Vers une approche « One health » de la surveillance de l’antibiorésistance en France

// Towards One Health surveillance of antimicrobial resistance in France

Lucie Collineau1 (lucie.collineau@anses.fr), Yohann Lacotte2, Jean-Yves Madec3
1 Université de Lyon – Anses, Laboratoire de Lyon, unité Épidémiologie et appui à la surveillance, Lyon
2 Université de Limoges, Inserm, CHU Limoges, Resinfit, U 1092, Limoges
3 Université de Lyon – Anses, Laboratoire de Lyon, unité Antibiorésistance et virulence bactériennes, Lyon
Soumis le 01.06.2023 // Date of submission: 06.01.2023
Mots-clés : Antibiotiques | Antibiorésistance | Surveillance | Épidémiologie | One health
Keywords: Antibiotics | Antimicrobial resistance | Surveillance | Epidemiology | One Health

Résumé

Les bactéries résistantes aux antibiotiques, et les gènes qu’elles portent, ne connaissent pas de frontières, et se disséminent facilement entre les trois secteurs humain, animal, et environnemental. Aussi, les instances nationales et internationales appellent à la mise en œuvre d’une approche « One health » dans la lutte contre l’antibiorésistance. Cela implique notamment d’intégrer et de rapprocher les données de surveillance issues des trois secteurs. Une étude de cartographie a montré que le système de surveillance français est complexe et fragmenté, ce qui freine la mise en commun des données. Pour progresser vers une surveillance « One health », plusieurs initiatives ont récemment vu le jour en France, en Europe et à l’international, afin de faciliter le partage et l’analyse commune des données, y compris des données génomiques, et de renforcer la surveillance dans l’environnement. Ces travaux contribueront à mieux comprendre la dissémination de la résistance entre secteurs, et ainsi à appuyer la mise en œuvre de mesures de maîtrise appropriées.

Abstract

Antibiotic-resistant bacteria, and the genes they carry, know no borders and spread easily between the human, animal and environmental sectors. National and international bodies are therefore calling for the implementation of a One Health approach in the fight against antibiotic resistance. In particular, this means integrating and bringing together surveillance data from all three sectors. A mapping study has shown that the French surveillance system is currently complex and fragmented, which hinders the pooling of data. To move towards One Health surveillance, several initiatives have recently been launched in France, Europe and internationally to facilitate the sharing and joint analysis of data, including genomic data, and to strengthen environmental surveillance. These initiatives will contribute to a better understanding of the spread of resistance between sectors, and thus support the implementation of appropriate control measures.

L’antibiorésistance : une thématique résolument « One health »

La résistance aux antibiotiques – ou antibiorésistance – réfère à la capacité des bactéries de survivre ou de se multiplier en présence d’antibiotiques présumés actifs contre elles. En effet, la pression de sélection est exercée sur les communautés microbiennes depuis des dizaines d’années, principalement dans le domaine médical au sens large (humain et animal), mais également dans l’environnement par les rejets bactériens et de résidus d’antibiotiques ou de co-sélectants. Cela a conduit à un enrichissement des écosystèmes en bactéries résistantes, voire multirésistantes (résistance à plus de trois antibiotiques). L’antibiorésistance est sous-tendue par l’expression de gènes, parfois naturellement présents dans le génome bactérien, ou parfois acquis par transmission horizontale entre des bactéries résistantes ayant ces gènes et une bactérie sensible. Les supports moléculaires contribuant à la mobilité intra- et interbactérienne des gènes d’antibiorésistance sont nombreux (intégrons, transposons, plasmides, etc.), et sont responsables d’une forte dynamique de dissémination de ces gènes, en parallèle de la dissémination des bactéries elles-mêmes. Au-delà d’être pollué par les activités anthropiques, l’environnement est par lui-même une source d’antibiorésistance. En effet, les progéniteurs des gènes d’antibiorésistance circulant chez les espèces humaine et animales sont présents dans le génome de nombreuses bactéries environnementales.

Les bactéries antibiorésistantes sont présentes dans la plupart des écosystèmes (incluant l’être humain et les animaux), toutefois à des niveaux de concentration variable. Un avis récent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) 1 a conclu que les niveaux d’antibiorésistance étaient encore très faibles dans les milieux naturels en France, ce qui contraste avec les résultats d’études analogues dans d’autres pays ou continents. À ce titre, le tube digestif des mammifères est un épicentre majeur d’antibiorésistance, donc les rejets d’origine fécale (humains et animaux) sont une source majeure de contamination de l’environnement par l’antibiorésistance. Au-delà de cette problématique de rejet, la transmission de l’antibiorésistance peut avoir lieu directement par contact entre l’homme et l’animal (et inversement). La chaîne alimentaire est également une source de contamination possible (salmonelles multirésistantes par exemple). Pour autant, l’antibiorésistance ne se transmet pas uniquement par l’intermédiaire de bactéries pathogènes ou zoonotiques (Salmonella, Campylobacter), mais également par des bactéries dites « de portage » ou colonisatrices comme Escherichia coli. Enfin, si de nombreuses voies de transmission de l’antibiorésistance sont théoriquement possibles, peu sont scientifiquement avérées, et la plupart d’entre elles – sinon toutes – souffrent d’un déficit de quantification. Malgré ces incertitudes, et en raison de l’absence de frontières aux flux bactériens et de gènes, l’antibiorésistance doit être considérée de façon intersectorielle, donc sous un angle « One health ».

Toutes les espèces bactériennes ne se transmettent pas de la même façon et avec la même efficacité. Il en est de même pour les plasmides de multirésistance, dont les fréquences de transfert et les spectres d’hôtes varient d’un type à l’autre. La littérature scientifique apporte néanmoins certaines précisions sur le niveau de partage de l’antibiorésistance entre secteurs. Il est admis que la résistance de E. coli aux céphalosporines de dernières générations par production de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) est très partagée entre l’homme, les animaux et l’environnement, même si l’analyse fine des gènes, des plasmides et des clones concernés ne permet pas toujours de conclure aussi simplement 2. Par ailleurs, la colonisation, voire l’infection, de professionnels de la filière porcine (éleveurs, vétérinaires, personnels d’abattoir, etc.) par contact avec le staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) présent chez le porc a été démontrée 3. Des cas de transmission inverse du SARM (de l’homme vers le chien, par exemple) sont également décrits 4. Ce sont parfois des plasmides qui sont partagés entre l’homme et l’animal, comme le plasmide IncL, qui est le principal vecteur du gène blaOXA-48 conférant une résistance aux carbapénèmes. Toutefois, à de rares exceptions près (cas du SARM porcin par exemple), le sens de la transmission est généralement très inconnu. De plus, le fait d’identifier le même déterminant génétique dans deux secteurs différents ne signe pas nécessairement une transmission. Un récent avis de l’Anses propose une synthèse des connaissances et un profil de risque pour 11 couples bactérie-antibiotique d’origine animale et d’importance pour la santé humaine, ainsi qu’une liste de mesures de maîtrise potentiellement mobilisables par le gestionnaire 5.

Un système de surveillance complexe et fragmenté

En France, la feuille de route interministérielle 2016 pour la maîtrise de l’antibiorésistance a lancé une impulsion pour une approche « One health » de la surveillance de la résistance aux antibiotiques. Elle recommande notamment l’utilisation d’indicateurs communs à l’homme, l’animal et l’environnement, à l’image de l’indicateur E. coli productrice de BLSE choisi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour une surveillance intersectorielle (programme Tricycle) 6. Cependant, le nombre et la diversité des dispositifs de surveillance existants empêchaient jusqu’ici d’avoir une vision claire et exhaustive du système de surveillance français et freinaient la mise en œuvre de cette approche intégrée. Dans le cadre du projet Surv1Health 2020-2023 (financement Écoantibio2), une étude a été réalisée afin de cartographier et caractériser l’ensemble des dispositifs français de surveillance de la résistance aux antibiotiques, de l’utilisation des antibiotiques, et des résidus d’antibiotiques chez l’homme, l’animal et dans l’environnement en 2021, et d’identifier les points d’intégration, les redondances et les manques 7. Le projet visait également à évaluer le niveau et la qualité des collaborations entre les dispositifs français de surveillance, ainsi que les freins et leviers à ces collaborations, afin de formuler des recommandations pour les améliorer.

Sur la base d’une revue de la littérature et d’entretiens semi-dirigés auprès de 51 coordinateurs de dispositif et autres acteurs clés, un total de 48 dispositifs de surveillance ont été identifiés et caractérisés (figure). Ces dispositifs ciblaient le secteur humain (n=34), le secteur animal/alimentaire (n=14) et/ou le secteur environnemental (n=1). D’autre part, 35 dispositifs visaient la résistance, 14 l’utilisation d’antibiotiques et 2 les résidus d’antibiotiques. Seuls 2 dispositifs étaient intersectoriels et couvraient simultanément le secteur humain et animal. Parmi les 35 dispositifs de surveillance de la résistance, 23 avaient accès aux souches bactériennes pour une caractérisation moléculaire plus fine (séquençage WGS par exemple), alors que les 12 autres dispositifs ne recueillaient que des données épidémiologiques (en accord avec leur protocole de surveillance). Les bactéries les plus fréquemment ciblées étaient Escherichia coli (n=17), Klebsiella pneumoniae (n=13) et Staphylococcus aureus (n=12). Le suivi des E. coli productrices de BLSE était réalisé par la plupart des dispositifs de surveillance de la résistance (n=15 sur 35) chez l’homme et l’animal/l’alimentation ; cet indicateur est apparu comme un bon candidat pour la réalisation d’analyses intégrées entre secteurs, comme recommandé par l’OMS 6. En revanche, les standards utilisés pour la réalisation et l’interprétation des antibiogrammes (standards EUCAST vs CASFM vétérinaire, seuils cliniques vs épidémiologiques) différaient entre secteurs et dispositifs. Enfin, les dispositifs français contribuaient à 11 programmes européens et 2 programmes internationaux de surveillance.

L’intégration entre dispositifs est apparue plutôt limitée, bien que trois réseaux en regroupant plusieurs, l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques, le réseau des centres nationaux de référence et le Réseau de prévention des infections associées aux soins, compensaient en partie ce manque d’intégration par des activités de pilotage ou de coordination communes (figure). La synthèse « One health » 8, publiée annuellement à l’occasion de la Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques, est apparue comme l’initiative la plus aboutie pour une communication conjointe et « One health » des résultats de la surveillance. En revanche, les collaborations pour les activités plus en amont du processus de surveillance, telles que l’établissement de protocoles ou le partage et l’analyse conjointe des données, étaient plus limitées.

In fine, cette étude a montré que la France disposait d’un système de surveillance riche et informatif, mais complexe et très fragmenté. Les différents dispositifs se complètent et assurent une bonne couverture des principales populations cibles dans les secteurs humain et animal. Ils répondent à différents besoins locaux, nationaux et supranationaux. Les principales lacunes identifiées étaient la surveillance du secteur environnemental (limitée à la surveillance de certains résidus d’antibiotiques dans les eaux de surface et souterraines), la surveillance de certains compartiments animaux (effluents d’élevage, aquaculture, faune sauvage), la couverture des territoires d’outre-mer et la surveillance de la colonisation (portage) par des bactéries résistantes aux antibiotiques chez l’homme (en complément de la surveillance des infections cliniques). Une certaine redondance de la surveillance de la résistance en milieu hospitalier a également été observée.

Figure : Cartographie des dispositifs français de surveillance de la résistance aux antibiotiques, de l’utilisation d’antibiotiques et des résidus d’antibiotiques chez l’homme, l’animal/l’alimentation et dans l’environnement en 2021
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Des initiatives pour une approche plus intégrative des surveillances

En s’appuyant sur les travaux du projet Surv1Health, 12 recommandations pratiques ont été formulées et transmises aux gestionnaires des secteurs de la santé humaine, animale et environnementale, afin de renforcer les collaborations entre dispositifs et progresser vers une surveillance « One health » de l’antibiorésistance en France. Le top 3 de ces recommandations est présenté dans le tableau. La première recommandation visait à créer une instance « One health » opérationnelle de coordination nationale des surveillances, afin de fédérer les acteurs du niveau opérationnel. En effet, si la stratégie collaborative décrite dans la feuille de route interministérielle 2016 est apparue pertinente et approuvée par l’ensemble des acteurs concernés, elle manque aujourd’hui d’opérationnalité. Le rôle de cette instance « One health » pourrait être de faciliter l’interopérabilité des données, de favoriser la communication conjointe de résultats entre secteurs/objets de la surveillance et de concourir à la mutualisation des ressources et moyens entre dispositifs. La seconde recommandation était de renforcer et structurer la surveillance dans le secteur environnemental, au-delà des eaux de surface et souterraines, en l’étendant notamment aux eaux usées communautaires et hospitalières, eaux côtières, et environnements d’élevages. Enfin, une troisième recommandation était de créer un groupe de travail intersectoriel national dédié à la production et à l’interprétation d’indicateurs de surveillance communs à plusieurs secteurs/dispositifs et à la réalisation d’analyses intégrées entre secteurs/dispositifs, à l’image de ce que font à l’échelle européenne, l’Agence européenne des médicaments (EMA), le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) dans leur analyse intégrée et inter-agence Jiacra (Joint Inter-Agency Antimicrobial Consumption and Resistance Analysis9.

Deux initiatives, financées depuis 2021 dans le cadre du programme prioritaire de recherche sur la résistance aux antibiotiques, représentent une excellente opportunité de faciliter la mise en œuvre de certaines de ces recommandations. Ainsi, afin de renforcer les collaborations entre professionnels des trois secteurs, Promise, un méta-réseau national rassemblant réseaux professionnels et acteurs académiques des trois secteurs (1), a été lancé en 2021. Ce projet vise à créer, en France, une communauté « One health » autour de l’antibiorésistance travaillant de façon synergique sur des enjeux communs, dont la surveillance. Promise ambitionne de créer un entrepôt de données commun où seraient partagées les données de résistance et d’utilisation d’antibiotiques produites par différents dispositifs de surveillance en santé humaine et animale. Ces données seraient non seulement rassemblées en un entrepôt unique, facilitant leur accès, mais aussi rendues interopérables, ouvrant la voie à des analyses inter-dispositifs et intersectorielles. Parmi les analyses rendues possibles par la mise en commun des données, Promise permettra d’évaluer à l’échelle nationale l’existence de corrélations entre utilisation d’antibiotiques dans un secteur et résistance dans un autre secteur, inspiré de l’approche européenne Jiacra 9. Pour ne pas délaisser le secteur de l’environnement, aujourd’hui peu structuré dans le domaine de la surveillance, Promise a créé un groupe de travail composé d’une vingtaine d’équipes de recherche pour réfléchir à l’opérationnalisation d’une surveillance de l’antibiorésistance dans l’environnement en France. Ce groupe, baptisé AMR-Env, travaille sur le choix d’indicateurs de surveillance pertinents et la mise en place de protocoles de collecte pour ces indicateurs qui permettront d’abonder l’entrepôt de données commun et de rendre les trois surveillances en France plus intégrées.

En parallèle, la structuration d’une plateforme interopérable de données génomiques liées à l’antibiorésistance (ABR-Omics) a été financée. L’initiative s’est notamment appuyée sur le constat de la dispersion des données de séquençage complet (WGS) des souches bactériennes antibiorésistantes françaises, qui peuvent provenir des secteurs humain, animal et environnemental. La plateforme ABR-Omics vise, d’une part, à permettre la mise en commun de ces données (donc leur analyse commune), et, d’autre part, à développer puis mettre à la disposition de la communauté scientifique les outils bioinformatiques adaptés à ces analyses (2).

Tableau : Top 3 des recommandations identifiées dans le cadre du projet Surv1Health pour renforcer les collaborations au sein du système français de surveillance de l’antibiorésistance
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Initiatives européennes et internationales

La mise en place d’une surveillance intégrée et One health est aussi un enjeu à l’échelle européenne. Il s’agit à la fois : (i) de développer de nouveaux réseaux de surveillance sur certains volets de l’approche One Health peu structurés jusqu’à présent, et (ii) de favoriser l’interaction et l’intégration des dispositifs de surveillance existants.

En Europe, la surveillance de la résistance aux antibiotiques en santé humaine est assurée par le réseau EARS-Net, coordonné par l’ECDC 10. Ce réseau, initié en 1999, surveille aujourd’hui huit espèces bactériennes (Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter species, Streptococcus pneumoniae, Staphylococcus aureus, Enterococcus faecalis, Enterococcus faecium) isolées d’hémoculture et du liquide céphalo-rachidien dans 30 pays européens. L’ECDC est aussi en charge de la surveillance des consommations d’antibiotiques au travers du réseau Esac-Net (European Surveillance of Antimicrobial Consumption Network) depuis 2011 11.

En santé animale, la surveillance des ventes d’antibiotiques à destination des animaux est assurée par l’EMA via le réseau Esvac (European Surveillance of Veterinary Antimicrobial Consumption) depuis 2010 12. La surveillance de la résistance est, elle, uniquement obligatoire à l’abattoir pour les animaux destinés à la consommation depuis 2014 ; une surveillance coordonnée par l’Efsa, qui couvre les Salmonella spp., Campylobacter spp., Enterococcus spp., E. coli et les SARM. Cette surveillance n’est néanmoins pas forcément représentative de l’épidémiologie de la résistance en santé animale, puisque pratiquée sur des animaux sains destinés à l’abattage.

C’est dans le cadre de l’action conjointe européenne de lutte contre l’antibiorésistance et les infections associées aux soins (3), un projet collaboratif entre 24 pays financé par la commission européenne de 2017 à 2021, que les États membres ont collaboré pour conceptualiser la mise en place d’un réseau de surveillance de la résistance chez les animaux malades en Europe 13. Baptisé EARS-Vet, ce réseau propose de surveiller la résistance chez 6 espèces animales et pour 11 espèces bactériennes 14. Une étude pilote proposant une première analyse conjointe des données de 11 partenaires issus de 9 pays européens engagés dans EARS-Vet a été publiée en 2023 15.

Dans son programme de santé EU4Health 2022 16, la Commission européenne a affiché son ambition de financer une nouvelle action conjointe de lutte contre l’antibiorésistance et les infections associées aux soins. Cette nouvelle action conjointe (EU-JAMRAI 2), qui pourrait débuter dès 2024, aura notamment pour objectif de pérenniser le réseau EARS-Vet et de conceptualiser la mise en place d’un réseau européen de surveillance de la résistance dans l’environnement, pour l’heure inexistant. Elle devra aussi réfléchir à l’intégration de ces nouveaux dispositifs de surveillance avec les dispositifs et initiatives existantes.

Enfin, à l’échelle internationale, une approche globale et intégrée de la lutte contre l’antibiorésistance apparaît également primordiale, les bactéries résistantes ne connaissant pas de frontières et pouvant se disséminer rapidement d’un continent à l’autre 17. Dans les pays émergents en particulier, la hausse attendue de la demande en protéines d’origine animale représente un facteur de risque d’augmentation des usages d’antibiotiques et d’émergence de résistances associées 18. Pour renforcer la surveillance internationale, un système intégré tripartite de surveillance de la résistance et des usages d’antibiotiques (Tripartite Integrated System for Surveillance on AMR and Antimicrobial Use) est actuellement en cours de développement. Il vise à rapprocher les données de surveillance collectées par l’OMS (programme Glass 19 de surveillance de la résistance et des consommations d’antibiotiques chez l’homme), l’Organisation mondiale de la santé animale 20 (suivi des ventes d’antibiotiques à destination des animaux d’élevage) et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (programme InFARM de surveillance de la résistance aux antibiotiques chez les animaux d’élevage, en cours de construction). La contribution du secteur environnemental à ce système reste encore à définir.

Conclusion et perspectives

L’approche « One health », déclinée dans de nombreux domaines de santé, s’applique également à la thématique de l’antibiorésistance. Toutes les voies de transmission intersectorielles de l’antibiorésistance ne sont pas élucidées ni quantifiées, mais la nécessité d’aborder ce sujet de façon globale est admise. Au-delà du recueil des données d’antibiorésistance de façon indépendante par chaque secteur (homme, animal, environnement), l’un des principaux défis réside désormais dans notre capacité à définir les voies et moyens de construire des indicateurs communs de surveillance et d’analyser de façon intégrée les données collectées dans chaque secteur. Une telle ambition apparaît essentielle pour que l’approche « One health » prenne un sens et une utilité opérationnels qui dépassent la juxtaposition de données produites actuellement dans des objectifs strictement sectoriels. Cette ambition vise aussi à rationaliser la structuration des dispositifs de surveillance et à gagner en efficacité. L’année 2023 est celle d’une articulation entre les précédentes initiatives politiques en matière de lutte contre l’antibiorésistance (feuille de route interministérielle, plans Écoantibio) et la construction d’une nouvelle impulsion intersectorielle. Gageons que ce cadre puisse permettre de porter encore davantage l’ambition d’une surveillance réellement « One health » de l’antibiorésistance.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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5 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail . Élaboration d’une liste de couples « bactérie/famille d’antibiotiques » d’intérêt prioritaire dans le contrôle de la diffusion de l’antibiorésistance de l’animal aux humains et propositions de mesures techniques en appui au gestionnaire. Maisons-Alfort: Anses; 2023. 228 p. https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2020SA0066Ra.pdf
6 World Health Organization. WHO integrated global surveillance on ESBL-producing E. coli using a “One Health” approach: Implementation and opportunities. Geneva: WHO; 2021. 59 p. https://apps.who.int/iris/handle/10665/340079
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10 European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial resistance in the EU/EEA (EARS-Net) – Annual Epidemiological Report 2019. Stockholm: ECDC; 2020. 28 p. https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/surveillance-antimicrobial-resistance-europe-2019
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18 Mulchandani R, Wang Y, Gilbert M, Van Boeckel TP. Global trends in antimicrobial use in food-producing animals: 2020 to 2030. PLOS Glob Public Health. 2023;3(2):e0001305.
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Citer cet article

Collineau L, Lacotte Y, Madec JY. Vers une approche « One health » de la surveillance de l’antibiorésistance en France. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(22-23):488-93. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/22-23/2023_22-23_6.html