La consommation d’alcool des adultes en France en 2021, évolutions récentes et tendances de long terme
// Alcohol use among adults in France in 2021, recent developments and long-term trends
Résumé
Introduction –
La consommation d’alcool, très élevée en France, expose à de nombreux risques pour la santé, à court et long terme. Au cours des dernières décennies, les modes de consommation ont fortement évolué. L’objectif de cet article est de présenter un panorama de la consommation d’alcool en France en 2021 à partir de l’enquête Baromètre de Santé publique France, actualisant les constats datant de 2017 en France hexagonale et 2014 dans les départements ultramarins et permettant d’apprécier les tendances sur près de 30 ans.
Méthode –
Les données utilisées proviennent des éditions 1992, 1995, 2000, 2005, 2010, 2014, 2017 et 2021 des Baromètres de Santé publique France, enquêtes téléphoniques sur échantillon aléatoire réalisées auprès d’adultes de 18-75 ans résidant en France hexagonale et dans les départements et régions d’outre-mer (DROM). Les indicateurs présentés sont issus du module de questions Audit-C (Alcohol Use Disorders Identification Test-Consumption version courte).
Résultats –
Les tendances de long terme révèlent une baisse des consommations quotidienne et hebdomadaire au cours des dernières décennies, faisant écho aux baisses des volumes de vente. En revanche, le phénomène des alcoolisations ponctuelles importantes suit des tendances récentes contrastées : plutôt en diminution parmi les jeunes hommes, il tend à augmenter parmi les femmes de plus de 35 ans. Des disparités régionales sont également observées.
Conclusion –
Les modes de consommation d’alcool continuent d’évoluer et la mise en place d’actions de prévention pour réduire les risques induits par la consommation d’alcool reste nécessaire.
Abstract
Introduction –
Alcohol consumption is very high in France, and entails numerous short- and long-term health risks. In recent decades, consumption patterns have changed significantly. This article aims to present an overview of alcohol consumption in France in 2021, based on the Santé publique France Health Barometer survey, providing an update on findings from 2017 in mainland France and 2014 in the French overseas departments, and enabling us to assess trends over a period of nearly 30 years.
Method –
The data used come from the 1992, 1995, 2000, 2005, 2010, 2014, 2017 and 2021 Santé publique France Health Barometer, a random sample telephone survey of adults aged 18-75 living in mainland France and the French overseas departments and regions. The indicators presented are based on the question module AUDIT-C (Alcohol Use Disorders Identification Test-Consumption).
Results –
Long-term trends reveal a marked decline in daily and weekly consumption over the last few decades, echoing declines in sales volumes. However, the phenomenon of heavy episodic drinking shows contrasting recent trends: while decreasing among young men, it tends to increase among women over the age of 35. Regional disparities have also been observed.
Conclusion –
Alcohol consumption patterns continue to evolve and preventive measures to reduce the harms associated with alcohol consumption are still needed.
Introduction
La consommation d’alcool comporte de nombreux risques pour la santé, à court terme (accidents, violences par exemple) comme à long terme (survenue de nombreuses maladies) 1,2. Or, même si les volumes d’alcool mis à la vente diminuent depuis les années 1960 3, l’alcool reste un produit très consommé en France 4. Cette tendance à la baisse, majoritairement portée par la diminution de la consommation de vin 3 est le résultat d’évolutions culturelles et de la mise en place de politiques publiques, dont les mesures protectrices de la loi Évin de 1991 limitant très fortement la publicité en faveur de l’alcool et interdisant la vente aux mineurs de moins de 16 ans. La perception des risques liés à la consommation d’alcool évolue plus lentement : la consommation d’alcool est majoritairement perçue comme à risque à partir d’une consommation quotidienne (92% en 1999 vs 79% en 2018), alors que le risque d’une consommation occasionnelle n’est perçu que pour 11% des adultes, soit une augmentation de seulement 10 points en 20 ans 5.
La baisse du volume des consommations s’observe aussi récemment, entre 2017 et 2021, période durant laquelle le nombre annuel moyen de litres d’alcool pur par habitant de 15 ans et plus est passé de 11,7 à 10,5 6. Cet indicateur global ne permet toutefois pas d’apprécier l’évolution des comportements individuels tels que la fréquence et les modes de consommation (le phénomène des alcoolisations ponctuelles importantes, proche du binge drinking), ou encore la quantité consommée. À cet égard, les enquêtes Baromètre de Santé publique France 7 menées en population générale depuis les années 1990 permettent de suivre l’évolution de la consommation d’alcool en France à un niveau individuel, ainsi que de mettre en évidence des disparités sociales et territoriales dans les modes d’alcoolisation. Ces observations sont déterminantes pour la mise en place et l’évaluation de politiques nationales de santé publique et d’actions de prévention.
Les indicateurs historiques permettant de mesurer la consommation d’alcool dans les enquêtes Baromètre de Santé publique France sont issus du questionnaire de référence Audit-C (Alcohol Use Disorder Identification Test-Consumption dans sa version courte) 8. L’objectif de cet article est de décrire la consommation d’alcool en France à partir des données les plus récentes, celles du Baromètre de Santé publique France 2021, permettant de mettre à jour les dernières estimations datant de 2017 pour la France hexagonale 9 et de 2014 pour les départements et régions d’outre-mer (DROM) 10, et plus largement d’apprécier l’évolution de l’alcoolisation depuis près de 30 ans. Cet article complète une publication précédente s’appuyant sur la même source de données et centrée sur le dépassement des repères de consommation à moindre risque, et son évolution depuis 2017 4.
Méthode
Données
Cette étude s’appuie sur l’analyse des données des enquêtes Baromètre de Santé publique France. Ce dispositif d’enquêtes mis en place au début des années 1990 a pour objectif de suivre les principaux comportements, attitudes et perceptions liés aux prises de risques et à l’état de santé de la population. Ces enquêtes reposent sur un sondage aléatoire à deux degrés, réalisé par téléphone auprès de la population résidant en France 11. En particulier, la consommation d’alcool est mesurée depuis 1992 et l’ensemble des résultats antérieurs à 2021 sur cette thématique a déjà fait l’objet de publications dédiées 9,10. Le terrain d’enquête 2021 a eu lieu de février à décembre 2021 dans l’Hexagone et d’avril à octobre 2021 dans les DROM (en dehors de Mayotte, territoire ayant fait l’objet d’une étude dédiée en 2019 12).
Les analyses menées dans cette étude portent sur la population âgée de 18 à 75 ans, tranche d’âge commune à l’ensemble des éditions, interrogée en France hexagonale en 1992 (n=2 099), 1995 (n=1 993), 2000 (n=12 588), 2005 (n=28 224), 2010 (n=25 034), 2014 (n=15 186), 2017 (n=25 319) et 2021 (n=22 625). Les estimations pour les DROM portent sur les années 2014 et 2021, au sein de respectivement 1 952 et 1 417 adultes de 18-75 ans en Guadeloupe, 1 945 et 1 420 en Martinique, 1 904 et 1 446 en Guyane et 2 010 et 1 924 à La Réunion.
Variables d’intérêt
L’enquête 2021 inclut deux modules de questions indépendants portant sur la consommation d’alcool : la consommation d’alcool au cours des sept derniers jours 4 et l’Audit-C pour mesurer la consommation moyenne au cours des douze derniers mois 13. Ce dernier inclut les trois premières questions de l’Alcohol Use Disorder Identification Test-Consumption et a été posé à tous les participants de 18 à 75 ans :
–« Au cours des 12 derniers mois, avez-vous bu du vin, de la bière, des alcools forts, d’autres alcools comme du cidre, champagne, porto… ? » Réponses possibles : tous les jours, 4 à 6 fois par semaine, 2 ou 3 fois par semaine, 1 fois par semaine, 2 ou 3 fois par mois, 1 fois par mois ou moins souvent, jamais. Cette question est posée séparément pour chaque type d’alcool (vin, bière, alcools forts et autres) ;
–« Au cours des 12 derniers mois, les jours où vous buvez, combien de verres de boissons alcoolisées buvez-vous dans la journée, que ce soit de la bière, du vin ou tout autre type d’alcool ? » ;
–« Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence vous est-il arrivé de boire six verres de boissons alcoolisées ou plus en une même occasion ? » Réponses possibles : jamais, moins d’une fois par mois, une fois par mois, une fois par semaine, tous les jours ou presque. Ce seuil de six verres en une occasion correspond à la définition d’une alcoolisation ponctuelle importante (API) pour un adulte.
À partir de ces questions, suivant la même méthode que pour les éditions antérieures 14 afin de permettre le suivi des séries statistiques, les indicateurs suivants ont été calculés :
–expérimentation de l’alcool : avoir consommé de l’alcool au moins une fois dans sa vie ;
–consommation d’alcool dans l’année : avoir consommé au moins une fois au cours des 12 derniers mois ;
–fréquence de consommation au cours des douze derniers mois : avoir consommé au moins une fois par semaine, avoir consommé tous les jours ;
–fréquence des API : au moins une fois par an, au moins une fois par mois, au moins une fois par semaine. Les API ne sont mesurées dans les Baromètres que depuis 2005.
Le nombre moyen de jours de consommation par an correspond au recodage de la fréquence déclarée : tous les jours (365 jours), 4 à 6 fois par semaine (260 jours, soit 52 fois 5 jours par semaine), 2 ou 3 fois par semaine (130 jours, soit 52 fois 2,5 jours par semaine), 1 fois par semaine (52 jours), 2 ou 3 fois par mois (30 jours, soit 12 fois 2,5 jours par mois), 1 fois par mois ou moins souvent (12 jours par an).
Analyses
Afin que les estimations soient représentatives des populations de chacun des territoires, des pondérations tenant compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage et en fonction de l’équipement téléphonique) et de la structure de la population (France hexagonale et chaque DROM séparément) ont été calculées via un calage sur marges utilisant les variables suivantes : le sexe croisé avec l’âge en tranches décennales, la taille du foyer et le niveau de diplôme, auxquelles s’ajoutent la région et la taille d’unité urbaine pour la France hexagonale uniquement (population de référence : enquête emploi 2020, Institut national de la statistique et des études économiques – Insee –). Les comparaisons de pourcentages ont été testées au moyen du Chi2 d’indépendance de Pearson, avec correction du second ordre de Rao-Scott 15. Sans précision, le seuil de significativité est de 5%.
Les estimations régionales sont calculées avec une pondération permettant d’être représentatif du territoire en question. Les différences entre territoires sont testées de la manière suivante :
–dans les DROM, en comparant le territoire à la France hexagonale ;
–dans les régions de France hexagonale, en comparant la région à l’ensemble de la France hexagonale en excluant la région concernée.
Dans les deux cas, le test est standardisé sur la structure de sexe et d’âge de la population hexagonale.
Résultats
Évolution de la consommation d’alcool des adultes
En France hexagonale en 2021, 94,9% des adultes déclarent avoir déjà consommé de l’alcool dans leur vie, proportion relativement stable au moins depuis le début des années 1990, date des premiers exercices des Baromètres de Santé publique France. La part d’adultes de 18-75 ans déclarant avoir consommé de l’alcool au moins 1 fois au cours des 12 derniers mois est en légère baisse entre 2017 (86,5%) et 2021 (85,0%).
Depuis plusieurs décennies, les consommations hebdomadaires et quotidiennes diminuent : la part de consommateurs hebdomadaires était de 62,6% en 2000 et atteint 39,0% en 2021. La proportion d’adultes consommant de l’alcool tous les jours était 23,9% en 1992 contre 8,0% en 2021.
Sur la période récente, entre 2017 et 2021, la proportion d’adultes consommant chaque semaine (39,0% en 2021) est stable parmi l’ensemble des adultes mais en baisse parmi les hommes (de 52,7% en 2017 à 50,5% en 2021) et stable parmi les femmes (28,1% en 2021) (figures 1, 2 et 3).
La proportion de buveurs quotidiens est en baisse significative entre 2017 (10,0%) et 2021 (8,0%). Cette baisse s’observe aussi bien parmi les hommes (15,2% en 2017 et 12,6% en 2021) que parmi les femmes (5,1% en 2017 et 3,8% en 2021).
Les indicateurs de fréquence des API n’ont pas évolué significativement entre 2017 et 2021 parmi l’ensemble des adultes et parmi les hommes. En revanche, la part de femmes déclarant avoir eu une API au moins une fois dans l’année et la part de celle déclarant au moins une API par mois sont en hausse significative : passant respectivement de 21,4% à 23,0% et de 7,6% à 8,6% entre 2017 et 2021.
Depuis 2005, la part d’hommes ayant des API, quelle que soit la fréquence, est dans l’ensemble stable tandis que c’est une tendance à la hausse qui s’observe parmi les femmes.
Évolutions récentes par sexe et tranche d’âge
Entre 2017 et 2021, plusieurs tendances de consommation d’alcool se dessinent selon le sexe et la tranche d’âge en France hexagonale. Tout d’abord, les groupes des hommes de 55 ans et plus et des femmes de 45 ans et plus se caractérisent par une baisse de la part de personnes ayant consommé de l’alcool au moins une fois par semaine au cours des 12 derniers mois et également de la part de personnes ayant consommé de l’alcool tous les jours (tableaux 1 et 2).
Par ailleurs, entre 2017 et 2021, la part de femmes de 55 ans et plus déclarant des API, quelle qu’en soit la fréquence, est en augmentation. De plus, les prévalences de femmes de 35-44 ans déclarant une consommation hebdomadaire d’alcool, des API dans l’année ou chaque mois sont en augmentation. Pour les hommes, les prévalences d’API dans l’année et chaque mois sont en baisse parmi les moins de 35 ans.
Nombre de jours de consommation et nombre moyen de verres bus
En 2021, en France hexagonale, les adultes ayant bu de l’alcool au cours des 12 derniers mois déclaraient avoir consommé de l’alcool en moyenne 92 jours, buvant 2,2 verres en moyenne les jours de consommation (figure 4). Comme cela s’observait déjà en 2017, la consommation moyenne d’alcool (fréquence et quantité bue) diffère fortement selon l’âge. Ainsi, les plus jeunes consomment moins souvent, mais ingèrent des volumes de boissons alcooliques plus importants que leurs aînés qui, pour leur part, consomment plus souvent : les 18-24 ans consomment ainsi en moyenne 3,2 verres par jour et ont 64,3 jours de consommation par an, tandis que les 65-75 ans consomment 1,6 verres, 123,7 jours par an. Rapporté à l’ensemble des 18-75 ans (en incluant ainsi les abstinents), en 2021, chaque adulte a consommé en moyenne 0,6 verres d’alcool par jour.
Parmi les 18-75 ans ayant consommé de l’alcool au cours de l’année, entre 2010 et 2021, le nombre moyen de jours de consommation par an a baissé de 103 à 92 tandis que le nombre moyen de verres un jour de consommation a baissé de 2,3 à 2,2.
Par ailleurs, en 2021, les 10% des 18-75 ans les plus consommateurs (volume total annuel déclaré) consomment à eux seuls 54% de l’alcool consommé.
Disparités régionales
En 2021, la consommation quotidienne d’alcool était plus fréquente en Nouvelle-Aquitaine (notamment parmi les femmes) et en Occitanie. À l’inverse, elle était plus rare en Île-de-France et dans les DROM (tableau 3). Déclarer au moins une API par mois était moins fréquent en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et en Guadeloupe, et plus fréquent en Bretagne et en Pays de la Loire (tableau 4).
Par rapport à 2017, les proportions de consommateurs quotidiens étaient stables ou en diminution pour l’ensemble des régions. En revanche, les proportions de consommateurs ayant des API mensuellement étaient majoritairement stables mais en augmentation sur certains territoires (Pays de la Loire, Guadeloupe).
parmi les 18-75 ans
Discussion
La baisse de la consommation d’alcool à partir des enquêtes déclaratives en population générale telles que le Baromètre de Santé publique France est cohérente avec la baisse des volumes d’alcools vendus observée en France depuis les années 1960 6, baisse largement due à la diminution de la consommation de vin progressive au fil des générations. Ce constat se fait notamment à travers les indicateurs reflétant des consommations régulières qui comptent pour beaucoup dans la quantité totale d’alcool consommé (consommation quotidienne ou hebdomadaire). En 30 ans, entre 1992 et 2021, la part d’adultes déclarant boire de l’alcool tous les jours a été divisée par 3 (aussi bien parmi les hommes que parmi les femmes). Tandis qu’en 20 ans, entre 2000 et 2021, la part de consommateurs hebdomadaires a été réduite d’environ un tiers. Ces baisses des consommations plus fréquentes d’alcool sont également observées dans les évolutions récentes, mais elles diffèrent selon les territoires et sont davantage marquées parmi les plus âgés.
En revanche, les indicateurs correspondant aux alcoolisations ponctuelles importantes (API) ne suivent pas la même tendance. Notamment, entre 2017 et 2021, la part des femmes adultes déclarant au moins une API par mois augmente, en particulier parmi les femmes de plus de 35 ans.
Notre étude confirme également le rapprochement des comportements entre hommes et femmes observé depuis de nombreuses années 16,17. Si les hommes sont toujours davantage consommateurs d’alcool selon la plupart des indicateurs, les tendances légèrement à la hausse de certains comportements parmi les femmes, notamment en lien avec les API, tendent à les rapprocher de ceux des hommes qui sont relativement stables. Ce rapprochement s’observe également à l’étranger 18,19. Plusieurs hypothèses ont pu être avancées pour expliquer ces évolutions : de façon générale, les grandes évolutions sociétales comme l’augmentation de la part de femmes participant au marché du travail, le recul de l’âge au premier mariage ou de l’âge du premier enfant sont mentionnés par certains chercheurs 20,21. Certaines femmes évoluant dans des milieux masculins, notamment dans des sphères socio-économiques favorisées, pourraient avoir tendance à s’adapter aux comportements de consommation de ces milieux, afin de se conformer à certains codes informels ou encore à utiliser l’alcool comme une forme d’automédication pour lutter contre le stress perçu 22,23. L’industrie de l’alcool opère par ailleurs un marketing agressif visant le public féminin, de nature à soutenir ces évolutions 24.
Parmi les jeunes adultes, la part des consommateurs déclarant des API semble stable, voire à la baisse parmi les hommes, confirmant la rupture de la tendance avec les années 2005-2010, période durant laquelle ce phénomène tendait à se répandre 25. Cette tendance à une baisse de la consommation d’alcool parmi les plus jeunes générations s’observe également en population mineure depuis plusieurs années 26, traduisant des rapports à l’alcool qui évoluent 27.
Comparaisons internationales
Les comparaisons internationales des comportements de consommation d’alcool sont rendues complexes par l’hétérogénéité des modes de recueil, des indicateurs et des années d’études. L’enquête santé européenne (European Health Interview Survey – EHIS –) 2019 28,29 révèle que la proportion de consommateurs quotidiens de 15 ans et plus en France serait proche de celle observée en Belgique, plus grande qu’en Allemagne, mais plus petite qu’en Italie ou en Espagne notamment. La proportion de personnes déclarant une API au moins chaque mois était en revanche plus élevée en France qu’en Belgique, en Italie et en Espagne, mais plus faible qu’en Allemagne. Les comparaisons internationales basées sur les données de mise à disposition pour la vente placent pour leur part la France parmi les pays européens les plus consommateurs d’alcool en nombre de litres d’alcool pur par an et par habitant 30.
Comparaison avec l’estimation de la proportion d’adultes déclarant dépasser les repères de consommation à moindre risque
L’analyse du module de questions portant sur la consommation d’alcool au cours des 7 derniers jours, également posé dans l’enquête Baromètre de Santé publique France 2021, avait permis de conclure à une baisse entre 2020 et 2021 de la proportion d’adultes déclarant dépasser les repères de consommation à moindre risque 4. Ce module, portant sur les 7 derniers jours, reflète davantage les consommations régulières que les alcoolisations ponctuelles et il est cohérent d’observer également une baisse des prévalences de consommation régulière d’alcool via le module Audit-C.
En particulier, l’analyse des consommations au cours des 7 derniers jours montrait une diminution des consommations au-delà des repères de consommation à moindre risque 31 parmi les hommes de 18-24 ans et parmi l’ensemble des 65-75 ans, ce qui est également observé dans la présente analyse à travers la baisse des consommations hebdomadaires et quotidiennes.
Enfin, certaines spécificités régionales observées concordent entre les deux modules de questions : des indicateurs de consommation d’alcool supérieurs à la moyenne en Bretagne et Pays de la Loire, et inférieurs à la moyenne en Île-de-France et dans les DROM. Des analyses régionales détaillées sont nécessaires pour appréhender plus précisément ces disparités. Les indicateurs présentés dans cet article offrent un panorama global de la consommation d’alcool mais de façon limitée sur chacun des territoires. Notamment, ils ne permettent pas de décrire les comportements de consommations des buveurs les plus excessifs. Des études dédiées seront publiées pour répondre à ces questions.
Limites
L’ensemble des résultats produits dans la présente étude s’appuient sur des données d’enquêtes déclaratives. Ainsi, elles souffrent potentiellement de plusieurs biais. En premier lieu, les biais de couverture et plus généralement de non-réponse. Les enquêtes Baromètre de Santé publique France sont mises en place suivant une méthodologie très stricte, afin de permettre à un maximum de personnes de répondre, mais surtout afin que les personnes tirées au sort acceptent de le faire 7,11. Au fil des années, les techniques se sont modernisées mais ont gardé les mêmes grandes orientations, permettant de suivre l’évolution temporelle des indicateurs mesurés à biais supposé constant.
L’autre limite importante à mentionner est la sous-déclaration qui peut résulter d’un biais de mémoire ou d’un biais de désirabilité sociale. Le biais de mémoire ne devrait pas avoir évolué au fil des éditions. En revanche, le biais de désirabilité dépend notamment des représentations sociales qui ont possiblement changé en plusieurs décennies, sans qu’il soit aisé de le quantifier. À ce propos, concernant la consommation d’alcool toujours très élevée en France, certaines perceptions semblent n’avoir que peu évolué : par exemple, la part d’adultes déclarant qu’ « offrir ou boire de l’alcool fait partie des règles du savoir-vivre » a relativement peu évolué entre 1992 (44%) et 2017 (49%) 32.
La sous-déclaration est certainement importante. En effet, en 2021, les données déclaratives du Baromètre de Santé publique France permettaient d’estimer que chaque adulte de 18-75 ans avait consommé en moyenne 0,6 verre d’alcool chaque jour. Les données de vente de la même année correspondent à une consommation moyenne de 2,3 verres par jour pour chaque adulte de 15 ans et plus 6. Cette estimation serait probablement inférieure si on pouvait écarter les pertes diverses et variées (alcool non bu in fine), les ventes aux mineurs (toujours très fréquentes en France à 17 ans 33) et aux plus de 75 ans, de mêmes que les ventes aux touristes (non interrogés dans le Baromètre). Néanmoins, l’écart entre données de consommation et de données de vente resterait probablement conséquent. Un autre élément important pouvant expliquer ces différences est la notion de verre standard (défini en France par 10 g d’alcool pur, soit par exemple 25 cl de bière à 5 degrés ou 12 cl de vin à 12 degrés). Elle est utilisée pour calculer le nombre de verres d’alcool mis à la vente, mais elle est souvent très difficile à appréhender par les personnes interrogées dans le cadre d’une enquête déclarative. Cela s’explique par le fait que, d’une part, les quantités réellement servies dans un verre peuvent être supérieures à l’équivalent d’un verre standard, a fortiori dans un contexte privé, et d’autre part, selon le titrage, le volume du verre standard fluctue (le titrage des bières pouvant par exemple passer du simple au triple) : il est alors très difficile pour une personne interrogée de faire la conversion de sa consommation en verres standards. Il est donc délicat de comparer directement les estimations issues des données déclaratives de consommation et celles des ventes d’alcool. Des études dédiées sembleraient nécessaires pour mieux documenter ce constat. La présente étude documente avant tout les évolutions des consommations déclarées, supposées à « biais constant ».
Conclusion
La consommation d’alcool reste très élevée en France en 2021. Les tendances à long terme révèlent une baisse très marquée de la consommation quotidienne déclarée au cours des dernières décennies, en correspondance avec les baisses des volumes de vente. En revanche, le phénomène des alcoolisations ponctuelles importantes suit des tendances plus contrastées : plutôt en diminution parmi les jeunes hommes, il tend à augmenter parmi les femmes de plus de 35 ans. Il apparaît nécessaire d’accompagner ces tendances par des actions de prévention qui contribuent à débanaliser et à réduire la consommation d’alcool, tout en étant particulièrement vigilant aux profils plus à risques. Bien que le coût social de la consommation d’alcool dépasse 100 milliards d’euros en 2019 selon les dernières estimations 34, la France n’est pas dotée d’un plan national de lutte contre les dommages liés à l’alcool. Pourtant les chercheurs et les experts rappellent 24,35,36 la nécessité d’adopter des mesures limitant l’accessibilité au produit et la publicité en faveur de l’alcool, et d’amplifier les dispositifs de marketing social informant des risques de l’alcool et déclenchant une diminution des consommations. L’amplification des campagnes est d’ailleurs inscrite dans la stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 (1) et la Stratégie décennale de lutte contre les cancers – Feuille de route 2021-2025 (2) ; elle serait facilitée par son inscription dans le cadre d’un plan national plus global et plus structurant.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.