Comportements sexuels des jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au temps de la prévention biomédicale : des vulnérabilités spécifiques chez les plus jeunes – Enquête rapport au sexe 2023
// Sexual behaviour among young men who have sex with men in the era of biomedical prevention: Specific vulnerabilities among the youngest – Rapport au Sexe 2023 survey
Résumé
Introduction –
L’émergence d’outils biomédicaux de prévention du VIH a révolutionné les politiques de santé sexuelle, offrant des alternatives au préservatif. Cependant, leur adoption est encore marginale, notamment chez les jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Cette étude vise à analyser leurs conditions de vie, leur rapport à la santé et leurs pratiques de prévention dans un contexte marqué par la construction de l’identité sexuelle, la gestion du risque et des normes sociales contraignantes.
Méthode –
Les données proviennent de l’Enquête rapport au sexe (Eras), réalisée en 2023. Les analyses portent sur 6 371 HSH âgés de 18 à 29 ans répartis en trois classes d’âge : 18-21 ans, 22-25 ans et les 26-29 ans.
Résultats –
Les 18-21 ans se distinguent par une plus forte proportion de bisexuels (23% versus 15-19%), un cercle amical mixte (50% vs 42-43%), une fréquentation réduite des lieux communautaires gays (41% vs 51-57%). Ils subissent davantage d’injures homophobes (48% vs 28-37%) avec une santé mentale plus dégradée (40% d’anxiété vs 26-33%). Leur accès à la prévention est limité : 43% n’en parlent pas avec leur médecin, 46% n’ont pas fait de test VIH dans l’année (vs 28-33%). Bien que l’usage du préservatif soit plus fréquent (34% vs 29%), leur recours à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) reste faible (8% vs 23%), et 43% s’exposent au risque de contamination (vs 32-35%).
Conclusion –
Les jeunes HSH de 18 à 21 ans apparaissent particulièrement vulnérables. Ces disparités reflètent à la fois un effet d’âge et des déterminants sociaux, identitaires et territoriaux complexes, avec la nécessité de réaffirmer des stratégies de prévention adaptées aux spécificités d’une génération qui grandit dans un contexte de renouvellement des outils et des normes en santé sexuelle.
Abstract
Introduction –
The emergence of biomedical tools for HIV prevention has transformed sexual health policies, offering alternatives to condoms. However, their adoption remains marginal, particularly among young men who have sex with men (MSM). This study aims to analyze their living conditions, health status, and prevention practices within a context shaped by sexual identity formation, risk management, and constraining social norms.
Method –
Data come from the Enquête rapport au sexe (ERAS), conducted in 2023. The analyses cover 6,371 MSM aged 18 to 29, divided into three age groups: 18-21, 22-25, and 26-29.
Results –
18-21-year-olds are distinguished by a higher proportion of bisexuals (23% vs 15-19%), a mixed-gender circle of friends (50% vs 42-43%), and reduced attendance at gay venues (41% vs 51-57%). They experience more homophobic slurs (48% vs 28-37%) and poorer mental health (40% anxiety vs 26-33%). Their access to prevention is limited: 43% do not discuss it with their doctor, and 46% have not had an HIV test in the past year (vs 28-33%). Although condom use is more frequent (34% vs 29%), their use of Pre-exposure prophylaxie (PrEP) remains low (8% vs 23%), and 43% expose themselves to the risk of infection (vs 32-35%).
Conclusion –
Young MSM aged 18 to 21 appear to be particularly vulnerable. These disparities reflect both an age effect and complex social, identity-related and territorial determinants, highlighting the need to reaffirm prevention strategies tailored to the specificities of a generation growing up in a context of evolving tools and norms in sexual health.
Introduction
L’arrivée des outils biomédicaux de prévention du VIH, tels que la prophylaxie pré-exposition (PrEP) 1,2,3 ou le traitement comme prévention (TaSP) 4,5,6, et de leur efficacité démontrée a profondément transformé les politiques de santé sexuelle. En offrant des alternatives efficaces au-delà du préservatif, ces dispositifs ont contribué à une baisse significative des nouveaux diagnostics à VIH en France chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH) nés en France 7. Accessible depuis 2016 et remboursée, la PrEP, par exemple, a vu son accès facilité par l’extension aux médecins généralistes de sa prescription en 2021. Pour autant, son usage demeure encore limité, notamment par les HSH, et en particulier chez les plus jeunes 8. À l’international, une étude récente souligne également que l’adoption de la PrEP reste plus faible chez les jeunes générations d’HSH, mettant en évidence plusieurs barrières spécifiques liées à l’accessibilité, aux représentations de la PrEP, et à la crainte de stigmatisation 9. Ces résultats suggèrent que les difficultés rencontrées par les jeunes générations dépassent le contexte français, et renforcent la nécessité d’interroger les déterminants sociaux et générationnels qui façonnent leurs pratiques de prévention.
Plus globalement, les HSH âgés de moins de 25 ans présentent plus fréquemment des comportements sexuels à risque 10. S’ils peuvent se montrer moins attentifs à leur état de santé que les jeunes hétérosexuels du même âge 11, ils sont confrontés à des difficultés spécifiques, notamment celle d’aborder la question de leur sexualité avec un médecin généraliste 12. Ces éléments ne suffisent pas à expliquer les écarts observés entre classes d’âge. L’étude des vulnérabilités propres aux jeunes HSH nécessite de replacer les outils de prévention dans un contexte plus large, où s’entrecroisent trajectoires sociales, constructions identitaires, et rapports aux normes. En effet, la catégorie des « jeunes HSH » ne renvoie pas à un groupe homogène. Elle recouvre une diversité d’expériences traversées par le genre, la classe, le niveau d’éducation ou encore l’environnement social 13.
Dès la fin des années 1980, Michael Pollak a souligné le rôle des parcours de socialisation dans l’appropriation des outils de prévention, en insistant sur l’importance des appartenances communautaires et des ressources relationnelles 14. Avec Marie-Ange Schiltz, il a également montré que les jeunes peu intégrés dans les cercles militants ou les espaces communautaires – bars, associations, presse spécialisée – étaient moins exposés aux messages de prévention 15. En effet, les jeunes HSH distants de la scène gay semblent développer des formes de socialisations plus individuelles, parfois discontinues et moins structurées autour d’un discours collectif de prévention 16, et ce, quelles que soient les générations 17. Or, comme l’a récemment souligné Marie Bergström 18, les jeunes générations se distinguent par des transformations profondes dans leur rapport à leur sexualité qui redéfinissent également leur appropriation aux normes et aux outils de prévention.
L’objectif de cet article est d’actualiser les connaissances quant à l’appropriation de l’ensemble des outils de prévention chez les HSH âgés de 18 à 29 ans, divisés en trois classes d’âge et d’explorer comment ces écarts s’articulent avec leurs conditions sociales, leurs modes de vie et leurs comportements sexuels, afin d’identifier l’éventuelle persistance de vulnérabilités propres aux plus jeunes.
Méthodes
Source de données
Rapport au sexe est une enquête transversale anonyme, auto-administrée en ligne, basée sur le volontariat, répétée tous les deux ans depuis 2017. La dernière édition s’est déroulée du 24 février au 6 avril 2023, sous la responsabilité scientifique de Santé publique France, avec le soutien de l’Agence nationale de la recherche | Maladies infectieuses émergentes (ANRS | MIE). Les participants ont été recrutés via différents supports digitaux. Des bannières ont été diffusées, d’une part, sur des applications de rencontres géolocalisées gays et des sites d’informations affinitaires gays ; et d’autre part sur les réseaux sociaux, en ciblant des profils semblables à ceux des visiteurs du site de prévention Sexosafe de Santé publique France. Les participants étaient invités à donner leur consentement pour accéder au questionnaire en ligne. Aucune adresse IP n’était collectée, aucune incitation financière n’était proposée. Les seuls critères d’inclusion pour participer étaient le fait d’être un homme et d’avoir 18 ans ou plus. L’étude était conforme aux directives éthiques de la déclaration d’Helsinki de 1975. Le protocole d’enquête en ligne a été évalué et approuvé par le Comité d’évaluation éthique de l’Inserm (IRB00003888 avis n°23-989). Quatre grandes parties composent le questionnaire : les caractéristiques sociodémographiques, le mode de vie et la socialisation, les données de santé, et les comportements sexuels et préventifs au cours des six derniers mois et au cours du dernier rapport selon le type de partenaire (stable ou occasionnel).
Population d’étude
La population incluse dans l’analyse est celle des HSH cis, trans ou non-binaires résidant en France hexagonale et dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) âgés de 18 ans à 29 ans, répartie en trois classes : les 18-21 ans, 22-25 ans et 26-29 ans.
Variable d’intérêt
Notre variable d’intérêt dans cette étude est un indicateur de couverture préventive contre le VIH des HSH avec des partenaires occasionnels masculins dans les six derniers mois. Il s’agit d’une mesure catégorielle des pratiques sexuelles et de l’utilisation de méthodes de prévention du VIH avec des partenaires masculins occasionnels au cours des six derniers mois avant l’enquête, élaborée à partir de questions sur les rapports sexuels avec des partenaires occasionnels, le statut VIH auto-déclaré, le traitement du VIH, l’utilisation de la PrEP, et l’usage du préservatif 19.
À partir de six catégories, un indicateur binaire de comportement sexuel à risque vis-à-vis du VIH a été construit :
1) Pas de pratique de pénétration anale avec des partenaires occasionnels (participants de tout statut VIH) ;
2) Pénétration anale avec utilisation systématique du préservatif avec des partenaires occasionnels (participants de tout statut VIH) ;
3) Pénétration anale sans préservatif (Pasp) avec des partenaires occasionnels par des participants séropositifs sous traitement anti-VIH avec une charge virale indétectable ;
4) Pasp avec des partenaires occasionnels par des participants séronégatifs sous PrEP ;
5) Pasp avec des partenaires occasionnels par des participants séropositifs ne suivant pas de traitement contre le VIH ou ayant une charge virale détectable ou dont la charge virale est détectable ;
6) Pasp avec des partenaires occasionnels par des participants séronégatifs ou non testés qui ne sont pas sous PrEP.
Les catégories 1 à 4 ont été classées comme « pratique sexuelle sans risque vis-à-vis du VIH ». Les catégories 5 et 6 ont été classées comme présentant un risque de transmission ou d’infection par le VIH.
Plusieurs ensembles de variables ont été considérés dans l’analyse des facteurs associés au comportement à risque lors de rapport sexuel avec un partenaire occasionnel dans les six derniers mois :
–des caractéristiques sociodémographiques : identité de genre, âge, niveau d’études, situation financière perçue, situation familiale ;
–la variable sur l’identité de genre a été construite à partir des questions suivantes : « Actuellement, vous vous considérez comme : 1. Un homme, 2. Une femme, 3. Non-binaire, 4. Autres ». Et « Quel est le sexe enregistré au moment de votre naissance sur votre acte de naissance : 1. Masculin, 2. Féminin ». Leur combinaison a permis de distinguer quatre catégories : 1. Hommes cisgenres, 2. Hommes transgenres FtM (female to male, transition femme vers homme,), 3. Non-binaires. 4. Autres ;
–la variable sur l’autodéfinition de l’orientation sexuelle proposait quatre items : homosexuel, bisexuel, hétérosexuel, autre (en champs libre) ;
–des variables de socialisation : entourage amical, fréquentation de lieux de convivialité (bar, sauna, backroom), fréquentation des lieux extérieurs de drague, fréquentation des applications de rencontre, de sex parties ;
–des variables relatives à des injures homophobes subies dans plusieurs contextes (lieu de travail ou études, lieu public ou au sein de la famille) et liées à la santé mentale dont des scores d’anxiété mesurés selon l’indicateur du GAD-7, un outil qui a été développé pour mesurer l’anxiété généralisée à travers sept questions évaluant la fréquence des symptômes sur les deux dernières semaines qui ont précédé l’enquête. Les répondants notent chaque symptôme sur une échelle de Likert à quatre points, allant de « pas du tout » à « presque tous les jours ». Le score total varie de 0 à 21, avec un seuil de 10 pour indiquer une anxiété modérée à sévère 20 ;
–des variables liées aux comportements sexuels, comme le nombre de partenaires, ou la pratique du chemsex (consommation de produits psychoactifs – cocaïne, GHB/ GBL, amphétamines, MDPV, 3-MMC, 4-MMC... – dans un contexte sexuel) ;
–des variables sur la santé sexuelle, filtrés sur les répondants, qui déclaraient avoir eu un partenaire occasionnel masculin dans les six derniers mois : avoir un médecin et parler de prévention sexuelle avec lui ou non, le statut VIH auto-déclaré, le nombre de tests VIH effectués dans les 12 derniers mois, ou encore le lieu du dernier test VIH dans les 12 derniers mois.
Analyses statistiques
Dans un premier temps, nous avons comparé les profils des jeunes HSH âgés des trois classes d’âge (18-21 ans, 22-25 ans et 26-29 ans) selon leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs modes de vie, leurs comportements sexuels et leur santé sexuelle. Ces classes d’âge ont été sélectionnées pour refléter les étapes clés « des autonomies sociales, affectives et sexuelles » 16, permettant ainsi une analyse détaillée des comportements et besoins en santé sexuelle des jeunes HSH 18. Les comparaisons selon l’identification de genre n’ont pas été approfondies ici en raison des effectifs limités dans certaines sous-catégories. Ces analyses feront l’objet d’une publication ultérieure.
Les pourcentages issus des analyses bivariées ont été comparés en utilisant le test d’indépendance du Chi2 de Pearson, avec un seuil maximal retenu à 5%. Dans un second temps, nous avons étudié les facteurs associés à la prise de risque de VIH avec les partenaires occasionnels masculins durant les six derniers mois en menant une régression logistique multivariée. Les variables significatives au seuil de 20% en analyse bivariée ont été retenues pour les analyses multivariées. Le seuil de significativité retenu pour les analyses multivariées était de 5%. L’ensemble des analyses a été réalisé avec le logiciel Stata® 16.0.
Résultats
Population d’étude
Au total, 23 502 questionnaires Eras ont été complétés et validés en 2023. Un total de 21 044 répondants rapportait être des HSH résidant en France hexagonale et dans les DROM. Cette population comprenait 6 371 individus âgés de 18 à 29 ans (soit 30% de l’échantillon) dont 6 072 hommes cisgenres (95,3%), 158 hommes transgenres FtM (2,5%), 110 personnes non-binaires (1,7%) et 31 personnes se définissant comme « autres » (0,5%).
Caractéristiques des participants âgés de moins de 30 ans
Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques et les modes de vie des HSH selon les trois classes d’âge. Les plus jeunes (18-21 ans) se distinguaient par un profil spécifique, marqué par un niveau de diplôme plus faible (43% ont au plus le baccalauréat, contre 23% pour les deux autres classes d’âge, p<0,001), une précarité économique plus fréquente (17% déclarent des difficultés financières, contre 16% et 13%, p<0,001), ainsi qu’un ancrage territorial moins urbain (20% résident dans des communes de moins de 2 000 habitants, contre 13% pour les deux autres classes d’âge, p<0,001). Ces derniers se distinguaient par une proportion plus importante de participants s’auto-définissant bisexuels (23% contre 19% chez les 22-25 ans et 15% chez les 26-29 ans, p<0,001), rapportant un cercle amical plus souvent mixte d’amis homosexuels et hétérosexuels (50% vs 43% et 42%, p<0,001) et une moindre fréquentation des lieux communautaires gays (41% vs 51% et 57%, p<0,001). Ils indiquaient également être plus exposés aux injures ou agressions homophobes (59% vs 44% et 33%, p<0,001), et ce, plus spécifiquement dans les lieux publics. Leur santé mentale était particulièrement dégradée, avec un score élevé d’anxiété pour 40% d’entre eux (vs 33% et 26%, p<0,001), et un taux de tentative de suicide au cours de la vie plus élevé dans cette tranche d’âge (21%) que les autres (vs 17% et 14%, p<0,001).
Agrandir l'imageSanté et comportements sexuels des jeunes HSH avec les partenaires occasionnels dans les 6 derniers mois
Concernant leur sexualité, une large majorité (89%) des répondants avaient eu des relations sexuelles avec un homme dans les 12 derniers mois, les plus jeunes avaient une moindre activité sexuelle que leurs aînés : 18% n’avaient pas eu de partenaire masculin dans l’année, contre 7% pour les plus âgés (p<0,001). Plus de la moitié d’entre eux (3 509) rapportaient au moins un partenaire occasionnel masculin dans les six mois précédant l’enquête. Parmi ces HSH sexuellement actifs, les moins de 22 ans étaient plus souvent monopartenaires que leurs aînés (11% vs 8% et 7%, p<0,001). Sur le plan de la santé sexuelle (tableau 2), 43% des moins de 22 ans déclaraient avoir un médecin généraliste, mais avec qui les questions de prévention sexuelle n’étaient pas abordées (contre 30% et 23%, p<0,001). Dans cette classe d’âge, 35% des répondants ignoraient leur statut sérologique VIH (vs 16% et 9%, p<0,001), et 46% n’avaient pas réalisé de test VIH dans l’année (vs 33% et 28%, p<0,001). Parmi les répondants ayant eu recours au dépistage dans l’année, si les laboratoires d’analyses médicales sont les premiers lieux où le dernier test a été réalisé, les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) sont particulièrement fréquentés, et plus spécifiquement par les plus jeunes (39% vs 35% et 28%, p<0,001).
Agrandir l'imageEn matière de couverture préventive (figure), un tiers des moins de 30 ans rapportaient avoir utilisé systématiquement un préservatif lors de pénétrations anales avec leurs partenaires occasionnels dans les six derniers mois. Cette proportion est légèrement plus élevée chez les plus jeunes (34% chez les 18-21 ans vs 29% chez les 26-29 ans, p<0,05). L’usage de la PrEP s’élevait à 17%, avec des différences significatives entre classes d’âge : 8% des moins de 22 ans rapportaient en avoir eu l’usage contre 23% pour les 26-29 ans (p<0,001). La part de jeunes HSH vivant avec le VIH étant très faible (1%), la catégorie des participants séropositifs au VIH avec une charge virale indétectable est de l’ordre de 0,8% avec une légère augmentation avec l’âge (0,4% chez les 18-21 ans vs 1,3% chez les 26-29 ans, p<0,05).
Agrandir l'imageAu total, 36% des HSH âgés de moins de 30 ans ont rapporté ne pas utiliser de moyen de prévention avec leurs partenaires occasionnels dans les six derniers mois. Cette proportion était de 43% parmi les 18-21 ans, du fait de la moindre utilisation des outils de prévention biomédicale, contre 35% pour les 22-25 ans et 32% pour les 26-29 ans, (p<0,001).
Les résultats de l’analyse multivariée des facteurs associés aux comportements sexuels à risque du VIH avec les partenaires occasionnels masculins dans les six derniers mois (tableau 3), maintiennent ces différences au détriment des jeunes HSH âgés de 18-21 ans par rapport aux 26-29 ans (odds ratio ajusté (ORa)=1,22 [1,01-1,48]), toutes choses égales par ailleurs.
Le niveau d’études apparaît comme un facteur important. Les personnes ayant un niveau bac ou inférieur présentent un risque significatif (2,16 [1,77-2,63]), comparées à celles ayant suivi un second ou troisième cycle universitaire, et ce gradient se retrouve également pour les personnes ayant un niveau bac+2 ou équivalent (1,40 [1,17-1,68]). La précarité financière est également associée à une prise de risque (1,18 [1,02-1,37]). De même, les personnes vivant dans une commune de moins de 2 000 habitants (1,40 [1,12-1,75]) ou de taille moyenne (1,25 [1,07-1,46]) sont plus à risque que celles vivant dans une grande agglomération. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir un cercle d’amis majoritairement homosexuel est associé à un risque plus important (1,46 [1,14-1,86]). Concernant l’activité sexuelle, les participants ayant moins de cinq partenaires masculins occasionnels dans les six derniers mois, présentent un risque significativement plus faible (0,74 [0,64-0,85]), comparé à ceux ayant eu plus de cinq partenaires.
Agrandir l'imageDiscussion
Nos résultats révèlent des usages contrastés des outils de prévention du VIH parmi les jeunes HSH, et de grandes vulnérabilités chez les plus jeunes. Ces écarts s’inscrivent dans des réalités sociales complexes, où se croisent conditions de vie, expériences relationnelles, rapports à l’identité sexuelle, et accès inégal aux ressources en santé.
Au cours des dernières décennies, l’homosexualité a graduellement bénéficié d’une reconnaissance juridique et sociale accrue, portée par des avancées législatives majeures (telles que le Pacs et le mariage pour tous), ainsi que par une acceptabilité croissante au sein de la population générale 21. Cette évolution a contribué à une meilleure visibilité et légitimité des modes de vie gays, créant un cadre social a priori plus favorable pour les jeunes HSH.
Cependant, comme le souligne Wilfried Rault, cette évolution du regard social ne signifie pas pour autant la banalisation des parcours des jeunes gays 22. Ces derniers continuent de présenter des spécificités marquées par rapport à l’ensemble des jeunes hétérosexuels, notamment en termes de comportements à risque face au VIH, et d’expériences fréquentes de mal-être, avec une prévalence des tentatives de suicide significativement plus élevée que d’autres populations 23.
C’est précisément dans cette optique que nos données apportent un éclairage particulier. Nous avons choisi de placer la focale sur les HSH âgés de 18 à 21 ans comparativement à ceux âgés de 22 à 29 ans. Cette distinction permet de saisir un groupe en début de parcours sexuel adulte, encore marqué par des enjeux identitaires et relationnels par rapport aux HSH plus âgés. Nos résultats indiquent que les HSH âgés de 18 à 21 ans déclarent une moindre utilisation des outils de prévention, avec un recours moins fréquent à la PrEP et un usage du préservatif légèrement supérieur à celui des tranches d’âge plus anciennes. Une proportion plus élevée de rapports sexuels non protégés est observée dans ce groupe, ce qui peut être associé à un risque accru d’exposition au VIH. Ces observations suggèrent une influence possible des normes préventives hétéronormatives, ainsi qu’une connaissance limitée des stratégies de prévention adaptées aux besoins spécifiques des HSH. Par ailleurs, l’orientation sexuelle et les enjeux liés à la construction identitaire à cet âge pourraient contribuer à expliquer ces dynamiques préventives 24. Dans un contexte où l’hétéronormativité reste prédominante 25, l’étape du coming out se caractérise par une tension entre reconnaissance personnelle de l’orientation sexuelle et crainte du rejet familial ou social. Cette dynamique influence profondément la manière dont ces jeunes investissent leur sexualité et accèdent aux ressources de prévention. Par ailleurs, notre échantillon inclut une proportion plus importante de jeunes HSH s’identifiant comme bisexuels, une identification qui peut réduire le sentiment d’appartenance à la communauté gay et les éloigner des dispositifs de prévention spécifiquement ciblés. Nos résultats montrent, que le fait d’être distant des pairs homosexuels apparaît comme un facteur associé à la prise de risque. Cette observation renforce l’idée que l’intégration dans les réseaux de sociabilité gay favorise un meilleur accès aux ressources préventives pouvant contribuer à réduire les comportements à risque 11. Dans le même temps, la banalisation relative de l’homosexualité dans les discours sociaux et politiques ne s’est pas toujours accompagnée d’une offre de prévention suffisamment adaptée aux jeunes générations.
De plus, de nombreux jeunes HSH rapportent des réticences à évoquer leur sexualité avec les professionnels de santé, ce qui peut retarder ou empêcher l’accès aux dispositifs de prévention 26,27. Le dévoilement de son identité sexuelle reste rarement abordé avec le médecin généraliste, particulièrement lorsque ce dernier est le médecin de famille 28. Dans ce contexte, le manque de formation et d’écoute du corps médical peut ainsi entraver l’identification des besoins, l’orientation vers les dispositifs appropriés, et le maintien dans la prévention sur le long terme.
Ces difficultés relationnelles s’inscrivent dans un contexte plus large d’inégalités sociales et économiques qui constituent un obstacle majeur à la santé et à la prévention jeunes HSH. Ceux déclarant un niveau d’études inférieur au baccalauréat ou une situation financière difficile sont en effet plus exposés à des pratiques à risque et recourent moins à la PrEP. Des travaux antérieurs avaient déjà souligné l’existence de groupes vulnérables socio-économiquement exposés à un risque élevé d’infection par le VIH 29. Par ailleurs, ces résultats corroborent d’autres recherches mettant en lumière les effets cumulatifs de la précarité, des violences homophobes et de l’exclusion sociale sur les trajectoires de santé des minorités sexuelles 30,31,32. Dans notre échantillon, les plus jeunes HSH rapportent une exposition accrue aux injures homophobes, tant sur le lieu d’études ou de travail que dans les espaces publics ou familiaux, avec des niveaux d’anxiété élevés et des tentatives de suicide plus fréquentes que dans la population générale 33. Le lieu de résidence des enquêtés, constitue également un facteur différentiel : vivre en dehors des grandes métropoles, où les ressources en santé sexuelle sont moins accessibles ou moins visibles, constitue un frein supplémentaire à l’accès aux outils de prévention 34.
Cette étude, du fait de sa méthodologie basée sur le volontariat, induit des biais de participation tendant à surreprésenter les hommes les plus identifiés à la communauté gay 35, d’autant plus parmi le groupe d’âge des plus jeunes susceptibles d’être des personnes sexuellement précoces et plus affirmées quant à leur identité que leurs aînées 36. Elle offre, cependant, un aperçu précieux grâce à un recrutement diversifié via les réseaux sociaux, capturant ainsi une variété de profils sociodémographiques.
Les trajectoires préventives de ces jeunes HSH, nés entre 2002 et 2005, ne semblent pas différentes de celles des générations antérieures, comme l’a montré Marie-Ange Schiltz dès 1997 en décrivant le parcours de jeunes homosexuels et cette étape d’appropriation des modes de vie et d’intégration des comportements préventifs, rendant compte d’un effet d’âge plus que d’une rupture générationnelle 16.
Pour répondre à ces défis, il est crucial de développer des stratégies de prévention qui tiennent compte de la diversité de parcours, de lieux de vie et d’expériences subjectives des jeunes HSH. Cela inclut l’amélioration de la formation des professionnels de santé pour mieux accueillir les minorités sexuelles et le renforcement de lutte contre les violences homophobes. Une approche intégrée, combinant prévention, soutien psychologique et réduction des inégalités est essentielle pour créer des dispositifs de santé plus inclusifs et durables pour tous les jeunes HSH.
Liens d’intérêt
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