Évolutions et caractéristiques des usagers de drogues injectables ayant découvert leur séropositivité au VIH en France entre 2004 et 2019

// Evolutions and characteristics of new HIV diagnoses among people who inject drugs in France between 2004 and 2019

Laurian Lassara1 (laurianlassara@gmail.com), Françoise Cazein1, Florence Lot1, Karl Stefic2, Marie Jauffret-Roustide1,3,4,5
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Centre national de référence du VIH, laboratoire associé, Inserm U1259, CHU Bretonneau & Université François Rabelais, Tours
3 Centre d’étude des mouvements sociaux, Inserm U1276/CNRS UMR 8044/EHESS, Paris
4 Baldy Center for Law and Social Policy, Buffalo University, New York, États-Unis
5 British Columbia Center on Substance Use, Vancouver, Canada
Soumis le 24.09.2021 // Date of submission: 09.24.2021
Mots-clés : UDI | VIH | Caractéristiques | Épidémiologie | Évolutions
Keywords: PWID | HIV diagnosis | Characteristics | Epidemiology | Evolutions

Résumé

Cet article présente les caractéristiques des usagers de drogues injectables (UDI) ayant découvert leur séropositivité VIH en France sur la période 2016-2019, selon leur lieu de naissance, ainsi que les évolutions de ces caractéristiques depuis la période 2004-2007, à partir des déclarations obligatoires d’infection à VIH.

En 2016-2019, les UDI représentaient 0,8% de l’ensemble des découvertes de séropositivité déclarées, pourcentage en diminution depuis 2004-2007 (1,7%). Les principales évolutions observées sont une tendance à l’augmentation des UDI de plus de 50 ans, une augmentation de la part des UDI sans profession, une forte progression des UDI nés en Europe de l’Est et une diminution de ceux nés en France, une amélioration de l’indicateur de précocité du diagnostic chez les UDI nés en France, non observée chez ceux nés à l’étranger. Près des trois-quarts des UDI n’avaient jamais été testés avant leur diagnostic.

La part croissante des UDI sans profession reflète probablement une aggravation des situations de précarité. La proportion très importante d’UDI n’ayant jamais été testés avant la découverte de leur séropositivité indique qu’une partie de cette population reste éloignée du système de soins. Ces constats appellent à encourager les politiques de dépistage ciblé et d’accompagnement des UDI et des personnes migrantes.

Abstract

Based on data from mandatory HIV declarations in France, this article presents the characteristics of new HIV diagnoses among people who inject drugs (PWID), by their birthplace, for the period 2016-2019, and the evolutions of these characteristics since the 2004-2007 period.

For 2016-2019, PWID represented 0.8% of all new HIV diagnoses declared, a decreased percentage compared to 2004-2007 (1.7%). The main evolutions observed are an increasing trend of PWID aged 50 years or over, an increase of unemployed PWID, a sharp rise in PWID from Eastern Europe and a decrease in those born in France, as well as an improvement in the early diagnosis indicator for PWID born in France that was not observed for those born abroad. Almost three-quarters of PWID had never been tested before their diagnosis.

The rising proportion of unemployed PWID probably reflects worsened levels of precarity. The very high proportion of PWID never tested before the HIV diagnosis indicates that part of this population remains distant from the health system. These conclusions show the need to enhance targeted screening and support policies for PWID and migrants.

Introduction

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), les usagers de drogues injectables (UDI) représentent en France une population estimée à 110 000 personnes d’après la dernière estimation publiée en 2019 1. Ils constituent une population particulièrement exposée au risque de contamination par les infections transmissibles par le sang, dont le VIH et le VHC, en raison de pratiques de partage du matériel d’injection.

La politique de réduction des risques chez les UDI a officiellement été adoptée par la France en 1993, avec du retard en comparaison à d’autres pays européens tels que les Pays-Bas, l’Allemagne ou la Suisse 2. Cette politique a permis de réduire la transmission virale grâce à l’adoption de pratiques plus sûres chez les UDI, à l’accès aux seringues en pharmacie dès 1986, au développement des programmes d’échanges de seringues au début des années 90, à la diffusion des traitements de substitution aux opiacés tels que la méthadone et la buprénorphine à partir de 1995 et à l’implantation de salles de consommation à moindre risque en 2016. Le modèle français de réduction des risques se caractérise par une excellente disponibilité des traitements de substitution (pour plus de 8 UDI sur 10) 3, qui atteint le plus haut niveau en Europe 4. La dernière édition de l’enquête Coquelicot 2011-2013 a cependant montré la persistance de l’exposition aux risques d’infection chez les UDI : 26% des participants déclaraient avoir partagé leur seringue au moins une fois au cours du dernier mois (versus 13% en 2004) 5 et un tiers des participants déclaraient avoir eu des difficultés à se procurer des seringues au cours des six derniers mois 3.

Dans ce contexte préoccupant vis-à-vis des risques infectieux liés à l’usage de drogues, l’objectif de cet article est de décrire les caractéristiques des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH sur la période 2016-2019 et les évolutions depuis 2004, à partir des données de la déclaration obligatoire (DO) de l’infection par le VIH en France.

Méthode

La méthodologie appliquée pour cette analyse a été décrite précédemment dans deux articles de 2015 6 et 2018 7. La DO de l’infection à VIH a été mise en place en France en 2003 et repose sur une déclaration conjointe du biologiste ayant confirmé le diagnostic et du clinicien prescripteur du test.

À partir des informations recueillies dans le formulaire de DO du VIH, ont été analysés :

les données sociodémographiques : sexe, âge, lieu de naissance, région de domicile, catégorie socioprofessionnelle ;

les circonstances de contamination et de diagnostic : mode de contamination probable (usage de drogues injectables), lieu de contamination probable, délai entre l’arrivée en France et le diagnostic, initiative du dépistage, antécédent de sérologie négative ;

le caractère précoce ou avancé du diagnostic ;

la présence éventuelle d’une co-infection par une hépatite B ou C ou une infection sexuellement transmissible (IST) bactérienne.

Le caractère précoce ou avancé du diagnostic repose sur une combinaison de plusieurs indicateurs. Le diagnostic précoce est défini par un profil virologique de séroconversion, par un stade clinique de primo-infection ou par un test d’infection récente positif. Le stade avancé est défini par un stade clinique de sida ou par un taux de lymphocytes CD4<200/mm3 en l’absence de primo-infection. Le stade intermédiaire correspond à l’ensemble des autres situations.

L’analyse a été réalisée à partir des DO reçues jusqu’au 30 juin 2020. Les caractéristiques des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH sur la période 2016-2019 ont été décrites selon leur lieu de naissance (France ou étranger), à l’aide d’un test du Chi2 d’indépendance ou d’un test de Fisher. Compte tenu de la faiblesse des effectifs, les évolutions des caractéristiques des UDI ayant découvert leur séropositivité depuis 2004 ont été analysées sur quatre périodes de quatre ans (2004-2007, 2008-2011, 2012-2015 et 2016-2019), à l’aide d’un test du Chi2 de tendance, en testant pour chaque variable une modalité versus le cumul des autres. L’analyse de tendance a été restreinte à trois périodes pour les variables de la DO qui ne sont disponibles que depuis 2008 et pour les modalités montrant une rupture de tendance sur la dernière période. Toutes les proportions ont été calculées en excluant les valeurs inconnues.

Résultats

Sur la période 2016-2019, les UDI représentaient 0,8% de l’ensemble des découvertes de séropositivité déclarées (146/18 845), pourcentage en diminution par rapport à 2004-2007 (341/20 049, 1,7%, p<0,00001).

Caractéristiques sociodémographiques

Sexe et âge

Sur la période 2016-2019, les hommes représentaient 86% des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH (tableau 1). Cette proportion était plus importante chez les UDI nés à l’étranger (90%) que chez ceux nés en France (75%, p<0,05). La proportion d’hommes UDI découvrant leur séropositivité VIH a augmenté entre les deux premières périodes pour se stabiliser ensuite (p<0,05, tableau 2).

En 2016-2019, la majorité des UDI (53%) avaient entre 35 et 49 ans. La répartition par classe d’âge ne différait pas entre les UDI nés en France et ceux nés à l’étranger. La part des plus de 50 ans a augmenté entre 2004-2007 et 2012-2015 (p<0,00001).

Tableau 1 : Caractéristiques des découvertes de séropositivité VIH chez les usagers de drogues injectables (UDI) en 2016-2019 et comparaisons selon le lieu de naissance (France, données brutes de la déclaration obligatoire du VIH au 30 juin 2020)
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Tableau 2 : Caractéristiques des découvertes de séropositivité VIH chez les UDI par période de 4 ans et tendances (France, données brutes de la déclaration obligatoire du VIH au 30 juin 2020)
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Lieu de naissance

En 2016-2019, 28% des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH étaient nés en France et 62% en Europe (hors de France) : 54% en Europe de l’Est et 8% en Europe de l’Ouest. Parmi les UDI nés en Europe, les principaux pays de naissance étaient la Géorgie (39%), la Russie (14%), la Bulgarie (9%), la Roumanie (7%), l’Ukraine (6%) et le Portugal (6%).

La part d’UDI nés en Europe a fortement augmenté entre 2004-2007 et 2016-2019 (de 25% à 62%, p<0,00001) et concerne notamment ceux nés en Géorgie, dont la part a augmenté de 19% à 39% (p<0,01), tandis que celle des UDI nés au Portugal a diminué, passant de 39% à 6% (p<0,00001).

Parmi les 62% d’UDI nés en Europe, 67% étaient nés dans des pays d’Europe ne faisant pas partie de l’Union européenne (UE) (représentant 41% du total des lieux de naissance) et 33% étaient nés dans des pays de l’UE (21% du total). La part des UDI nés en Europe hors de l’UE a fortement augmenté, passant de 11% en 2004-2007 à 41% en 2016-2019 (p<0,00001).

Catégorie socioprofessionnelle (CSP)

En 2016-2019, 48% des UDI étaient sans profession. La répartition des CSP des UDI nés en France et de ceux nés l’étranger ne différait pas significativement. La proportion d’UDI sans profession a augmenté au cours du temps, passant de 33% en 2004-2007 à 48% en 2016-2019 (p<0,01).

Région de domicile

En 2016-2019, 36% des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH étaient domiciliés en Île-de-France et 60% en France métropolitaine hors de l’Île-de-France. Seuls 1% des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH en 2016-2019 vivaient dans un département ou région d’outre-mer (DROM) et 3% à l’étranger. Les répartitions des lieux de domicile entre les UDI nés en France et ceux nés à l’étranger n’étaient pas significativement différentes. L’évolution des caractéristiques montre une augmentation de la part des UDI domiciliés en Île-de-France entre 2008-2011 (25%) et 2016-2019 (36%, p<0,05) en parallèle d’une diminution de ceux domiciliés en métropole, hors d’Île-de-France (de 68% à 60%, p<0,05).

Circonstances de contamination et de diagnostic

Délai entre l’arrivée en France et le diagnostic, et lieu de contamination probable, pour les UDI nés à l’étranger

En 2016-2019, plus des deux tiers des UDI nés à l’étranger (68%) ont été diagnostiqués moins d’un an après leur arrivée en France. Cette proportion était encore plus importante chez les UDI nés en Europe de l’Est (75%) comparativement à ceux nés à l’étranger en dehors de l’Europe de l’Est (45%). À noter que 9% des UDI nés à l’étranger avaient été diagnostiqués plus de 10 ans après leur arrivée en France.

Parmi les UDI nés à l’étranger pour lesquels on dispose de l’information, 85% d’entre eux ont été déclarés comme ayant été contaminés à l’étranger.

Initiative de la sérologie

En 2016-2019, le médecin était majoritairement à l’initiative de la sérologie ayant permis la découverte de la séropositivité VIH chez les UDI (92%), sans différence entre ceux nés en France et ceux nés à l’étranger, et sans différence entre les deux périodes de recueil des données.

Antécédent de sérologie négative

En 2016-2019, 71% des UDI ayant découvert leur séropositivité VIH n’avaient pas d’antécédent de sérologie négative avant le diagnostic, proportion plus importante chez ceux nés à l’étranger que chez ceux nés en France (86% vs 55%, p<0,01). Cette proportion chez l’ensemble des UDI a diminué entre 2004-2007 et 2012-2015 (p<0,0001), mais a réaugmenté en 2016-2019.

Caractère précoce ou avancé du diagnostic

En 2016-2019, 38% des UDI ont été diagnostiqués à un stade avancé de l’infection, proportion qui était beaucoup plus importante chez ceux nés à l’étranger (51%) que chez ceux nés en France (16%, p<0,001).

La diminution de la part de diagnostics à un stade avancé chez les UDI entre 2008-2011 et 2016-2019 n’est pas significative. Une diminution est observée uniquement chez ceux nés en France (de 47% en 2008-2011 à 16% en 2016-2019, p<0,01), parallèlement à une augmentation de la part des diagnostics précoces (de 13% à 37%, p<0,01).

Co-infections

Sur la période 2016-2019, 11% des UDI ayant découvert leur séropositivité étaient porteurs de l’antigène HBs, marqueur d’une infection chronique par l’hépatite B. Trois-quarts des UDI avaient des anticorps anti-VHC, témoin d’une hépatite C ancienne guérie ou non. Près d’un UDI sur 10 (9%) présentait une co-infection par une IST bactérienne concomitante ou survenue dans les 12 derniers mois : il s’agissait principalement d’une syphilis. La part de co-infections était comparable entre les UDI nés en France ou à l’étranger, sauf concernant l’hépatite C : la proportion d’UDI ayant des anticorps anti-VHC était plus importante chez ceux nés à l’étranger que chez ceux nés en France (83% versus 65%, p<0,05).

Discussion-conclusion

Les UDI constituent toujours une population particulièrement exposée au risque de contamination par le VHC, mais également par le VIH, comme en témoignent les estimations élevées d’incidence du VIH 8, d’où l’intérêt de suivre les caractéristiques et les tendances des découvertes de séropositivité chez les UDI via la DO du VIH.

L’ensemble des résultats présentés dans cet article repose sur les DO reçues à Santé publique France entre 2004 et juin 2020, sans correction pour la sous-déclaration et les données manquantes. À partir de ces données brutes, la diminution du nombre de découvertes de séropositivité VIH déclarées chez les UDI est de 38% entre 2004-2007 et 2012-2015, et de 57% entre 2004-2007 et 2016-2019, sachant que la sous-déclaration des cas qui a augmenté sur les années les plus récentes et les délais de déclaration peuvent avoir artificiellement accru le niveau de la diminution sur la dernière période. Notre analyse conclut également à une diminution de la part des UDI parmi l’ensemble des découvertes de séropositivité entre 2004-2007 et 2016-2019 (de 1,7% à 0,8%).

L’évolution de l’épidémie à VIH chez les UDI est marquée par la baisse des découvertes de séropositivité chez ceux nés en France et par l’augmentation des découvertes chez ceux nés à l’étranger, en nombre et en proportion. Cette amélioration de la situation des UDI nés en France vis-à-vis du VIH peut s’expliquer par le développement de la politique de réduction des risques dans notre pays, qui inclut désormais l’accès à une diversité de mesures permettant à la fois de réduire les pratiques à risque de transmission de manière directe, en favorisant l’accès aux seringues et aux salles de consommation à moindre risque et, de manière plus indirecte, par l’accès aux traitements de substitution aux opiacés qui permettent aux UDI de traiter leur addiction aux opiacés et donc de diminuer le nombre d’injections. Le nombre de personnes sous traitements de substitution en France est désormais de près de 180 000 personnes, avec une augmentation constante de la part de la méthadone (qui atteint désormais près de la moitié des prescriptions) 9.

Des progrès restent toutefois à accomplir en matière de réduction des risques. Dès 2016, la reprise des pratiques à risque et les problèmes d’accessibilité du matériel d’injection en France avaient été documentés à partir des données de la dernière enquête Coquelicot 2011-2013, un tiers des UDI déclarant avoir rencontré des difficultés à se procurer des seringues au cours des six derniers mois 3. Cette tendance s’est confirmée au cours du temps dans les données de l’OFDT. Chez les UDI fréquentant les Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) en 2015, 26,2% déclaraient avoir partagé au moins un élément du matériel d’injection au cours du dernier mois, et 14,5% une seringue (versus 9% en 2012) 10. Ce constat épidémiologique documenté à partir de deux enquêtes menées en France est conforté par une source européenne issue de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT, EMCDDA) qui montre que le matériel d’injection reste distribué en quantité insuffisante en France, avec une estimation de 110 seringues distribuées par UDI en 2015 11. Ce nombre, en hausse entre 2010 et 2015, reste inférieur aux 200 seringues par UDI recommandées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en 2012 pour atteindre le seuil de couverture, la France n’arrivant qu’en 10e position au niveau européen 4.

Les principales évolutions observées en termes de caractéristiques des découvertes de séropositivité VIH chez les UDI entre 2004-2007 et 2016-2019 sont les suivantes : augmentation de la part des UDI sans profession, tendance à l’augmentation des UDI de plus de 50 ans, forte progression des UDI nés en Europe de l’Est (notamment en Europe hors de l’UE) et diminution de ceux nés en France, amélioration de l’indicateur de précocité du diagnostic chez les UDI nés en France non observée chez ceux nés à l’étranger.

Dans notre analyse, l’augmentation de la proportion d’UDI sans profession au moment de la découverte de leur séropositivité, d’un UDI sur trois (33%) en 2004-2007 à un sur deux (48%) en 2016-2019, reflète probablement des situations plus fréquentes de précarité dans cette population.

Notre analyse met en évidence un pourcentage très élevé d’UDI n’ayant pas d’antécédent de sérologie négative avant la découverte de leur séropositivité (71% en 2016-2019), ce qui indique que des UDI continuent d’être éloignés du système de soins et de prise en charge, notamment ceux nés à l’étranger (86% sans antécédent de sérologie négative). À l’inverse, d’après la dernière enquête Coquelicot 2011-2013, le recours au dépistage du VIH chez les usagers de drogues au cours de leur vie est élevé (94%) 3. En parallèle, seuls 6,7% des UDI rencontrés en CAARUD en 2015 déclaraient ne jamais avoir été dépistés pour le VIH 10. Dans un contexte d’incidence ayant fortement diminué, ce décalage pourrait s’expliquer par le fait que la plupart des UDI séropositifs au VIH et proches du système de soins ont déjà été diagnostiqués. Les UDI ayant découvert leur séropositivité VIH en 2016-2019 seraient donc des UDI plus éloignés du système de soins. Cette absence de dépistage antérieur pour une partie des UDI explique la part importante de diagnostics à un stade avancé (38%).

La population des UDI découvrant leur infection à VIH a fortement évolué sur les 16 années de l’analyse, avec une diminution importante de la part d’UDI nés en France (passant de 55% à 28%) et une augmentation de ceux nés en Europe (de 25% à 62%), et notamment en Europe de l’Est (54% des UDI). L’évolution de ces proportions peut s’expliquer par des modifications de la population des UDI vivant en France, mais aussi par la part importante de ceux déjà diagnostiqués, non représentés dans les nouveaux diagnostics. Au sein des UDI nés en Europe, la répartition s’est modifiée, avec l’augmentation de la population d’UDI venant de Géorgie et la diminution importante de ceux venant du Portugal. Cette diminution peut s’expliquer par la politique de décriminalisation des drogues mise en place en 2000-2001 au Portugal, permettant aux UDI de bénéficier d’un meilleur accès aux soins 12. L’augmentation de la proportion d’UDI venant d’Europe de l’Est (notamment de Géorgie) pourrait être liée au fait que certains pays ont adopté des politiques de répression face à l’usage de drogues 13. Les motivations des usagers des pays de l’Est à migrer en France sont diverses ; elles incluent des motifs liés à la santé (meilleur accès aux traitements antiviraux pour le VIH et l’hépatite C ou aux traitements de substitution pour l’addiction), mais elles peuvent être également économiques (recherche de meilleures conditions de vie ou d’un travail) et politiques (fuir un pays avec des lois très répressives en matière d’usage de drogues ou d’opinions politiques) 13.

Notre analyse met en évidence des différences dans les caractéristiques et les évolutions entre les UDI nés en France et ceux nés à l’étranger, et montre donc la diversité des profils des UDI découvrant leur séropositivité. Aucune différence d’âge ou de CSP ne ressort entre ces deux populations. Cependant, la part de femmes est plus importante chez les UDI nés en France que chez ceux nés à l’étranger (en 2016-2019 : 25% versus 10%).

On observe une évolution positive au cours du temps, en termes de précocité du diagnostic, chez les UDI nés en France. Chez ceux nés à l’étranger, la part de diagnostics avancés est plus élevée et aucune tendance à la baisse n’est observée depuis 2008. Le fait que les UDI nés à l’étranger soient diagnostiqués plus tardivement peut s’expliquer en partie par une contamination antérieure à la migration (sachant que 85% des UDI nés à l’étranger déclaraient avoir été probablement contaminés à l’étranger) et, pour certains, par un accès moins aisé au système de santé français, ce qui retarderait donc leur prise en charge. Il existe sans doute également une certaine difficulté du système de soins à capter certains sous-groupes d’UDI. En effet, 86% des UDI nés à l’étranger n’ont jamais été testés avant la découverte de leur séropositivité. Néanmoins, plus des deux tiers des UDI nés à l’étranger ont été diagnostiqués moins d’un an après leur arrivée en France. Cela reflète les réflexes de dépistage des professionnels face aux UDI et aux personnes migrantes. À l’inverse, 9% des UDI nés à l’étranger ont été diagnostiqués plus de dix ans après leur arrivée en France. Le début de l’entrée dans la carrière d’addiction n’étant pas connu, il n’est pas possible d’expliquer ce chiffre uniquement par un éloignement vis-à-vis du système de soins, sachant que le début de l’addiction ou la contamination peuvent avoir eu lieu après l’arrivée en France. Les UDI nés en France ont été moins exposés au VHC dans leur vie que ceux nés à l’étranger.

Certaines évolutions importantes dans les caractéristiques des UDI découvrant leur séropositivité VIH en France entre 2004 et 2019 sont à noter et appellent à encourager les politiques de dépistage ciblé et d’accompagnement des UDI et des personnes migrantes. Les UDI représentaient 10% des personnes vivant avec le VIH en France en 2016 et la prévalence du VIH estimée dans cette population reste élevée (17,5%) 3. Le retard au diagnostic des UDI (et notamment de ceux nés à l’étranger) ainsi que la précarisation des UDI entre 2004 et 2019 appellent à une vigilance accrue face à une possibilité de reprise de l’épidémie dans cette population.

Ces résultats amènent à recommander le maintien d’une politique forte de réduction des risques, avec un accent sur l’accessibilité au matériel d’injection stérile 14 et la nécessaire prise en compte d’objectifs de santé publique internationaux. Une stratégie plus globale adressant à la fois la dimension des risques dans ses aspects sanitaires, mais également sociaux, doit être mise en place. Cette stratégie doit également intégrer une dimension communautaire de la prévention, permettant d’impliquer les différentes communautés d’UDI dans leur définition des stratégies, afin de répondre de manière plus spécifique à leurs besoins. Des efforts doivent être menés au niveau international dans les pays d’origine des UDI, afin d’inciter les pays d’Europe de l’Est à renforcer les politiques de réduction des risques et à lutter contre la stigmatisation des usagers de drogues 13.

Remerciements

Nous remercions infiniment Pierre Pichon, ainsi que Lotfi Benyelles, Clara da Costa et Charly Ramus pour leur travail quotidien de gestion des données de la déclaration obligatoire du VIH/sida.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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11 Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Drogues et addictions, données essentielles – Édition 2019. Paris: OFDT; 2019. 204 p. https://www.ofdt.fr/publications/collections/rapports/ouvrages-collectifs/drogues-et-addictions-donnees-essentielles/
12 European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. Drug Policy Profiles – Portugal. Lisbon: EMCDDA Papers; 2011. 28 p. https://www.emcdda.europa.eu/publications/drug-policy-profiles/portugal_en
13 Tibi-Lévy Y, Serebryakova D, Jauffret-Roustide M, ANRS-Coquelicot Study Group. Migration experiences, life conditions, and drug use practices of Russian-speaking drug users who live in Paris: A mixed-method analysis from the ANRS-Coquelicot study. Harm Reduct J. 2020;17(1):55.
14 Cazein F, Pillonel J, Barin F, Jauffret-Roustide M. HIV infection among persons who inject drugs: Ending old epidemics and addressing new outbreaks. AIDS. 2016;30(11):1857-8.

Citer cet article

Lassara L, Cazein F, Lot F, Stefic K, Jauffret-Roustide M. Évolutions et caractéristiques des usagers de drogues injectables ayant découvert leur séropositivité au VIH en France entre 2004 et 2019. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(20-21):387-94. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/20-21/2021_20-21_2.html