Les personnes vivant avec le VIH et la Covid-19 sur les lignes de Sida Info Service
// People living with HIV (PLHIV) and COVID-19 on the SIS Association helplines
Introduction
Dans le cadre du numéro vert mis en place par le gouvernement pour répondre aux différents questionnements sur la Covid-19, et devant l’afflux des appels et la diversité des questions, la Direction générale de la santé a sollicité Sida Info Service (SIS-Association) pour venir en renfort du numéro vert et traiter les appels. Le dispositif Écoute Santé Covid (ESC) de SIS-Association a été activé le 8 avril 2020.
Les données ont été recueillies à l’issue des entretiens qui se sont déroulés entre le 1er mars 2020 et le 31 mai 2021. Les fiches d’appels renseignées lors de ces entretiens ont permis d’extraire des données qualitatives et quantitatives.
Sur l’ensemble des dispositifs, les écoutant-e-s de SIS-Association ont réalisé, en 2020, 91 203 entretiens dont 5 496 (7,25%) étaient liés à la Covid-19. Sur l’ensemble de ces sollicitations, près d’une personne sur cinq déclarait une pathologie.
Les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) étaient les plus représentées, avec 12,2% de tous les appelants sur la Covid-19 ayant une pathologie.
Sur la question en lien avec la Covid-19, les PVVIH, dans leur quasi-totalité (84,5%), ont sollicité la ligne Sida Info service, tandis que les autres usagers ont majoritairement contacté la ligne dédiée à la Covid-19 (Écoute Santé Covid). Pour les PVVIH, la ligne d’écoute Sida Info service s’est présentée comme une interface entre eux et le système de soins monopolisé par la crise. Plus de la moitié (52%) des PVVIH avaient déjà contacté ces lignes.
Questionnements divers en lien avec la pandémie
Alors que le thème le plus souvent abordé par les non-PVVIH était d’ordre psychologique, dans plus de 50% des cas, les questions des PVVIH étaient liées à des craintes face aux éventuels impacts sur leur santé d’une contamination par la Covid-19, le risque d’être plus vulnérable en cas de contamination, ainsi que la question de la poursuite des soins et des traitements.
Pendant le confinement, les difficultés d’accès aux soins ont été largement discutées au cours des entretiens sur la ligne Sida Info Service. Sur toute cette période, les PVVIH ont vu leur suivi compromis par le confinement et par la mobilisation du corps médical sur la Covid-19. La fermeture d’un bon nombre de structures de santé a rendu certains professionnels de santé inaccessibles. Cette difficulté de prise en charge a été également rapportée par des personnes nouvellement infectées par le VIH qui n’ont pas pu avoir accès à une consultation spécialisée, ou par d’autres qui ont été refoulées par les services d’urgence.
La prise en charge thérapeutique des PVVIH s’est vue compromise par les restrictions de déplacements imposées par la période de confinement et par les angoisses que cette période a suscitées. Ainsi, certaines PVVIH nous ont rapporté des ruptures de suivi parce qu’elles n’arrivaient pas à joindre le service référent ; d’autres ne se sont pas rendues à leur consultation et n’ont pas fait le bilan prescrit parce qu’elles avaient peur de sortir de chez elle. Malheureusement, cette rupture de soin perdure à ce jour pour certains qui, toujours très angoissés par la situation sanitaire, n’ont pas réussi à revenir dans le système de soins.
Les questionnements sur les traitements ont été de plusieurs types : tout d’abord, beaucoup s’interrogeaient sur une possible protection des ARV (antirétroviraux) contre la Covid-19, puis est apparue une inquiétude vis-à-vis d’une possible rupture d’approvisionnement des ARV en cas de leur utilisation comme traitement préventif de la Covid-19.
Certaines personnes ne prenaient plus de traitement pour cause d’interruption de suivi ou de médecin injoignable. Elles ont été orientées vers des pharmacies, dans le cadre des décisions gouvernementales, afin de pouvoir renouveler les traitements chroniques en cas d’ordonnance périmée.
D’autres étaient en rupture de traitement pour des raisons plus complexes : des appelants étrangers étaient bloqués en France à cause des restrictions de déplacement et n’avaient plus de traitement. À l’inverse, des Français ou résidents réguliers étaient bloqués à l’étranger, en particulier en Afrique, et n’avaient plus de médicaments.
La rapidité de l’identification du virus SARS-Cov-2, et surtout la rapidité de mise sur le marché d’un vaccin, alors qu’il n’existe pas de vaccin anti-VIH, a provoqué de nombreux questionnements. Témoignant d’un sentiment de défiance vis-à-vis des laboratoires mais également vis-à-vis des chercheurs et des dirigeants politiques, s’est développé un sentiment d’une recherche à deux vitesses ou les PVVIH auraient une moindre place.
Concernant la vaccination, les premières questions révélaient l’inquiétude des PVVIH de ne pas avoir été considérées comme prioritaires. La thématique a suscité beaucoup d’interrogations. Puis les questions ont porté sur le vaccin qui pouvait leur être recommandé : s’il y avait absence d’interaction avec leur traitement, si elles pouvaient être vaccinées ou pas (certains médecins traitants déconseillant la vaccination). Les possibles effets secondaires du vaccin, son impact sur les taux des CD4, les possibles contre-indications étaient également au cœur des questions vaccinales.
Pour les tests PCR, les PVVIH se demandaient si les ARV pouvaient fausser les résultats ; leur inquiétude est née du fait de l’utilisation de certains ARV comme traitement possible de la Covid-19.
Les questions juridiques étaient également plus présentes chez les PVVIH. En particulier, sur la prise en charge des ALD, posant la question de la confidentialité vis-à-vis de l’employeur et révélant les craintes d’être victime de sérophobie.
Prise en charge psychologique par SIS
Les entretiens réalisés ont été marqués par une forte demande de soutien. Des craintes de complications plus importantes pour les PVVIH en cas de contamination par le SARS Cov-2 ont été exprimées au cours de ces échanges.
Les relations interpersonnelles ont été modifiées, voire suspendues, pour la plupart pendant le confinement. Si pour les non-PVVIH les questions des relations interpersonnelles sont moins marquées, il a été constaté chez les PVVIH qu’elles ont occupé 35% de leurs échanges. Certaines personnes appartenant au corps soignant étaient complètement démunies face à leurs pratiques professionnelles et à leur pathologie.
Les PVVIH qui devaient être en arrêt de travail selon les recommandations gouvernementales se sont posé deux types de questionnements : elles s’inquiétaient que leurs collègues et/ou employeur comprennent qu’elles étaient infectées par le VIH, ou exprimaient un sentiment de culpabilité, en particulier pour celles travaillant dans les structures de soin : elles avaient l’impression d’abandonner leurs collègues à un moment où on avait besoin de tous.
Les différentes restrictions imposées nous ont obligés à faire face à des difficultés pour continuer le suivi de certaines PVVIH, ne pas interrompre leur traitement et revenir vers le système de soin. Pour d’autres, il s’est agi de gérer l’angoisse de découverte de leur maladie par des collègues et/ou employeurs ou leur angoisse tout court. Les nouveaux contaminés ont vécu des périodes psychologiquement éprouvantes, certains n’ont pas pu accéder à une consultation ou à une prise en charge rapide.
Conclusion
La période de la Covid-19 a réveillé des peurs liées à la similitude des deux épidémies : une maladie arrivée de l’étranger, des symptômes atypiques et non spécifiques, un taux de mortalité élevé, un traitement qui se fait attendre, une communication contradictoire et anxiogène. Ces différents éléments ont parfois engendré un repli sur soi, une peur de l’exclusion et de sérophobie.
Un sentiment d’« injustice » s’est développé suite à la rapidité avec laquelle on a découvert l’agent en cause dans la Covid-19 et la mise au point d’un vaccin, contrairement à ce qui s’est passé pour le VIH. Ceci a favorisé les ressentis et le sentiment d’une recherche à deux vitesses, où les PVVIH auraient une moindre place car souvent issues de populations déjà discriminées. Ce que l’on constate c’est que, si la prise en charge médicale, la qualité et l’espérance de la vie des personnes vivant avec le VIH ont radicalement évolué, leur angoisse par rapport à leur place dans la société reste bien présente. La sérophobie est au cœur des entretiens et a un retentissement considérable sur l’existence des personnes concernées. L’épidémie de Covid-19 a remis en lumière ces problématiques et renforce l’idée que d’importantes campagnes de communication doivent être menées sur ces questions.
Remerciements
À l’ensemble des écoutants de SIS Association qui, par le travail de transcription effectué à l’issue de chaque appel, permettent à l’Observatoire de bénéficier d’une base de données considérable.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
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