Les déterminants sociaux doivent être au cœur de la stratégie nationale de santé sexuelle

// Social determinants must be at the heart of the National Sexual Health Strategy

Pascal Pugliese1, Albane Gaillot2
1 Centre hospitalier universitaire, Nice
2 Le Planning familial, Paris

Les études proposées dans cette édition dessinent un tableau marquant des inégalités en santé sexuelle en France. Elles révèlent comment les déterminants sociaux – âge, genre, orientation sexuelle, origine, statut migratoire, précarité, territoire – façonnent des vulnérabilités spécifiques qui peuvent s’entrecroiser, et qu’il est structurant de prendre en compte lors de l’élaboration de politiques publiques, comme la nouvelle feuille de route 2025-2030 de la stratégie nationale de santé sexuelle en cours d’élaboration.

L’enquête PrévIST couplée à la grande enquête Contexte des sexualités en France de 2023 a pour objectif d’estimer la prévalence des infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes et d’identifier les facteurs de risque associés 1,2. Même si ses résultats montrent une diminution de la prévalence de l’infection à Chlamydia trachomatis en population générale chez les moins de 25 ans par rapport à 2006, celle-ci reste plus élevée chez les 25-29 ans et chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH).

Combinant les informations du Système national des données de santé et la déclaration obligatoire des découvertes d’infections à VIH, Kunkel et coll. analysent l’évolution entre 2014 et 2023 du dépistage et des diagnostics du VIH et de trois IST bactériennes chez les 15-25 ans par rapport aux plus âgés 3. Les taux de personnes testées des quatre IST progressent, associés à une augmentation des taux de diagnostic de chlamydiose et de gonococcie et, chez les jeunes femmes, des taux de diagnostic de syphilis. Le nombre de découvertes de séropositivité VIH augmentent aussi, à la fois en nombre et en proportion chez les 15-25 ans, surtout chez ceux nés en Afrique subsaharienne ou en région hors Île-de-France. Les données nationales de surveillance du VIH pour l’année 2024 montrent la poursuite de l’augmentation du dépistage du VIH portant à 8,5 millions de tests remboursés dont un sur quatre sans prescription en laboratoire, et une quasi-stabilité des indicateurs de diagnostic et d’incidence dans tous les groupes de transmission 4.

Les tendances et les caractéristiques des cas de syphilis congénitale en France à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information et du Centre national de référence des IST bactériennes mettent en évidence une augmentation préoccupante de la syphilis congénitale 5. Elles révèlent ainsi les opportunités manquées de dépistage prénatal et conduisent à prioriser le renforcement des actions de prévention ciblant les populations les plus exposées – les femmes jeunes, les femmes migrantes, celles en situation de précarité –, notamment dans les territoires ultramarins.

L’étude de Chameau et coll. analyse l’appropriation de la prévention par les jeunes hommes dans les premières années de leurs relations entre hommes, et en mesure les écarts observés avec les hommes plus âgés et leurs déterminants 6. Ces jeunes HSH apparaissent moins familiers des outils de prévention (la prophylaxie pré-exposition – PrEP – et le dépistage) et s’exposent à des risques accrus de contamination au VIH. Cette vulnérabilité est associée à une orientation sexuelle moins affirmée, marquée par une identification plus fréquente comme bisexuels, une distance aux réseaux de sociabilité gay. Ces jeunes font face à davantage de violences homophobes dans leurs milieux de vie, et à un mal-être psychologique profond. Ces vulnérabilités sont accentuées par des inégalités sociales et territoriales marquées, conjuguant niveau d’études, précarité sociale et éloignement des métropoles.

Les femmes transgenres sont particulièrement vulnérables au VIH et leur situation face à la maladie est mal décrite dans les enquêtes générales, d’où l’intérêt de l’enquête ANRS-Trans&VIH 7. Ces femmes sont majoritairement étrangères, la plupart nées en Amérique latine. Leur prise en charge du point de vue du VIH est efficace, malgré leur précarité sociale et administrative et la reconnaissance encore trop difficile de leur identité de genre qui obèrent leurs démarches et constituent autant de facteurs de vulnérabilité psychique, sociale et de santé. Ces résultats rappellent l’importance de croiser plus largement les enjeux de migration et d’identité de genre pour la prévention du VIH et l’accès aux soins. Les associations communautaires qui ont porté la reconnaissance de la transidentité gardent un rôle majeur dans l’accompagnement, la recherche et le plaidoyer. Cette enquête souligne une nouvelle fois l’efficacité de l’Aide médicale d’État (AME) et son rôle pour la santé des personnes et la santé publique.

Cette édition met en exergue la contribution essentielle de la surveillance épidémiologique et de la recherche pour adapter la stratégie nationale de santé sexuelle. Celle-ci doit s’appuyer sur des données scientifiques rigoureuses, des informations épidémiologiques issues de systèmes de surveillance modernisés et sur l’évaluation des nouvelles stratégies. Le système d’accès à la santé sexuelle s’est élargi et diversifié pour lever les barrières psychologiques et physiques, mais il reste indispensable d’évaluer en continu l’efficacité des différents dispositifs, leurs coûts et leurs bénéfices épidémiologiques, interroger l’adaptation et l’adéquation des messages de préventions et des moyens mis en œuvre. Les outils numériques sont à intégrer à chaque fois qu’ils améliorent l’accès à la prévention et aux soins, sans affaiblir les échanges humains dans le système éducatif ou avec les soignants.

Les résultats éclairent les déterminants des expositions et les usages des systèmes de dépistage, de prévention et de soins. Ils invitent, au regard de l’évolution des contours de la sexualité, à ajuster les programmes de prévention des IST et des grossesses non souhaitées, en prenant en compte les besoins des populations et des territoires les plus exposés : aller davantage vers les jeunes, offrir des ressources de prévention adaptées à la singularité des parcours et à la diversité des situations – qu’il s’agisse du niveau d’études, des niveaux socio-économiques, des caractéristiques des territoires, des parcours migratoires – et tenir compte de la persistance des discriminations, de leurs violences et de leurs impacts sur les comportements. Ils soulignent l’importance de dépister tôt, de former les professionnels et briser les silos entre santé sexuelle, droits sociaux et lutte contre les discriminations, dans une approche intersectionnelle.

Enfin, il est crucial de sanctuariser ce qui fonctionne déjà, comme la couverture sociale universelle avec notamment l’AME, le soutien au secteur associatif et le maillage territorial au plus près des populations et des territoires. Et de réfléchir, dès aujourd’hui, à des systèmes de soins durables, capables de garantir l’accès universel aux droits fondamentaux sans discriminations, particulièrement en matière de santé sexuelle.

Références

1 Sauvage C, Balcon C, Chazelle E, Peuchant O, Moreau C, Lot F et al. Prévalence de l’infection à Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae et Mycoplasma genitalium chez les femmes et les hommes de 18-59, en France hexagonale, enquête PrévIST. Bull Epidemiol Hebd 2025;(19-20):392-403. https://beh.santepublique
france.fr/beh/2025/19-20/2025_19-20_5.html
2 Contexte des sexualités en France. Premiers résultats de la recherche CSF2023. Paris: Inserm-ANRS-MIE; 2024. 44 p. https://csf.inserm.fr/2025/02/06/premiers-resultats-de-lenquete-csf2023/
3 Kunkel A, Chazelle E, Cazein F, Lauzun VD, Lucas E, Laporal S et al. Dépistage et diagnostic du VIH et de trois infections sexuellement transmissibles bactériennes chez les jeunes adultes en France, 2014-2023. Bull Epidemiol Hebd 2025;(19‑20):373-82. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/19-20/2025_19-20_3.html
4 Santé publique France. Surveillance du VIH et des IST bactériennes en France en 2024. Bulletin. Édition nationale. Saint-Maurice: Santé publique France; 2025. 43 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/vih-sida/documents/bulletin-national/vih-et-ist-bacteriennes-en-france.-bilan-2024
5 Kounta CH, Benhaddou N, Grange P, Viriot D, Woerther CC, Dupin N et al. La syphilis congénitale en France de 2012 à 2019. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):383-91. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/19-20/2025_19-20_4.html
6 Chameau Z, Mercier A, Velter A. Comportements sexuels des jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au temps de la prévention biomédicale : des vulnérabilités spécifiques chez les plus jeunes – Enquête rapport au sexe 2023. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):354-63. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/19-20/2025_19-20_1.html
7 Balhan L, Annequin M, Faye A, Mora M, Huizen RV, Fiorentino M, et al. Qui sont les femmes transgenres vivant avec le VIH en France ? Caractéristiques sociodémographiques, de transition et de prise en charge. Résultats de l’enquête ANRS-Trans&VIH. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):364-72. https://beh.santepubliquefrance.fr/
beh/2025/19-20/2025_19-20_2.html

Citer cet article

Pugliese P, Gaillot A. Éditorial. Les déterminants sociaux doivent être au cœur de la stratégie nationale de santé sexuelle. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(19-20):352-3. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/19-20/2025_19-20_0.html