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N° 1 • 29 juin 2009

Chronique
d'un début
de pandémie

Coordination scientifique : Jean-Claude Desenclos et Hélène Therre, Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France.

Que nous apprennent les pandémies du passé ?

What do we learn from pandemics of the past ?

Les pandémies de grippe résultent de l'introduction, dans la population humaine, d'un virus nouveau contre lequel n'existe aucune mémoire immunitaire. Le virus aviaire asiatique A(H5N1) correspond à cette définition, mais il lui manque pour l'instant la capacité de transmission interhumaine et on ignore s'il sera capable de l'acquérir. Le virus américain A(H1N1)v, de son côté, est facilement transmissible, mais il n'est pas entièrement nouveau car des virus A(H1N1) ont déjà affecté la population. Les premiers résultats d'enquêtes sérologiques rétrospectives ont déjà montré la présence d’anticorps spécifiques contre l'hémagglutinine de ce virus chez l'homme, surtout chez les personnes âgées [1,2]. Les épidémies de grippe sont-elles toutes semblables ou même comparables ? Malheureusement non. En observant soigneusement les pandémies du XXème siècle, on peut noter qu’il n’y en a pas eu trois mais cinq, dont certaines passées presque inaperçues, leur impact n’ayant pas dépassé celui des épidémies saisonnières.

Pour résumer un peu rapidement :
- 1918 : la grippe espagnole, un désastre planétaire foudroyant, un peu occulté par la fin simultanée de la première guerre mondiale. On a même parlé de «pandémie oubliée» [3] pour un évènement aussi dramatique ! Il avait provoqué quelques foyers en début d’été, puis était réapparu en octobre pour donner une deuxième vague qui avait été extrêmement grave.
Un virus hautement contagieux et hautement pathogène, 20 à 50 millions de morts.

- (1948, pour mémoire) : un variant de H1 déferle sur le monde, sans pourtant accéder à la qualité pandémique. Ce virus, appelé A' pour le différencier du A classique, ne cause que des épidémies localisées. C'est l'occasion du premier isolement du virus grippal en France [4].

- 1957 : une pandémie forte, mais dix fois moins grave que celle de 1918 en termes de mortalité. Le virus A(H2N2) se propage très rapidement : trois semaines pour envahir toute la Chine, trois mois pour le monde entier.
Un virus très contagieux et fortement pathogène, 3 millions de morts.

- 1968 : un nouveau virus, A(H3N2), envahit le monde depuis Hong Kong. Il part vite, mais n’atteint vraiment l’Europe qu’avec la seconde vague un an plus tard.
Un virus contagieux mais moyennement pathogène ; 1,5 millions de morts.

- 1976 : une fausse alerte, un virus venu du porc contamine un (ou quelques) soldats américains. Une réaction vigoureuse mais prématurée fait vacciner - pour rien - 40 millions d’Américains.
Un mort.

- 1977 : le virus H1N1, qui avait disparu en 1957, refait surface. Il ne touche que les personnes de moins de 20 ans, les autres possédant une mémoire immunologique qui les protège. Ce virus est encore en activité : A(H1N1) saisonnier. Il est cependant moins dangereux que le virus A(H3N2).
Un virus revenant, mais affaibli. Moins de morts qu’une épidémie saisonnière.

Ainsi, sur cinq essais, le virus a réussi trois fois une percée pandémique grave. Il faut noter que les moyens de détection des épidémies se sont améliorés progressivement avec l'apparition, depuis les années 1980, de systèmes de surveillance nationaux et internationaux de plus en plus perfectionnés. Ils permettent aujourd'hui, avec l'aide supplémentaire d'Internet, de suivre jour par jour la marche des épidémies. Cependant, la qualité des informations épidémiologiques obtenues aussi vite n'est pas toujours très bonne: les signalements se font d'abord sur des critères cliniques discutables, les examens de laboratoire pour la confirmation étiologique sont rares, surtout au début des épidémies et dans les pays qui n'en ont pas les moyens matériels, la mortalité n’est relevée que de façon peu utilisable. Le nombre des cas réel est donc incertain, avec des erreurs en plus ou en moins, les cas inapparents échappant de toute façon à la détection. Les dénominateurs nécessaires pour évaluer morbidité et mortalité ne sont donc pas accessibles ou sont biaisés.

On peut tirer de ce bref survol historique un certain nombre d’observations pratiques qu’il est sage de bien garder à l’esprit dans une situation de danger caractérisée par l’émergence, comme c’est le cas aujourd’hui, du nouvel A(H1N1)v alors que le « candidat »  A(H5N1) reste présent.

1- Toutes les pandémies ne sont pas des catastrophes. Certaines avortent et il est très probable que d'autres à l’avenir auront un impact limité.

2- Certains virus sont capables, après avoir couvé pendant quelque temps, de développer grâce à des mutations spontanées et aléatoires trois caractéristiques qui les rendent dangereux : une forte transmissibilité chez l'homme, un pouvoir pathogène exacerbé et le fait d’acquérir une résistance aux antiviraux.

3- L’acquisition et l’évolution de ces caractéristiques sont pour l’instant impossibles à prévoir.

4- L’évolution est souvent diphasique, la deuxième vague étant la plus grave. Après la pandémie, ces virus rentrent dans le rang et deviennent des virus saisonniers, parfois cohabitant avec d’autres.

5- La situation en 2009 a évolué. D’un côté, on dispose d’armes nouvelles : capacité de détection, réseaux de surveillance, vaccins, antiviraux, antibiotiques. Mais, de l’autre, les liaisons internationales beaucoup plus rapides et le développement de l’urbanisation accélèrent la transmission.

L’OMS a déclaré la phase 6 de la pandémie le 11 juin 2009, ce qui est la reconnaissance que la diffusion, certes encore modérée à cette date, va probablement toucher l’ensemble de la planète. Les plans de lutte pandémique mis en place ces dix dernières années sont des éléments importants de préparation pour y faire face. Ils devront s’adapter aux connaissances en cours d’acquisition sur le virus, la maladie et son épidémiologie. La prise en compte de la dimension sociale et de communication publique est aussi un élément fondamental à bien intégrer dans la réponse.

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  • Claude Hannoun

Professeur honoraire à l'Institut Pasteur ; ancien Directeur du Centre national de référence de la grippe

RÉFÉRENCES

(1) Serum Cross-Reactive Antibody Response to a Novel Influenza A (H1N1) Virus After Vaccination with Seasonal Influenza Vaccine. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2009;58(19):521-4.

(2) Shinde V, Bridges CB, Uyeki TM, Shu B, Balish A, Xu X, et al. Triple-Reassortant Swine Influenza A (H1) in Humans in the United States, 2005-2009. N Engl J Med. 2009;May 22.
[Epub ahead of print] PMID: 19423871.

(3) Crosby AW. America's forgotten pandemic: The Influenza of 1918. University of Texas, Austin: Cambridge University Press, 1989.

(4) Panthier R, Cateigne G, Hannoun C. Isolement d’une souche de virus grippal. Réaction du jeune singe à l’inoculation intra-nasale de ce virus. CR Acad Sci. 1949;228:347-8.

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