La syphilis congénitale en France de 2012 à 2019
// Congenital syphilis in France from 2012 to 2019
Résumé
Introduction –
La recrudescence de la syphilis depuis les années 2000 en France pourrait influencer l’incidence de la syphilis congénitale (SC). Cet article décrit les tendances et les caractéristiques des cas identifiés entre 2012 et 2019 dans la base hospitalière du Programme de médicalisation des systèmes d’Information (PMSI) et celle du Centre national de référence des infections sexuellement transmissibles bactériennes (CNR-IST), tout en évaluant l’intérêt du PMSI pour surveiller la SC.
Méthode –
Les séjours hospitaliers d’enfants de moins de 2 ans pris en charge pour SC en France ont été extraits du PMSI. Un questionnaire mère/enfant a permis de valider et décrire ces cas, ainsi que ceux confirmés par le CNR. La valeur prédictive positive (VPP) du PMSI a été calculée, et les taux d’incidence pour 100 000 naissances vivantes ajustés selon les cas validés.
Résultats –
Au total, 268 cas de SC ont été identifiés dans le PMSI, dont 114 cas documentés (43%), avec 51 cas validés comme SC (VPP=45%). En France, l’incidence estimée a augmenté de 1,6 à 2,4 pour 100 000 naissances vivantes, avec une augmentation plus marquée dans les DROM (de 13 à 16,7) qu’en Hexagone (de 1,0 à 1,5). La majorité des enfants (82%) avaient moins d’1 mois, 49% étaient symptomatiques. Les mères étaient souvent jeunes (58% de moins de 25 ans), précaires (30% sans couverture maladie), et parfois non dépistées (12%). Le CNR a confirmé 26 cas, dont 17 documentés.
Conclusion –
L’augmentation de la SC, notamment dans les régions ultramarines, met en évidence la nécessité d’une surveillance renforcée et de stratégies de prévention ciblées pour les populations vulnérables.
Abstract
Introduction –
The resurgence of syphilis in France since the 2000’s may influence the incidence of congenital syphilis (CS). This article describes the trends and characteristics of cases identified between 2012 and 2019 in the hospital database (PMSI) and the National Reference Centre for bacterial sexually transmitted infections (NRC-STIs) database, while assessing the usefulness of PMSI for monitoring CS.
Methods –
Hospital stays of children under 2 years old treated for CS in France were extracted from the PMSI. A mother-child questionnaire was used to validate and describe these cases, as well as those confirmed by the NRC. The positive predictive value (PPV) of the PMSI was calculated, and incidence rates per 100,000 live births were adjusted based on validated cases.
Results –
A total of 268 cases were identified in the PMSI, of which 114 (43%) were documented, with 51 cases validated as CS (PPV=45%). In France, the estimated incidence increased from 1.6 to 2.4 per 100,000 live births, with a more pronounced increase in the overseas regions (from 13 to 16,7) compared to mainland France (from 1.0 to 1.5). The majority of children (82%) were under 1 month old, and 49% were symptomatic. Mothers were often young (58% under 25 years old), socioeconomically disadvantaged (30% without health insurance), and sometimes undiagnosed during pregnancy (12%). The NRC confirmed 26 cases, of which 17 were documented.
Conclusion –
The increase in CS, particularly in the overseas regions, highlights the need for strengthened surveillance and targeted prevention strategies for vulnerable populations.
Introduction
Depuis le début des années 2000, une recrudescence de la syphilis est observée en France. Elle concerne principalement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et dans une moindre mesure les personnes hétérosexuelles, dont les femmes en âge de procréer 1. Ceci justifie une vigilance particulière vis-à-vis de la syphilis congénitale (SC) eu égard aux conséquences graves sur la santé de l’enfant à naître en termes de morbidité et de mortalité 1,2,3.
Dans ce contexte, en sus du dépistage obligatoire de la syphilis chez les femmes enceintes au cours du 1er trimestre de grossesse, la Haute Autorité de santé (HAS) a recommandé depuis 2007 de réaliser un second dépistage au 3e trimestre, idéalement avant la 28e semaine de grossesse, chez celles considérées comme à risque d’infections sexuellement transmissibles (IST). En l’absence de résultats d’une sérologie de syphilis dans le dossier médical de la femme, la HAS a également préconisé de réaliser un dépistage du nouveau-né à la naissance 2. Cette stratégie de dépistage contribue à l’objectif d’élimination de la SC (taux d’incidence <50 cas/100 000 naissances vivantes), défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2009 3. En 2022, l’OMS a fixé un nouvel objectif d’incidence pour la région Europe, de moins de 10 cas pour 100 000 naissances vivantes en 2025 et de moins de 1 cas pour 100 000 naissances vivantes en 2030 4.
Dans le cadre de ses missions d’expertise et d’alerte, le Centre national de référence (CNR) des IST bactériennes, peut être sollicité par les établissements de santé pour une confirmation biologique de cas suspects de SC. En cas de confirmation, une investigation épidémiologique est alors menée par Santé publique France, sur la base d’un questionnaire mère/enfant transmis à l’hôpital concerné afin de recueillir des informations sur le contexte de la transmission mère-enfant. Ces demandes d’expertise auprès du CNR n’étant pas systématiques, une étude a été mise en place à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), afin d’appréhender la situation épidémiologique de la SC en France et le degré d’atteinte des objectifs fixés par l’OMS.
L’objectif de cet article est de décrire et comparer les tendances et caractéristiques des SC identifiés dans le PMSI et dans la base de données du CNR de 2012 à 2019, tout en évaluant la valeur prédictive positive (VPP) du PMSI pour la surveillance de cette maladie.
Méthodes
Source des données
Le PMSI est une base médico-administrative intégrée dans le Système national des données de santé (SNDS) français. Il est utilisé dans la quasi-totalité des hôpitaux en France, publics et privés, pour réaliser une analyse médico-économique de l’activité hospitalière et l’allocation des ressources en standardisant les séjours et la tarification des actes 5. En janvier 2020, tous les séjours hospitaliers d’enfants âgés de moins de 2 ans dont les codes de diagnostic (principal, relié ou associé) correspondaient à une SC entre 2012 et 2019 selon la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10 : codes A.500 à A.509) ont été extraits du PMSI.
Une enquête a ensuite été réalisée auprès des départements d’information médicale (DIM) des hôpitaux et cliniques où au moins un cas de SC avait été identifié. Leur ont été envoyés un tableau récapitulatif du nombre annuel de cas repérés dans le PMSI, un questionnaire épidémiologique, à compléter à partir du dossier médical pour chaque cas validé, et une lettre d’information destinée aux parents. Le tableau récapitulatif a permis de décompter les cas validés ou invalidés. Le questionnaire épidémiologique concernait à la fois l’enfant (données sociodémographiques, tests de diagnostic de la syphilis, signes cliniques, traitement et issue du traitement) et sa mère (données sociodémographiques, suivi de grossesse, réalisation et résultats de la sérologie syphilis, traitement). L’enquête couvrait l’ensemble du territoire national à l’exception de Mayotte, le PMSI ne permettant pas d’identifier les cas diagnostiqués dans l’archipel pendant la période de l’étude.
Les caractéristiques des cas diagnostiqués par le CNR dans le cadre de ses missions ont été également analysées sur la période 2012-2019.
Définition des cas
Conformément à un algorithme défini par le CNR des IST bactériennes 6, les cas étaient des enfants âgés de moins de 2 ans pris en charge ou suivi pour :
–une SC confirmée ou probable :
–présence de signes cliniques de SC et confirmation d’une syphilis maternelle pendant la grossesse ;
–ou résultat positif d’une recherche de Treponema pallidum par PCR sur le placenta ou tout prélèvement du fœtus/enfant ;
–ou résultat positif à l’immunohistochimie pour une recherche de Treponema pallidum sur le placenta ;
–ou un test non tréponémique (TNT) chez le nouveau-né montrant un titrage quatre fois supérieur à celui de la mère ;
–ou présence d’IgM spécifiques chez le nouveau-né ;
–ou une SC possible traitée (avoir au moins 1 item) :
–syphilis maternelle précoce (évoluant depuis moins d’un an) diagnostiquée après 16 semaines d’aménorrhée (SA) ;
–titre initial du TNT maternel supérieur à 8 après 16 SA ;
–traitement d’une syphilis chez la mère incomplet, absent, ou sans pénicilline G ;
–traitement maternel initié après 28 SA ou complété moins d’un mois avant l’accouchement ;
–absence de décroissance du TNT maternel d’un facteur 4 après 2 à 3 mois de traitement (si le titre initial était ≥4).
Les cas PMSI pour lesquels un questionnaire n’a pas été complété, les cas invalidés en raison d’un codage erroné ou d’un diagnostic non confirmé, ainsi que les cas possibles n’ayant pas bénéficié d’un traitement de SC, ont été exclus des analyses.
Considérations éthiques
L’étude a été menée conformément à l’autorisation de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil : décision DR-2019-045). Une lettre d’information a été envoyée aux parents des enfants concernés par l’étude, l’absence de leur consentement conduisant à l’exclusion du cas. Les données ont été recueillies en préservant l’anonymat des personnes.
Analyses
Une analyse descriptive des cas a été réalisée en mobilisant les données des cas documentés par les établissements hospitaliers issus des deux sources PMSI et CNR.
La VPP du PMSI a été définie comme étant la proportion de cas validés parmi l’ensemble des SC documentées en utilisant le questionnaire (SC confirmées, probables et possibles traitées).
Un taux d’incidence annuel pour 100 000 naissances vivantes a été calculé sur la base d’un nombre total de cas estimé pour chaque année (nombre de cas enregistrés annuellement dans le PMSI* VPP globale pour l’ensemble de la période 2012-2019) 7. Les analyses statistiques ont été réalisées en utilisant le logiciel Stata® 16.0 (Stata Corp, College Station, Texas, États-Unis).
Résultats
Les cas de syphilis congénitale identifiés dans le PMSI
Deux cent quatre-vingt séjours avec un diagnostic principal, relié ou associé de SC, correspondant à 268 enfants de moins de 2 ans ont été identifiés dans le PMSI entre 2012 et 2019. Parmi ces enfants, 122 avaient été pris en charge en hexagone hors Île-de-France et Corse, 85 dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) et 61 en Île-de-France. Une réponse a été apportée par les établissements de santé pour 114 enfants (114/268=43%). Au total, 51 cas de SC ont été validés : 33 cas ont été classés comme confirmés ou probables et 18 cas comme possibles traités. En revanche, 63 cas ont été invalidés et exclus, en raison d’un codage erroné (n=39) ou d’un diagnostic non confirmé (n=24) (figure 1 et tableau 1).
La VPP du PMSI a été estimée à 45% entre 2012 et 2019 (tableau 1), ce pourcentage étant relativement similaire en hexagone hors Île-de-France et Corse (45%), dans les DROM (48%) et en Île-de-France (47%).
En appliquant la VPP globale de 45% à l’ensemble des cas identifiés dans le PMSI, l’estimation du nombre total de cas entre 2012 et 2019 serait alors de 121 cas. En termes de tendances, le nombre annuel estimé de cas est supérieur à 18 par an depuis 2017 par rapport à la période 2012-2016.
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Agrandir l'imageDe 2012 à 2014, le taux d’incidence en France a diminué de 1,6 à 1,1 pour 100 000 naissances vivantes. Il a ensuite augmenté pour atteindre 2,1 en 2015, avec un pic à 2,7 en 2017, avant de se stabiliser autour de 2,4 à partir de 2018 (figure 2). En hexagone hors Île-de-France, le taux est resté relativement stable entre 2012 et 2014, passant de 1,0 à 0,7, puis a augmenté pour atteindre 1,4 en 2015, avec une légère baisse à 1,1 en 2016, et une nouvelle augmentation à 1,7 en 2017, avant de diminuer légèrement à 1,5 en 2019. En Île-de-France, le taux est resté stable entre 2012 et 2013 à 1,6, puis a diminué à 1,1 en 2014, avant d’augmenter à 2,2 en 2015, avec un pic à 2,8 en 2017, suivi d’une baisse à 1,7 en 2018 et une nouvelle augmentation à 2,8 en 2019. Les DROM présentent les taux d’incidence les plus élevés, avec une diminution du taux d’incidence de 13,0 à 9,9 entre 2012 et 2014, suivie d’une forte augmentation à 16,8 en 2015, avec un pic à 23,5 en 2017, puis une baisse à 20,3 en 2018 et à 16,7 en 2019.
Agrandir l'imageCas confirmés biologiquement par le CNR des IST bactériennes
Entre 2012 et 2019, l’expertise du CNR des IST bactériennes a été mobilisée pour confirmer 26 diagnostics de SC (tableau 1), répartis dans 21 établissements de santé : 15 en hexagone hors Île-de-France et Corse, 4 dans les DROM et 2 en Île-de-France.
La comparaison de ces cas avec ceux issus du PMSI a montré que :
–7 cas confirmés par le CNR et repérés par le PMSI avaient été validés et documentés par les établissements ;
–4 cas confirmés par le CNR et repérés dans le PMSI, n’avaient pas été retrouvés par le DIM des établissements concernés, qui ont répondu à l’enquête ;
–2 cas confirmés par le CNR n’avaient pas été identifiés dans le PMSI ;
–Pour les 13 autres cas confirmés par le CNR et repérés par le PMSI, les établissements concernés n’avaient pas répondu à l’enquête.
Parmi les 19 cas uniquement confirmés par le CNR mais non validés par les établissements, 10 ont pu être partiellement documentés grâce aux informations transmises au CNR par l’hôpital ou la clinique avec la demande d’expertise ou l’investigation épidémiologique de Santé publique France à la suite du signalement fait par le CNR. Les 17 cas documentés présentaient des caractéristiques similaires (âge au diagnostic, lieu de naissance, traitement de la SC, délai diagnostic-traitement, durée et issue du traitement) aux 51 cas validés du PMSI.
Caractéristiques des cas
Près de la moitié des enfants (49%) présentaient des signes cliniques de SC. Les enfants dont la SC était confirmée ou probable étaient plus fréquemment symptomatiques que ceux ayant une SC possible traitée (p<0,001). La majorité des diagnostics de SC (82%) ont été posés avant l’âge d’un mois. Tous les enfants concernés étaient nés en France, majoritairement en hexagone hors Île-de-France et Corse (58%), mais environ un cas sur cinq étaient observés dans les DROM et en Île-de-France respectivement (tableau 2). Environ un tiers des enfants étaient nés prématurés (35%).
Dans 67% des cas, le traitement de la syphilis a été initié le jour du diagnostic, avec une durée médiane de traitement de 10 jours. À l’issue de leur prise en charge, 82% des enfants sont rentrés à domicile, 14% ont été transférés vers un autre service, et 4% sont décédés.
Agrandir l'imageLes mères dont les enfants avaient une SC confirmée ou probable étaient plus fréquemment symptomatiques que celles dont les enfants avaient une SC possible traitée (p=0,021). Environ 39% des mères sont nées à l’étranger (tableau 3). La majorité (58%) avaient moins de 25 ans au moment de l’accouchement. Près de 30% ne disposaient pas d’une couverture maladie, avec peu de variation entre les mères nées en France et celles nées à l’étranger. Environ 12% des mères n’avaient pas bénéficié d’un suivi pendant leur grossesse, et cette absence de suivi prénatal concernait principalement les mères nées à l’étranger. Un tiers (33%) des mères avaient bénéficié d’un suivi jugé insuffisant. Bien que 93% aient été testées pour la syphilis au cours de leur grossesse, seulement 31% de ces tests ont été réalisés au premier trimestre. Il existe une différence notable selon le pays de naissance : 50% des mères nées en France, versus 15% de celles nées à l’étranger, ont été dépistées au premier trimestre (p=0,046).
Agrandir l'imageDiscussion
Pour évaluer l’incidence de la syphilis congénitale (SC) en France, notre étude s’est appuyée sur l’analyse des diagnostics des cas pédiatriques plutôt que sur une approche centrée sur les femmes enceintes. Cette méthode a permis de décrire les tendances épidémiologiques de 51 cas de SC identifiés dans le PMSI entre 2012 et 2019, et de les comparer aux 26 cas confirmés biologiquement par le CNR des IST bactériennes durant cette période.
Ces résultats montrent une tendance à l’augmentation du nombre de cas de SC au fil des années. Entre 2012 et 2019, les taux d’incidence ont globalement augmenté en France (de 1,6 à 2,4 /100 000), y compris en hexagone hors Île-de-France et Corse (1,0 à 1,5/100 000), en Île-de-France (1,6 à 2,8/100 000), et avec des taux particulièrement élevés dans les DROM (de 13,0 à 16,7/100 000)). L’augmentation observée des cas de SC pourrait refléter une hausse de l’incidence de la syphilis chez les femmes enceintes dans un contexte où la syphilis se diffuse plus largement parmi les populations hétérosexuelles 8. Cela a été observé aux États-Unis, où le nombre de notifications de SC a augmenté de 755% entre 2012 et 2022 (77,9 SC pour 100 000 naissances) et au Canada ou le nombre de cas a été multiplié par 7 de 2018 à 2022 (n=115) 9,10. Une amélioration du dépistage prénatal chez les mères pourrait indirectement conduire à une augmentation des diagnostics de SC, en permettant une meilleure identification des femmes infectées et, par conséquent, un dépistage plus systématique des nouveau-nés exposés. Mais, cet effet est à contrebalancer avec le nombre de cas de SC évités par le traitement des mères 9. Néanmoins, ce constat souligne les défis à relever pour atteindre l’objectif européen d’élimination de la SC de moins d’un cas pour 100 000 naissances vivantes en 2030, malgré des taux d’incidence nettement inférieurs aux 50 SC pour 100 000 naissances vivantes, ce qui correspond à l’objectif global fixé par l’OMS. Dans les pays de l’Union européenne, ce taux d’incidence oscillait globalement entre 1,1 et 1,6 pour 100 000 naissances pendant la période étudiée malgré une sous-déclaration et des différences notables dans l’organisation du dépistage prénatal, les systèmes de santé et les dispositifs de surveillance 11,12. Cependant, des taux plus élevés ont été estimés dans certains pays comme la Bulgarie (60/100 000) 11,12,13. En Angleterre, ce taux a augmenté de 0,2 en 2015 à 1,8 pour 100 000 naissances vivantes en 2022 14.
Dans cette étude, bien que tous les enfants atteints de SC soient nés en France, 15% des mères étaient déjà enceintes avant leur arrivée sur le territoire. L’origine de l’infection maternelle, qu’elle ait été contractée avant ou après la migration, n’étant pas documentée, une proportion indéterminée des cas pourrait être associée à des infections acquises à l’étranger, mettant en lumière l’impact possible des parcours migratoires sur les dynamiques de transmission de la syphilis 12. La majorité des enfants (67%) ont été diagnostiqués le jour de leur naissance, ce qui indique une capacité des services de santé concernés à repérer les cas suspects de SC. Cette recherche diagnostique ne semble pas orientée par la présence de signes cliniques de SC, puisque la moitié des cas étaient asymptomatiques. La précocité du diagnostic chez la mère pouvant influencer l’issue de la grossesse 15, un tiers des cas SC concernait des enfants prématurés dans cette étude 15. La prise en charge thérapeutique fut quasi-systématique, 92% des enfants ayant été traités, et 67% des cas débutant leur traitement au jour du diagnostic. La durée médiane du traitement était de 10 jours, en accord avec les recommandations de l’OMS, qui préconise une durée minimale de traitement de 10 à 15 jours 16. À l’issue de celui-ci, 82% des enfants sont retournés à leur domicile. Cependant, nous n’avons pas utilisé le PMSI pour repérer les morts fœtales in utero ou néonatales dans cette étude. Néanmoins, les deux décès, documentés via le questionnaire mère-enfant adressé à Santé publique France, soulignent la gravité potentielle de la SC. En effet, la mortalité in utero peut atteindre 40% des cas et la mortalité néonatale, 20% en l’absence de dépistage, ces complications pouvant représenter jusqu’à 6% des situations chez des femmes traitées selon le délai de dépistage 12,17.
Les mères étaient majoritairement jeunes, 58% ayant moins de 25 ans. Deux mères sur cinq étant nées à l’étranger, d’où l’hypothèse d’un accès à l’information, à la prévention et aux soins prénataux insatisfaisant chez les femmes migrantes 12. Dans cette étude, environ 30% des mères ne disposaient d’aucune couverture maladie, et le recours à une assurance complémentaire santé était très limité (19%), suggérant une précarité socio-économique marquée. Or l’arbitrage des priorités et dans un contexte socio-économique défavorable peut constituer un frein au suivi prénatal adéquat au-delà d’obstacles linguistiques, culturels, ou administratifs plus spécifiquement liés à la migration 12. Il peut résulter de ces situations une absence de suivi prénatal ou une initiation trop tardive des consultations prénatales, augmentant ainsi le risque d’une transmission de la syphilis de la mère à l’enfant 18,19,20,21.
En France, toute grossesse, doit bénéficier d’un dépistage prénatal obligatoire de la syphilis au premier trimestre. Ce dépistage est entièrement pris en charge par l’Assurance maladie 2. Il peut être proposé plus tard au cours de la grossesse en l’absence d’une sérologie syphilitique réalisée au premier trimestre ou en cas d’exposition à un risque de transmission de la syphilis (multi partenariat, antécédents d’IST, précarité, exposition sexuelle, etc.) 22. Or, les résultats de notre étude montrent que 12% des mères n’ont pas bénéficié d’un suivi prénatal, un problème qui a principalement touché les mères nées à l’étranger, parmi lesquelles des informations étaient disponibles. De plus, le nombre de visites prénatales était non optimal pour un tiers des mères. La majorité des mères (88%) ont été dépistées pour une syphilis au cours de leur grossesse, mais ce dépistage était tardif chez 44% de ces femmes (troisième trimestre ou contexte d’accouchement). Ces indicateurs montrent qu’il y a encore trop d’opportunités manquées pour dépister certaines femmes malgré l’existence d’un dépistage prénatal gratuit et la disponibilité de traitements efficaces. Ces résultats suggèrent la nécessité de renforcer les actions de prévention ciblant les populations les plus exposées, notamment les femmes jeunes, les femmes migrantes et celles en situation de précarité, dans une approche reposant sur l’universalisme proportionné 23. En effet, une amélioration du dépistage prénatal de syphilis chez toutes les femmes enceintes prenant en compte les besoins et problématiques des populations et des territoires les plus vulnérables contribuera à réaliser et à maintenir l’objectif d’élimination de la transmission mère-enfant 23,24. Par ailleurs, un effort spécifique en termes de lutte contre la syphilis (dépistage précoce et régulier si exposition, utilisation du préservatif avec tout nouveau partenaire) dans le cadre de la Stratégie nationale de santé sexuelle pourrait également contribuer à cet objectif, en mettant l’accent sur le dépistage, le traitement des partenaires de ces femmes et l’arrêt des chaînes de transmission de la syphilis et des IST dans les populations exposées. L’engagement de la société civile, le dépistage dans les communautés en dehors des établissements de santé, le recours aux tests de diagnostic rapides, le recours au support des pairs, et l’adaptation des campagnes de promotion de la santé et de prévention font parties des nombreuses stratégies déjà mises en œuvre avec succès dans différents contextes 12,23.
En l’absence d’une surveillance formelle de la SC en France, cette étude montre l’intérêt des données du PMSI pour repérer les cas possibles de SC de manière rétrospective. Cependant, elles comportent certaines limites. Tout d’abord, le nombre de cas de SC est vraisemblablement sous-estimé en raison d’erreurs de codage ou d’absence de saisie dans le PMSI, deux cas confirmés par le CNR n’ayant pas été retrouvés dans le PMSI. De même, la mortinatalité et les complications liées à la SC ne sont pas systématiquement renseignées. Ensuite, bien que l’hospitalisation soit recommandée pour les nouveau-nés atteints de SC 22, il est possible que certains cas aient été soignés en ambulatoire. Dans cette situation, l’absence d’un séjour hospitalier limite l’exploitation du PMSI pour identifier ces cas. Enfin, la VPP estimée du PMSI (45%) pourrait ne pas être assez élevée pour justifier son utilisation comme source de données principale dans le cadre d’une surveillance pérenne de la SC, surtout en tenant compte du taux de réponse de 43% qui limite la précision de cette estimation. Pour améliorer la surveillance de la SC, différentes sources de données et systèmes de surveillance sont actuellement envisagées par Santé publique France, notamment la mise en place d’une déclaration obligatoire (DO) des cas de SC. Cette DO améliorerait potentiellement la couverture des cas diagnostiqués, permettant une meilleure évaluation de l’incidence et de la distribution géographique de la maladie. Cette mesure pourrait également inclure une injonction renforcée aux laboratoires pour qu’ils transmettent leurs prélèvements et données au CNR. Les entrepôts de données hospitalières ou une collecte automatisée des données de laboratoires pourraient compléter ces données ou servir de sources de données alternatives. Une réflexion plus large sur ces sujets permettra de définir un système de surveillance adapté aux réalités françaises.
Conclusion
Bien que non exhaustifs, les résultats de cette étude sur la syphilis congénitale (SC) sont préoccupants. Ils mettent en évidence les opportunités manquées de dépistage prénatal et la nécessité d’adapter le dispositif de prévention pour mieux répondre aux besoins des femmes et des territoires les plus vulnérables, selon une approche reposant sur le principe d’universalisme proportionné.
La surveillance des cas de SC pourrait être renforcée en élargissant le système de déclaration obligatoire des maladies infectieuses pour inclure spécifiquement la SC. Cela impliquerait que tous les cas diagnostiqués soient signalés aux autorités sanitaires, et permettrait de mieux suivre les progrès vers les objectifs d’élimination de la transmission mère-enfant de la syphilis et d’orienter les stratégies pour renforcer ces progrès.
Remerciements
Les auteurs remercient tous les référents VIH/IST des cellules régionales de Santé publique France ayant recueilli les informations auprès des établissements de santé pour les cas de syphilis congénitale signalés au CNR, ainsi que tous les départements d’information médicale ayant participé à l’enquête basée sur les données du PMSI.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.




