amoxicilline et d’amoxicilline-acide clavulanique. Paris: Groupe de pathologie infectieuse de la Société française de pédiatrie, Association Française de Pédiatrie ambulatoire et Société française de pathologie infectieuse de langue française; 2022. 4 p. https://www.infectiologie.com/fr/actualites/penurie-d-amoxicilline-propositions-des-societes-savantes_-n.html
14 Ministère des Solidarités et de la Santé. Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance. Paris: Ministère des Solidarités et de la Santé; 2022. 90 p. https://sante.gouv.fr/archives/archives-presse/archives-communiques-de-presse/article/le-ministere-des-solidarites-et-de-la-sante-presente-la-strategie-nationale
15 Conseil de l’Union européenne. Recommandation du Conseil relative au renforcement des actions de l’Union visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans le cadre d’une approche « Une seule santé ». https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-9581-2023-INIT/fr/pdf

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Cavalié P, Ben Hmidene G, Maugat S, Berger-Carbonne A. Évolution de la consommation d’antibiotiques dans le secteur de ville en France entre 2012 et 2022. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(22-23):451-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/22-23/2023_22-23_1.html