Enquête rétrospective sur les cas de tuberculoses maladies diagnostiquées au Centre pénitentiaire de Fresnes de 2014 à 2018
// Retrospective survey on cases of tuberculosis diseases diagnosed at the Fresnes Penitentiary Centre from 2014 to 2018
Résumé
La distribution de la tuberculose en Île-de-France est caractérisée par de fortes disparités populationnelles et territoriales. Le milieu carcéral, qui fait cohabiter un ensemble de personnes présentant de nombreux facteurs de risque de développer la maladie, présente un taux de déclaration plus de 10 fois supérieur à celui de la population générale en France. Les prisons sont par ailleurs des établissements favorisant la transmission de la tuberculose en raison d’une grande promiscuité. Cet article présente les résultats d’une étude descriptive rétrospective unicentrique, réalisée de 2014 à 2018 auprès des personnes détenues au Centre pénitentiaire de Fresnes. Elle montre d’une part, l’importance du dépistage de la tuberculose chez les personnes arrivant en détention en retrouvant sur cette population un taux d’incidence de 141,58/100 000, pour un taux d’incidence global sur la période de 183,53/100 000. D’autre part, elle étudie les caractéristiques des tuberculoses maladies dépistées en montrant qu’elles sont souvent paucisymptomatiques et difficiles à confirmer bactériologiquement.
Le dépistage de la tuberculose en prison est un sujet important et sensible, qui représente un enjeu considérable, aussi bien pour les personnes détenues que pour les personnes, soignantes ou non, qui travaillent au sein des établissements pénitentiaires.
Abstract
The distribution of tuberculosis in Île-de-France is characterised by strong population and territorial disparities. Prison settings, where a group of people with many risk factors for developing the disease cohabit, have a rate of reporting 10 times higher than that of the general population in France. Prisons are also facilities that encourage the transmission of tuberculosis due to their very crowded conditions. This article presents the results of a retrospective uni-centric descriptive study from 2014 to 2018, carried out among inmates at the Fresnes Penitentiary Centre. It shows, on the one hand, the importance of screening for tuberculosis among persons arriving in detention, and finds an incidence rate of 141.58/100,000 for an overall incidence rate over the period of 183.53/100,000 and, on the other hand, studies the characteristics of the tuberculosis diseases detected by showing that they are often poorly symptomatic and difficult to prove bacteriologically.
The detection of tuberculosis in prisons is an important and sensitive subject, which represents a considerable challenge both for prisoners and for persons, carers or not, who work in penitentiary facilities.
Introduction
La distribution de la tuberculose (TB) en Île-de-France est caractérisée par de fortes disparités territoriales et populationnelles. En 2017, le taux d’incidence des tuberculoses déclarées était, sur le plan national, de 7,5/100 000 habitants 1, alors qu’il était de 15,8/100 000 en Île de France et dans le Val-de-Marne 2. Ceci est en particulier le cas en milieu carcéral, lieu faisant cohabiter un ensemble de personnes présentant de nombreux facteurs de risque de développer la maladie (précarité, addictions, originaires de pays à forte endémie…) et dans lequel le taux de déclaration est plus de 10 fois supérieur à celui de la population générale en France 3,4. La tuberculose en milieu carcéral est une préoccupation et un enjeu de santé publique 5,6.
Depuis la loi de 1994, les missions de soins et la prévention envers les personnes incarcérées sont confiées au service public hospitalier. L’Unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) du Centre pénitentiaire de Fresnes (CP) est une unité fonctionnelle du service de médecine interne et d’immunologie clinique de l’hôpital Bicêtre (94).
L’objectif de la loi de 1994 était de permettre aux personnes détenues d’avoir accès à des soins équivalents à ceux disponibles en milieu ouvert. L’hôpital Bicêtre, hôpital de référence, a donc déployé en 1996, date de signature du protocole pour le CP, des équipes et du matériel pour organiser les soins. En ce qui concerne la lutte contre la tuberculose, l’USMP a été habilitée antenne du centre de lutte antituberculeux du 94 (Clat-94) par l’Agence régionale de santé en 2007.
Le CP, comme de nombreux établissements pénitentiaires en France, présente une forte surpopulation carcérale, majorant la proximité des personnes détenues. Alors que la capacité d’accueil de l’établissement est de 1 320 personnes détenues, la moyenne annuelle en 2018 des personnes présentes chaque jour dans le CP était de 2 700 en moyenne annuelle. Ces personnes se répartissaient en 36% de personnes détenues prévenues et 64% de personnes détenues condamnées. Le quartier Maison d’arrêt des hommes atteignait un taux d’occupation moyen de 220%. Le CP était donc en surpopulation et devait, dans le même temps, gérer un sureffectif de personnes détenues et un flux important d’entrées et de sorties, le nombre moyen de personnes détenues arrivant par jour étant de 17 (ce chiffre regroupe les personnes arrivant de l’extérieur et concernées par notre étude, et celles arrivant d’autres lieux de détention). La durée moyenne de détention sur le CP était de 5,3 mois.
L’objectif de cet article est de souligner l’importance du dépistage par radiographie thoracique dès l’arrivée en détention des personnes détenues et de montrer que la majorité des cas traités pendant l’incarcération sont des tuberculoses maladies qui existaient lors de l’arrivée et qui ont été diagnostiquées à cette occasion.
Caractéristiques sociodémographiques de la population incarcérée
La population qui arrive en détention n’est pas représentative des niveaux sociodémographique et médical de la population française.
En 2018, la population des entrants au CP était composée de 94% d’hommes et de 6% de femmes. L’âge moyen des personnes détenues incarcérées au CP était de 35 ans, 62% étaient de nationalité française et 38% de nationalité étrangère (plus de 100 nationalités différentes étaient recensées).
Une majorité de ces entrants n’avaient pas bénéficié du système de soins à l’extérieur, soit parce qu’ils n’avaient pas de droit sociaux, soit parce qu’ils vivaient dans la clandestinité, la précarité, la marginalité, ou encore parce que leur santé n’était pas leur principale préoccupation. De plus, la plupart d’entre eux présentaient à l’arrivée un état de santé vulnérable du fait de conduites à risque (conduites addictives, rapports sexuels à risque…), de troubles mentaux et de l’absence de recours à un système de soins. Par ailleurs, certains étaient originaires de zones de forte endémie pour la TB et arrivés depuis peu en France ou en relations étroites familiales ou amicales avec des personnes venant récemment de ces zones. Vivant souvent dans la promiscuité (sans domicile, squat, logement précaire ou temporaire, foyer…), ils présentaient de nombreux facteurs de risque de TB maladie. Enfin, à l’intérieur du CP, les personnes détenues vivaient dans une grande promiscuité : 2 à 3 personnes dans une cellule de 9 m² de 18 à 20 heures sur 24, avec des changements de codétenus et de cellules fréquents, de nombreuses attentes pour des activités ou pour les parloirs, dans des salles exiguës, peu aérées et surpeuplées…
Dispositif de prise en charge de la tuberculose en milieu carcéral
Le code de procédure pénale (CPP) article R 57-6-18-3 prévoit que la personne détenue « doit bénéficier dans les plus brefs délais suivant son arrivée en détention d’un examen médical ». À l’USMP de Fresnes, cette consultation médicale d’arrivée a lieu tous les matins, du lundi au samedi, pour les arrivants de la veille. Le passage en radiologie pour la radiographie thoracique fait partie du « circuit » des arrivants et cet examen est systématiquement proposé, sauf en cas de radiographie récente (réincarcération, transfert d’un autre établissement, hospitalisation récente…). Dans ce cadre, il y a très peu de refus. Cependant, si cette radiographie est différée à un autre jour, les refus sont alors nombreux, le patient ne souhaitant pas se déplacer à nouveau. Le cliché est vu par le médecin de l’USMP le jour même. Il est transmis ensuite au PACS (système d’archivage et de transmission des images médicales) de l’hôpital Bicêtre pour interprétation par un radiologue. Le médecin de l’USMP peut donc immédiatement isoler le patient qui a une radiographie suspecte, le temps d’infirmer ou de confirmer le diagnostic, ou de prévoir une hospitalisation pour poursuivre les investigations.
En cas de radiographie suspecte de tuberculose, le bilan biologique et bactériologique (sur expectoration) est immédiatement réalisé au sein de l’USMP et transmis à l’hôpital Bicêtre ; le scanner est effectué à l’Établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF), hôpital sécurisé n’accueillant que des personnes détenues. Si nécessaire, une hospitalisation sur l’EPSNF est décidée, soit pour poursuivre les investigations, soit pour initier le traitement et terminer la période de contagiosité en hospitalisation. Les conditions d’isolement sur le CP étant assez difficiles à supporter, il est préférable qu’il y soit le plus court possible.
Les cas de tuberculose au Centre pénitentiaire de Fresnes
Méthode
Population de l’étude
Il s’agit d’une étude épidémiologique descriptive rétrospective réalisée dans la population des personnes détenues, hommes et femmes, du CP entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018.
Une 1re sous-population est celle concernée par le dépistage. Il s’agit des personnes détenues arrivant de l’extérieur (hommes et femmes) sur le CP pour la période concernée.
Une 2e sous-population concerne les patients incarcérés au CP et diagnostiqués durant l’incarcération, soit à l’entrée soit en cours de détention, pour une TB maladie sur la période concernée.
Le diagnostic de TB maladie a été retenu pour les cas avec des signes cliniques et/ou radiologiques compatibles avec une TB, s’accompagnant d’une décision de traitement antituberculeux standard, que ces cas soient confirmés par la mise en évidence d’une mycobactérie du complexe tuberculosis à la culture (cas confirmés), ou non (cas probables) 2.
L’antécédent de maladie tuberculeuse a été retenu si le patient déclarait avoir souffert d’une TB maladie plus de deux ans auparavant.
Ont été exclus les patients arrivant avec un diagnostic de TB maladie et déjà sous traitement.
Recueil des données
Les données ont été recueillies et croisées entre les dossiers médicaux papiers des patients, les données du Clat 94, les données bactériologiques du laboratoire de bactériologie du Groupe hospitalier des hôpitaux universitaires Paris-Sud et les renseignements administratifs (date de naissance, lieu de naissance, date d’incarcération) obtenus par le logiciel Genesis et fournis par l’administration pénitentiaire.
Résultats
Dépistage des patients arrivant en détention
Entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018, l’USMP a réalisé 19 070 dépistages (examen médical et radiographie thoracique) pour les arrivants de l’extérieur, soit un dépistage de 91% des arrivants. Les personnes non dépistées étaient celles ayant quitté le CP avant la réalisation de la radiographie ou celles qui disposaient à leur arrivée d’une radiographie récente et disponible. À l’issue de ce dépistage, la constatation d’images pulmonaires anormales sur la radiographie standard a conduit à la réalisation de 635 scanners thoraciques. Vingt-sept TB maladies ont été diagnostiquées lors de ce dépistage des arrivants sur la période d’étude, dont une était connue par le patient, mais non signalée à l’interrogatoire et non traitée. Le taux d’incidence des TB pulmonaires diagnostiquées à l’entrée en incarcération était ainsi de 141,58/100 000.
Les tuberculoses maladies diagnostiquées
Nombre
Au cours de la période d’étude, 35 TB maladies ont été diagnostiquées. Vingt-sept de ces cas (77,1%) ont été découverts lors du dépistage d’entrée décrit précédemment. Ils présentaient une radiographie thoracique d’entrée anormale nécessitant des examens complémentaires dès leur arrivée pour 26 d’entre eux. Un patient avait fait l’objet d’un diagnostic à l’extérieur mais était en rupture de traitement. Les 8 autres cas de TB maladie ont été diagnostiqués en cours de détention. Sept avaient une radiographie thoracique considérée comme normale à l’arrivée, un avait un antécédent de TB traitée. Chez ces 8 patients, le diagnostic de TB durant leur incarcération a été porté devant l’apparition de signes cliniques pour 4 d’entre eux ou d’un syndrome inflammatoire pour 1, ce qui a déclenché la prescription d’une nouvelle imagerie pulmonaire qui s’est révélée anormale. Deux diagnostics ont été fortuits, 1 a été révélé par un uroscanner demandé pour une autre cause, 1 devant des lombalgies (sans lien avec une TB) qui avaient nécessité une imagerie. Enfin, 1 patient connu pour une TB traitée et dont le scanner à l’arrivée ne montrait que des images séquellaires a ressenti des symptômes évocateurs de TB durant l’incarcération qui ont conduit au diagnostic de TB active après réalisation d’examens complémentaires.
Le taux d’incidence retrouvé sur la période de l’étude était de 183,53/100 000. Il était de 198,13/100 000 pour 2014, 137,70/100 000 pour 2015, 127,38/100 000 pour 2016, 257,73 /100 000 pour 2017 et de 195,07 pour 100 000 en 2018.
Caractéristiques des patients
Parmi les patients dépistés, 94,3% (33) étaient des hommes et 5,7% (2) des femmes, ce qui correspondait à la répartition des sexes chez les personnes incarcérées sur le CP.
La moyenne d’âge des patients atteints de TB était de 39 ans (figure 1). La répartition des patients par lieu de naissance (figure 2) montre que 23% étaient originaires d’Afrique subsaharienne et 23% d’Europe de l’Est.
En ce qui concerne les addictions, 82,8% (29) déclaraient être fumeurs de tabac, 37,1% (13) déclaraient une consommation excessive d’alcool et 28,5% (10) déclaraient une autre addiction (cannabis, héroïne, crack…).
Enfin, 28,5% (10) avaient une maladie chronique somatique avec un traitement au long court (hypertension artérielle, épilepsie, diabète…). Aucun n’était infecté par le VIH.
Symptômes
Près de deux tiers des patients (60%, 21) étaient asymptomatiques, 40% (14) présentaient au moins un symptôme retrouvé à l’interrogatoire, mais 14% (5) seulement s’en plaignaient spontanément (figure 3). Parmi les 14 patients symptomatiques, 7 (50%) toussaient. Aucun n’était atteint d’hémoptysie.
Antécédent de tuberculose maladie
Parmi les patients, 74,28% (26) ne présentaient aucun antécédent de TB maladie, 22,8% (8) présentaient un antécédent de TB dont le traitement à l’interrogatoire semblait correct et complet et 2,8% (1) présentaient un antécédent de diagnostic de TB maladie, mais n’avaient eu aucun traitement.
Localisation de la tuberculose
Trente-deux (91,4%) des TB diagnostiquées étaient des formes pulmonaires, 1 patient (2,8%) avait une forme pulmonaire associée à une atteinte extrapulmonaire, 2 (5,7%) avaient des formes extrapulmonaires sans atteinte pulmonaire. Ces 3 patients ayant des atteintes extrapulmonaires ont été diagnostiqués en cours de détention, avec une radiographie thoracique d’entrée considérée comme normale.
Dans le cas des atteintes pulmonaires, la présence de cavernes n’a été objectivée que par une seule radiographie standard. Dans 6 cas, le scanner thoracique a mis en évidence des cavernes, alors que la radiographie standard, bien qu’anormale, n’en montrait pas.
Résultats bactériologiques
La majorité des prélèvements ont été faits sur des expectorations. Dix patients (28,5%) avaient un examen mycobactériologique direct positif pour Mycobacterium tuberculosis par coloration ou par PCR, 9 (25,7%) présentaient un examen direct négatif, mais une culture positive pour M. tuberculosis. Pour un patient, le diagnostic a été fait sur une biopsie pleurale. Enfin, pour 15 cas (42,8%), le diagnostic a été retenu de façon présomptive sans preuves bactériologiques, sur la base de l’association de signes cliniques et radiologiques et de l’amélioration sous traitement. Aucune TB résistante n’a été diagnostiquée pendant la période de l’étude.
Traitement
Parmi les 35 patients, 34 ont débuté un traitement pendant l’incarcération. Un avait été libéré avant le résultat positif de la culture.
Sur les 34 patients traités, 52,9 % (18) ont été traités en intégralité et ont fini leur traitement durant leur incarcération. 47% (16) ont débuté leur traitement pendant l’incarcération et ont été libérés avant la fin du traitement. Ils sont sortis avec une ordonnance, leur dossier, 15 jours de traitement et, suivant les cas, les adresses des Clat et des consultations de précarité. Pour les plus précarisés, l’Équipe mobile de lutte contre la tuberculose du Samusocial de Paris a été informé afin de faire le lien en vue d’un suivi à l’extérieur.
Discussion
Limites de l’étude
Il s’agit d’une étude rétrospective, certaines données complémentaires (dont la date d’arrivée en France et les issues de traitement) n’ont pas pu être renseignées. Si l’effectif de dépistage est important, le nombre de cas de tuberculoses (35) reste néanmoins faible.
Résultats
Le premier point à noter dans cette étude rétrospective est le taux élevé de dépistages (91%) réalisés chez les arrivants en détention au CP, permettant de mettre en évidence un taux d’incidence très haut à l’entrée pour cette population, de 141,58/100 000, et un taux d’incidence global qui variait de 127,38/100 000 à 257,73/100 000 selon les années avec, sur la période de l’étude, un taux d’incidence à 183,53/100 000. Ces résultats sont à comparer avec le taux d’incidence en France de 7,5/100 000 en 2017. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce résultat. Tout d’abord les facteurs sociodémographiques de la population accueillie telle que décrits précédemment. Par ailleurs le CP est situé en Île-de-France, région à haute prévalence de tuberculose. Enfin, de par sa proximité avec l’aéroport d’Orly, il accueille souvent de personnes nouvellement arrivées sur le territoire français et originaires de zones à forte endémie de tuberculose, ce qui n’est pas forcément reproductible dans l’ensemble des établissements pénitentiaires français. Néanmoins, cette étude peut être mise en parallèle avec plusieurs autres études : une étude descriptive et rétrospective d’une population de personnes atteintes de tuberculose maladie, incarcérées en Île-de-France entre 2012 et 2015 7, qui retrouvait une prévalence moyenne de 150,8/100 000, une étude rétrospective effectuée à la Maison d’arrêt de Toulouse-Seysses en 2015 8, qui retrouvait une prévalence de 232,8/100 000, et une étude rétrospective réalisée au sein d’une maison d’arrêt de janvier 2006 à décembre 2015, qui retrouvait une prévalence de 250/100 000 9.
En ce qui concerne le dépistage de la TB maladie, l’article D381-1du code de procédure pénale préconise « un dépistage de la tuberculose par un examen clinique dans les délais les plus brefs et si nécessaire un examen radiologique laissé à l’appréciation du médecin », mais ce dépistage n’est plus obligatoire. Ceci a été également préconisé dans la circulaire DAP/DAGE/DHOS N° NOR JUSK 0740069C du 26 juin 2007 (BO du 30/6/2007) relative à la lutte contre la tuberculose en milieu pénitentiaire : prévention, dépistage, continuité de traitement et formation des personnels 10. Cette étude démontre la supériorité de la radiographie thoracique systématique en comparaison avec un simple interrogatoire recherchant la présence de signes cliniques associé à un examen clinique et complété si nécessaire par une radiographie. Parmi les rares signes retrouvés, la toux est très fréquente chez les personnes arrivant en détention en dehors de toute TB, car ce sont majoritairement des fumeurs (tabac et/ou cannabis). La perte de poids est également fréquente, en dehors de toute pathologie, du fait, d’une part, des conditions de vie précaires et souvent difficiles avant l’arrestation et, d’autre part, des conditions de vie pendant la période de garde à vue. Le taux important de fumeurs en détention est à souligner, le tabac étant un facteur de risque connu de la TB 11.
Le dépistage précoce par radiographie thoracique chez ces patients a- ou paucisymptomatiques est un enjeu majeur car il va permettre l’isolement rapide des patients chez lesquels la radiographie fait suspecter une TB et éviter des cas secondaires. Lorsque l’isolement est fait précocement lors de la visite médicale d’entrée, le seul sujet contact à l’intérieur du centre de détention sera la personne qui a passé la première nuit avec le malade. En revanche, un cas de TB maladie diagnostiqué tardivement va nécessiter une enquête très importante et chronophage, en raison de la multiplicité des sujets contacts, dont certains immunodéprimés ou particulièrement fragiles. Outre les risques encourus pour la santé de tous, ceci est également extrêmement anxiogène pour les sujets contacts, qu’il s’agisse de personnes détenues ou de personnels intervenant en détention (personnels de surveillance, conseillers d’insertion et de probation, personnels sanitaires, éducation nationale…). L’importance de ce dépistage systématique, suivi d’un diagnostic précoce de la TB pulmonaire potentiellement bacillifère, est donc un facteur de santé publique dans ce milieu confiné avec d’importants brassages de population et dans lequel de nombreux professionnels, dont l’obligation vaccinale par le BCG a été levée récemment 12, exercent.
La Haute Autorité de santé (HAS) doit rendre prochainement des recommandations sur le dépistage systématique des groupes à risques 5,6.
Des préconisations concernant également le renouvellement de la radiographie thoracique lors d’incarcération prolongée ou pour des personnes cumulant des facteurs de risques semblent souhaitables.
Le dépistage de l’infection tuberculeuse latente est à envisager au cas par cas chez ces patients ayant des facteurs de risques individuels associés, ainsi que les dernières recommandations du Haut Conseil de santé publique (HCSP) le préconisent, et pourrait contribuer à diminuer le risque de développer une TB en incarcération 13.
Pour améliorer le contrôle de la TB en prison, mais également pour diminuer sa prévalence en France, car ces patients ont vocation à retourner dans la société à l’issue de leur incarcération, il convient de dépister les personnes arrivant en détention par un examen clinique et une radiographie thoracique le plus rapidement possible, d’isoler rapidement toute suspicion, de réaliser des investigations complémentaires radiologiques et bactériologiques pour toute radiographie suspecte, de nouer un solide partenariat avec le Clat, non seulement pour examiner l’entourage du patient, mais aussi pour fortifier le relais de prise en charge et de suivi lors de la libération du patient. Il convient également de s’assurer du traitement pendant l’incarcération et d’assurer la continuité des soins lors de la libération. Il importe aussi que les droits sociaux soient à jour lors de la libération qui devraient impérativement être anticipée. Les issues de traitement des patients, qui n’ont pas pu effectuer leur traitement dans son intégralité pendant l’incarcération, sont une préoccupation majeure pour d’une part, arrêter la chaîne de contamination et, d’autre part, éviter l’émergence de souches résistantes 14. Elles nécessitent une étroite collaboration entre tous les acteurs, afin que ces patients précaires, souvent sans adresse fixe, puissent réintégrer le système de soins extérieur et finir leur traitement dans des conditions satisfaisantes.
Enfin, la diminution de la promiscuité et de la surpopulation pénale sont des facteurs importants pour la santé des personnes détenues et, en particulier, pour limiter la prévalence des maladies infectieuses transmissibles.
Conclusion
Cette étude montre d’une part le fort taux d’incidence de TB pulmonaires découvertes chez les personnes arrivant en détention sur le CP de Fresnes (141,58/100 000). Elle souligne d’autre part l’intérêt d’un dépistage de ces personnes dès leur arrivée, car la grande majorité des TB diagnostiquées le sont dès cette période (77,1%). Elle montre également l’importance de la radiographie thoracique lors de l’arrivée chez ces patients a– ou paucisymptomatiques, en permettant l’isolement précoce des patients ayant un cliché radiographique pouvant évoquer un diagnostic de TB.
La prise en charge de la tuberculose en détention est une forte préoccupation des ministères de la Santé et de la Justice, ainsi que de tous les professionnels, sanitaires ou non, qui exercent en milieu carcéral.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
DAGE/RI/2007/N°NOR JUSK 0740069C du 26 juin 2007 relative à la lutte contre la tuberculose en milieu pénitentiaire : prévention, dépistage, continuité du traitement et formation des personnels. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Circulaire_interministerielle_DGSMC1DHOSO2DAPDAGE_RI2007272_du_26_juin_2007_
relative_a_la_lutte_contre_la_tuberculose_en_milieu_penitentiaire_prevention_depistage_continuite_traitement_
formation_personnes.pdf
Citer cet article
209-15. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/10-11/2020_10-11_3.html