Notoriété et participation aux premières éditions du défi d’un mois sans alcool en France à partir des résultats du Baromètre de Santé publique France

// Awareness of and participation in France’s alcohol-free month, based on results from the Santé publique France Health Barometer

Guillemette Quatremère (guillemette.quatremere@santepubliquefrance.fr), Raphaël Andler, Léa Buttay, François Beck, Viêt Nguyen-Thanh
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 11.09.2023 // Date of submission 09.11.2023
Mots clés : Alcool | Abstinence | « Mois sans alcool » | Marketing social | Évaluation
Keywords: Alcohol | Alcohol abstinence | “Alcohol-free month” | Social marketing | Evaluation

Résumé

Introduction –

Des défis d’abstinence d’alcool de quelques jours ou de plusieurs semaines existent dans de nombreux pays pour inviter les personnes à prendre du recul sur leur consommation. En France, un défi d’un mois sans alcool en janvier a été lancé par des associations du champ de la santé en 2020. L’objectif de l’étude est de mesurer les niveaux de notoriété et de participation à ce défi en 2020 et 2021, et les profils associés en 2021.

Méthode –

Les données utilisées proviennent du Baromètre de Santé publique France, enquête téléphonique sur échantillon aléatoire réalisée auprès d’adultes résidant en France métropolitaine. Le module utilisé est issu d’un sous-échantillon de 1 735 personnes en 2020 et 4 479 personnes en 2021.

Résultats –

En 2021, 53,0% des 18-75 ans avaient entendu parler d’un défi d’un mois sans alcool en janvier et 4,5% déclaraient avoir modifié leur consommation d’alcool en lien avec le défi, dont la moitié indiquant avoir été complètement abstinents pendant un mois. Aucune différence significative selon le sexe n’a été observée. Des différences socio-économiques sont néanmoins visibles : les jeunes et les personnes en situation socio-économique peu favorable connaissaient moins le défi, les consommateurs particulièrement à risque avaient plus participé au défi, tandis que les hommes les plus âgés (55-75 ans) s’y étaient moins engagés. Alors que la notoriété du défi en 2020 était plus élevée (62,8%), la part de participants est restée stable entre les deux éditions.

Conclusion –

Les niveaux de notoriété et de participation des deux premières éditions au défi ont été relativement élevés, et ce malgré la période marquée par la pandémie de Covid-19. Il semble néanmoins nécessaire de renforcer la promotion du défi, en particulier auprès de certains groupes de la population.

Abstract

Introduction –

Challenges to abstain from alcohol for a few days or several weeks exist in many countries to encourage people to take a step back from their consumption. In France, a “dry January” challenge was launched by health associations in 2020. This study aimed to measure awareness of and participation in the 2020 and 2021 editions of the challenge, and to describe the associated profiles in 2021.

Method –

The data used come from the Santé publique France 2021 Health Barometer, a random-sample telephone survey of adults living in metropolitan France. The answers used come from a sub-sample of 1,735 people surveyed in 2020 and 4,479 people surveyed in 2021.

Results –

In 2021, 53.0% of 18–75 years-old had heard of an alcohol-free month in January and 4.5% said they had changed their alcohol consumption in connection with the challenge, half of whom said they had been completely abstinent for a month, with no significant difference by gender. Socio-economic differences were observed, with young people and socially disadvantaged people less aware of the challenge. At-risk drinkers were more likely to take part in the challenge, while older men (aged 55–75) were less involved. While awareness of the challenge in 2020 was higher (62.8%), the proportion of participants remained stable between the two editions.

Conclusion –

The levels of awareness and participation for the first two editions of the challenge are relatively high, despite the period falling within the COVID-19 pandemic. There is a need to improve promotion of the challenge, particularly among certain social groups.

Introduction

La consommation d’alcool a des conséquences importantes sur la santé. En France, elle est responsable d’environ 41 000 décès par an 1, ce qui en fait une des premières causes de décès évitables. L’alcool est impliqué dans de nombreuses pathologies 2 et fait partie des premiers facteurs de risque de décès prématuré et d’incapacité chez les 15-49 ans dans le monde 3.

Des défis d’abstinence d’alcool sur une période donnée ont progressivement été déployés pour encourager la prise de conscience de sa consommation et inciter à la diminution, comme le Défi brestois en France qui, dès 1984, proposait trois jours d’abstinence. Plus récemment, dès le début des années 2000, de nombreuses initiatives de défis d’un mois sans alcool ont été déployées à l’étranger 2,4. En 2013, le « Dry January » a été lancé au Royaume-Uni par l’organisation caritative Alcohol Change UK, invitant les consommateurs d’alcool à ne pas consommer pendant le mois de janvier. À l’échelle individuelle, ces périodes d’abstinence présentent des bénéfices pour la santé observables dès un mois 4,5. Des effets en termes de bien-être, tels qu’un meilleur sommeil, une meilleure hygiène de vie, un regain d’énergie sont rapportés par les participants 6,7,8,9. Ces défis permettent également au buveur de questionner sa consommation, la place de l’alcool dans sa vie et dans la société, d’augmenter sa capacité à refuser de consommer une boisson alcoolisée et, à moyen-terme (6 mois après le défi), une baisse de la consommation a pu être observée parmi les participants 4,8,10. Néanmoins, malgré une participation accrue au Dry January au cours des dernières années, atteignant 4 millions de participants en 2018, aucun impact sur le niveau global de consommation d’alcool en Angleterre n’a été observé entre 2015 et 2018 11.

En France, en 2020, une première édition d’un défi d’un mois sans alcool – Dry January – Le Défi de janvier – a été portée par plusieurs associations du champ de la santé et de l’addictologie : près de 9 000 participants se sont inscrits sur le site Internet. En 2021, malgré le contexte de pandémie de Covid‑19, ce chiffre est resté relativement stable, et les téléchargements de l’application Try Dry, qui a été traduite en français lors de cette deuxième édition, ont presque triplé (n=15 000) 12. Une évaluation qualitative du défi auprès de participants inscrits, non-inscrits et de non-participants avait été réalisée à l’issue de la première édition en 2020, permettant d’identifier les freins et les leviers à la participation et à la réussite du défi 6. L’objectif de cet article est d’apporter un regard quantitatif complémentaire. Il vise ainsi à estimer les niveaux et les facteurs associés à la notoriété et à la participation de la deuxième édition du défi en France en 2021, à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2021. Les évolutions entre les deux premières éditions sont également présentées.

Méthode

Source des données

L’analyse a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2020 et 2021, enquête téléphonique auprès d’un échantillon représentatif de la population adulte francophone résidant en France métropolitaine. L’échantillonnage repose sur la génération aléatoire de numéros de téléphone fixes et mobiles. La méthode ainsi que le questionnaire du Baromètre de Santé publique France 2020 13 et 2021 14 sont disponibles dans des publications dédiées.

L’édition 2020 a été perturbée par la crise sanitaire de la Covid-19 : le terrain qui a démarré le 8 janvier 2020 a été interrompu le 16 mars 2020, et a repris du 4 juin au 28 juillet 2020. Les questions concernant le défi ont été posées uniquement durant la première phase à un sous-échantillon constitué de 1 735 individus âgés de 18 à 75 ans. Le terrain d’enquête de l’édition 2021 a eu lieu du 11 février au 15 décembre 2021. Les questions concernant le défi ont été posées à un sous-échantillon de 4 479 individus de 18-75 ans.

Variables d’intérêt

La notoriété du défi a été mesurée avec la question suivante 15 : « Au cours du mois de janvier de cette année, des associations ont lancé un défi qui consiste à ne pas boire d’alcool pendant un mois. En avez-vous entendu parler, que ce soit à la télé, à la radio, sur Internet, dans la presse ou par un autre moyen ? » La participation a été mesurée parmi les personnes qui déclaraient connaître le défi et avoir consommé de l’alcool au moins une fois au cours des 12 derniers mois avec la question : « Au cours du mois de janvier de cette année, avez-vous modifié votre consommation d’alcool en lien avec ce défi ? » Si oui, le mode de participation était interrogé : « En lien avec ce défi : vous n’avez pas bu pendant tout le mois de janvier/vous avez diminué votre consommation d’alcool au mois de janvier. » Enfin, à ceux ayant déclaré avoir arrêté ou diminué leur consommation, la question suivante était posée : « Et aujourd’hui, avez-vous repris votre consommation habituelle ? » avec trois modalités de réponse : « oui, vous buvez autant qu’avant/non, vous buvez moins qu’avant/non, vous buvez plus qu’avant ».

Analyse

Les comparaisons de pourcentages ont été testées au moyen du test du Chi2 d’indépendance de Pearson, avec correction du second ordre de Rao-Scott 16. Sans précision, le seuil de significativité est à 5%. Les facteurs associés à la connaissance et la participation au défi ont été étudiés à l’aide d’analyses multivariées (régressions logistiques). Les analyses ont été réalisées séparément sur les hommes et les femmes : les facteurs associés à la consommation d’alcool étant différents pour ces deux groupes 17, l’hypothèse était que les facteurs associés à la notoriété et à la participation au défi pourraient l’être aussi.

Les variables sociodémographiques incluses dans les modèles sont : l’âge, le niveau de diplôme (pas de diplôme ou diplôme inférieur au baccalauréat, diplôme équivalent au bac, diplôme du supérieur), le niveau de revenus (terciles de revenu par unité de consommation et refus), la situation professionnelle (travail, chômage et inactivité ; les étudiants étant regroupés avec les retraités et autres inactifs). La consommation d’alcool était également incluse à travers deux indicateurs : la consommation quotidienne et le fait d’avoir des alcoolisations ponctuelles importantes (API : consommer 6 verres ou plus en une occasion) au moins une fois par mois, au moins une fois par an (mais moins qu’une fois par mois) ou jamais.

Résultats

Connaissance d’un défi d’un mois sans alcool en 2021

En 2021, 53,0% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [51,2-54,9]) des 18-75 ans ont entendu parler d’un défi d’un mois sans alcool en janvier, sans différence significative entre les hommes (53,0%) et les femmes (53,0%). La connaissance du défi augmente significativement avec l’âge parmi les hommes, mais pas parmi les femmes (figure 1).

Figure 1 : Proportion de personnes déclarant connaître le défi, par tranche d’âge et sexe, parmi les 18-75 ans en France hexagonale, en 2021 (n=4 479)
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Caractéristiques des personnes connaissant le défi

Comparativement aux personnes qui n’avaient pas entendu parler du défi, les personnes âgées de 18 à 75 ans qui déclaraient en avoir entendu parler avaient plus fréquemment un diplôme supérieur au baccalauréat (42,6% des hommes qui connaissaient le défi vs 24,8% de ceux qui ne connaissaient pas le défi avaient un diplôme supérieur au bac, 43,7% des femmes qui connaissaient le défi vs 26,9% de celles qui ne le connaissaient pas), un niveau de revenus élevé (36,6% vs 20,7% pour les hommes, 28,8% vs 14,1% pour les femmes), étaient plus souvent en emploi (hommes : 60,6% vs 56,5%, femmes : 57,8% vs 51,7%) et moins souvent au chômage (respectivement 6,7% vs 11,7%, et 5,1% vs 9,7%), avaient plus souvent des consommations d’alcool avec API (26,6% des hommes qui connaissaient le défi avaient une API dans le mois vs 20,7% de ceux qui ne connaissaient pas le défi ; 16,1% des femmes qui connaissaient le défi déclaraient une API dans l’année vs 12,8%) et étaient moins souvent des abstinents (hommes : 7,4% vs 18,2% ; femmes : 11,5% vs 25,7%). Ces caractéristiques s’observent parmi les hommes comme parmi les femmes. De plus, chez les hommes, les jeunes étaient moins représentés parmi les personnes qui connaissaient le défi (8,9% des hommes qui en avaient entendu parler avaient 18-24 ans vs 15,4% de ceux qui n’en avaient pas entendu parler).

Facteurs associés à la connaissance du défi

Certaines de ces observations se confirment en analyse multivariée (tableau 1). Ainsi, les jeunes hommes avaient une plus faible probabilité d’avoir entendu parler du défi alors qu’avoir entre 55 et 75 ans était associé au fait de le connaître, parmi les hommes et les femmes. Avoir un niveau de revenus élevé et avoir un diplôme supérieur au baccalauréat (et dès le niveau bac pour les femmes) étaient associés au fait d’avoir entendu parler du défi, chez les hommes et les femmes. À l’inverse, le fait de ne pas avoir consommé d’alcool dans l’année était associé à une moins bonne connaissance du défi.

Tableau 1 : Facteurs associés à la connaissance du défi parmi les 18-75 ans, par sexe, en France hexagonale, en 2021 (régressions logistiques multivariées)
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Participation au défi d’un mois sans alcool en 2021

Parmi les consommateurs de 18-75 ans ayant entendu parler du défi, 9,3% [7,9-11,0] ont déclaré avoir modifié leur consommation d’alcool en lien avec le défi (n=208), sans différence significative selon le sexe (9,6% des hommes et 9,1% des femmes ayant entendu parler du défi). Cela représente 4,5% [3,8-5,3] des 18-75 ans, soit 4,7% des hommes et 4,3% des femmes de 18-75 ans. Parmi les personnes connaissant le défi, les 55-75 ans ont moins participé que les 35-54 ans (6,7% vs 11,5%, p<0,05) : cette différence est observée parmi les hommes mais pas parmi les femmes (figure 2).

Figure 2 : Proportion de personnes déclarant avoir modifié leur consommation d’alcool en lien avec le défi,
parmi les 18-75 ans consommateurs d’alcool et ayant entendu parler du défi, par tranche d’âge et sexe,
en France hexagonale, en 2021 (n=2 447)
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Caractéristiques des personnes ayant participé au défi

Parmi les hommes ayant participé en 2021, l’âge médian était de 41 ans (vs 50 ans pour les non-participants), environ 41% avaient un diplôme inférieur au bac et 40% un diplôme supérieur au bac 41% avaient déclaré un revenu d’au moins 1 800 €, 75% étaient en emploi et 3% étaient au chômage (vs 6% des non-participants), 12% consommaient de l’alcool de manière quotidienne et 45% consommaient de l’alcool avec au moins une API dans le mois au cours des 12 derniers mois (vs 27% des non-participants) (tableau 2).

Les femmes ayant participé au défi avaient un âge médian de 46 ans (vs 49 ans pour les non-participantes), 40% d’entre elles avaient un diplôme inférieur au bac et 42% un diplôme supérieur au bac 63% d’entre elles travaillaient, 8% déclaraient une consommation quotidienne d’alcool, 13% consommaient de l’alcool avec au moins une API dans le mois au cours des 12 derniers mois et 64% ne déclaraient pas d’API. Elles avaient moins fréquemment un revenu élevé (48% avaient un revenu inférieur à 1 100 €) que les non-participantes (29%).

Tableau 2 : Caractéristiques des consommateurs d’alcool de 18-75 ans qui connaissent le défi
en fonction de leur participation, par sexe, en France hexagonale, en 2021
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Facteurs associés à la participation au défi

Les différences en fonction du revenu pour les femmes, des API et de l’âge pour les hommes se maintiennent dans les régressions multivariées (tableau 3). Ainsi, la participation au défi augmentait avec la fréquence des API parmi les hommes, et augmentait avec les API dans l’année uniquement pour les femmes (par rapport au fait de consommer de l’alcool sans API au cours des 12 derniers mois). Les hommes de 55-75 ans avaient une moins forte probabilité d’avoir participé.

Tableau 3 : Facteurs associés à la participation au défi parmi les 18-75 ans qui en ont entendu parler, par sexe, en France hexagonale, en 2021 (régressions logistiques multivariées)
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Mode de participation et consommation d’alcool après le défi

Parmi les individus ayant modifié leur consommation en lien avec le défi, environ la moitié (47%) ont déclaré ne pas avoir bu d’alcool pendant tout le mois de janvier et 53% avoir diminué leur consommation, sans différence selon le sexe. Cela représente respectivement 2,1% [1,6-2,7] et 2,4% [1,9-3,0] de l’ensemble des 18-75 ans.

Plus de la moitié des individus ayant arrêté ou diminué leur consommation d’alcool en lien avec le défi ont déclaré avoir diminué leur consommation habituelle à la suite du défi : 57% déclaraient boire moins qu’avant au moment de l’interrogation, 42% boire autant qu’avant, sans différence selon le mode de participation (diminution ou arrêt total). Cela représente respectivement 2,5% [2,0-3,2] et 1,8% [1,5-2,4] des 18-75 ans.

Évolution entre 2020 et 2021

En 2020, 62,8% [59,6-65,8] des 18-75 ans avaient entendu parler du défi d’un mois sans alcool en janvier, sans différence significative entre les hommes (61,4%) et les femmes (64,1%). Parmi eux, 8,2% [6,3‑10,7] avaient déclaré avoir modifié leur consommation d’alcool en lien avec le défi (n=75), soit 4,5% [3,4-6,0] de l’ensemble des 18-75 ans. Les hommes avaient plus participé que les femmes (11,0% des hommes connaissant le défi vs 5,6% des femmes connaissant le défi, p<0,05).

La part de ceux qui ont entendu parler du défi l’année de l’interrogation était significativement plus élevée en 2020 qu’en 2021 (62,8% vs 53,0%, p<0,001), mais la participation déclarée est restée stable (8,2% parmi ceux qui connaissent le défi en 2020 vs 9,3% en 2021, différence non significative).

Les terrains d’enquête des deux éditions du Baromètre de Santé publique France concernées ont des durées assez hétérogènes (2 mois en 2020, 10 mois en 2021) et des dates de commencement différentes (respectivement en janvier et en février, donc pendant le défi de janvier en 2020 et après le défi en 2021) : ces différences de recueil de données pourraient avoir impacté les réponses, en raison d’un biais de mémoire notamment. Des analyses de sensibilité ont donc été réalisées pour observer d’éventuelles différences dans la proportion de personnes déclarant avoir entendu parler du défi et y avoir participé, en fonction du mois d’interrogation. Ces analyses, non présentées ici, ont révélé un effet de « saisonnalité » en fonction du mois assez limité. En se restreignant au premier trimestre de chaque année, les résultats sont ainsi similaires à ceux obtenus pour l’ensemble de l’échantillon : entre le premier semestre 2020 et le premier semestre 2021, on observe une baisse significative de la notoriété du défi (62,8% en 2020 vs 56,9% en 2021, p<0,05) et une stabilité de la participation (8,2% vs 6,4% de ceux qui connaissent le défi, différence non significative).

Discussion

Plus de la moitié des 18-75 ans (53,0%) avaient entendu parler du défi d’un mois sans alcool en janvier 2021 et 4,5% déclaraient avoir modifié leur consommation en lien avec le défi (soit 2,1 millions de personnes [1,7 millions – 2,4 millions]). On n’observe pas de différence selon le sexe mais des différences en fonction de certaines variables socio-économiques (âge, revenu, niveau de consommation). Un peu moins de la moitié des participants ont déclaré avoir complètement arrêté de boire de l’alcool pendant tout le mois de janvier (soit 2,1% des 18-75 ans), et à l’issue du défi, presque 6 participants sur 10 ont déclaré avoir repris une consommation moins élevée qu’avant le défi (soit 2,5% des 18-75 ans).

La notoriété et la participation aux deux premières éditions du défi obtiennent des niveaux relativement élevés (62,8% des 18-75 ans avaient entendu parler du défi en 2020 et 4,5% avaient déclaré y avoir participé). La notoriété du défi en France lors de la première édition était ainsi du même ordre de grandeur que celle de l’édition 2015 du Dry January anglais (connue par 64% des buveurs), quand cette troisième édition avait alors bénéficié d’un investissement important de la part de Public Health England – l’agence de santé publique anglaise – pour en faire la promotion 18. Il a ainsi été estimé que 7% des consommateurs d’alcool en Angleterre en 2015 avaient participé au défi, soit environ 2 millions de personnes 18.

La notoriété de l’opération a diminué de 10 points entre 2020 et 2021 en France. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diminution : d’une part, la première édition avait bénéficié d’un très important relais dans la presse et plus généralement dans les médias, ce qui était moins le cas en 2021. D’autre part, l’édition 2021 s’est déroulée en pleine pandémie de Covid-19. Cette situation et le flot d’informations de santé conséquent ont pu limiter la visibilité du défi. Par ailleurs, le contexte lié à la Covid-19 a impacté les niveaux de consommation de certains profils 19,20, ce qui a pu rendre la participation plus difficile pour eux. Plus largement, la période était probablement moins propice à la participation à ce type de défi. Malgré cela, on observe un niveau de participation stable entre les deux éditions, de l’ordre de 4,5% des 18-75 ans, résultat particulièrement encourageant.

Des disparités socio-économiques sont observées en matière de notoriété comme de participation au défi. Alors que la notoriété du défi était associée au fait d’avoir un revenu élevé et un diplôme supérieur au baccalauréat, ces différences ne sont pas retrouvées en matière de participation : aucune différence selon le niveau de diplôme n’est observée et seul le fait d’avoir un revenu intermédiaire chez les femmes était moins favorablement associé à la participation. Par ailleurs, alors que les plus âgés avaient plus entendu parler du défi, ceux qui le connaissaient avaient moins participé que les tranches d’âges plus jeunes. Enfin, le fait de consommer de l’alcool était associé à la connaissance du défi et le fait d’avoir des moments d’API était associé à la participation, chez les hommes comme chez les femmes. Ces résultats sont positifs car ils montrent que les consommateurs particulièrement à risque se sont sentis concernés par ce défi. Une amplification de la communication auprès des personnes les moins favorisées socialement et des plus jeunes pourrait probablement encourager leur participation et favoriser la contagion sociale.

Il existe peu de données concernant le profil des participants des défis à l’étranger. Une étude de 2022 s’est intéressée aux profils des participants à trois défis d’un mois sans alcool : Dry January pour le Royaume-Uni, Febfast en Hongrie et Dry July en Australie 9. Concernant le défi australien qui s’accompagne d’une collecte de dons, les 25-35 ans représentaient la plus grande proportion des participants (environ 38%), contrairement à notre étude où les classes d’âge les plus représentées sont un peu plus âgées. Les femmes avaient également plus participé (57% de participantes vs 43% d’hommes en 2014) 21. Pour les deux autres défis étudiés, les échantillons sont constitués exclusivement, pour l’un, et en très grande majorité, pour l’autre, de personnes inscrites aux défis (ce qui est différent de la participation au sens large, avec ou sans inscription), et sont comparés à un groupe contrôle de la population concernée. Les résultats montrent que les femmes, les personnes ayant un niveau de revenus et de diplôme plutôt élevés, ainsi qu’un niveau de consommation d’alcool élevé étaient plus nombreux à s’inscrire à ces défis. Ces tendances sont également observées pour des défis sur d’autres thématiques, comme le « lundi vert » qui promeut la substitution des viandes et poissons par d’autres nutriments 22. Dans notre étude, la consommation à risque est également associée à la participation (l’inscription en tant que telle n’est pas étudiée), mais les femmes et les détenteurs de diplômes élevés ne sont pas surreprésentés parmi les participants. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’une particularité française ou si les personnes qui font la démarche de s’inscrire ont des profils spécifiques (en terme de motivation, de besoin de soutien, de sentiment d’auto-efficacité, etc., ainsi que donc possiblement en termes sociodémographiques).

Une comparaison avec le défi français Mois sans tabac montre que lors de la première édition en 2016 23, assez peu de différences socioéconomiques avaient également été observées parmi les participants. Les plus âgés avaient, comme dans notre étude, un peu moins fréquemment participé, mais aucune différence selon le sexe ou le niveau de diplôme n’avait été relevée chez les fumeurs déclarant avoir fait une tentative d’arrêt en lien avec le défi. En 2020, cependant, les fumeurs les plus diplômés avaient plus fréquemment participé, probablement en raison d’un manque d’actions de terrain pour cause de Covid selon les auteurs 24.

Sans qu’on ne connaisse l’objectif initial des participants lorsqu’ils se sont lancés dans le défi (abstinence stricte ou pas 6), un peu moins de la moitié d’entre eux (47%) a réussi à s’abstenir complètement d’alcool pendant tout le mois. À titre de comparaison, ils seraient environ 70% des inscrits, et 36% des quelques participants non-inscrits inclus dans l’évaluation, à avoir réussi à faire le défi britannique en entier en 2019 8. Ils étaient 80% des inscrits à la Tournée Minérale en 2017 (parmi les 15% d’inscrits ayant répondu à l’enquête) à déclarer ne pas avoir bu d’alcool 25. Cette proportion très élevée peut probablement s’expliquer par le faible taux de participation à l’enquête, les répondants ayant selon toute vraisemblance un profil, une motivation et un enthousiasme particulier.

En général, parmi les inscrits, qui ont des profils spécifiques, on observe que ceux qui allaient jusqu’au bout du défi étaient plus souvent les plus petits buveurs et les personnes qui avaient eu recours aux différents outils proposés 9,26. En extrapolant à l’ensemble des participants, ces résultats suggèrent le besoin de soutien pour réussir le défi, notamment pour la moitié des participants en France qui ne se sont pas abstenus complètement, et pour augmenter le sentiment d’auto-efficacité de potentiels participants. Ainsi, il apparait utile de favoriser l’inscription au défi et d’améliorer la notoriété des outils disponibles (application, mails de soutien, groupe sur les réseaux sociaux). Une communication plus importante autour de l’événement favoriserait probablement le soutien social en normalisant la démarche 6.

Limites et forces

La question mesurant la notoriété du défi faisait référence à un « mois sans alcool » sans préciser le nom du défi « Dry January ou le Défi de janvier ». La notoriété du défi et la participation pourraient ainsi être sous-estimées car certaines personnes auraient pu se souvenir plus facilement du nom que du concept de « mois sans alcool ». Par ailleurs, les effectifs disponibles pour les variables sur les changements de comportement de consommation pendant et après le défi sont insuffisamment élevés pour pouvoir explorer les profils plus en détail. Enfin, les données sont déclaratives : on ne peut écarter un biais de mémoire, ni un biais de désirabilité sociale.

La force de cette étude est de fournir des données sur les niveaux de notoriété et de participation, issues d’une enquête représentative des 18-75 ans parlant le français en métropole reposant sur un échantillon aléatoire de taille importante. Grâce à cette méthodologie robuste, cet effectif important et au recueil d’un module complet de variables sociodémographiques, le Baromètre de Santé publique France permet de décrire les caractéristiques des personnes ayant entendu parler du défi et des participants, ainsi que d’étudier les facteurs associés.

Conclusion

Les deux premières éditions du défi d’un mois sans alcool en France, intitulé Dry January – Le Défi de janvier et porté par un collectif d’associations dans le champ de la santé et de l’addictologie, obtiennent des niveaux de notoriété relativement élevés. Plus de la moitié des 18-75 ans en avaient ainsi entendu parler en 2020 et 2021, et 4,5% ont déclaré avoir modifié leur consommation en lien avec le défi (diminution ou abstinence) en janvier de ces deux années, soit environ 2 millions de personnes chaque année. Les résultats de l’étude permettent d’identifier les cibles auprès desquelles il serait nécessaire d’améliorer la promotion du défi (les plus jeunes, les moins diplômés et les personnes ayant des revenus peu élevés).

En 2022 et 2023, les inscriptions au défi sur le site internet géré par les associations étaient en augmentation (plus de 16 000 inscrits lors de la dernière édition, contre 8 000 en 2021 27). Le nombre d’inscrits ne représente qu’une faible part des participants mais on observe qu’il évolue en parallèle du nombre de personnes qui s’engagent dans ce type de défi 18,28 : cette tendance à la hausse des inscriptions est donc un bon signal pour le niveau global de participation des éditions plus récentes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Bonaldi C, Hill C. La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Bull Épidémiol Hebd. 2019;(5-6):97-108. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/5-6/2019_5-6_2.html
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Citer cet article

Quatremère G, Andler R, Buttay L, Beck F, Nguyen-Thanh V. Notoriété et participation aux premières éditions du défi d’un mois sans alcool en France à partir des résultats du Baromètre de Santé publique France. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(2):32-40. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/2/2024_2_2.html