Nouveau repère de consommation d’alcool et usage : résultats du Baromètre de Santé publique France 2017

// New alcohol consumption guidelines and use in France: Results from the Santé publique France 2017 Health Barometer

Raphaël Andler1 (raphael.andler@santepubliquefrance.fr), Jean-Baptiste Richard1, Chloé Cogordan1, Valérie Deschamps1,2, Hélène Escalon1, Viêt Nguyen-Thanh1, et le groupe Baromètre de Santé publique France 2017*
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen), Université Paris 13, Centre de recherche épidémiologie et statistique, COMUE Sorbonne-Paris-Cité, Bobigny, France


* Groupe Baromètre de Santé publique France 2017 : Raphaël Andler, Chloé Cogordan, Romain Guignard, Christophe Léon, Viêt Nguyen-Thanh, Anne Pasquereau, Jean-Baptiste Richard, Maëlle Robert.
Soumis le 24.09.2018 // Date of submission: 09.24.2018
Mots-clés : Alcool | Consommation | Recommandations
Keywords: Alcohol | Consumption | Guidelines

Résumé

Introduction –

L’alcool est responsable de problèmes sanitaires et sociaux à court et long termes. En 2017, un groupe d’experts mandaté par Santé publique France et l’Institut national du cancer a émis un avis présentant un nouveau repère de consommation d’alcool, qui vise à en limiter les risques pour la santé. Ce repère est constitué de trois dimensions : 1/ ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine, 2/ pas plus de 2 verres standard par jour et 3/ avoir des jours dans la semaine sans consommation. L’objectif de l’étude était de situer la consommation hebdomadaire d’alcool observée en France en 2017 par rapport à ce nouveau repère.

Méthodes –

Les données de l’enquête Baromètre de Santé publique France 2017 ont été mobilisées pour obtenir une représentation de la consommation hebdomadaire d’alcool et la situer par rapport aux différentes dimensions du nouveau repère.

Résultats et conclusion –

En 2017, 23,6% des personnes de 18-75 ans dépassaient le repère de consommation sur au moins une de ses dimensions, les hommes (33,4%) davantage que les femmes (14,3%). Plus précisément, 19,2% déclaraient avoir bu plus de 2 verres d’alcool en une journée au moins une fois au cours de la semaine précédente, 9,7% déclaraient avoir bu plus de 10 verres d’alcool au cours des sept derniers jours et 7,9% déclaraient avoir consommé de l’alcool plus de cinq jours sur sept. La relation avec l’âge était particulièrement marquée : les plus jeunes étaient plus nombreux à consommer plus de 2 verres un jour de consommation, tandis que les plus âgés observaient moins fréquemment des jours d’abstinence dans la semaine. La population dépassant ce repère était majoritairement masculine, en emploi, de niveau de diplôme inférieur ou égal au baccalauréat ; environ un tiers de cette population avait un revenu mensuel net inférieur ou égal à 1 200 euros.

Abstract

Introduction –

Alcohol is responsible for health and social issues in the short and long term. In 2017, an expert group commissioned by Santé publique France and the French National Cancer Institute (INCa) proposed new guidelines for alcohol consumption aiming at reducing health hazards. These guidelines are based on three dimensions: 1/ you should not drink more than 10 standard glasses per week, 2/ no more than 2 standard glasses per day and 3/ you should have alcohol-free days every week. The study aimed at comparing the weekly alcohol use observed in France in 2017 with the new guidelines.

Methods –

Data from the Santé publique France 2017 Health Barometer survey were used to provide a description of the weekly alcohol consumption in France which can be compared to the new guidelines.

Results and conclusion –

In 2017, 23.6% of 18-75-years-old exceeded the guidelines for at least one of its dimensions, the men (33.4%) more often than the women (14.3%). More precisely, 19.2% had drank more than 2 glasses per day at least once during the preceding week, 9.7% had drank more than 10 glasses in total over the last 7 days, and 7.9% had drank for more than 5 days over the last 7 days. The youngest were more likely to consume more than 2 glasses a day, while the older ones were less likely to observe days of abstinence during the week. The population exceeding this benchmark was predominantly male, employed, with a diploma level lower than or equal to the bachelor’s degree; about one-third of the individuals in this population had a monthly net income less than or equal to 1,200 euros.

Introduction

La consommation d’alcool est un comportement très fréquent en France 1. Or, l’alcool est responsable de problèmes sanitaires et sociaux à court et long terme 2,3,4,5 et de nombreux décès chaque année 6.

En 2017, en réponse à une saisine de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et de la Direction générale de la santé (DGS), un groupe d’experts mandaté par Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa) a émis un avis présentant un nouveau repère de consommation d’alcool visant à en limiter les risques pour la santé 7. Ce repère a été établi sur la base de l’analyse de la littérature scientifique et de modélisations tenant compte de la situation française. Il porte sur la quantité et la fréquence de consommation, comporte trois dimensions et s’énonce ainsi : « Si vous consommez de l’alcool, il est recommandé pour limiter les risques pour votre santé au cours de votre vie : de ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine et pas plus de 2 verres standard par jour ; d’avoir des jours dans la semaine sans consommation. » Cet avis a été publié en ligne en mai 2017 sans faire l’objet d’une mise en avant médiatique, engendrant vraisemblablement une très faible diffusion du nouveau repère dans la population.

L’objectif de cet article est de décrire la consommation hebdomadaire d’alcool en France au regard de ce nouveau repère de consommation et d’identifier des groupes de population cibles pour les actions de prévention. Pour cela, les données de l’enquête Baromètre de Santé publique France 2017 8, qui comportait un module de questions portant spécifiquement sur la consommation d’alcool au cours des sept derniers jours, ont été analysées.

Matériel et méthodes

Les Baromètres de Santé publique France sont des enquêtes téléphoniques réalisées par sondage aléatoire 9. Mis en place dans les années 1990, ils abordent différents comportements et attitudes de santé des personnes résidant en France. Le Baromètre 2017 s’est déroulé du 5 janvier au 18 juillet 2017 auprès d’un échantillon représentatif de la population des 18-75 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français 8. Au total, 25 319 adultes ont été interrogés.

Calcul de la consommation lors la semaine passée

En plus d’un ensemble de variables sociodémographiques, le questionnaire a permis de relever un grand nombre de caractéristiques concernant la consommation d’alcool, et notamment le fait d’avoir consommé de l’alcool dans l’année. Au sein d’un sous-échantillon de 6 346 individus, constitué de façon aléatoire en début d’entretien et également représentatif des 18-75 ans, les 5 645 personnes ayant bu de l’alcool au cours de l’année ont été interrogées sur la fréquence et l’intensité de leur consommation d’alcool lors des sept derniers jours 10. Elles ont ainsi répondu successivement aux questions : « Avez-vous bu une boisson alcoolisée au cours des sept derniers jours ? », « Au cours des sept derniers jours, combien de jours avez-vous bu une boisson alcoolisée ?». À ceux ayant bu au moins deux jours était ensuite demandé : « Avez-vous bu plus d’alcool un de ces jours de consommation ou avez-vous bu à peu près autant d’alcool chacun de ces jours ? » puis « [Hier/la dernière fois que vous avez bu/le jour où vous avez consommé le plus de boissons alcoolisées] combien de verres de boissons alcoolisées avez-vous bus, que ce soit de la bière, du vin ou tout autre type d’alcool ? », avec des variations dans la forme de la question selon que la personne avait consommé un seul jour, certains jours ou tous les jours et de façon régulière ou non.

Ces questions ont permis d’estimer directement le nombre de jours de consommation d’alcool au cours de la semaine passée. Concernant l’intensité de la consommation d’alcool, plusieurs cas étaient possibles. Dans les cas d’une consommation sur un seul jour ou sur plusieurs jours de façon régulière, ces questions permettaient d’estimer la quantité bue chaque jour et la quantité totale sur une semaine. En revanche, dans le cas d’une consommation irrégulière sur plusieurs jours, seule la quantité journalière maximale était mesurée dans le module concernant la semaine passée. Afin de pouvoir estimer la consommation des autres jours, la deuxième question de l’AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test11, posée dans le tronc commun du questionnaire, a été utilisée : « Au cours des douze derniers mois, les jours où vous buvez, combien de verres de boissons alcoolisées buvez-vous dans la journée, que ce soit de la bière, du vin ou tout autre type d’alcool ? ». Cette question invitant à préciser une quantité moyenne un jour de consommation type, nous avons pris cette quantité comme estimation de la consommation les jours de la semaine passée non renseignés.

L’ensemble de ces questions permet d’obtenir une représentation de la consommation hebdomadaire d’alcool qu’il est alors possible de situer par rapport aux différentes dimensions du repère : avoir bu plus de deux verres d’alcool en une journée, avoir bu plus de dix verres d’alcool sur l’ensemble de la semaine ou ne pas avoir eu au moins deux jours sans consommation d’alcool au cours de la semaine (i.e. avoir bu plus de cinq jours au cours des sept derniers jours).

Analyses

Afin d’être représentatives de la population de France métropolitaine, les données ont été pondérées pour tenir compte du plan de sondage puis redressées sur les structures observées dans l’enquête emploi 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) selon les variables suivantes : sexe croisé par l’âge en tranches décennales, taille d’unité urbaine, région de résidence, niveau de diplôme, nombre d’habitants dans le foyer.

Les comparaisons de pourcentages ont été testées au moyen du Chi2 d’indépendance de Pearson, avec correction du second ordre de Rao-Scott pour tenir compte du plan de sondage ; seules les différences significatives au seuil de 5% sont mentionnées. Des analyses multivariées ont été réalisées afin d’étudier le lien entre dépassement du repère de consommation (dans l’ensemble et pour chaque dimension) et caractéristiques sociodémographiques : âge, niveau de diplôme (en trois catégories : sans diplôme ou inférieur au baccalauréat, égal au baccalauréat, supérieur au baccalauréat), niveau de revenu mensuel dans le foyer par unité de consommation (partition en terciles) et situation d’emploi (en emploi, étudiant, au chômage, à la retraite ou dans une autre situation d’inactivité). Ces analyses ont été réalisées séparément pour les femmes et les hommes, la littérature ayant mis en évidence que les facteurs associés à la consommation d’alcool sont différents pour les deux sexes 12. Les odds ratio, les intervalles de confiance à 95% [IC95%] et les niveaux de significativité sont présentés.

Résultats

Consommation d’alcool sur une semaine

La majorité des 18-75 ans déclarait avoir consommé de l’alcool au cours des 7 derniers jours (54,2%), davantage les hommes (64,0%) que les femmes (44,8%, p<0,001).

Parmi les personnes ayant consommé de l’alcool au cours des 7 derniers jours, les hommes avaient bu nettement plus fréquemment que les femmes : 41% des hommes avaient bu 3 jours ou plus contre 23% des femmes (p<0,001) (figure 1). Parmi les personnes ayant bu plusieurs jours, les trois quarts avaient bu à peu près autant chaque jour ; la régularité de la consommation était plus fréquente à mesure que l’âge augmentait, passant de 56% parmi les 18-24 ans à 84% parmi les 65-75 ans.

Parmi les personnes ayant déclaré avoir consommé de l’alcool au cours des 7 derniers jours, celles ayant bu un seul jour avaient bu en moyenne 2,3 verres ce jour-là, ceux ayant bu de façon régulière sur plusieurs jours avaient consommé en moyenne 2,2 verres par jour tandis que ceux ayant eu un pic de consommation un jour donné avaient consommé en moyenne 6,0 verres ce jour-là.

Figure 1 : Répartition des 18-75 ans selon le nombre de jours de consommation d’alcool au cours des 7 derniers jours, par sexe, France, 2017
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Dépassement du nouveau repère

Parmi l’ensemble des 18-75 ans, 23,6% dépassaient le repère sur au moins une de ses trois dimensions (33,4% des hommes et 14,3% des femmes, p<0,001), 3,5% les dépassant toutes les trois (6,0% des hommes et 1,0% des femmes, p<0,001).

Plus précisément, 19,2% déclaraient avoir bu plus de 2 verres d’alcool en une journée au moins une fois au cours des 7 derniers jours, 9,7% déclaraient avoir bu plus de 10 verres d’alcool au total au cours des 7 derniers jours et 7,9% déclaraient avoir consommé de l’alcool plus de 5 jours sur 7. Notons que le fait de déclarer avoir bu plus de 10 verres au cours des 7 derniers jours implique nécessairement d’être au-dessus du repère sur l’une ou l’autre des deux autres dimensions (voire les deux). Ainsi, 80% des personnes ayant consommé plus de 10 verres la semaine passée avaient également dépassé le seuil des 2 verres par jour et 56% avaient consommé plus de 5 jours dans la semaine.

La part d’individus dépassant le repère était nettement plus élevée parmi les hommes que chez les femmes, et ce pour chaque dimension du repère. La relation avec l’âge était également très visible et similaire pour les deux sexes : la proportion de consommateurs dépassant les 2 verres par jour diminuait avec l’âge tandis que celle des consommateurs dépassant les 5 jours de consommation par semaine augmentait avec l’âge. Ainsi, 27,9% des 18-24 ans déclaraient avoir bu plus de 2 verres au moins 1 jour la semaine passée, contre 13,2% des 65-75 ans. De plus, la valeur du dépassement était également décroissante avec l’âge : les plus jeunes déclarant un nombre de verres maximal supérieur à 6 verres le même jour contre des moyennes d’environ 5 verres parmi les 35-54 ans et 4 verres parmi les plus de 55 ans (figure 2).

Figure 2 : Pourcentage de personnes ayant consommé plus de 2 verres de boisson alcoolisée en une journée au moins une fois au cours des 7 derniers jours et nombre moyen de verres consommés le jour de consommation maximale parmi ces personnes, par tranche d’âge, France, 2017
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À l’inverse, les 5 jours de consommation par semaine étaient beaucoup moins fréquemment dépassés parmi les plus jeunes : cela concernait moins de 5% des 18-34 ans contre 12,8% des 55-64 ans et 17,0% des 65-75 ans (figure 3).

Figure 3 : Pourcentage de personnes ayant consommé de l’alcool plus de cinq jours au cours des 7 derniers jours, par tranche d’âge, France, 2017
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Enfin, la relation entre l’âge et le fait d’avoir consommé plus de 10 verres dans la semaine était moins marquée que pour les deux autres dimensions. Le nombre de verres bus au cours de la semaine passée parmi les personnes ayant bu plus de 10 verres dans la semaine était légèrement plus élevé parmi les plus jeunes (figure 4).

Figure 4 : Pourcentage de personnes ayant consommé plus de 10 verres de boisson alcoolisée au cours des 7 derniers jours et nombre moyen de verres consommés pendant les 7 derniers jours parmi ces personnes, par tranche d’âge, France, 2017
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Parmi des personnes ayant consommé plus de 10 verres la semaine passée, le lien entre dépassement du repère sur les autres dimensions et l’âge était très marqué. En effet, la quasi-totalité des moins de 34 ans dépassant les 10 verres hebdomadaires dépassaient également les 2 verres au moins un jour de consommation, contre 65% des plus de 54 ans. À l’inverse, 80% des 55-75 ans dépassant les 10 verres hebdomadaires dépassaient également les 5 jours de consommation, contre 16% des 18-24 ans et 29% des 25-34 ans (figure 5).

Figure 5 : Parmi les personnes ayant consommé plus de 10 verres de boisson alcoolisée au cours des 7 derniers jours, pourcentage de celles ayant consommé plus de 2 verres de boisson alcoolisée au moins 1 jour au cours des 7 derniers jours et pourcentage de celles ayant consommé de l’alcool plus de 5 jours au cours des 7 derniers jours, par tranche d’âge, France, 2017
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Caractéristiques des personnes dépassant le repère

Le groupe des personnes dépassant le repère pour au moins une dimension était très majoritairement masculin (69% d’hommes) et ne présentait pas de caractéristique particulière liée à l’âge.

Parmi les femmes dépassant le repère, 58% avaient un niveau de diplôme inférieur ou égal au baccalauréat, 31% gagnaient 1 200 € net ou moins par unité de consommation dans leur foyer, 58% étaient en emploi, 7% au chômage, 7% étudiantes et 27% à la retraite ou dans une autre situation d’inactivité. Parmi les hommes dépassant le repère, 70% avaient un niveau de diplôme inférieur ou égal au baccalauréat, 34% gagnaient 1 200 € net ou moins par unité de consommation dans leur foyer, 59% étaient en emploi, 10% au chômage, 7% étudiants et 24% à la retraite ou dans une autre situation d’inactivité.

Facteurs associés au fait de dépasser le repère (tableaux 1 et 2)

De façon schématique, parmi l’ensemble des 18-75 ans, toutes choses égales par ailleurs, le dépassement des 2 verres bus au moins 1 jour était associé au fait d’être jeune tandis que le dépassement des 5 jours de consommation par semaine était associé au fait d’avoir plus de 54 ans. Ce phénomène explique en partie pourquoi les tranches d’âge intermédiaires semblent bénéficier d’une situation protectrice vis-à-vis du dépassement d’au moins une des dimensions du repère de consommation d’alcool. De plus, parmi l’ensemble des 18-75 ans, les personnes aux revenus les plus élevés étaient plus à risque d’avoir dépassé le repère et, plus spécifiquement, d’avoir consommé plus de 2 verres le même jour. Quel que soit l’indicateur, aucun lien significatif n’a été mis en évidence avec la situation professionnelle. Parmi les femmes, les personnes les plus diplômées avaient une probabilité plus grande d’avoir dépassé le repère.

Tableau 1 : Facteurs associés au dépassement du repère alcool parmi les femmes : au moins un seuil dépassé et chacun des trois seuils séparément, France, 2017
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Tableau 2 : Facteurs associés au dépassement du repère alcool parmi les hommes : au moins un seuil dépassé et chacun des trois seuils séparément, France, 2017
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Discussion – conclusion

Nouveau repère et prévention

Actuellement, 37 pays proposent un repère de consommation d’alcool à moindre risque. Ces repères évoluent dans le temps et, au cours des dernières années, plusieurs pays ont mis à jour ces seuils en les révisant à la baisse (Australie, Grande-Bretagne, Canada, Belgique, Suisse) 13. En France, une des recommandations des experts mandatés par Santé publique France et l’INCa en 2017 était de faire connaître le nouveau repère de consommation pour l’alcool, avec une communication pédagogique qui permette sa compréhension et favorise l’adhésion de la population. Si cette communication semble devoir s’adresser à l’ensemble de la population, les travaux présentés dans le cadre de cet article permettent de quantifier et de décrire la population qui déclare consommer au-delà du repère ; cette population, où les risques de morbi-mortalité sont plus élevés, fait partie des cibles prioritaires. En 2017, elle représentait 23,6% des 18-75 ans en France, soit environ 10,6 millions de personnes. La caractérisation de cette population est complexe car le repère est constitué de plusieurs dimensions (quantité d’alcool bue ponctuellement, quantité totale bue, régularité de la consommation), qui reflètent des profils de consommation adoptés par des groupes différents voire opposés, en termes d’âge notamment. Malgré cet écueil il est utile, pour la mise en place des actions de prévention, de décrire de façon globale la population qui dépasse le repère sur au moins une des dimensions, et qui devra en constituer un des cœurs de cible. Il s’agit d’une population majoritairement masculine, en emploi, avec un niveau de diplôme inférieur ou égal au baccalauréat et dont environ un tiers des individus avaient un revenu mensuel net par unité de consommation inférieur ou égal à 1 200 euros. Contrairement au repère pris dans son ensemble, les dépassements selon les différentes dimensions du repère sont très liées à l’âge : les plus jeunes consomment plus intensément mais moins souvent que les plus âgés dont la consommation est également plus régulière (résultat également constaté sur d’autres indicateurs de consommation d’alcool 1). Les analyses multivariées soulignent l’association entre situation sociodémographique favorisée et dépassement du repère de consommation d’alcool mais, malgré cette surreprésentation, les personnes favorisées restent minoritaires au sein de celles dépassant le repère.

Données déclaratives sur la consommation d’alcool, questionnaire semaine passée et verre standard

La comparaison des quantités d’alcool effectivement mises sur le marché aux quantités d’alcool que déclarent consommer les personnes interrogées dans les enquêtes suggère une forte sous-déclaration 14,15,16. De plus, des études ont montré qu’un questionnaire basé sur la consommation d’alcool la semaine passée engendrait possiblement une sous-estimation très importante des alcoolisations ponctuelles importantes (API, également appelées binge drinking17. En ce sens, l’AUDIT-C semble plus approprié pour mesurer la fréquence des API. En revanche, il ne permet pas d’estimer précisément le nombre moyen de jours de consommation sur une semaine et mesure la quantité de verres bus uniquement sur un jour type. Seul, il n’est par conséquent pas adapté à l’estimation des personnes ayant dépassé les seuils de 2 verres le même jour et de 5 jours de consommation en une semaine. Le repère alcool se situant en-dessous du seuil des API (au moins 2 verres contre au moins 6 verres), la sous-estimation de ces pratiques influence probablement peu l’estimation de la proportion de la population consommant au-delà du repère. Si, de façon individuelle, les questions basées sur la consommation de la semaine passée contiennent plus de variabilité liée au hasard et à la saisonnalité, ce n’est plus le cas une fois les données agrégées, la durée du terrain d’enquête étant relativement longue (6 mois). De plus, dans le cadre des recommandations, des estimations théoriques et de certaines enquêtes, la consommation d’alcool est mesurée en « verre standard », dont la contenance en éthanol est fixe (10 grammes) et possiblement inférieure à celle du verre consommé en condition réelle, ce qui peut entraîner une sous-estimation 18 dans nos analyses, de la quantité d’éthanol réellement consommée. Néanmoins, le repère de consommation d’alcool a vocation à être utilisé en conditions réelles par l’ensemble de la population et, malgré ce biais, nos analyses permettent la description de la population qui, en conditions réelles, se situe au-delà du repère.

Conclusion

La France a réalisé un progrès important en matière de santé publique, en 2017, en se dotant d’un repère de consommation d’alcool acceptable pour la population et dont la définition repose sur une démarche scientifique. Notre étude permet, pour la première fois, de décrire la part de la population dépassant ce repère. Malgré une probable sous-estimation, elle fournit de précieuses informations pour les décideurs et acteurs de la santé publique. Cette estimation devra être renouvelée à intervalles réguliers afin de mesurer l’impact des actions de prévention à venir ; elle devra s’accompagner de mesures de la notoriété du nouveau repère pour permettre une adaptation et une optimisation des stratégies d’actions déployées.

Références

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Citer cet article

Andler R, Richard JB, Cogordan C, Deschamps V, Escalon H, Nguyen-Thanh V, et al. Nouveau repère de consommation d’alcool et usage : résultats du Baromètre de Santé publique France 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(10-11):180-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/10-11/2019_10-11_2.html