Prévention alcool : de la science à l’action, Santé publique France, une agence pleinement engagée

// Alcohol prevention: From science to action, Santé publique France is a fully committed health agency

Caroline Semaille
Directrice générale de Santé publique France, Saint-Maurice

Comme l’alimentation ou les jeux d’argent et de hasard, l’alcool occupe une place singulière dans le paysage de la santé publique en France. Sa consommation est associée, pour une grande partie de la population, au plaisir et à la convivialité. La « filière alcool » est un secteur économique important, générateur de nombreux emplois et de recettes fiscales. Mais l’alcool demeure surtout un des premiers facteurs de risque de maladies et de décès en France, avec plus de 40 000 décès attribuables en 2015 1 et un coût social estimé à 102 milliards d’euros sur l’année 2019 2. Ce constat doit être rappelé avec force, afin de soutenir des politiques publiques à la hauteur de l’enjeu.

L’impact de l’alcool sur la santé reste sous-estimé par la population… Nos concitoyens savent-ils même s’ils consomment trop ?

En appui aux professionnels de santé et acteurs concernés, Santé publique France mesure et décrit le fardeau lié à l’alcool, alerte sur les conséquences et met en œuvre des actions de prévention. Les deux articles publiés ce jour dans ce numéro du BEH illustrent l’engagement de l’agence et l’importance de disposer de données pour guider l’action.

Plus de 650 000 patients ont une hypertension artérielle liée à une consommation d’alcool dépassant deux verres par jour ou ne respectant pas les deux jours d’abstinence par semaine 3. Ainsi, les travaux présentés dans l’article de Gabet et coll. permettent d’évaluer que chez les hommes, près d’une hypertension artérielle sur dix serait attribuable à une consommation d’alcool excédant 10 verres par semaine… et ce n’est pas une fatalité ! Des essais interventionnels ont montré qu’en diminuant leur consommation d’alcool quotidienne, les personnes dépassant habituellement deux verres par jour pouvaient bénéficier d’une baisse de leur pression artérielle 4 : la relation entre la consommation d’alcool et l’hypertension artérielle serait donc causale et réversible.

Plus de 4 000 accidents vasculaires cérébraux hémorragiques seraient quant à eux attribuables chaque année à une consommation chronique d’alcool ou à une consommation ponctuelle excessive selon une autre étude portée par Santé publique France 5. En plus des risques cardiovasculaires et de cirrhose, la consommation de boissons alcoolisées augmente aussi le risque de certains cancers. Bien que l’alcool soit le deuxième facteur de risque évitable de cancer, les personnes qui en consomment le citent moins spontanément comme un facteur de risque que celles qui en sont abstinentes… une forme de mise à distance du risque individuel en fonction de son propre comportement.

Enfin, à l’heure où l’hôpital fait face à une crise importante, les travaux de l’agence présentés en mars 2024 aux Journées de la Société française d’alcoologie ont permis d’évaluer le nombre considérable d’hospitalisations pour alcoolisations aiguës ou complications chroniques 6.

Les grandes enquêtes menées par Santé publique France montrent que, même si les Français ont réduit leur consommation d’alcool depuis trente ans, les niveaux de consommation restent très élevés 7,8 ; et cela, tant en population générale que parmi certaines sous-populations, comme les femmes enceintes 9. Les enquêtes nationales périnatales et le Baromètre de Santé publique France montrent que des femmes continuent à boire de l’alcool pendant leur grossesse. La question de l’alcoolisation fœtale et de ses conséquences dramatiques sur les nouveau-nés est toujours d’actualité. Il faut rappeler avec force la recommandation « Zéro alcool pendant la grossesse » et accompagner les femmes ayant des difficultés avec leur consommation.

Par ailleurs, les Français connaissent-ils les niveaux de consommation à ne pas dépasser pour limiter l’impact sur leur santé ? En 2021, près de trois hommes sur dix (31%) et plus d’une femme sur dix (14%) déclaraient une consommation d’alcool au-delà des repères de consommation à moindre risque 7.

En 2017, Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa) ont publié un avis d’experts établissant de nouveaux repères de consommation d’alcool à moindre risque pour la France 10 : maximum deux verres par jour et pas tous les jours, soit un maximum de 10 verres par semaine. Ces repères ne signifient pas qu’il n’y ait pas de risque en deçà : il s’agit de « repères de consommation à moindre risque ». Deux ans après la publication de l’avis, Santé publique France a conçu une campagne de marketing social avec un double objectif : améliorer les connaissances des Français sur les risques à moyen-long termes liés aux consommations d’alcool et faire connaître ces nouveaux repères de consommation à moindre risque. Cette campagne a été diffusée à six reprises entre 2019 et 2022. L’objectif final était d’inciter les buveurs à réduire leur consommation.

L’article de Quatremère et coll. 11 présente l’évaluation de l’efficacité de cette campagne en montrant que l’exposition à cette campagne est associée à une meilleure connaissance du repère « maximum 2 verres par jour », du risque d’hypertension artérielle et du risque d’hémorragie cérébrale. Ces résultats sont observés à court terme (un mois après la diffusion de la campagne), mais ne le sont plus à 6 mois. Comme constaté dans la littérature, la répétition dans le temps des campagnes de prévention est indispensable afin de changer efficacement et durablement les comportements de consommation d’alcool. Outre cette campagne sur les repères à moindre risque, Santé publique France a diffusé plusieurs autres campagnes visant la réduction des risques en contexte festif, notamment celles ciblant les jeunes 12. Celles-ci sont complémentaires à des défis comme celui d’un mois sans alcool en France 13.

Pour accompagner les consommateurs, les dispositifs d’aide à distance sont également essentiels : le dispositif Alcool info service est aux côtés des consommateurs 7j/7 pour les écouter, les aider, répondre à leurs questions, accueillir leur entourage ou tout simplement répondre aux questions du grand public. En 2024, son site bénéficiera d’une refonte complète et fera l’objet d’une vaste campagne nationale d’information.

Les politiques publiques se nourrissent du substrat scientifique, qu’il s’agisse de données documentant les impacts sanitaires et sociaux de l’alcool ou de celles qui mettent en avant les interventions efficaces pour les prévenir. Santé publique France poursuit son engagement en matière de surveillance, de prévention et de plaidoyer en faveur de mesures visant à placer la santé et le bien-être du plus grand nombre parmi les objectifs prioritaires de l’action publique.

Références

1 Bonaldi C, Hill C. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bull Épidémiol Hebd. 2019;(5-6):97-108. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/5-6/2019_5-6_2.html
2 Kopp P. Le coût social des drogues : estimation en France en 2019. Paris: Observatoire français des drogues et des tendances addictives; 2023. 15 p. https://www.ofdt.fr/publications/collections/methode/le-cout-social-des-drogues-estimation-en-france-en-2019/
3 Gabet A, Bonaldi C, Grave C, Joly C, Dufour L, Andler R, et al. Impact du dépassement des repères de consommation d’alcool à moindre risque sur l’hypertension artérielle en France métropolitaine en 2015. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(9):178-85. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/9/2024_9_1.html
4 Roerecke M, Kaczorowski J, Tobe SW, Gmel G, Hasan OS, Rehm J. The effect of a reduction in alcohol consumption on blood pressure: A systematic review and meta-analysis. Lancet Public Health. 2017;2(2):e108-20.
5 Dufour L, Grave C, Bonaldi C, Joly P, Andler R, Quatremere G, et al. Hemorrhagic strokes attributable to chronic alcohol consumption and heavy episodic drinking in France. Neurology. 2024;102(8):e209228.
6 Meurice L, Roux J, Marguerite N, Faisant M, Simac L, Quatremère G, et al. Estimation du nombre d’hospitalisations pour alcoolisation aiguë et complications en France, 2012-2022 : un fardeau toujours important. Alcoologie et Addictologie. 2024;42(3):9. https://sfalcoologie.fr/wp-content/uploads/numero-special-JSFA.pdf
7 Andler R, Quatremère G, Gautier A, Nguyen-Thanh V, Beck F. Consommation d’alcool : part d’adultes dépassant les repères de consommation à moindre risque à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2021. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(11):178-86. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/11/2023_11_2.html
8 Andler R, Quatremère G, Richard JB, Beck F, Nguyen-Thanh V. La consommation d’alcool des adultes en France en 2021, évolutions récentes et tendances de long terme. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(2):22-31. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/2/2024_2_1.html
9 Cinelli H, Lelong N, Le Ray CDV, Lebreton É, Deroyon T, Équipe de recherche en Épidémiologie Obstétricale PeP, et al. Enquête nationale périnatale – Rapport 2021. Les naissances, le suivi à deux mois et les établissements. Paris: Inserm; 2022. 297 p. https://enp.inserm.fr/docutheque/les-rapports-des-enp/
10 Santé publique France, Institut national du cancer. Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 150 p. https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2017/avis-d-experts-relatif-a-l-evolution-du-discours-public-en-matiere-de-consommation-d-alcool-en-france-organise-par-sante-publique-france-et-l-insti
11 Quatremère G, Guignard R, Andler R, Cogordan C, Beck F, Gallopel-Morvan K, et al. Informer des risques à long terme liés à l’alcool et des repères de consommation : efficacité d’une campagne médiatique sur les connaissances et la consommation d’alcool. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(9):186-94. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/9/2024_9_2.html
12 Montagni I, Abraham M, Tzourio C, Luquiens A, Nguyen-Thanh V, Quatremere G. Mixed-methods evaluation of a prevention campaign on binge drinking and cannabis use addressed to young people. J Subst Use. 2023;28(2):229-34.
13 Quatremère G, Andler R, Buttay L, Beck F, Nguyen-Thanh V. Notoriété et participation aux premières éditions du défi d’un mois sans alcool en France à partir des résultats du Baromètre de Santé publique France. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(2):32-40. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/2/2024_2_2.html

Citer cet article

Semaille C. Éditorial. Prévention alcool : de la science à l’action, Santé publique France, une agence pleinement engagée. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(9):176-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/9/2024_9_0.html