Alcool : un impact sur la santé, même à faibles doses
// Alcohol: an impact on health, even at low doses
Si la consommation d’alcool procure du plaisir et permet de se conformer à la norme sociale qui fait de l’alcool un vrai « lubrifiant social » et un acteur essentiel de notre culture et de notre économie, les dommages engendrés pour notre santé et in fine notre société sont considérables. Les travaux les plus récents ont ouvert une nouvelle ère dans la compréhension et l’estimation de l’impact de l’alcool sur la santé humaine, notamment les maladies cardiovasculaires, les démences, les hépatopathies et les cancers. Par ailleurs, les dernières données scientifiques ont mis en lumière un impact sur la santé dès les faibles niveaux de consommation.
Les études les plus récentes, même si elles aussi ne sont pas exemptes de biais méthodologiques, ne rapportent globalement pas de bénéfices à consommer des faibles quantités d’alcool et révèlent qu’au-delà de 10 verres d’alcool par semaine (100 g d’éthanol pur) la mortalité attribuable à l’alcool devient significative et augmente de manière exponentielle 1. Plus de 50% de la mortalité liée à une maladie touchant le foie est attribuable à l’alcool et ce dernier est un contributeur important du fardeau du virus de l’hépatite C 2. Soixante maladies et deux cents items de la classification internationale des maladies sont liés à la consommation d’alcool, ce qui explique sûrement pourquoi l’alcool a été identifié comme une des toutes premières causes d’hospitalisation grâce aux données PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) de 2012 en France 3. Les dommages attribuables à l’alcool sont sans commune mesure avec les éventuels effets « bénéfiques ou protecteurs » de l’alcool. Lorsque l’on regarde dans les détails les derniers chiffres de mortalité attribuable à l’alcool, la mortalité « évitable » (si la consommation d’alcool avait des effets protecteurs) est plus de 210 fois inférieure à la mortalité attribuable à l’alcool 4 (la mortalité « évitable » est inférieure à 5 pour mille).
Pour toutes ces raisons, la consommation d’alcool ne saurait être recommandée et ne devrait pas excéder 1 à 2 verres (10 à 20 g d’éthanol pur) par jour, sans dépasser 10 verres (100 g d’éthanol pur) par semaine. La consommation d’alcool doit être déconseillée aux adolescents, aux femmes enceintes, aux seniors et aux personnes à risque de développer un trouble de l’usage d’alcool ou certaines maladies.
Ce sont exactement ces repères de 10 verres par semaine et de 2 verres par jour (et pas tous les jours) qui ont été proposés dans le rapport du groupe d’experts constitué par Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa), après avoir choisi un risque acceptable pour la mortalité attribuable à l’alcool situé entre un décès sur 100 et un décès sur 1 000. Un premier article de ce numéro porte sur le travail de ce groupe d’experts et l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France (P. Ducimetiere et coll.). Ces repères de 10 verres par semaine ont été adoptés en Angleterre depuis 2016 (« pas plus de 10 verres par semaine et à étaler sur au moins 3 jours »). Le choix d’un message clair a poussé les experts à ne plus faire de distinction entre hommes et femmes, mais cela ne doit pas dissuader les professionnels de santé de continuer d’informer sur la plus grande fragilité des femmes vis-à-vis de l’alcool. Par exemple, la morbimortalité liée à la cirrhose est supérieure chez les femmes, comparativement aux hommes et à consommation égale 5.
Un deuxième article présente les données du dernier Baromètre de Santé publique France 2017. Celles-ci montrent qu’environ un quart des personnes de 18-75 ans dépasse ces repères avec une prédominance d’hommes et comme attendu des différences en fonction de l’âge (R. Andler et coll.). Ces résultats impliquent de mieux informer le public sur les risques liés à la consommation d’alcool et à mieux faire connaître ces repères. Une actualisation régulière du niveau de connaissance des nouveaux repères et de la proportion de Français qui s’y conforment est nécessaire.
Une autre étude portant sur la cohorte française Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance) montre qu’en 2011, 79,6% des femmes n’ont pas consommé d’alcool pendant la grossesse contre 88% dans le baromètre de Santé publique France 2017 (F. El-Khoury et coll.). Ces données sont encourageantes et suggèrent que les campagnes de prévention de l’alcoolisation fœtale réalisées le 9 septembre de chaque année semblent porter leurs fruits. L’étude Elfe rapporte aussi qu’environ 17% des femmes ont consommé en moyenne moins d’un verre d’alcool par mois et environ 4% plus d’un verre par mois, et que la consommation d’alcool est associée à plus de violences verbales par le conjoint. Ces données confortent le fait qu’il est important de continuer à lutter contre les dommages sanitaires et aussi sociaux, associés à la consommation d’alcool. Un des services disponibles est celui d’Alcool Info Service et un article de ce présent numéro décrit les demandes formulées entre 2014 et 2016 par les femmes enceintes qui y ont fait appel (L. Laviale et coll.). Ces femmes connaissaient le message « Zéro alcool pendant la grossesse » et, parmi elles, 48% ont bu alors qu’elles ne savaient pas qu’elles étaient enceintes et 35% étaient en difficulté avec l’alcool. Un sentiment de culpabilité, voire de honte, semble pousser les femmes à avoir recours à ce service comme alternative à aborder ce sujet avec les professionnels de santé. Il paraît donc essentiel de changer les représentations, afin de faciliter le dialogue sur ce sujet qui reste encore tabou.
La Cour des comptes avait déjà en 2016 dans un rapport accablant lancé un appel à une prise de conscience collective et proposé un cadre d’action au service d’objectifs mieux affirmés pour faire de la lutte contre les consommations nocives d’alcool une priorité de l’action publique 6. Un des enjeux essentiels est de mieux faire connaître les dommages causés par l’alcool. Cela se fera grâce à l’implication de tous les professionnels de santé et la diffusion des données scientifiques validées, car l’information sur les effets de l’alcool sur la santé est pour la grande majorité obtenue en ligne et sur les médias. La relance d’une grande campagne de communication sur les nouveaux repères est aussi capitale. Il s’agit aussi de laisser le libre arbitre à chacun sur sa consommation d’alcool, mais en toutes connaissances de cause, et avec l’appropriation des nouveaux repères et des risques sur la santé. C’est cette meilleure connaissance qui permettra l’adhésion de la population à des actions fortes de prévention, relayées par l’ensemble des acteurs de santé publique.
Références
recherche/INV12619
Citer cet article
176-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/10-11/2019_10-11_0.html