Tuberculose en Guyane : une incidence élevée, un contexte particulier
// Tuberculosis in French Guiana: a high incidence, a specific context
Une incidence toujours élevée en Guyane en 2018
L’épidémiologie de la tuberculose en Guyane se caractérise par un fort taux de déclaration reflétant les migrations des pays d’Amérique latine et des Caraïbes dont l’incidence est particulièrement élevée, en particulier en Haïti (181/100 000), au Brésil (44/100 000), au Surinam (29/100 000) et au Guyana (86/100 000) 1,2. Les données de surveillance de la tuberculose de 2005 à 2017 ont été publiées dans un précédent Bulletin épidémiologique hebdomadaire et montraient un taux de déclaration cinq fois supérieur à celui de la métropole en 2017 (7,5 cas contre 32,5 cas/100 000 en Guyane) 3. En 2018 ce taux restait élevé avec 74 cas de tuberculose maladie déclarés, soit un taux de déclaration de 26,3 cas/100 000 habitants (figure). Il s’élevait à 68,6 cas/100 000 personnes nées à l’étranger (n=55) et 10/100 000 personnes nées en France (n=18). Comme pour les années précédentes, la majorité des cas sont nés dans les pays limitrophes : 34,2% en Haïti (n=25), 27,4% au Brésil (n=20), 27,4% en France (n=20), 5,5% au Surinam (n=4) et 4,1% au Guyana (n=3). Cependant, chez les personnes nées en France, l’incidence de la tuberculose est, elle aussi, plus élevée en Guyane qu’en métropole, témoignant aussi d’une circulation en population générale 3.
En 2018, les caractéristiques des cas sont similaires aux années antérieures avec 83,8% de formes pulmonaires (n=62) dont
74,2% de formes bacillifères (BAAR et/ou culture positives) (n=28). De plus, aucune résistance aux antituberculeux n’a été
mise en évidence par le Centre national de référence des Mycobactéries et de la résistance aux antituberculeux (CNR MyRMA)
parmi les souches prélevées en Guyane. Ceci suggère indirectement une bonne efficacité de la prise en charge des cas
de tuberculose 4.
Entre 2005 et 2016, les formes pédiatriques graves sont quasi absentes, avec une seule forme méningée en 2006. En 2017 une forme miliaire et une forme méningée pédiatriques sont notifiées. En 2018, une forme méningée chez un enfant de moins de 15 ans dont le statut vis-à-vis du BCG n’était pas connu est notifiée 3.
Un contexte régional spécifique
Au 1er janvier 2019, la population de Guyane était estimée à 271 829 habitants, dont 17% vivent sur les fleuves où la majorité des communes ne sont pas accessibles par la route. Dans cette zone, les déplacements ne sont pas aisés et l’offre de soins est principalement assurée par les Centres délocalisés de prévention et de santé. Ces derniers ne disposent que d’un équipement limité pour assurer les soins courants et urgences simples 5. La démographie guyanaise est marquée par une population très jeune (57% de la population a moins de 30 ans), une forte croissance démographique (+2,5% par an entre 2010 et 2016) et une grande diversité (36% de la population sont de nationalité étrangère) 6.
La pression migratoire s’exerce sur un territoire dont les indicateurs socio-économiques sont plus défavorables qu’en métropole, avec des difficultés d’accès aux soins persistantes et des contraintes géographiques particulières. La précarité, le surpeuplement des logements, ainsi que les difficultés d’accès aux droits sont autant de facteurs favorisants la circulation du bacille. Dans une étude réalisée à Cayenne en 2015, 82% des personnes « sans-papiers » arrivées depuis plus de 3 mois n’étaient pas couvertes par l’Aide médicale de l’Etat (AME) alors qu’elles pouvaient en bénéficier. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le taux de chômage s’élevait à 22,4% en 2017 contre 9,4% en France (hors Mayotte), 13,5% des logements n’avaient pas accès à l’eau courante en Guyane contre 0,06% en métropole, et plus de 40% des logements étaient en situation de surpeuplement contre 9% en métropole 7,8,9. Le taux de renoncement aux soins pour raisons financières (12 versus 8% en métropole) ou pour difficultés de transport (12% versus 6% en métropole) est particulièrement élevé en Guyane 10. Bien que non chiffré, le renoncement au déplacement lié à la peur des contrôles d’identité est au Centre de lutte anti-tuberculose (Clat) un motif majeur de non venue au rendez-vous.
Insuffisance de vaccination par le BCG
En 2016, la couverture vaccinale (CV) par le BCG était estimée à 85,1% parmi les enfants de moins de 2 ans d’après les données du certificat de santé du 24e mois (CS24) 11. En Guyane, cette source de données surestime probablement les niveaux de CV et masque une hétérogénéité territoriale. Les CS24 en effet proviennent majoritairement de Cayenne et de Kourou, où l’offre de vaccination est la plus importante : la part des CS24 transmis parmi le nombre de naissances est très faible pour l’ouest et l’est guyanais. Comme ailleurs, la Guyane a été touchée par la pénurie d’approvisionnement en vaccin BCG de 2016 à 2018, entraînant des difficultés à mettre en œuvre la vaccination recommandée en maternité et générant une nette insuffisance de vaccination pour ces trois cohortes.
La lutte antituberculeuse
Bien que de moindre intensité par rapport à la plupart des pays d’Amérique latine ou de la Caraïbe, l’incidence de la tuberculose en Guyane est très supérieure à celle de la métropole. La précarité, les conditions de logement, le surpeuplement des ménages, la pression migratoire, l’accroissement démographique, les difficultés de transports et d’accès aux soins qui caractérisent la Guyane sont autant de facteurs favorisant la circulation du bacille tuberculeux. Dans ce contexte, à la demande de l’ARS Guyane, une mission d’évaluation de la lutte antituberculeuse (LAT) a été menée en 2019 en Guyane par deux experts qui ont formulé dans un rapport (non publié) des recommandations pour l’amélioration et l’adaptation de la LAT au contexte spécifique de la Guyane.
Renforcer le dépistage ciblé dans les populations à risque
L’une des priorités serait de renforcer les actions de dépistage ciblé qui ne détectent aujourd’hui que 5% des cas de tuberculose déclarés, alors que les groupes à risque sont probablement nombreux dans un contexte régional et local d’accroissement démographique fort, de grande précarité et de pression migratoire relativement importante. Le dépistage des primo-arrivants, en particulier de pays à forte endémicité pour la tuberculose, devrait être systématisé conformément à l’avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) 12.
Renforcer le suivi des cas contacts
Les enquêtes autour des cas sont également une priorité pour dépister les sujets contacts et assurer le traitement précoce des éventuels cas secondaires et le traitement préventif des infections tuberculeuses latentes. Les difficultés de transports des personnes pourraient être contournées en développant davantage « l’aller vers », à travers des actions hors les murs par les services de la LAT.
Assurer le suivi et la complétude du traitement de tous les cas
Les traitements doivent être complets, ce qui peut être facilité en améliorant l’accès aux soins et aux droits des patients. L’OMS préconise d’atteindre plus de 90% des patients traités et plus de 90% de succès thérapeutique 13. Or, en Guyane, sur la période 2010-2016, les traitements achevés représentent 72% des déclarations dont l’information est renseignée 3. Une coordination autour des cas mis sous traitement permettrait d’assurer un meilleur suivi en facilitant les échanges entre acteurs (centre de lutte anti-tuberculose et hôpital notamment).
Rattraper les enfants non vaccinés
Des actions de rattrapage vaccinal pourraient être mises en œuvre pour rattraper les cohortes d’enfants non vaccinés entre 2016 et 2018 tout en poursuivant le soutien aux centres de protection maternelle et infantile (PMI) et à la vaccination en maternité. La pertinence de pratiquer une intradermoréaction à la tuberculine (IDR), pour les enfants de moins de 5 ans devrait être réévaluée, compte tenu du fait que l’incidence de la tuberculose en Guyane est inférieure à 40 cas/100 000 habitants (seuil de haute endémicité tuberculeuse) 14,15.
Remerciements
À Thierry Comolet et Arnaud Trébucq de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires (Mission d’évaluation du programme de LAT en Guyane).
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
france.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/tuberculose/documents/article/lutte-contre-la-tuberculose-en-guyane-une-priorite-de-sante-publique.-donnees-de-la-surveillance-2005-2017
Citer cet article
2020_10-11_4.html