Impact du dépassement des repères de consommation d’alcool à moindre risque sur l’hypertension artérielle en France métropolitaine, 2014-2016

// Impact of excessive alcohol consumption on arterial hypertension in metropolitan France, 2014–2016

Amélie Gabet1 (amelie.gabet@santepubliquefrance.fr), Christophe Bonaldi1, Clémence Grave1, Pierre Joly2, Lucas Dufour1, Raphaël Andler1, Viêt Nguyen-Thanh1, Guillemette Quatremère1, Jacques Blacher3, Valérie Olié1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), Bordeaux
3 Centre de diagnostic et de thérapeutique, hôpital Hôtel-Dieu AP-HP, Paris
Soumis le 14.04.2023 // Date of submission: 04.14.2023
Mots-clés : Hypertension artérielle | Alcool | Fraction attribuable
Keywords: Arterial hypertension | Alcohol | Attributable risk fraction

Résumé

Introduction –

La consommation d’alcool est un facteur de risque important d’hypertension artérielle (HTA). Une expertise collective a établi des repères à moindre risque dont l’une des composantes est, pour protéger sa santé, de ne pas dépasser 10 verres d’alcool par semaine. L’objectif de ce travail était d’estimer le nombre de cas d’HTA attribuables à la consommation d’alcool dépassant cette composante des repères au sein de la population française de métropole d’âge compris entre 18 et 74 ans, au global et selon le sexe et l’âge.

Méthodes –

Une approche par fraction attribuable à l’alcool (FAA) dans la population a été utilisée. Celle-ci a été calculée avec les risques relatifs d’HTA pour différents niveaux de consommation d’alcool issus de la méta-analyse la plus récente et la prévalence des niveaux de consommation d’alcool déclarés et corrigés d’une sous-déclaration dans le Baromètre de Santé publique France 2017. La prévalence de l’HTA estimée en 2015 dans l’Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) a été extrapolée à l’ensemble de la population française de métropole recensée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), pour la même année, afin de déduire les nombres de cas d’HTA attribuables à la consommation d’alcool dans la population.

Résultats –

Nous estimons que 655 000 personnes âgées de 18 à 74 ans en France seraient hypertendues du fait d’une consommation d’alcool excédant une moyenne de 10 verres par semaine, dont 624 000 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [464 000-802 000]) hommes et 31 000 [-95 000 ; 151 000] femmes. La FAA était plus élevée chez les hommes (8,9% [6,6-11,5]) que chez les femmes (0,6% [-2,0 ; 3,1]), non significative chez ces dernières. Elle variait de 6,3% [2,0-13,9] à 10,7% [6,6-15,1] chez les hommes âgés de 18-34 ans à 65-74 ans, et restait autour de 0,6% chez les femmes des mêmes catégories d’âge.

Conclusion –

La FAA dans l’HTA est plus élevée chez les hommes du fait d’un dépassement du nombre de 10 verres par semaine beaucoup plus important chez ces derniers par rapport aux femmes. Le nombre de cas associés à une consommation moyenne excédant 10 verres par semaine est conséquent. Ces premiers éléments rappellent le poids de la consommation d’alcool dans l’HTA et l’importance de mettre en place des mesures de prévention primaire mais aussi dans la prise en charge de l’HTA.

Abstract

Introduction –

Alcohol consumption is an important risk factor of arterial hypertension (HT). Collective expertise has established lower-risk guidelines to protect health, one of which is not to exceed ten alcoholic drinks per week. The objective of the present study was to estimate the number of HT cases attributable to the consumption of more than ten alcoholic drinks per week among the French population aged 18–74 years, overall and according to age and sex.

Methods –

An approach based on the alcohol-attributable fraction in the population was used. This was calculated using the relative risks of hypertension for different levels of alcohol consumption according to the most recent meta-analysis and the prevalence of reported alcohol consumption levels (corrected for under-reporting) according to the 2017 Santé publique France Health Barometer survey. The prevalence of hypertension estimated for 2015 in the ESTEBAN health study (environment, biomonitoring, physical activity and nutrition) was extrapolated to the entire population of mainland France as counted by the National Institute for Statistics and Economic Studies (INSEE) for the same year. In this way, we deduced the numbers of cases of hypertension attributable to alcohol consumption in the population.

Results –

This study estimated that around 655,000 people in France aged 18–74 years had HT due to a level of alcohol consumption exceeding 10 standard drinks per week, including 624,000 (95% confidence interval: 464,000–802,000) men and 31,000 (-95,000–151,000) women. The attributable fraction was higher in men (8.9% [6.6–11.5]) than in women (0.6% [-2.0–3.1]), and varied from 6.3% (2.0–13.9) to 10.7% (6.6–15.1) between men aged 18–34 years and those aged 65–74 years. In women, the fraction remained stable with age, at around 0.6%.

Conclusion –

This study found a high attributable fraction of HT due to excessive alcohol consumption, particularly in men due to a higher prevalence of excessive consumption compared to women. The corresponding number of HT cases attributable to a consumption of more than ten standard drinks of alcohol was also high. These first results illustrate the burden of high alcohol consumption on HT and the need to implement primary and secondary prevention measures.

Introduction

En France, on estime qu’environ 1 adulte sur 3 est hypertendu, soit environ 17 millions d’adultes hypertendus 1,2. L’hypertension artérielle expose à des complications cardiovasculaires comme les accidents vasculaires cérébraux et les syndromes coronaires aigus mais également à l’insuffisance rénale chronique, l’insuffisance cardiaque, les troubles du rythme cardiaque ou les troubles neuro-cognitifs sévères. Plusieurs facteurs de risque d’hypertension artérielle (HTA) ont été décrits tels que l’âge, les antécédents familiaux d’HTA, une faible activité physique, la sédentarité, une alimentation riche en sel et pauvre en fruits et légumes, l’obésité mais également la consommation d’alcool 3,4,5. La physiopathologie du lien entre la consommation d’alcool, la pression artérielle et l’HTA est très probablement multifactorielle et des mécanismes multiples ont été proposés 6,7. Plusieurs études épidémiologiques réalisées en population générale aux États-Unis, en Australie et en Europe ont estimé qu’entre 5% et 30% des cas d’HTA seraient attribuables à la consommation d’alcool 8,9,10,11,12. Ces estimations, dépendant de la prévalence de la consommation d’alcool, variaient de façon importante d’une étude à l’autre et selon les pays. Aucune estimation récente n’a été faite en France depuis le travail de Lang et coll. évaluant à 12% la part des cas d’HTA attribuables à la consommation d’alcool parmi une population de travailleurs parisiens tous niveaux de consommation d’alcool confondus 13.

Chez les personnes hypertendues, de nombreuses études ont mis en évidence que la réduction de la consommation d’alcool permettait d’infléchir les valeurs de pression artérielle 14. Néanmoins, la prise en charge de l’HTA au moyen d’une prévention ciblée sur la consommation d’alcool est aujourd’hui peu utilisée. Une étude auprès de 753 médecins généralistes en 2018 avait analysé les propositions de mesures hygiéno-diététiques faites par les médecins auprès de leurs patients atteints d’HTA 15. L’étude mettait en évidence que l’incitation à diminuer la consommation d’alcool était beaucoup moins délivrée par les médecins comparativement aux autres mesures hygiéno-diététiques proposées pour modifier les habitudes de vie (alimentation hors alcool, activité physique, perte de poids, sédentarité). Il apparaît donc important d’avoir des données sur la part d’HTA attribuable à la consommation d’alcool afin d’appuyer la mise en place de mesures préventives et de prise en charge.

En 2017, des repères de consommation d’alcool à moindre risque ont été définis par un groupe d’experts mandatés par Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa) : « Si vous consommez de l’alcool, il est recommandé pour limiter les risques pour votre santé au cours de votre vie : de ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine et pas plus de 2 verres standard par jour ; d’avoir des jours dans la semaine sans consommation. » 16. Plusieurs campagnes de prévention ont été menées pour faire connaître ces repères à la population française. Presque un quart des personnes interrogées dans le Baromètre de Santé publique France 2017 dépassaient au moins une dimension des repères de consommation, avec un dépassement des repères bien plus fréquents chez les hommes (33%) que chez les femmes (15%) 17. Environ 1 adulte sur 10 consommerait plus de 10 verres par semaine. Ces estimations n’avaient pas évolué en 2020 17,18.

L’objectif de notre étude était d’estimer la fraction des cas d’hypertension artérielle survenant avant 75 ans attribuable à la consommation d’alcool dépassant la première composante des repères de consommation à moindre risque (c’est-à-dire plus de 10 verres par semaine) en France selon l’âge, le sexe, ainsi que les effectifs de personnes hypertendues associés. En l’absence de données récentes de prévalence de l’HTA dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), cette étude est limitée au territoire métropolitain.

Méthodes

Méthodologie d’estimation

L’HTA n’étant que partiellement liée à la consommation d’alcool, une approche par fraction attribuable dans la population a été choisie pour estimer le nombre de personnes dont l’hypertension est due à une consommation d’alcool dépassant le repère de 10 verres d’alcool par semaine. Dans notre étude, la fraction attribuable correspond à la proportion des cas d’HTA qui pourrait être évitée si les personnes qui consomment plus de 10 verres d’alcool par semaine devenaient abstinentes. Pour estimer la fraction attribuable à l’alcool (FAA) dans la population et le nombre de cas attribuables associé, il est nécessaire de connaitre (i) la distribution de la consommation d’alcool dans la population, (ii) le risque relatif (RR) d’HTA selon la dose d’alcool consommée, et (iii) la prévalence de l’HTA dans la population française. En l’absence de prévalence de l’HTA après 75 ans, l’étude est restreinte aux cas d’HTA survenant avant 75 ans et attribuables à une consommation d’alcool excédant 10 verres par semaine.

Le calcul de la FAA combine l’ensemble de ces données selon la formule généralisée de Levin 19 suivante :

Pi est la proportion de la population dans la ie catégorie de consommation d’alcool et RRi est le RR associé à la ie catégorie de consommation comparé à une catégorie de référence (les abstinents dans la méta-analyse dont sont issus les RR). Ces RR ont été obtenus dans la méta-analyse de Roerecke et coll. 20 pour chaque classe de consommation. Le risque d’HTA n’était pas significativement différent entre les abstinents vie-entière et les anciens buveurs. La FAA globale est la somme des cas attribuables par classe d’âge et par sexe divisé par le nombre total d’hypertendus.

Consommation d’alcool par âge et sexe en France

Les données de consommation d’alcool déclarées par classe d’âge et sexe du Baromètre de Santé publique France 2017 ont été utilisées pour notre étude. Les Baromètres de Santé publique France sont des enquêtes transversales menées par téléphone dont les participants sont sélectionnés par sondage aléatoire via une génération de numéros de téléphone fixe et mobile 21. Le Baromètre 2017 s’est déroulé du 5 janvier au 18 juillet 2017 auprès d’un échantillon représentatif de la population âgée entre 18 et 75 ans, résidant en France métropolitaine et parlant français 22. Au total, 25 319 adultes ont participé à l’enquête, correspondant à un taux de participation de 48,5%. Pour chaque personne interrogée, le nombre moyen de verres d’alcool bus par jour a été déduit des réponses aux deux questions suivantes :

« Au cours des 12 derniers mois, avez-vous bu du vin, de la bière, des alcools forts, d’autres alcools comme du cidre, champagne, porto… ? » Tous les jours/4 à 6 fois par semaine/2 ou 3 fois par semaine/1 fois par semaine/2 ou 3 fois par mois/1 fois par mois ou moins souvent/Jamais ;

« Les jours où vous buvez, combien de verres de boissons alcoolisées buvez-vous dans la journée, que ce soit de la bière, du vin ou tout autre type d’alcool ? ».

Pour chacun des participants, le nombre de verres d’alcool bus par jour a été obtenu selon le calcul suivant : nombre moyen de verres de boissons alcoolisées par jour = [nombre de verres d’alcool consommés dans l’année] / 365. Un verre d’alcool standard en France équivaudrait à une valeur théorique de 10 g d’éthanol pur ingéré. Le dépassement du repère équivaut à consommer en moyenne plus de 14,3 g d’alcool pur par jour. Nous avons recensé 161 questionnaires présentant des données manquantes pour les consommations d’alcool, ainsi les estimations portent sur 25 158 personnes. Parmi ces personnes, 2 692 dépassaient en moyenne 10 verres d’alcool par semaine (tableau 1).

Les données du Baromètre ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité d’inclusion, puis redressées par calage sur marges 21. Celles-ci ont été produites à partir de l’Enquête emploi 2016 de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) pour les variables suivantes : sexe croisé avec âge en tranches décennales, région, taille d’unité urbaine, taille du foyer et niveau de diplôme de la population résidant en France métropolitaine.

Tableau 1 : Prévalences et moyennes de la consommation d’alcool déclarée dans le Baromètre de Santé publique France 2017, déclinées pour chaque sexe par catégorie de consommation d’alcool, chez les 18-75 ans, France métropolitaine
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RR d’HTA selon la consommation d’alcool

La méta-analyse de Roerecke et coll. 20 a été identifiée comme la plus complète récemment publiée rapportant les RR d’HTA estimés pour différents niveaux de consommation d’alcool en comparaison avec des abstinents (vie entière quand cela était possible, abstinents dans l’année sinon) (figure 1). L’HTA était définie dans cette méta-analyse par la prise d’un traitement antihypertenseur et/ou une pression artérielle systolique ≥140 mmHg et/ou une pression artérielle diastolique ≥90 mmHg lors de l’examen de santé de l’étude. Cette étude estimait également les RR d’HTA pour chaque sexe. En revanche, la méta-analyse ne mettait pas évidence de différence significative du risque d’HTA avec la consommation d’alcool selon l’âge. Aussi, en l’absence de cohérence de la littérature, nous n’avons pas pu considérer un effet potentiel de l’âge sur le RR d’HTA par consommation d’alcool 9,20,23. Le RR d’HTA est donc supposé constant en fonction de l’âge.

Seul le nombre de cas d’HTA attribuables au dépassement d’une des composantes des repères de consommation d’alcool à moindre risque (plus de 10 verres par semaine) sera estimé en l’absence de quantification du RR d’HTA pour l’ensemble des repères, à savoir la non-consommation d’alcool au moins 2 jours par semaine et le non-dépassement de deux verres d’alcool en une journée donnée 16. En effet, il n’existe pas à l’heure actuelle de littérature suffisante renseignant un RR d’HTA associé aux alcoolisations ponctuelles intensives, seules des études montrant un impact sur la pression artérielle à court terme ont été trouvées 24.

Figure 1 : Risque relatif d’hypertension artérielle pour différentes catégories de consommation d’alcool en g/jour selon le sexe
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Prévalence de l’HTA et nombre d’hypertendus en France

La prévalence de l’HTA a été estimée via l’enquête avec examen de santé de l’Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) 1. Cette étude a été réalisée entre 2014 et 2016 sur un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 à 74 ans et résidant en métropole avec un taux de participation de 40% et redressement des données pour tenir compte des non-réponses. Trois mesures de la pression artérielle ont été réalisées pour chaque personne incluse. La pression artérielle retenue était la moyenne des deux dernières mesures. L’HTA était définie si la personne présentait une pression artérielle systolique ≥140mmHg et/ou une pression artérielle diastolique ≥90 mmHg ou avait eu un remboursement de traitement antihypertenseur identifié suite au chaînage des données du Système national des données de santé (SNDS) 1.

À partir de ces données de prévalence de l’HTA déclinées selon l’âge et le sexe, une correction a été effectuée afin de tenir compte des variations de la pression artérielle sur une journée et entre plusieurs visites médicales 2. Enfin pour le calcul du nombre d’hypertendus en France, nous avons multiplié ces données de prévalence corrigées par le nombre de personnes recensées dans chaque catégorie d’âge et de sexe estimé par l’Insee (tableau 2). Une fois le calcul de la FAA réalisé, celle-ci sera appliquée au nombre d’hypertendus estimé afin d’obtenir le nombre d’hypertendus attribuable à l’alcool en France pour chaque sexe selon la classe d’âge (tableau 3).

Tableau 2 : Estimations des prévalences de l’hypertension artérielle et du nombre de personnes hypertendues chez les 18-74 ans, selon la classe d’âge, le sexe, en France, 2014-2016
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Tableau 3 : Nombre (distributions en pourcentage) des hypertensions artérielles attribuables à la consommation d’alcool, selon l’âge, le sexe et le niveau de consommation d’alcool, en France, 2014-2016
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Estimation d’intervalle d’incertitude de la FAA

Les intervalles de confiance à 95% (IC95%) des FAA ont été estimés à partir de simulations type Monte-Carlo stratifiées selon la classe d’âge, le sexe et le niveau de consommation d’alcool. Pour chaque strate, 10 000 jeux de données aléatoires des paramètres constituant la FAA (prévalences et risques relatifs) ont été générés selon les probabilités de distribution respectives de chacun des paramètres composants la FAA. Pour chacun des jeux de données dans chacune des strates, une FAA a été calculée. Les limites inférieures et supérieures de l’intervalle à 95% étaient alors issues des 2,5 et 97,5 percentiles de la distribution empirique des FAA calculées sur les échantillons aléatoires. Pour une meilleure lisibilité des résultats, seuls les IC95% des FAA globales par sexe seront donnés dans le texte. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel R.

Résultats

Au total, 655 000 personnes âgées de 18 à 74 ans en France métropolitaine seraient hypertendues du fait de leur consommation d’alcool, soit une FAA dans la population de cet âge de 5,5%. Sur 6 999 604 hommes hypertendus, 624 000 cas (IC95%: [464 000-802 000]) seraient attribuables à une consommation moyenne de plus de 10 verres d’alcool par semaine soit une FAA pour l’HTA de 8,9% [6,6-11,5] (tableau 3). Parmi les 4 800 632 de femmes hypertendues de la même catégorie d’âge, 31 000 [-95 000 ; 151 000] seraient attribuables à ce niveau de consommation d’alcool soit une FAA pour l’HTA de 0,6% [-2,0 ; 3,1]. La FAA pour l’HTA dans chacune des classes d’âge variait de façon différente selon le sexe (figure 2) : la FAA n’évoluait pas chez les femmes, avec une FAA de 0,6% [-3,1 ; 5,5] chez les femmes de 18-34 ans, 0,3% [-4,3 ; 4,8] chez celles de 35-44 ans et 0,7% [-2,4 ; 3,8] chez celles âgées de 65-74 ans, et augmentait chez les hommes, de 6,3% [2,0-13,9] chez les 18-34 ans à 10,7% [6,6-15,1] chez les 65-74 ans.

La distribution selon l’âge des cas d’HTA attribuables à la consommation d’alcool supérieure à 10 verres par semaine était similaire entre les deux sexes avec respectivement chez les femmes et les hommes, 2,8% et 3,3% des cas attribuables qui concernaient les 18-34 ans, 2,0% et 4,7% les 35-44 ans, 15,9% et 16,4% les 45-54 ans, 33,8% et 36,3% les 55-64 ans et 45,5% et 39,3% les 65-74 ans.

Figure 2 : Fraction d’HTA attribuable à la consommation d’alcool selon le sexe et l’âge
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Discussion

Le nombre d’adultes hypertendus lié à une consommation d’alcool moyenne déclarée de plus de 10 verres par semaine s’élevait à 655 000 dans la population française de métropole âgée entre 18 et 74 ans en 2015, dont 624 000 [464 000-802 000] hommes et 31 000 [-95 000 ; 151 000] femmes, soit des fractions de risque attribuables dans la population de 5,5% au global, 8,9% [6,6-11,5] chez les hommes et 0,6% [-2,0 ; 3,1] chez les femmes.

Notre étude a mis en évidence une différence importante de la FAA pour l’HTA entre les hommes et les femmes avec une FAA beaucoup plus importante chez les hommes. Cela résulte principalement des consommations d’alcool plus importantes des hommes par rapport aux femmes 17. Par ailleurs, les épisodes de binge drinking et d’alcoolisation massive, ou le fait d’être un gros consommateur sont plus souvent observés chez les hommes que chez les femmes. Le lien entre une consommation élevée d’alcool et une augmentation de la pression artérielle a été décrit aussi bien chez les hommes que chez les femmes dans plusieurs études y compris en France 20,25. Une association entre une consommation excessive d’alcool et un risque accru d’HTA est bien étayée dans la littérature 26,27. En revanche, la relation différentielle entre le mode de consommation (binge drinking vs autre) et le risque d’HTA est peu décrite dans la littérature. Enfin, la relation entre la consommation d’alcool et l’HTA serait causale et réversible comme en témoignent les essais interventionnels qui mettent en évidence une diminution de la pression artérielle systolique et diastolique lorsque les consommations d’alcool sont diminuées 14 ; un effet de seuil était cependant observé avec des évolutions non significatives de la pression artérielle suite à l’intervention chez les personnes buvant deux verres par jour ou moins au début des essais 14. Une revue et méta-analyse Cochrane n’a pas mis en évidence de modification des niveaux de pression artérielle, de l’incidence et de la mortalité cardiovasculaire, et de la mortalité totale avec la réduction des consommations d’alcool en l’absence de seuil 28.

Limites

Les limites de notre étude sont inhérentes aux sources des différents paramètres utilisés pour le calcul de la fraction attribuable, à savoir : la prévalence de l’HTA, la consommation d’alcool déclarée dans la population et des RR d’HTA selon la consommation d’alcool. La méta-analyse de Roerecke et coll. ne mettait pas en évidence de modification significative de la relation entre la consommation d’alcool et l’HTA avec l’âge 20. La modification de cette relation avec l’âge demeure néanmoins peu claire dans la littérature avec des résultats divergents : dans l’Enquête nationale sur la santé et la nutrition (NHANES) aux États-Unis, Aladin et al. ont récemment mis en évidence que l’âge modifiait l’effet de la consommation d’alcool sur le RR d’HTA en stratifiant leurs analyses en deux groupes (<65 ans et ≥65 ans) avec un RR d’HTA plus élevé chez les <65 ans 26. À l’inverse, des études plus anciennes également en population générale ont mis en évidence un risque plus marqué d’HTA chez les plus âgés consommant de l’alcool par rapport à ceux qui n’en consomment pas 9,23.

Nous n’avons pas considéré de temps de latence entre la consommation d’alcool et l’HTA dans notre étude : si un temps de latence semble nécessaire entre une consommation d’alcool et la survenue de certaines pathologies telles que le cancer, il apparaît beaucoup moins clair pour la survenue d’une HTA. De nombreuses études ont d’une part montré une augmentation de la pression artérielle dans les 12 à 24h suivant l’ingestion d’alcool 27,29. D’autre part, plusieurs études interventionnelles et essais contrôlés ont mis en évidence l’effet bénéfique à court terme d’une réduction de la consommation d’alcool sur la pression artérielle 14,30. Par ailleurs, les données de consommation d’alcool (année 2017) sont contemporaines des données d’HTA (années 2014-2016). La méta-analyse choisie pour les RR d’HTA ne mettait pas en évidence de différence significative du risque entre les anciens buveurs et les abstinents vie entière 20.

En outre, notre étude estimait le nombre de cas d’HTA attribuables à une consommation moyenne d’alcool dépassant 10 verres par semaine. Ce seuil ne constitue que l’une des trois composantes des repères de consommation à moindre risque, les deux autres étant la consommation de plus de deux verres en une occasion et la consommation d’alcool plus de 5 jours par semaine. Néanmoins, aucun RR d’HTA n’a été identifié dans la littérature concernant les deux dernières composantes.

Enfin, malgré ces limites, notre étude donne une estimation a minima des cas d’HTA attribuables à la consommation d’alcool qui s’avère très élevée, et fondée sur deux enquêtes robustes et représentatives de la population française, l’enquête avec examen de santé Esteban et le Baromètre de Santé Publique France.

Conclusion

Nous estimons que plus de 650 000 cas d’hypertension artérielle avant 75 ans seraient liés à la consommation d’alcool excédant une moyenne de 10 verres par semaine en France métropolitaine. Ces résultats soulignent l’importante contribution de la consommation d’alcool au fardeau de l’HTA en France, en particulier chez les hommes. Ils appellent à mettre en œuvre des mesures de prévention primaire et secondaire adaptées : il s’agit d’une part d’inciter la population non hypertendue à diminuer sa consommation d’alcool et à ne pas dépasser les repères de consommation à moindre risque, pour limiter le risque d’HTA. D’autre part, la réversibilité de la relation entre la consommation d’alcool et l’HTA chez les personnes consommant plus de deux verres par jour, mis en évidence dans les essais interventionnels, amène à communiquer sur l’importance pour les personnes hypertendues de diminuer les consommations d’alcool en deçà des repères de consommation à moindre risque. Cela appuie la mise en place de recommandations hygiéno-diététiques spécifiques par les médecins et les autres professionnels de santé en contact avec les personnes hypertendues.

Cette première estimation du nombre de cas d’HTA attribuables à une consommation d’alcool dépassant un des repères à moindre risque sera à réévaluer en fonction de la disponibilité de nouvelles connaissances, notamment sur l’effet de l’âge, des modes de consommation et des variables sociales sur le RR d’HTA entre consommateurs et non-consommateurs d’alcool.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Gabet A, Bonaldi C, Grave C, Joly C, Dufour L, Andler R, et al. Impact du dépassement des repères de consommation d’alcool à moindre risque sur l’hypertension artérielle en France métropolitaine, 2014-2016. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(9):178-85. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/9/2024_9_1.html