L’hypertension artérielle en France : prévalence, traitement et contrôle en 2015 et évolutions depuis 2006

// Hypertension in France: Prevalence, treatment and management in 2015 and temporal trends since 2006

Anne-Laure Perrine1, Camille Lecoffre1, Jacques Blacher2, Valérie Olié1 (valerie.olie@santepubliquefrance.fr)
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Centre de diagnostic et de thérapeutique, Hôtel-Dieu, AP-HP ; Université Paris-Descartes, Paris, France
Soumis le 09.02.2018 // Date of submission: 02.09.2018
Mots-clés : Pression artérielle | Hypertension artérielle | Prévalence | Dépistage | Contrôle | Traitement | France
Keywords: Blood pressure | Hypertension | Prevalence | Screening | Management | Drug therapy | France

Résumé

Introduction –

L’hypertension artérielle (HTA) est la pathologie chronique la plus fréquente en France, touchant près d’un adulte sur trois. Elle constitue un facteur de risque majeur de pathologies cardio-neuro-vasculaires. L’un des objectifs de l’étude Esteban était d’estimer la prévalence de l’HTA en France, son dépistage et sa prise en charge en 2015 et d’en étudier les évolutions depuis l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) de 2006.

Méthodes –

Les données sont issues de l’enquête nationale Esteban, enquête transversale menée en France entre 2014 et 2016 auprès d’adultes âgés de 18 à 74 ans. Cette étude incluait une enquête par questionnaires en face à face, par auto-questionnaires, une enquête alimentaire et la réalisation d’un examen de santé. La pression artérielle (PA) était mesurée lors de l’examen de santé, réalisé dans un centre d’examen de santé ou à domicile. L’HTA était définie par des valeurs de la pression artérielle systolique (PAS) ≥140 mmHg et/ou de la pression artérielle diastolique (PAD) ≥90 mmHg ou le remboursement d’au moins un traitement à action antihypertensive.

Résultats –

Au total, 2 169 adultes ont eu au moins deux mesures de la pression artérielle, dont 974 hommes (45%) et 1 197 femmes (55%). La prévalence de l’HTA était de 30,6% [IC95%: 28,1-33,2]. La prévalence de l’HTA était plus élevée chez les hommes que chez les femmes (36,5% vs 25,2%) et augmentait avec l’âge. Seule 1 personne sur 2 avait connaissance de son hypertension. Parmi les personnes hypertendues, 47,3% [45,1-54,8] étaient traitées par un médicament à action antihypertensive. Parmi les personnes traitées, seulement 55,0% avaient une PA contrôlée (44,9% chez les hommes et 66,5% chez les femmes). Depuis 2006, si la prévalence, le niveau de connaissance et le contrôle de cette pathologie sont restés stables, la proportion de femmes traitées a diminué de manière importante (p=0,008).

Conclusion –

Depuis 2006, aucune diminution de la prévalence de l’HTA n’a été observée en France, avec toujours un adulte sur trois hypertendu. De plus, aucune amélioration du dépistage et de la prise en charge de l’HTA n’a pu être mise en évidence. Chez les femmes, la prise en charge thérapeutique s’est même dégradée sur la période.

Abstract

Introduction –

Hypertension is the most common chronic pathology in France with nearly one adult in three affected by this pathology. Hypertension is a major risk factor for cardiovascular diseases. One of the aims of the ESTEBAN study was to estimate the prevalence of hypertension in France, its screening and its management in 2015, and its trends since the National Health Nutrition Study (ENNS) in 2006.

Methods –

The data come from the national ESTEBAN study, a cross-sectional study implemented in France between 2014 and 2016 among adults aged 18 to 74. The data were collected by face to face questionnaires, self-administered questionnaires, the completion of a food survey, and the conduct of a biological and clinical exam. Blood pressure (BP) was measured during the clinical exam, performed in a health examination center or at home. Hypertension was defined by systolic blood pressure (SBP) 140 mmHg and/or diastolic blood pressure (DBP) 90 mmHg, or a reimbursement of BP-lowering drugs.

Results –

A total of 2,169 adults, including 974 men (45%) and 1,197 women (55%) had at least two BP measures. The prevalence of hypertension was 30.6% [95%CI: 28.1-33.2], higher in men than in women (36.5 vs 25.2 respectively) and increased with age. The proportion of hypertension awareness was only 50%. Among hypertensive adults, 47.3% [45.1-54.8] were treated with an antihypertensive medication. Among those treated, only 55.0% had controlled blood pressure (44.9% in men and 66.5% in women). Since 2006, even though the prevalence, awareness and control of this disease remained stable, the proportion of women treated decreased significantly (p=0.008).

Conclusion –

Since 2006, there has been no decrease in the prevalence of hypertension in France, with one in three adults being hypertensive. In addition, no improvement in the detection and management of hypertension could be demonstrated. In women, the therapeutic management has even being deteriorated over the study period.

Introduction

L’hypertension artérielle (HTA) est définie par une pression artérielle systolique (PAS) ≥140 mmHg et/ou une pression artérielle diastolique (PAD) ≥90 mmHg 1. La pression artérielle résulte de la force exercée par le sang sur la paroi des artères. Elle constitue le principal facteur de risque d’accident vasculaire cérébral et un facteur de risque important de morbi-mortalité cardiovasculaire, avec une relation linéaire entre le niveau de pression artérielle et le risque cardiovasculaire quel que soit l’âge 2,3,4,5. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 10 millions de décès annuels sont attribuables à l’HTA 6. En effet, la mortalité cardiovasculaire double pour chaque augmentation de 20/10 mmHg de la pression artérielle systolique/diastolique 7,8. L’HTA est aussi la cause de nombreuses autres pathologies, tout aussi invalidantes : insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, anévrysme artériel, dissection aortique, arythmie, démence8,9,10

La prise en charge de l’HTA passe par des mesures hygiéno-diététiques (perte de poids, réduction des apports nutritionnels en sel, de la sédentarité…) et/ou la prescription d’un traitement antihypertenseur. Ces mesures ont démontré leur efficacité sur la morbi-mortalité cardiovasculaire dans de nombreux essais thérapeutiques avec, notamment, une réduction de 7% et 10% du risque de mortalité par coronaropathie et accident vasculaire cérébral pour une réduction de 2 mmHg de la pression artérielle 1,11,12. Et pourtant, une proportion encore trop importante d’hypertendus n’est aujourd’hui pas dépistée ; ceux qui sont dépistés ne sont pas toujours traités et les personnes traitées n’ont pas toujours une pression artérielle normalisée 13.

Compte tenu de la part importante de l’HTA non diagnostiquée, l’estimation de la prévalence de cette pathologie requiert la mise en place d’enquêtes avec un examen de santé comprenant une mesure standardisée et objectivée de la pression artérielle. Une étude de ce type a été réalisée en 2006, l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) 13. Elle a permis de fournir une estimation de la prévalence de l’HTA en France sur un échantillon représentatif d’adultes de 18 à 74 ans, et a montré que moins du quart des hypertendus étaient alors à la fois dépistés, traités et contrôlés par leur traitement 13,14.

L’étude Esteban (Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition), conduite entre 2014 et 2016 avec une méthodologie comparable permet, aujourd’hui, de fournir de nouvelles valeurs de la prévalence, du traitement et du contrôle de l’HTA en France et d’en étudier les évolutions depuis une dizaine d’années.

Méthodes

L’étude Esteban

L’étude Esteban est une étude transversale en population générale portant sur un échantillon national d’enfants de 6 à 17 ans et d’adultes de 18 à 74 ans résidant en ménage ordinaire. Les inclusions se sont déroulées entre avril 2014 et mars 2016 en France métropolitaine (hors Corse) selon une méthodologie semblable à celle de l’étude ENNS-2006 13.

Les objectifs de l’étude Esteban étaient (1) d’estimer les niveaux d’imprégnation à des substances de l’environnement, (2) de décrire les consommations alimentaires, l’activité physique, la sédentarité et l’état nutritionnel et (3) d’estimer la prévalence de certaines maladies chroniques et facteurs de risque vasculaires.

Le plan de sondage et d’échantillonnage ainsi que la méthodologie de l’enquête ont été décrits dans le protocole de l’étude 15. Brièvement, un plan de sondage probabiliste à trois degrés (unité primaire, ménage, individu du ménage) avec une stratification en fonction de la région (huit zones géographiques) et le niveau d’urbanisation a été constitué.

Recueil des données

Les données sociodémographiques et économiques ont été recueillies par un questionnaire administré en face à face lors de la première visite à domicile.

La pression artérielle a été mesurée selon la méthode utilisée dans le protocole de l’Enquête européenne avec examen de santé (EHES) 16. La pression artérielle a été mesurée avec un tensiomètre Omron® 705-IT sur le bras droit à l’aide d’un brassard adapté à la circonférence du bras. Les mesures ont été effectuées à distance de 30 minutes de la prise de sang et après 5 minutes de repos, sans changement de position. Trois mesures ont été réalisées, à 1 minute d’intervalle. Les pressions artérielles systolique (PAS) et diastolique (PAD) retenues pour chaque personne correspondent à la moyenne des deux dernières mesures. Les personnes n’ayant pas eu au moins deux mesures de la pression artérielle ont été exclues de l’analyse.

Les traitements à action antihypertensive ont été obtenus par un appariement des données individuelles des sujets inclus dans l’étude avec les données du Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram). Le nom des traitements et la date de remboursement dans l’année précédant l’examen de santé ont été recueillis. Près de 95% des personnes ayant donné l’autorisation d’utilisation de leur numéro d’inscription au répertoire (NIR) ont pu être appariées au Sniiram.

Les valeurs de pression artérielle ont été classées en six niveaux (pression artérielle optimale, pression artérielle normale, pression artérielle normale haute, HTA grade 1, HTA grade 2, HTA grade 3). L’HTA a été définie par une PAS ≥140 mmHg et/ou une PAD ≥90 mmHg ou le remboursement d’au moins un traitement à action antihypertensive (classification ATC de l’OMS : C02, C03, C07, C08, C09) dans l’année précédant l’examen de santé. Les personnes hypertendues étaient considérées comme contrôlées quand la PAS étaient strictement inférieure à 140 mmHg et la PAD strictement inférieure à 90 mmHg.

L’HTA était considérée comme connue si les personnes avaient répondu « oui » à la question : « Votre médecin vous a-t-il déjà dit que votre tension était trop élevée ? » ou si les personnes avaient coché « HTA » à la question « Avez-vous, ou avez-vous déjà eu, une de ces maladies ou problèmes de santé ? ».

La mesure du niveau d’activité physique de la population adulte a été réalisée à l’aide de la version française du Recent Physical Activity Questionnaire (RPAQ) et recueillie par auto-questionnaire. Le statut tabagique était déclaré et les personnes classées en trois catégories : fumeur actuel, ancien fumeur ou non-fumeur. L’indice de masse corporelle (IMC) était calculé à partir des mesures du poids et de la taille réalisées lors de l’examen de santé selon la formule : poids/taille2. Trois classes d’IMC ont été constituées : normal ou maigre (IMC <25), surpoids (25≤ IMC <30) et obésité (IMC ≥30). Les dosages lipidiques ont été réalisés chez les personnes à jeun depuis 12 heures, à partir d’échantillons sanguins prélevés lors de l’examen de santé (N=2 074). Le cholestérol LDL (LDL-c) a été recalculé à partir de la formule de Friedewald, lorsque les valeurs de triglycérides étaient inférieures à 3,4 g/l. Il a été considéré comme élevé lorsque la valeur était supérieure à 1,6 g/l. Le cholestérol HDL était considéré comme faible en dessous de 0,40 g/l. Enfin, le diabète traité était défini par le remboursement d’au moins trois traitements antidiabétiques à des dates différentes, ou deux s’il y avait au moins un grand conditionnement, dans l’année précédant l’examen de santé.

Analyses statistiques

Le plan de sondage complexe, stratifié et à 3 degrés, a été pris en compte dans le calcul de la pondération initiale appliquée à chaque individu ayant participé à la première visite. Cette pondération correspondait au nombre de personnes éligibles dans le ménage, multiplié par l’inverse de la probabilité de tirage du ménage et par l’inverse de la probabilité de tirage de l’unité primaire. Pour tenir compte des individus ayant abandonné l’étude entre la première visite et l’examen de santé, un premier redressement a été réalisé en utilisant la méthode des scores pour corriger la non-réponse. Enfin, le redressement a été complété par la méthode de calage sur marges pour la pondération « examen de santé ». Les marges utilisées dans le calage étaient issues du dernier recensement de la population (RP 2012) et portaient sur l’âge, le sexe, le diplôme de l’adulte inclus, le fait de vivre seul ou en couple, dans un ménage avec ou sans enfants de moins de 18 ans, et la saison.

L’ensemble des analyses a été réalisé sur les données pondérées et redressées à l’aide du logiciel SAS® Enterprise Guide, version 7.1. Le plan de sondage complexe de l’étude a été pris en compte en particulier dans l’estimation des variances et des intervalles de confiance à 95% (IC95%) en utilisant la fonction « Survey » sous SAS®.

Pour les analyses portant sur des données qualitatives, les tests du Chi2 et le test de Fisher ont été utilisés ; le test t de Student a été utilisé pour les variables quantitatives.

Évolutions depuis l’étude ENNS

Afin de s’affranchir d’un éventuel effet de l’évolution du profil de la population depuis 2006, une standardisation des données d’ENNS a été réalisée par le calcul d’un nouveau jeu de pondérations, en redressant et en calant sur les même données que l’étude Esteban. Les différences statistiquement significatives issues de cette standardisation sont indiquées par une p-value standardisée (ps).

Résultats

Caractéristiques de la population

Parmi les 3 021 adultes ayant réalisé la première visite à domicile, 2 169 ont été inclus dans l’analyse de la pression artérielle (974 hommes et 1 195 femmes) (figure 1). L’âge moyen des personnes incluses était de 46,9 ans (47,2 chez les hommes et 46,6 chez les femmes). Concernant la prévalence des facteurs de risque vasculaire dans notre population d’étude, la proportion de personnes ayant un niveau d’activité physique bas était de 38% et elle était significativement plus basse chez les hommes que chez les femmes (28% vs 47%) (tableau 1). La prévalence du tabagisme actif était de 21,7%, plus élevée chez les hommes que chez les femmes (25,7% vs 17,9%). L’IMC moyen était de 25,9 kg/m2 et ne différait pas entre les hommes et les femmes. Au niveau lipidique, la proportion de personnes avec un LDL-c >1,6 g/l était de 19,3% et ne différait pas selon le sexe. Enfin, la prévalence du diabète traité était de 3,2%.

Figure 1 : Diagramme de flux de la population d’étude
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Tableau 1 : Caractéristiques de la population Esteban : prévalence des facteurs de risque cardiovasculaire
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Pression artérielle

Les chiffres moyens de PAS et de PAD sont présentés dans le tableau 2 par sexe et par classe d’âge. La PAS et la PAD moyenne chez les 18-74 ans étaient, respectivement, de 126,3 mmHg et de 76,7 mmHg. Elles étaient plus élevées chez les hommes (131,2 et 78,6 mmHg) que chez les femmes (121,8 et 74,9 mmHg) dans toutes les classes d’âge. La PAS augmentait avec l’âge, passant de 117,2 mmHg chez les 18-34 ans à plus de 140 mmHg chez les 65-74 ans. En revanche, la PAD augmentait jusqu’à 64 ans et diminuait ensuite dans la tranche d’âge des 65-74 ans.

Tableau 2 : Mesure de la pression artérielle et classification en niveaux, France, Esteban 2015
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Lors de l’examen de santé, plus de 29% des hommes et 17% des femmes présentaient une mesure de la pression artérielle trop élevée, c’est-à-dire au-dessus du seuil de 140/90 mm Hg pour la PAS et/ou la PAD. Environ 6% des personnes avaient une HTA de grade 2 ou 3. L’HTA de grade 2 ou 3 concernait moins de 2% des hommes et des femmes avant 45 ans, mais elle touchait près de 16% des hommes et 14% des femmes dans la tranche d’âge des 65-74 ans.

Hypertension artérielle

La prévalence de l’HTA, définie comme une valeur de la PAS ≥140 mmHg et/ou de la PAD ≥90 mmHg ou le remboursement d’au moins un traitement à action antihypertensive, était de 30,6% (36,5% chez les hommes et 25,1% chez les femmes, p=0,0001) (tableau 3). Elle augmentait significativement avec l’âge, passant de 6,3% chez les 18-34 ans à 67,8% chez les 65-74 ans. Les hommes avaient une prévalence de l’HTA plus élevée que les femmes dans toutes les classes d’âge.

Tableau 3 : Prévalence de l’hypertension artérielle (HTA), traitement et contrôle, Esteban 2015
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Plus de 84% des personnes déclaraient avoir eu une mesure de la pression artérielle dans l’année précédant l’examen de santé. Cependant, parmi les personnes hypertendues, seule 1 sur 2 avait connaissance de son HTA (55%). Cette proportion était plus importante chez les femmes (62,9%) que chez les hommes (50,1%). Parmi les personnes hypertendues déclarant avoir connaissance de leur HTA, près de 30% n’étaient pas traitées par un médicament à action antihypertensive. Ce résultat ne différait pas entre les hommes et les femmes. La proportion de personnes hypertendues traitées, indépendamment de la connaissance de la pathologie, n’était que de 47,3% [45,1-54,8]. Enfin, près de 15% des personnes traitées par un médicament à action antihypertensive ne déclaraient pas d’HTA connue (données non montrées).

Chez les personnes traitées, seulement la moitié avait une pression artérielle contrôlée, c’est-à-dire abaissée sous le seuil recommandé des 140/90 mmHg. Le contrôle de la pression artérielle était meilleur chez les femmes (60,1%) que chez les hommes (41,4%). Chez les hommes de 65 à 74 ans, 1 personne traitée sur 3 avait une pression artérielle suffisamment abaissée.

Cumul de facteurs de risque vasculaire

Parmi les personnes hypertendues, 38,5% ne présentaient aucun des autres facteurs de risque cardiovasculaires listés (tabac, diabète, sédentarité, obésité), 37,5% présentaient un facteur de risque supplémentaire, majoritairement la sédentarité et l’obésité ; 19,8% présentaient deux autres facteurs de risque et 4,2% cumulaient trois facteurs de risque en plus de l’HTA (figure 2).

Figure 2 : Distribution des autres facteurs de risque cardiovasculaires chez les personnes hypertendues, Esteban 2015
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Évolutions de la PA, de l’HTA, de son diagnostic et de sa prise en charge depuis 2006

Depuis 2006 et les résultats de l’enquête ENNS, la valeur moyenne de la PAS est restée stable chez les hommes (ps=0,1) mais elle a significativement augmenté chez les femmes dans toutes les classes d’âge jusqu’à 64 ans (ps<0,0001). La PAD moyenne a diminué de manière significative chez les hommes de 35 à 74 ans et chez les femmes de 65 à 74 ans. En revanche, la proportion de personnes ayant une pression artérielle mesurée trop élevée lors de l’examen est restée stable entre les études ENNS et Esteban.

La proportion de personnes déclarant avoir eu une mesure dans l’année a diminué de manière significative entre les études ENNS (88,4%) et Esteban (84,1%) (ps=0,0006). Cependant, cela n’a pas eu d’impact sur la connaissance de leur HTA, puisque la proportion de personnes avec une HTA connue est restée stable (55% des personnes hypertendues vs 52,2% dans ENNS) (tableau 3). Si la prévalence de l’HTA n’a pas évolué depuis l’enquête ENNS (30,6% vs 31% dans ENNS), la proportion de personnes avec une HTA connue traitée à diminué de manière significative entre les deux études (72,6% vs 82,0% dans ENNS). Cette diminution était complétement imputable aux femmes, chez lesquelles la proportion d’hypertendues connues traitées est passée de 86,6% dans ENNS à 70,7% dans Esteban (tableau 3, figure 3a). De la même manière, la proportion de femmes avec une HTA traitée (indépendamment de la connaissance de la pathologie) a diminué de manière significative entre 2006 et 2015, notamment chez les plus âgées (65-74 ans) (53,2% vs 72,3% dans ENNS). Chez les hommes, la proportion de personnes avec une HTA traitée n’a pas évolué de manière significative entre les deux enquêtes (45,9% vs 45,4% dans ENNS) (figure 3).

Parmi les personnes hypertendues traitées, aucune amélioration du contrôle de l’HTA n’était observée depuis 2006 (49,6% vs 50,6% dans ENNS). De plus, la proportion de femmes hypertendues traitées ayant diminué, la proportion de femmes avec une HTA traitée et contrôlée a mécaniquement diminué entre 2006 (36,1% des femmes hypertendues) et 2015 (29,5% des femmes hypertendues) (figure 3b).

Figure 3 : Évolution de la connaissance (a) et de la part traitée et contrôlée de l’hypertension artérielle (HTA) (b) chez les personnes hypertendues entre ENNS 2006 et Esteban 2015, en fonction du sexe
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Discussion

L’enquête Esteban est la première étude à fournir, sur un échantillon représentatif de la population française, une estimation de la prévalence de l’HTA en France depuis l’étude ENNS de 2006. Les résultats ne montrent aucune amélioration de la prévalence de l’HTA depuis une dizaine d’années, puisqu’elle est toujours d’environ 30% de la population. Sa prise en charge ne s’est pas non plus améliorée, puisque plus de la moitié des personnes hypertendues n’avait aucun traitement antihypertenseur. Enfin, chez les personnes traitées, la pression artérielle n’était contrôlée que dans la moitié des cas. Si la situation semble assez stable chez les hommes pour plusieurs indicateurs (PAS moyenne, prévalence HTA, HTA traitée, HTA traitée contrôlée), elle apparaît beaucoup plus défavorable chez les femmes, avec une augmentation du niveau moyen de la PAS et une diminution de la proportion de femmes hypertendues traitées pharmacologiquement.

Prévalence, diagnostic, traitement et contrôle de l’HTA

Dans les pays à revenus élevés, la prévalence de l’HTA s’établissait en 2010 à 31,5% chez les hommes et 25,2% chez les femmes 17. La prévalence observée dans l’étude Esteban était très proche pour les femmes (25,1%) mais supérieure pour les hommes (36,5%).

Dans les pays à hauts revenus, près d’une personne hypertendue sur deux (49%) avait connaissance de son HTA et 47% avaient un traitement 18. En France, la proportion de personnes ayant connaissance de leur HTA était inférieure à la moyenne observée dans les pays à revenus élevés en 2010 (55,5% vs 67,0%). La proportion de personnes connaissant leur HTA dépassait même les 80% aux États-Unis et en Allemagne 19,20. Au Portugal et en Angleterre, cette proportion était respectivement de 77% en 2012 et de 69% en 2011 21,22. Ce mauvais résultat pose question quant au dépistage de l’HTA en France (médecine scolaire, médecine générale, gynécologie, médecine du travail…), dépistage considéré jusqu’à présent comme performant, mais également quant à l’information du patient après dépistage et quant à la compréhension et à l’acceptation du diagnostic par ce dernier.

En matière de prise en charge, la proportion de personnes hypertendues traitées pharmacologiquement était également plus basse en France (47,3%) que dans la moyenne des pays de même niveau socioéconomique (55,6%) 18. Cette différence était particulièrement marquée chez les femmes (49,1% en France vs 61,7% dans les autres pays à revenus élevés). Plus problématique, en France près de 27% des personnes connaissant leur HTA n’avaient aucun remboursement de traitement antihypertenseur. Dans Esteban, la méthode de recueil des traitements (dans le Sniiram) ne permet pas de savoir si cette faible proportion était du fait des prescripteurs ou des patients (traitements prescrits par les médecins mais non achetés par les patients).

Enfin, les pays à revenus élevés avaient une proportion de personnes hypertendues traitées et contrôlées d’environ 50%, résultat très proche de celui décrit dans Esteban pour la France (49,6%). Cependant, la proportion d’hypertendus avec une HTA contrôlée était très hétérogène d’un pays à l’autre : 36% en Angleterre 21, de l’ordre de 40% au Portugal 22, légèrement supérieure à 50% aux États-Unis et en Allemagne 19,20.

Évolutions depuis 2006

La stabilisation de la PAS et de la prévalence de l’HTA chez les hommes entre ENNS et Esteban pourrait être liée, en partie, à une stabilisation de la corpulence chez les hommes au cours des 10 dernières années, ainsi qu’à l’augmentation de 10% de la proportion d’hommes physiquement actifs 23. Chez les femmes, au contraire, l’augmentation de la corpulence, couplée à une diminution du niveau d’activité physique, pourrait partiellement expliquer l’élévation significative de la PAS avant 65 ans et de la PAD après 65 ans entre 2006 et 2015 23. En effet, une élévation de plus de 20% de la prévalence du surpoids (obésité incluse), a été observée chez les femmes de 40 à 54 ans entre l’étude ENNS et Esteban 23. La diminution du niveau d’activité physique moyen est également marquée, avec une diminution de la proportion de femmes physiquement actives (c’est-à-dire déclarant un niveau d’activité physique « modéré » ou « élevé ») de 18,5% chez les 18-39 ans, de 21,7% chez les 40-54 ans et de 8,2% chez les 55-74 ans 23. Cette augmentation de la PAS chez les femmes entre 2006 et 2015 n’a pas eu d’impact significatif sur la prévalence de l’HTA.

Dans les pays à revenus élevés, la prévalence de l’HTA a globalement diminué de 2,6% entre les années 2000 et 2010 17. Une autre étude, réunissant plus de 19 millions de participants, a également montré une diminution de la prévalence de l’HTA dans les pays à hauts revenus entre 1975 et 2015 24. Parallèlement, en Italie, entre 1998-2002 et 2008-2012, une baisse de la prévalence de l’HTA et un meilleur contrôle ont été rapportés chez les femmes, grâce à la mise en place d’actions de prévention contre la sédentarité et la réduction des apports alimentaires en sel 25. Les données d’Esteban montrent plutôt une stabilisation de cette prévalence en France, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. De la même manière, la connaissance de la maladie, son traitement et son contrôle ont évolué de manière positive dans les autres pays à revenus élevés, alors que la situation est restée stable en France pour la connaissance et le contrôle et s’est dégradée vis-à-vis du traitement de l’HTA, particulièrement chez les femmes 17.

Cette diminution du nombre de femmes traitées est un signal assez défavorable concernant la prise en charge de l’HTA en France. Cette baisse a impacté, de la même manière, les femmes ayant connaissance de leur HTA. Une analyse plus fine du profil des femmes hypertendues non traitées devra être menée afin de comprendre les raisons de cette diminution. La suppression, en juin 2011, de l’ALD12 (hypertension artérielle sévère) de la liste des affections de longue durée pourrait avoir influé sur la proportion de personnes traitées pour HTA. En effet, si l’impact financier reste minime pour les bénéficiaires d’une couverture complémentaire, cette suppression de l’ALD12 entraine une hausse du reste à charge pour les autres patients. De plus, la suppression de la « reconnaissance » de la pathologie par une ALD pourrait entrainer une moindre incitation des patients à initier ou poursuivre leur traitement. Néanmoins, aucune étude n’a, pour le moment, mis en évidence d’impact de cette suppression sur la prise en charge de l’HTA en France.

En matière de contrôle de l’HTA, aucune amélioration notable n’a été observée entre les deux études françaises, malgré de nouvelles recommandations de prise en charge des personnes hypertendues 1,11. Une amélioration du contrôle de la pression artérielle par une amélioration de l’observance au traitement devra également être encouragée.

Limites

Le taux de participation à l’étude Esteban était estimé à environ 40%. Il était inférieur au taux de participation dans l’étude ENNS, qui avoisinait 53% 13. Le redressement de l’échantillon était, dans cette analyse, réalisé sur des données démographiques uniquement. On ne peut exclure que certaines caractéristiques des personnes ayant participé à l’étude n’aient pas été prises en compte dans ces redressements et puissent avoir impacté les estimations de l’étude Esteban. Compte tenu de l’appariement des personnes incluses dans Esteban avec les données du Sniiram, un redressement sur l’état de santé des nonparticipants pourra être envisagé. Certaines modifications de la méthodologie entre ENNS et Esteban pourraient complexifier la comparaison entre les résultats des deux enquêtes. C’est le cas du mode de recueil des médicaments, qui était déclaratif dans ENNS et issu des données de consommations de soins du Sniiram dans Esteban. Malgré un mode de recueil des médicaments dans Esteban plus exhaustif que dans ENNS, le taux de personnes traitées restait inférieur dans Esteban. Avec une méthodologie similaire à celle de ENNS, la diminution du taux de personnes traitées aurait été encore plus importante. Enfin, compte tenu de l’effectif de l’étude, les comparaisons avec l’enquête ENNS dans les classes d’âge les plus jeunes ont pu souffrir d’un manque de puissance statistique.

Conclusion

L’étude Esteban a permis de fournir une nouvelle estimation de la prévalence, du diagnostic et de la prise en charge de l’HTA en France sur un échantillon représentatif de la population, 10 ans après les données de l’étude ENNS. Contrairement à la diminution observée dans la plupart des autres pays, la prévalence de l’HTA est restée stable en France, avec près d’un adulte sur trois hypertendu. Moins d’une personne sur deux recevait un traitement antihypertenseur et seulement une personne traitée sur deux avait une pression artérielle contrôlée. Chez les femmes, la prise en charge thérapeutique s’est même dégradée depuis une dizaine d’années. Dans ce contexte, il est primordial de poursuivre les efforts de prévention en matière d’activité physique et de nutrition, principaux déterminants de l’HTA, et d’identifier les causes de la diminution de la proportion de femmes hypertendues traitées afin de pouvoir améliorer, de manière significative, la prise en charge de cette pathologie.

Remerciements

Les auteurs remercient les Centres d’examens de santé, le Cetaf et les laboratoires ayant participé à la collecte, ainsi que l’ensemble de l’équipe Esteban et des participants à l’étude.
L’étude Esteban, issue du Programme national de biosurveillance, est financée par le ministère des Solidarités et de la Santé et le ministère de la Transition écologique et solidaire.

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Citer cet article

Perrine AL, Lecoffre C, Blacher J, Olié V. L’hypertension artérielle en France : prévalence, traitement et contrôle en 2015 et évolutions depuis 2006. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(10):170-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/10/2018_10_1.html