Le VIH à l’ère de la pandémie de Covid-19

// HIV in the era of the COVID-19 pandemic

Bruno Spire
Directeur de recherches, Aix Marseille Univ, Inserm, IRD, SESSTIM, Sciences Economiques et Sociales de la Santé et Traitement de l’Information Médicale, ISSPAM, Marseille

L’année 2021 reste toujours inscrite dans le temps de l’épidémie à VIH : le virus circule toujours, les personnes atteintes ne sont pas guéries et doivent faire face à un traitement à vie et il n’y a toujours pas de vaccin. La pandémie de Covid-19 ne doit pas nous faire oublier que celle du VIH qui court depuis 40 ans n’est pas terminée. Pour ce 1er décembre 2021, ce numéro spécial du BEH apporte différents éclairages et actualise les problématiques des personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Beaucoup d’avancées ont été réalisées depuis les 10 dernières années, tant sur la diversification de la prévention que sur l’amélioration des traitements toujours plus efficaces et mieux tolérés. Ces traitements permettent aujourd’hui aux PVVIH de vivre en bonne santé et d’avoir une vie sexuelle sans la crainte de la transmission grâce à l’effet « Treatment as Prevention » (TasP) des antirétroviraux.

L’absence de risque de transmission par les PVVIH traités est formellement établie depuis plus de 10 ans avec les résultats de l’essai randomisé HPTN052. Cette bonne nouvelle du TasP est cependant peu diffusée dans la population générale. En population spécifique comme celles des hommes homosexuels, l’enquête Eras conduite par Annie Velter et coll. apporte des résultats publiés dans ce numéro qui montrent qu’une petite majorité seulement d’hommes gays connaissent le TasP. Plusieurs facteurs associés à la connaissance du TasP ont été identifiés dont certains sont liés aux inégalités sociales.

Par ailleurs, à l’ère du TasP, chez les hommes homosexuels séropositifs diagnostiqués au cours des 10 dernières années, la connaissance du TasP ne semble pas garantir l’absence de conséquences psychologiques négatives : l’étude sociologique de Mélanie Perez, réalisée à partir d’entretiens qualitatifs répétés au cours du temps et publiée dans ce numéro, montre que la découverte de la séropositivité constitue toujours une épreuve, malgré la mise en indétectabilité du VIH qui n’entraîne pas la disparition des expériences subjectives de honte et/ou de stigmatisation.

En outre, ce numéro décrit le profil des personnes transgenres ayant découvert leur séropositivité entre 2012 et 2020 : l’article de Françoise Cazein et coll., réalisé à partir des données issues de la déclaration obligatoire et publié dans ce numéro du BEH, montre que les personnes trans représentent près de 1% des découvertes de séropositivité et qu’il s’agit principalement de femmes trans (sexe de naissance masculin), nées le plus souvent en Amérique du Sud, avec un fort niveau d’exposition sexuelle et des facteurs de vulnérabilité multiples comme la migration, la précarité sociale et le travail du sexe.

La même approche basée sur l’analyse des déclarations obligatoires a été menée par Laurian Lassara et coll. Elle a permis de décrire les caractéristiques des usagers de drogue injectable (UDI) ayant découvert leur séropositivité sur la période 2016-2019 et leurs évolutions depuis 2004. L’article publié dans ce numéro met en évidence le vieillissement des UDI au cours du temps, la part croissante de ceux nés en Europe de l’Est, d’où l’impact en termes de précarité et de diagnostics tardifs. Les résultats plaident pour le maintien d’une politique forte de réduction des risques et la nécessaire prise en compte d’objectifs de santé publique internationaux. La stratégie préventive française a pris la voie de la santé sexuelle grâce à la mise en place en 2016 des Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par le VIH, les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles (IST).

L’article de Gilles Delmas et coll. publié dans ce numéro analyse les données individuelles transmises par les CeGIDD et présente les taux de positivité du VIH et des autres IST (syphilis, gonococcies et infections à Chlamydia trachomatis) en fonction des facteurs d’exposition des consultants. En 2020, le taux global de positivité pour le VIH était en très légère augmentation par rapport à celui observé en 2018. Les taux de dépistage de la syphilis et du Chlamydia sont restés stables alors que le taux de détection de l’infection à gonocoque était en augmentation. Ces évolutions doivent cependant être interprétées en tenant compte de la baisse de la fréquentation des CeGIDD en 2020 à cause de la crise sanitaire : la fréquentation a fortement diminué au deuxième trimestre 2020, lors de l’instauration du premier confinement (-58% de consultations entre le premier et le second trimestre). Après un retour inférieur au niveau du début de l’année, un second décrochage plus modéré a été observé au mois de novembre (-23% entre octobre et novembre), correspondant à la seconde période de confinement.

Ces confinements ont d’ailleurs eu un impact psychosocial particulier sur le vécu des PVVIH comme rapporté dans le focus de ce numéro par Myriam Campal et coll., qui a analysé les demandes et besoins exprimés par les PVVIH à partir des appels reçus par Sida Info service sur le numéro vert dédié, entre mars 2020 et mai 2021. La pandémie de Covid-19 a réveillé les inquiétudes qu’avaient pu déjà expérimenter les PVVIH face à certaines similitudes entre les pandémies. La période de la Covid-19 a réactivé des peurs vécues autrefois avec le VIH : maladie arrivée de l’étranger, symptômes non spécifiques, mortalité élevée, un traitement qui se fait attendre, une communication anxiogène. Cela a pu provoquer un repli sur soi, une peur de l’exclusion et de la sérophobie. Un sentiment d’injustice s’est également développé chez les PVVIH par rapport à la rapidité de la mise à disposition de vaccins contre la Covid-19 et pas contre le VIH.

Au total, ce numéro nous apporte de précieuses informations sur l’évolution de l’épidémie et sur les préoccupations des PVVIH à l’ère de la Covid-19. Bien sûr, un certain nombre des résultats publiés dans ce numéro sont basés sur des échantillons de convenance et sont donc limités par l’absence de représentativité ; cependant, ces résultats seront très utiles pour la mise en place de la future enquête ANRS-Vespa-3. Les enquêtes Vespa-1 et 2 ont étudié les conditions de vie des PVVIH en France sur une base représentative en 2003 et en 2011 ; une troisième édition est actuellement à l’étude et pourrait voir le jour en 2023.

Citer cet article

Spire B. Éditorial. Le VIH à l’ère de la pandémie de Covid-19. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(20-21):376-7. http://beh.
santepubliquefrance.fr/beh/2021/20-21/2021_20-21_0.html