Campagne de sensibilisation sur l’antibiorésistance en France : apport des sciences comportementales

// Awareness campaign on antibiotic resistance in France: contribution of behavioural sciences

Isabelle Bonmarin1 (isabelle.bonmarin@santepubliquefrance.fr), Alice Escande2, Laura Litvine2, Anysia Nguyen2, Sophie Fégueux1, Sandrine Randriamampianina1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Behavioural Insights Team (BIT), Paris
Soumis le 23.05.2023 // Date of submission: 05.23.2023
Mots-clés : Sensibilisation aux antibiotiques | Sensibilisation à l’antibiorésistance | Changement de comportement | Intervention
Keywords: Antibiotic awareness | Antimicrobial resistance awareness | Behaviour change | Intervention

Résumé

Santé publique France est en charge depuis 2019 d’élaborer une campagne de sensibilisation sur les antibiotiques et l’antibiorésistance. Elle a mis en place une étude s’appuyant sur les sciences comportementales pour identifier une piste de communication.

L’étude s’est appuyée sur un modèle de changement du comportement en quatre étapes : savoir, vouloir, pouvoir, agir. Une revue de la littérature et des échanges d’experts ont permis d’identifier les leviers et barrières propres à chacune des étapes. À partir des leviers identifiés, quatre pistes de communication ont été définies : effets secondaires des antibiotiques, situations dans lesquelles les antibiotiques sont inutiles, conséquences et mécanismes de l’antibiorésistance et caractère particulier des antibiotiques. Chaque piste a été testée dans deux versions, lors d’un essai randomisé à 8 bras auprès de 3 987 adultes, en octobre 2021.

Les messages qui renforçaient le bon usage des antibiotiques en incluant des situations concrètes pour lesquelles les antibiotiques sont inutiles, ont été les plus performants pour les étapes savoir et agir du modèle. Il reste cependant à renforcer le sentiment d’implication et de responsabilité individuelle dans la lutte contre l’antibiorésistance. De même, des fausses croyances sont encore bien ancrées et devront être levées.

La campagne de sensibilisation diffusée fin 2022 a repris la piste de communication identifiée et l’étude quantitative qui a suivi la campagne confirmait la perception positive des personnes interrogées.

Abstract

Since 2019, Santé publique France, the French public health agency, has been in charge of developing an awareness campaign on antibiotics and antibiotic resistance. In this context, a study based on behavioural science was conducted to identify a new communication angle.

The study was based on a four-stage behaviour-change model: knowledge, willingness, power and action. A review of the literature and consultation with experts led to the identification of levers and barriers specific to each stage. Based on the levers identified, four communication angles were defined: side effects of antibiotics, situations where antibiotics are useless, consequences and mechanisms of antibiotic resistance and the “precious” nature of antibiotics. Each angle was tested in two versions, in an eight-arm randomized trial with 3,987 adults, in October 2021.

Messages that reinforced antibiotic stewardship by including concrete situations for which antibiotics are useless performed best for the knowledge and action stages of the model. However, engagement and individual responsibility in the fight against antibiotic resistance still need to be reinforced. Similarly, erroneous beliefs need to be challenged.

The awareness campaign aired at the end of 2022 and was based on the best performing communication angle identified through the study. A quantitative study that followed the campaign confirmed the positive perception of those interviewed.

Contexte

En 2019, la France restait un des plus gros consommateurs d’antibiotiques en Europe. De ce fait, le ministère de la Santé a confié à Santé publique France la mise en place d’une campagne de lutte contre la surconsommation d’antibiotiques et contre l’antibiorésistance auprès de la population générale et des professionnels de santé. Cette campagne s’inscrit comme une des nombreuses actions de la feuille de route interministérielle de maîtrise de l’antibiorésistance 1. Elle devait faire suite à une stratégie de communication déployée par l’Assurance maladie entre 2002 et 2012, en trois phases : la première « Les antibiotiques, c’est pas automatique » s’était accompagnée d’une baisse de 24% de la consommation d’antibiotiques entre 2002 et 2005, alors que la seconde axée sur l’action des antibiotiques sur les bactéries n’a pas eu d’effet sur la consommation et que la troisième, axée sur la résistance s’est accompagnée d’une baisse éphémère de 3% entre 2009 et 2011 2. Santé publique France a donc mené en 2019 des études de perceptions et de connaissances des antibiotiques et de l’antibiorésistance auprès de la population générale. Même s’il existait une marge importante de progression, les résultats montraient globalement une amélioration des connaissances des antibiotiques et de l’antibiorésistance par rapport aux études similaires réalisées par l’Assurance maladie en 2010 3. Sur la base de ces résultats, complétés par une revue de la littérature, Santé publique France a dressé sa stratégie de marketing social pour mieux comprendre l’attente du public cible et pouvoir y répondre. Un des éléments du dispositif concernait la communication dont les objectifs étaient les suivants : améliorer la compréhension de l’antibiorésistance par la population générale, et réduire la consommation des antibiotiques. Les premières pistes élaborées ont été testées auprès d’un échantillon de la population qui n’a pas compris les messages proposés et ne s’est pas senti concerné par la thématique. La raison principale de ce rejet semblait être le niveau insuffisant des connaissances de la population sur les antibiotiques et l’antibiorésistance, niveau probablement surestimé, notamment par des biais de déclaration des études quantitatives préliminaires. Il fallait donc rapidement trouver un angle de communication plus susceptible de faire évoluer la population. Santé publique France a donc sollicité le Behavioural Insights Team (BIT) et l’équipe de sciences comportementales de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), pour trouver un angle de communication visant à favoriser l’adoption d’une consommation raisonnée d’antibiotiques.

Méthode

Une revue de la littérature, non systématique, a été menée : elle s’est concentrée sur les synthèses internationales et sur les travaux menés en France afin de répondre au mieux aux spécificités françaises. Elle a réuni près de 60 articles (1). Elle a été complétée par des entretiens et ateliers internes avec Santé publique France, la Direction générale de la santé, l’Assurance maladie et d’autres partenaires en juin et juillet 2021. Ce premier travail a permis d’identifier et de lister les freins à une communication efficace et ses leviers dans un modèle comportemental (tableau 1). Il détermine quatre étapes essentielles pour optimiser le potentiel de changement de comportement :

savoir (connaissances) ;

vouloir (intentions, attitudes, normes et motivation) ;

pouvoir (capacité et sentiment d’auto-efficacité) ;

agir (opportunité, passage de l’intention à l’action).

Les leviers identifiés ont été transformés en quatre angles ou pistes de communication comprenant chacun deux messages : une information de base courte et une variation plus longue qui mobilisait un levier comportemental additionnel. La première piste consistait à communiquer sur les effets secondaires des antibiotiques, la deuxième sur les situations où les antibiotiques ne sont pas utiles, la troisième sur les conséquences et mécanismes de l’antibiorésistance et la quatrième sur le caractère particulier des antibiotiques (tableau 2).

Tableau 1 : Aperçu du modèle comportemental et des barrières et leviers principaux, BIT, octobre 2021
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Tableau 2 : Quatre pistes de communication à tester avec pour chacun, l’accroche, l’information de base et sa variation, BIT, octobre 2021
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Les quatre pistes de communication ont été testées par un essai randomisé contrôlé auprès d’un échantillon d’adultes résidant en France. L’échantillon, issu d’un panel de 9 000 personnes, a été construit pour être représentatif de la population selon la méthode des quotas sur la tranche d’âge, le sexe, le niveau d’éducation et le salaire brut médian.

Les participants ont été exposés de manière aléatoire à une des quatre pistes proposées. Ils ont été ensuite interrogés sur Predictiv®, la plateforme d’expérimentation en ligne du BIT selon la séquence suivante (figure 1) :

le participant lisait tout d’abord un texte d’accroche spécifique à chaque piste. Il pouvait ensuite cliquer sur « Pour plus d’informations », ainsi que sur une proposition d’abonnement à une newsletter de l’Inserm concernant la surconsommation des antibiotiques. Ces clics permettaient d’évaluer la motivation à en apprendre davantage. Que le clic soit activé ou pas, un écran apparaissait ensuite avec deux variations possibles de la piste de communication, information de base ou sa variation plus longue, composant ainsi les huit bras de l’essai randomisé ;

après lecture de la communication, un appel à l’action était lancé : quatre actions, identiques quelle que soit la piste, étaient recommandées pour réduire la consommation d’antibiotiques. Le participant devait sélectionner celles qui lui paraissaient appropriées : ne pas prendre d’antibiotiques pour des infections virales, prendre des antibiotiques uniquement sur prescription, suivre le traitement prescrit (dose et durée) et rapporter les antibiotiques restants en pharmacie ;

enfin, les participants répondaient à un questionnaire afin de mesurer l’effet de chaque piste et message sur les catégories suivantes : connaissances (savoir), motivation (vouloir), auto-efficacité (pouvoir) et intention d’agir (agir) pour changer leur consommation d’antibiotiques. Le questionnaire consistait en une dizaine de questions à choix multiples.

Seuls ont été inclus dans l’analyse les participants ayant répondu à un contrôle d’attention dont l’objectif est d’améliorer la qualité de l’enquête.

Le score de chaque catégorie a été calculé pour chaque piste et correspond à la moyenne des pourcentages de réponses désirées données : 100% correspond à un participant qui sélectionne toutes les réponses appropriées et aucune qui ne le soit pas. Les résultats selon les pistes ont été comparés en utilisant les méthodes de régressions et la piste dont la variable d’intérêt avait la valeur la plus extrême a été utilisée comme référence. Les tableaux colorent les valeurs statistiquement plus élevées (p<5%), en vert pour les bonnes réponses et en rouge pour les mauvaises.

Figure 1 : Schéma global de l’essai randomisé contrôlé (n=3 987), BIT, octobre 2021
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Résultats

Ont été retenus dans l’essai randomisé contrôlé 3 987 adultes en octobre 2021, répartis en 8 groupes.

Par rapport aux données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) de 2020 4, l’échantillon comprenait une surreprésentation des femmes (54% vs 52%), des personnes âgées de 25-54 ans (58% vs 47%), des salaires bruts supérieurs à la médiane, soit >25 000 euros (56% vs 50%) et des diplômés au-delà du Bac (59% vs 39%).

Savoir

En termes de mémorisation, la piste 2 (situation où les antibiotiques ne sont pas utiles), présentait le plus de bonnes réponses (63%) et le moins de mauvaises réponses (24%) (tableau 3). Pour les pistes 3 (conséquences de l’antibiorésistance) et 4 (caractère particulier des antibiotiques), les participants ont sélectionné le moins de bonnes réponses et le plus de mauvaises réponses. Quand on interrogeait sur les principales mesures à prendre pour lutter contre la surconsommation d’antibiotiques, la piste 2 était la plus performante et la piste 1 (conséquences sur le corps) donnait une proportion significativement plus faible de bonnes réponses que les 3 autres pistes.

Certaines connaissances ne semblent pas acquises. Toutes pistes confondues, 79% des participants répondaient que les mesures à prendre pour lutter contre la surconsommation des antibiotiques étaient de les utiliser uniquement sur prescription médicale. En revanche, seuls 56% répondaient qu’il ne fallait pas en prendre pour des infections virales comme la grippe et 14% qu’il fallait les prendre jusqu’à disparition des symptômes. Cependant, même s’il reste encore une marge d’amélioration, seuls 17% des participants exposés à la piste 2 (situations où les antibiotiques ne sont pas utiles) supposaient à tort que les antibiotiques étaient efficaces sur les infections virales contre plus de 21% pour les autres pistes (tableau 3). Pour rappel, la piste 2 était la seule à donner des exemples concrets de maladies virales (rhume, bronchite…).

Les participants exposés à une partie de la piste 2 et aux pistes 3 et 4 ont majoritairement retenu l’information qui leur avait été donnée sur la réduction de l’efficacité des antibiotiques pour tous en cas de surconsommation (tableau 3). En revanche, la cause de cette perte d’efficacité n’a pas toujours été comprise. En effet, une majorité d’entre eux pensait que le corps s’habituait aux antibiotiques, même dans la piste 3 (conséquences de l’antibiorésistance) dans laquelle il était spécifiquement dit en préambule à la question que c’étaient les bactéries qui étaient résistantes (tableau 2). D’ailleurs, 60% des participants exposés à la piste 3 ne se souvenaient plus de l’information qui leur avait été donnée, concernant la transmission des bactéries résistantes, même à des personnes qui n’avaient jamais pris d’antibiotiques.

Tableau 3 : Principaux résultats par catégorie et selon la piste de communication proposée, essai randomisé contrôlé (n=3 987), BIT, octobre 2021
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Vouloir

Parler des conséquences néfastes collectives d’une surconsommation d’antibiotiques semblait encourager une prise de conscience et une implication personnelle (pistes 3 et 4) (tableau 2). Plus des deux tiers des participants se sont sentis préoccupés par la surconsommation d’antibiotiques, avec une proportion significativement plus élevée pour les pistes 2 (situation où les antibiotiques ne sont pas utiles), et 4 (conséquences sur le corps). En revanche, seul environ un tiers des participants s’est senti personnellement concerné, quelle que soit la piste.

Il existe des liens entre savoir et vouloir : les individus dont le score de compréhension (savoir) est plus haut avaient une motivation plus élevée que l’ensemble des participants (vouloir : 62% vs 56%). Ces individus étaient davantage des femmes (63%) et des personnes ayant un niveau d’éducation plus élevé (au moins un Bac+2 : 58%). Le pourcentage de clics sur « Pour une information supplémentaire » était identique quelle que soit la piste, mais davantage de participants de la piste 2 et 4 cliquaient pour obtenir un abonnement à la newsletter de l’Inserm sur la surconsommation d’antibiotiques, proposée dans le cadre de l’étude pour mesurer un niveau d’engagement des participants.

Pouvoir

Les sentiments de responsabilité et d’efficacité personnelle (capacité ressentie d’agir sur le problème), sont très similaires entre les pistes (tableau 3). Plus des trois quarts des participants pensaient « pouvoir faire une réelle différence dans la prévention de la surconsommation d’antibiotiques » et pensaient « avoir un rôle à jouer dans la prévention de la surconsommation d’antibiotiques », quelle que soit la piste. En revanche, près de la moitié des participants déclaraient inutile de changer leur consommation d’antibiotiques et préférable d’augmenter le financement de la recherche de nouveaux médicaments. Les pistes 3 et 4 sur les conséquences sociétales de l’antibiorésistance ont semblé réduire légèrement cette perception (43% et 45% vs 48% et 47% pour les pistes 1 et 2).

Agir

Parler des situations où les antibiotiques ne sont pas utiles (piste 2) augmentait l’intention d’agir pour un bon usage des antibiotiques (tableau 3). Les actions à faire la prochaine fois qu’ils seraient malades étaient plus souvent correctes pour les participants des pistes 2, 3 et 4 que pour ceux de la piste 1. Les participants des pistes 2 et 3 avaient également la proportion la plus faible de mauvaises réponses (tableau 3). Cependant, les participants des pistes 2, mais aussi 1 et 4, déclaraient plus souvent que ceux de la piste 3 qu’ils demanderaient eux-mêmes des antibiotiques la prochaine fois qu’ils seraient malades.

Lors d’un exercice de mise en application dans lequel on leur demandait de donner des conseils à un ami, Tom, souffrant d’un mal de gorge et d’une toux depuis 2 jours et devant retourner au travail pour une réunion importante, les participants de la piste 2 ont également obtenu le score le plus élevé de bonnes réponses. Ils déclaraient moins souvent que les autres pistes qu’ils recommanderaient à Tom de demander des antibiotiques à un professionnel de santé.

Parmi les quatre actions possibles, « Prendre des antibiotiques que si prescrits par un médecin » et « Respecter la dose et durée des prescriptions » ont été jugées les plus importantes et faisables sans différence entre les pistes, suivi de « Ne pas prendre d’antibiotiques pour des infections virales ». « Rapporter les antibiotiques restants à la pharmacie » a été considéré comme l’action la moins importante et la moins réalisable.

Discussion

Cette étude a mis en évidence que communiquer sur les maladies où les antibiotiques sont inutiles (piste 2) était le plus prometteur pour une campagne destinée à sensibiliser la population générale à l’adoption d’une consommation raisonnée d’antibiotiques.

En effet, cette piste 2 a obtenu de meilleures performances que les autres pistes pour le score « savoir » : la mémorisation des informations reçues et des actions à mener pour baisser la consommation des antibiotiques est plus élevée. Les performances de la piste 2 sont également meilleures pour le score « agir ». Les actions déclarées au prochain épisode infectieux ou les actions recommandées à un ami avaient la proportion la plus élevée de bonnes réponses.

Il existe toutefois quelques réserves. Le score « vouloir » est plus faible dans la piste 2 que dans les pistes 3 (conséquences de l’antibiorésistance) et 4 (caractères particuliers des antibiotiques). Si les participants sont, avec ceux de la piste 4, préoccupés plus souvent par la surconsommation d’antibiotiques, ils se sentent moins souvent personnellement concernés.

Le score « pouvoir » est identique avec celui des autres pistes, mais les participants de la piste 2 font partie de ceux qui ont déplacé le plus souvent la responsabilité de l’antibiorésistance vers le manque de recherche (inutilité de changer la consommation d’antibiotiques et préférence pour une augmentation du financement de la recherche). Quelle que soit la piste testée, nos messages n’ont pas permis de réduire la fausse croyance que les scientifiques règleraient le problème de l’antibiorésistance. Il est donc important de trouver un levier qui permette d’améliorer l’implication et le sentiment de responsabilité individuelle de la population vis-à-vis de l’antibiorésistance.

Par ailleurs, 17,2% des répondants exposés à la piste 2 pensaient que les antibiotiques étaient utiles pour les infections virales : les messages d’information ont permis de réduire le pourcentage de mauvaises réponses par rapport aux autres pistes (21,4% à 23,9%), mais il reste encore des progrès à faire.

De plus, même si la proportion était la plus faible comparée aux autres pistes, 54% des participants de la piste 2 pensaient que c’est le fait que le corps s’habitue aux antibiotiques qui provoque l’antibiorésistance. Cette méconnaissance est régulièrement retrouvée dans la littérature 5. Elle peut mener certains à penser que ce danger ne les concerne pas, s’ils pensent consommer raisonnablement des antibiotiques 6. Corriger cette perception inexacte permettrait d’augmenter la motivation d’agir personnellement, quelle que soit sa propre consommation ; les individus sauraient que, outre la baisse de la consommation, d’autres gestes sont à employer pour réduire le risque d’infections par une bactérie résistante (renforcement de l’hygiène, protection de l’environnement…), même pour les faibles consommateurs d’antibiotiques.

L’étude a montré que le message de base obtenait des résultats comparables, voire meilleurs que le message plus détaillé dans la piste 2. La communication par des messages courts semble donc plus pertinente. Il faut de ce fait accepter de ne délivrer qu’une partie de l’information et prioriser les messages. À défaut de pouvoir le généraliser, ce résultat montre qu’une information détaillée n’est pas systématiquement la mieux comprise et retenue.

Notre étude a plusieurs limites. L’échantillon n’est pas aléatoire et surreprésente les femmes, les plus diplômés et les plus aisés. Ceci pourrait avoir conduit à une surestimation des connaissances et de la motivation. En revanche, ce biais est indépendant de la piste explorée puisque les caractéristiques sociodémographiques étaient identiques dans les quatre pistes. De même, un biais de désirabilité pourrait expliquer la proportion élevée d’efficacité personnelle (pouvoir faire une différence et avoir un rôle à jouer), mais il devrait être identique quelle que soit la piste. Notre étude mesure des intentions et non des changements de comportement. Même si les intentions sont des mauvais prédicteurs du changement de comportement car majoritairement non suivies d’actes, le changement de comportement peut être cependant plus important parmi ceux qui ont cette intention que parmi ceux qui ne l’ont pas 7. En conséquence, nous avons fait l’hypothèse qu’un message compris et accepté, en association à d’autres interventions, est plus favorable au changement de comportement et nous avons associé la communication à d’autres interventions pour favoriser une consommation raisonnée d’antibiotiques.

La piste 2 a donc été utilisée pour élaborer la campagne qui s’est déroulée tout au long de 2022 : les outils sont disponibles sur le site de Santé publique France (2). Le message sur l’inutilité des antibiotiques dans les infections virales a été repris dans les spots radio et vidéo diffusés sur les réseaux sociaux, ainsi que sur les affiches pour lieux de soins. En parallèle, pour pallier les points faibles identifiés par l’étude (méconnaissance des antibiotiques et de l’antibiorésistance), des messages pédagogiques ont été diffusés via d’autres canaux : site Antibio’Malin (3), diffusion de messages d’information sur le site Doctolib, influenceurs… La diffusion des spots, en octobre et novembre 2022, a été suivie d’une étude pour juger de leur efficacité auprès d’un échantillon représentatif de la population de 18 ans et plus (n=2 000). La campagne de diffusion des spots en radio et sur les réseaux sociaux a été bien reconnue par les participants qui l’ont jugée utile, convaincante, impliquante et incitante à adopter de bons comportements en matière d’usage des antibiotiques. Ce bilan positif plaidait pour une deuxième diffusion sur les mêmes médias début 2023, et une diffusion élargie notamment à la télévision dès l’hiver 2023.

En 2024, l’impact de cette communication large associée à d’autres interventions menées en parallèle sera partiellement évaluée au travers d’une nouvelle étude des perceptions et connaissances des antibiotiques et de l’antibiorésistance de la population générale.

Conclusion

Une approche méthodique et expérimentale prenant appui sur les sciences comportementales a donc permis le choix d’une piste de communication : le test qui a suivi la campagne reprenant cette piste semble montrer qu’elle a été bien perçue. Elle met également en évidence le fait que la campagne doit être complétée par des messages pour sensibiliser aux conséquences de la surconsommation, en insistant sur la responsabilité individuelle et par des messages de vulgarisation scientifique dans des formats plus longs pour aborder les mécanismes de l’antibiorésistance.

Remerciements

Les auteurs remercient Agnès Verrier (Santé publique France) pour sa relecture attentive.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

2 Carlet J, Le Coz P. Propositions du groupe de travail spécial pour la préservation des antibiotiques. Paris; Ministère de la Santé et de la Prévention: 2015. 150 p.
3 Menard C, Fégueux S, Heritage Z, Nion-Huang M, Berger-Carbonne A, Bonmarin I. Perceptions and attitudes about antibiotic resistance in the general public and general practitioners in France. Antimicrob Resist Infect Control. 2022;11(1):124.
4 Institut national de la statistique et des études économiques. Bilan démographique 2020. Paris; Insee: 2021. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5007688?sommaire=5007726
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6 Essilini A, Kivits J, Caron F, Boivin JM, Thilly N, Pulcini C. “I don’t know if we can really, really change that”: A qualitative exploration of public perception towards antibiotic resistance in France. JAC Antimicrob Resist. 2020;2(3):dlaa073.
7 Brewer NT, Chapman GB, Rothman AJ, Leask J, Kempe A. Increasing Vaccination: Putting Psychological Science Into Action. Psychol Sci Public Interest. 2017;18(3):149-207.
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Citer cet article

Bonmarin I, Escand A, Litvine L, Nguyen A, Fégueux S, Randriamampianina S. Campagne de sensibilisation sur l’antibiorésistance en France : apport des sciences comportementales. Bull Épdémiol Hebd. 2023;(22-23):480-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/22-23/2023_22-23_5.html

(1) L’analyse de ces articles est disponible auprès des auteurs.
(3) Santé.fr. AntibioMalin : Pour savoir comment bien utiliser les antibiotiques. https://www.sante.fr/
antibiomalin-pour-savoir-comment-bien-utiliser-les-antibiotiques