Informer des risques à long terme liés à l’alcool et des repères de consommation : efficacité d’une campagne médiatique sur les connaissances et la consommation d’alcool

// Providing information about both long-term alcohol-related harms and low-risk drinking guidelines: Effectiveness of a French mass media campaign on alcohol to raise awareness and lower consumption

Guillemette Quatremère1 (guillemette.quatremere@santepubliquefrance.fr), Romain Guignard1, Raphaël Andler1, Chloé Cogordan1,2, François Beck1, Karine Gallopel-Morvan3, Viêt Nguyen-Thanh1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Observatoire régional de la santé – Provence-Alpes-Côte d’Azur, Aix-Marseille Université, Marseille
3 Université de Rennes, EHESP, CNRS, Inserm, Arènes – UMR 6051, RSMS – U 1309, Rennes

Ce texte est une adaptation pour le lectorat du BEH de l’article publié en anglais : Quatremère G, Guignard R, Cogordan C, Andler R, Gallopel-Morvan K, Nguyen-Thanh V. Effectiveness of a French mass-media campaign in raising knowledge of both long-term alcohol-related harms and low-risk drinking guidelines, and in lowering alcohol consumption. Addiction. 2023;118(4):658-68.
Soumis le 21.09.2023 // Date of submission : 09.21.2023
Mots-clés : Alcool | Évaluation | Campagne de prévention | Marketing social | Efficacité
Keywords: Alcohol | Evaluation | Prevention campaign | Social marketing | Effectiveness

Résumé

Introduction –

En 2019, Santé publique France a diffusé pour la première fois une campagne de communication visant à améliorer les connaissances de la population concernant les risques à moyen-long termes liés aux consommations d’alcool et les repères de consommation à moindre risque, dans l’objectif d’inciter les buveurs à la réduction de leur consommation. Cet article présente les principaux résultats de l’évaluation d’efficacité de la campagne et discute de leurs implications.

Méthode –

De février à octobre 2019, 2 538 consommateurs d’alcool âgés de 18 à 75 ans ont été interrogés en ligne à 3 reprises : avant la diffusion de la campagne (T0), juste après la diffusion (T1) et environ 6 mois après (T2).

Résultats –

Entre T0 et T1, des interactions positives entre l’exposition à la campagne et la vague d’enquête ont été observées pour la connaissance du repère « maximum 2 verres par jour » (odds ratio ajustés, ORa=1,32 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,08-1,62], p=0,008), du risque d’hémorragie cérébrale (ORa=1,80 [1,44-2,25], p<0,001) et du risque d’hypertension (ORa=1,41 [1,09-1,81], p=0,008 ; visible uniquement parmi les plus favorisés : ORa=1,90 [1,31-2,75], p=0,001) , mais pas pour la connaissance du risque de cancer ni celle du repère « minimum 2 jours sans consommation ». Une interaction significative entre l’exposition à la campagne et la vague d’enquête a été observée entre T0 et T1 pour la consommation d’alcool à risque, parmi les femmes seulement (ORa=0,67 [0,50-0,88], p=0,004). Entre T0 et T2, aucune interaction significative n’a été détectée sur les variables étudiées.

Discussion –

Les résultats de cette étude suggèrent que cette campagne sur les risques et les repères a eu un effet positif sur les connaissances et les comportements de la population. Ils viennent nourrir la littérature scientifique encore trop peu abondante concernant l’impact des campagnes médiatiques de prévention alcool. Les effets observés ne sont pas homogènes dans tous les groupes sociodémographiques et ne sont visibles qu’à court terme : une attention en matière d’inégalités sociales de santé et une répétition régulière des messages pourraient permettre d’améliorer ces deux aspects.

Abstract

Introduction –

In 2019, Santé publique France ran its first mass-media campaign aimed at raising the population’s awareness of long-term alcohol-related harms and the newly developed low-risk drinking guidelines (LRDG), in order to encourage drinkers to reduce their alcohol consumption. In this article we present the main results of the campaign’s evaluation and discuss their implications.

Method –

From February to October 2019, a total of 2,538 alcohol consumers aged 18–75 years were interviewed online in a longitudinal survey with three waves: before the campaign was broadcast (T0), just after the broadcast (T1) and around 6 months later (T2).

Results –

Between T0 and T1, positive interactions between exposure (recall of the campaign) and survey waves were observed for knowledge of the “2 drinks a day maximum” guideline (adjusted odds ratio [aOR]=1.32 [95% confidence interval: 1.08–1.62], p=0.008), the risk of brain haemorrhage (aOR=1.80 [1.44–2.25], p<0.001) and of the risk of hypertension (aOR=1.41 [1.09–1.81], p=0.008; or, among the most advantaged people only, ORa=1.90 [1.31–2.75], p=0.001). However, this was not observed for knowledge of cancer risks, nor the guideline of “at least 2 days a week without drinking”. Campaign exposure was also associated with a significant decrease in at-risk drinking in women (aOR=0.67 [0.50–0.88], p=0.004). Between T0 and T2, no significant interaction was observed for the main outcome variables.

Discussion –

These results show that the campaign combining messages about risks and LRDG had a positive effect on people’s knowledge and behaviour. They provide new elements to the currently scarce scientific literature on the impact of alcohol campaigns. The effects observed are not uniform across all groups and are only visible in the short term: attention should therefore be paid to social inequalities in health, with frequent broadcasts that ensure regular repetition of the messages.

Introduction

La consommation d’alcool a des conséquences sur la survenue de nombreuses pathologies et a un impact important sur la morbi-mortalité des populations 1. Selon les données scientifiques les plus récentes, toute consommation d’alcool, même à faible dose, est nocive pour la santé 2.

En France, l’alcool fait partie des trois premières causes de mortalité évitable avec 41 000 décès attribuables à l’alcool en 2015 3. Pourtant, la consommation de ce produit bénéficie d’une image positive et demeure très ancrée dans les habitudes 4. En 2021, 22% des adultes déclaraient une consommation d’alcool se situant au-dessus des repères de consommation à moindre risque 5. Les risques à moyen-long termes associés sont peu connus, mis à distance ou relativisés 6, alors que les risques immédiats ou sociaux de l’alcool sont plus spontanément identifiés 7. Ainsi, en 2021, 56,0% des 15-85 ans étaient d’accord pour dire que « boire de l’alcool peut provoquer un cancer seulement si on boit beaucoup et pendant longtemps », 23,5% que « globalement, boire un peu de vin diminue le risque de cancer plutôt que de ne pas en boire du tout », et 82,2% étaient d’accord avec l’idée selon laquelle « le principal risque avec l’alcool, ce sont les accidents de la route et la violence » 8. Par ailleurs, une consommation à risque est souvent associée à la notion de dépendance ou à une consommation juvénile qui serait mal maîtrisée. Elle est ainsi mise à distance de sa propre consommation, quel qu’en soit le niveau 7.

À l’instar d’autres pays 9, des repères de consommation à moindre risque publiés en 2017 sont proposés à la population française en bonne santé 10 : « Si vous consommez de l’alcool, il est recommandé pour limiter les risques pour votre santé au cours de votre vie : de ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine et pas plus de 2 verres standard par jour ; d’avoir des jours dans la semaine sans consommation. »

Santé publique France a élaboré et diffusé un dispositif de marketing social 11 en 2019, la campagne « Ravages », dans l’objectif d’améliorer les connaissances de la population concernant ces repères et les risques à moyen-long termes liés aux consommations d’alcool, comme première étape vers la réduction des consommations d’alcool. Une évaluation d’efficacité a été menée pour mesurer l’évolution de la connaissance des risques et des repères, des attitudes et des comportements, en fonction de l’exposition déclarée à la campagne. Les résultats détaillés de cette évaluation ont été publiés dans la revue Addiction 12 en 2022. Le présent article expose les principaux résultats de cette évaluation et discute leurs implications.

Méthode

La campagne « Ravages » a été diffusée du 26 mars au 14 avril 2019. Elle était composée d’un spot de 30 secondes diffusé à la télévision et en ligne (sur les plateformes Internet des chaînes TV et les réseaux sociaux (1)), de trois courtes interviews entre un journaliste et un expert diffusées en radio, de bannières digitales, d’affiches et de vidéos pédagogiques sur les risques et les repères dans les salles d’attente de médecins généralistes. Les supports renvoyaient vers le site Alcool info service. Les repères ont été reformulés à la suite du prétest de premiers contenus de la campagne afin de s’assurer de leur compréhension et mémorisation, de la manière suivante : « Pour votre santé, l’alcool c’est maximum 2 verres par jour. Et pas tous les jours. »

Un suivi longitudinal de consommateurs d’alcool – c’est-à-dire d’individus déclarant avoir bu au moins une fois de l’alcool au cours des 12 derniers mois – âgés entre 18 et 75 ans, a été mis en place. Ces personnes ont été interrogées via un questionnaire en ligne avant la diffusion de la campagne (T0 – 22 février au 18 mars), juste après la diffusion (T1 – 17 avril au 12 mai) et environ 6 mois après (T2 – 25 septembre au 15 octobre). L’échantillon a été constitué à partir d’un panel utilisé par l’institut de sondages BVA et structuré grâce à la méthode des quotas selon la distribution par sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle (CSP), région et taille d’agglomération de la population des buveurs (structure de référence : Baromètre de Santé publique France 2017, Enquête emploi 2016 de l’Insee – Institut national de la statistique et des études économiques).

En T0, 4 002 personnes ont été interrogées : 75% d’entre elles ont répondu en T1 (n=3 005) et 63% en T2 (n=2 538) (figure). L’attrition a été plus importante parmi les femmes (38% vs 35% chez les hommes, p=0,018), les diplômés de niveau baccalauréat ou inférieur au bac (respectivement 39% et 38% vs 35% des diplômés du supérieur, p=0,033) et les plus jeunes (50% des 18-34 ans, 36% des 35-49 ans, 31% des 50-64 ans et 25% des 65 ans ou plus, p<0,001). Les mêmes questions correspondant aux variables d’intérêt étaient posées à chaque vague, avec l’introduction en T1 de questions supplémentaires sur la campagne. Les personnes qui déclaraient avoir déjà vu/entendu au moins un des différents éléments de la campagne après visualisation/écoute, étaient considérées comme ayant été exposées à la campagne.

Figure : Calendrier et diagramme de flux de l’étude longitudinale
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Les principales variables d’intérêt étaient la connaissance déclarée des repères « maximum 2 verres par jour » et « 2 jours par semaine sans consommation » (questions ouvertes) ; la connaissance des risques liés à l’alcool (cancer, hypertension artérielle (HTA), hémorragie cérébrale (oui/non)) ; et la consommation déclarée d’alcool au cours des 7 derniers jours, permettant d’étudier le dépassement ou non des repères. Les personnes étaient considérées comme dépassant les repères de consommation à moindre risque si elles avaient consommé plus de 2 verres au moins un jour de consommation ou plus de 10 verres dans la semaine ou plus de 5 jours sur cette période. D’autres variables ont été mesurées telles que le fait de s’être posé des questions sur sa consommation d’alcool dans les 30 derniers jours et d’avoir envie de réduire sa consommation. La formulation des questions et le détail de la méthode sont disponibles dans l’article princeps 12.

Les catégories socioprofessionnelles ont été recodées de la manière suivante, en utilisant pour les retraités leur dernière profession : la catégorie des personnes favorisées regroupait les indépendants, les cadres et professions intellectuelles supérieures, et les professions intermédiaires ; la catégorie des personnes moins favorisées regroupait les employés et ouvriers ; la catégorie des inactifs regroupait les élèves/étudiants et les autres inactifs.

L’analyse principale a porté sur les personnes ayant répondu aux 3 vagues de l’enquête (n=2 538), en utilisant des modèles d’équations d’estimation généralisées (Generalized Estimating Equations, GEE) 13 appliquées aux données longitudinales et prenant en compte les corrélations intra-individuelles. Dans ce type d’analyse, l’ensemble des mesures réalisées pour un individu à un temps donné (T0, T1 ou T2) correspond à une observation. Pour chaque variable d’intérêt à expliquer, un test de l’interaction entre le groupe d’exposition (exposés vs non-exposés) et la vague d’enquête a été réalisé. Ainsi, l’analyse consiste à tester si l’évolution des variables d’intérêt entre T0 et T1, et entre T0 et T2, parmi les personnes exposées à la campagne est significativement différente de l’évolution des variables entre T0 et T1, et entre T0 et T2, parmi les personnes non exposées à la campagne. Les modèles ont été ajustés sur les variables significativement associées à l’exposition en bivarié. Enfin, des interactions triples ont été ajoutées aux modèles pour voir si les effets observés étaient différents selon certaines caractéristiques (sexe, âge, niveau de diplôme et CSP). En cas d’interaction significative, les analyses ont été stratifiées.

Une analyse de sensibilité a été menée parmi les buveurs dépassant les repères en T0 (n=969), ces buveurs à risque étant une cible privilégiée de la campagne. Des régressions logistiques (en T1 et T2) ont été utilisées pour la variable « consommation d’alcool par rapport aux repères » dans ce sous-groupe.

Résultats

Environ les trois quarts des répondants (74,5%) ont déclaré avoir reconnu la campagne. Les jeunes ont été moins exposés à la campagne. À l’inverse, les personnes moins diplômées, les personnes déclarant s’être questionnées sur leur consommation d’alcool dans les 30 derniers jours (en T0) et les personnes déclarant avoir envie de réduire leur consommation d’alcool (en T0) avaient plus fréquemment été exposées à la campagne (tableau 1). Aucune différence n’a été observée en fonction du sexe, de la taille d’agglomération, de la CSP, et de la consommation d’alcool par rapport aux repères en T0.

Entre T0 et T1, des évolutions plus favorables ont été observées sur les principales variables d’intérêt chez les personnes exposées à la campagne par rapport aux personnes non exposées (tableau 2), ceci étant vrai toutes choses égales par ailleurs (tableau 3 et 4). Ainsi, sur l’échantillon total et parmi le sous-groupe des buveurs dépassant les repères en T0, on observe une amélioration de la connaissance du repère « maximum 2 verres par jour » plus importante parmi les exposés que parmi les non-exposés (odds ratio ajusté, ORa=1,32 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,08-1,62], p=0,008 sur l’échantillon global ; ORa=1,60 [1,14-2,25], p=0,007 parmi les buveurs dépassant les repères) (tableau 3). Aucun lien n’est cependant détecté pour la connaissance du repère « 2 jours par semaine sans consommation » (respectivement ORa=1,18 [0,79-1,76], p=0,416 ; ORa=1,20 [0,69-2,08], p=0,528) (tableau 4).

De même, on observe une évolution plus favorable dans le groupe exposé à la campagne de la perception du risque de la consommation d’alcool sur l’hémorragie cérébrale (respectivement ORa=1,80 [1,44-2,25], p<0,001 ; ORa=1,77 [1,23-2,55], p<0,001), et sur l’HTA (respectivement ORa=1,41 [1,09-1,81], p=0,008 ; ORa=1,52 [1,02-2,24], p=0,038). Concernant l’HTA, sur l’ensemble de l’échantillon, ce résultat est observé parmi les CSP favorisées (ORa=1,90 [1,31-2,75], p=0,001) mais pas parmi les CSP moins favorisées (ORa=1,09 [0,74-1,60], p=0,667).

Enfin, concernant l’évolution de la consommation d’alcool par rapport aux repères entre T0 et T1, une diminution plus importante de la part de buveurs dépassant les repères en T0 est observée parmi les personnes exposées à la campagne sur l’ensemble de l’échantillon (ORa=0,83 [0,69-0,99], p=0,043), mais uniquement parmi les femmes dans l’analyse stratifiée selon le sexe (ORa=0,67 [0,50-0,88], p=0,004 vs ORa=0,98 [0,76-1,26], p=0,863 parmi les hommes), et pas significativement parmi les buveurs dépassant les repères en T0 (ORa=0,76 [0,54-1,08], p=0,129).

Entre T0 et T2, aucun lien significatif entre l’exposition à la campagne et l’évolution des variables d’intérêt n’est observé. Pour la connaissance du lien alcool-cancer, l’interaction globale est significative mais les interactions entre T0 et T1 d’une part, et entre T0 et T2 d’autre part, ne sont pas significatives.

Tableau 1 : Description de l’échantillon en fonction de l’exposition à la campagne (n=2 538)
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Tableau 2 : Proportion des principales variables d’intérêt aux 3 vagues d’enquête en fonction de l’exposition à la campagne (en %, échantillon global, n=2 538)
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Tableau 3 : Connaissance du repère « maximum 2 verres par jour » sur l’échantillon global (n=2 538) et sur l’échantillon des consommateurs dépassant les repères en T0 (n=969), modèles GEE
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Tableau 4 : Interactions entre la vague d’enquête et la reconnaissance de la campagne pour chaque variable d’intérêt sur l’échantillon global (n=2 538) et parmi les consommateurs dépassant les repères en T0 (n=969), modèles GEE
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Discussion

L’évaluation d’efficacité de la campagne médiatique « Ravages » suggère qu’il existe un lien entre l’exposition à la campagne et les évolutions favorables de plusieurs indicateurs juste après sa diffusion, en population générale mais également parmi le sous-groupe des personnes déclarant une consommation à risque avant la diffusion de la campagne. Cela concerne la connaissance du repère « maximum 2 verres par jour », la connaissance des risques liés à l’alcool mis en avant dans la campagne, et la consommation d’alcool par rapport aux repères (en population générale uniquement pour cet indicateur). En revanche, plusieurs de ces évolutions ne sont visibles que dans certains segments de la population (les femmes pour la consommation par rapport aux repères, les CSP favorisées pour l’hypertension). Par ailleurs, il convient de noter qu’aucune évolution n’est observée 6 mois après la diffusion de la campagne.

Ces résultats montrent que des campagnes associant des messages sur les risques à moyen-long termes et des messages sur les repères de consommation à moindre risque peuvent être efficaces pour faire évoluer les connaissances et réduire la consommation, au moins à court terme. Ce résultat est en partie nouveau sur le plan scientifique : une revue systématique de 2018 14 indiquait que les campagnes de prévention de la consommation d’alcool pouvaient avoir un effet sur les connaissances et les attitudes mais les preuves d’efficacité sur les comportements étaient plus faibles du fait de la rareté des études s’appuyant sur des méthodes scientifiques de qualité et évaluant l’impact de campagnes visant la réduction de la consommation d’alcool. Parmi les 13 évaluations intégrées dans la revue qui présentaient des résultats sur la consommation, un effet significatif n’était ainsi visible que dans une minorité d’entre elles jugées de qualité plutôt faible par les auteurs. Soulignons qu’entre 2006 et 2014, seules 10% des campagnes de prévention de la consommation d’alcool mettaient en avant les risques à long terme et 10% des repères de consommation à moindre risque 15.

À notre connaissance, notre étude est la première évaluation longitudinale « en conditions réelles » apportant des preuves de l’efficacité d’une campagne alcool sur les comportements parmi les adultes. Des résultats prometteurs ont également été observés pour la campagne médiatique australienne « Spread », qui mettait en avant le risque de cancer associé à l’alcool dans une tonalité relativement dramatique, diffusée 3 fois entre mai 2010 et mai 2011 puis 6 fois entre octobre 2020 et mai 2022. Les évaluations de cette campagne conduites de manière expérimentale ou sous forme d’enquêtes transversales suggèrent son efficacité sur la connaissance du risque de cancer et des repères, sur les attitudes favorables à la réduction de la consommation, ainsi que sur les comportements (tentatives de réduction, diminution auto-déclarée en lien avec la campagne) 16,17,18,19. D’autres études expérimentales récentes confirment que les campagnes sur les risques à long terme, et particulièrement celles y associant une information sur les repères à moindre risque, ont un potentiel d’influence sur la motivation et les intentions de diminution de la consommation, ainsi que sur la perception des seuils de risques, quel que soit le niveau de risques des buveurs interrogés 17,20,21. D’après les résultats d’un essai contrôlé randomisé réalisé en Australie en 2021, l’ajout d’un message spécifiant un conseil concret sur la manière de réduire (ex : compter ses verres) pourrait augmenter l’efficacité des campagnes basées sur les risques 19.

La connaissance du repère « 2 jours dans la semaine sans consommation » (soit 5 jours maximum de consommation hebdomadaire) n’a pas évolué plus favorablement dans le groupe exposé à la campagne. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’il n’était pas clairement indiqué dans les messages de la campagne, la formulation diffusée étant « pas tous les jours ». Notre étude montre également que les effets de la campagne « Ravages » ne sont observés qu’à court terme. Cela est également constaté sur d’autres sujets impliquant des changements de comportements très ancrés dans les habitudes de vie, tels que les pratiques addictives 22,23,24. Ce résultat souligne la nécessité de diffuser les campagnes de marketing social de manière répétée et visible 22,23,24 pour permettre la mémorisation des messages et contrer un environnement très favorable à la consommation d’alcool 25,26, afin de toucher durablement les croyances et comportements des individus.

Les résultats présentés ici ne montrent pas non plus d’effet de l’exposition à la campagne « Ravages » sur la consommation des hommes, ni sur la connaissance du lien alcool-HTA pour les CSP moins favorisées. Les femmes ont des niveaux de consommation moins élevés que les hommes 27, et il pourrait donc être plus facile pour elles de diminuer leur consommation de quelques verres seulement pour respecter les repères. Leur perception du risque peut également se différencier de celle des hommes 28, les rendant plus réceptives à ces messages de prévention.

Ces résultats invitent à s’interroger sur la façon de toucher les populations moins favorisées. Des dispositifs complémentaires à la campagne médiatique ont ainsi été développés depuis : brochure à destination des publics à faible niveau de littératie en santé, vidéos expliquant plus explicitement les repères et le lien entre l’alcool et les risques associés, et diffusées sur des canaux médiatiques auxquels ces populations sont exposées. La campagne « Ravages », ainsi enrichie d’une édition à une autre, a été diffusée 6 fois en 4 ans. Dans des études ultérieures, il serait important d’évaluer les messages qui s’adressent à cette catégorie de population.

Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelle que les campagnes de prévention doivent être combinées à d’autres mesures, telles que l’augmentation du prix de l’alcool et les mesures locales visant à réduire l’accès à l’alcool (restreindre les heures, les lieux de vente et les quantités d’achat), qui sont des interventions pertinentes pour réduire les inégalités sociales en matière de dommages liés à l’alcool 29.

Parmi les limites de cette étude, la représentativité de l’échantillon demeure relativement incertaine dans la mesure où il s’agit d’un échantillon non probabiliste constitué à partir d’un panel. De plus, l’attrition concerne un quart de l’échantillon à T1 puis un tiers de l’échantillon à T2, correspondant néanmoins à ce qui est attendu dans ce type d’étude 19. Par ailleurs, la taille de l’échantillon n’a pas été initialement prévue pour examiner les interactions triples ni étudier la sous-population des buveurs dépassant les repères en T0 avant la diffusion de la campagne, ce qui peut entraîner un manque de puissance statistique pour ces analyses. Enfin, il faut signaler les risques de biais intrinsèques aux données déclaratives, en particulier le biais de désirabilité sociale.

En plus des effets individuels sur les connaissances et les comportements observés à court terme, informer le grand public des risques associés à l’alcool répond à des exigences de transparence dans un contexte où l’omniprésence de l’alcool, la facilité d’accès au produit et la forte pression publicitaire, contribuent à occulter en partie les dangers de la consommation. Cette information pourrait également être assurée par l’apposition de messages d’avertissements sanitaires sur les contenants des boissons alcoolisées 30, comme en a décidé l’Irlande en mai 2023 pour la première fois dans l’Union européenne 31. Par ailleurs, d’un point de vue plus systémique, les campagnes sur les risques à long terme participent à changer les perceptions vis-à-vis de l’alcool et favorisent l’adhésion 32,33 à des mesures réglementaires plus contraignantes visant à limiter l’accès à l’alcool et réduire son attractivité : par exemple interdire la publicité à l’instar de la Lituanie et de la Norvège, augmenter la fiscalité des produits alcoolisés ou encore réduire leur accessibilité ; autant de mesures efficaces et coût-efficaces pour limiter le fardeau de l’alcool et améliorer la santé de l’ensemble de la population 34,35.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Quatremère G, Guignard R, Andler R, Cogordan C, Beck F, Gallopel-Morvan K, et al. Informer des risques à long terme liés à l’alcool et des repères de consommation : efficacité d’une campagne médiatique sur les connaissances et la consommation d’alcool. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(9):186-94. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/9/2024_9_2.html

(1) Santé publique France. Pour votre santé, l’alcool c’est maximum 2 verres par jour. Et pas tous les jours. 2019. https://www.youtube.com/watch?v=Xo0x_85pERo