Les systèmes d’information à l’épreuve de la Covid-19 : enseignements, nouveaux enjeux et perspectives pour se préparer aux prochaines crises
// Information systems put to the test by COVID-19: lessons learned, new challenges and opportunities to prepare for future crises
L’épidémie de Covid-19 a montré l’importance de s’appuyer sur un système multisource territorialisé de surveillance épidémiologique, permettant de suivre de façon réactive et continue la dynamique d’un phénomène émergent, pour mieux contrôler sa diffusion dans la population. Le dispositif de surveillance multisource de la Covid-19, déployé par Santé publique France, s’est ainsi adossé à tous les secteurs du champ de la santé, en interface avec de multiples systèmes d’information (SI) et partenaires : la médecine de ville (SOS Médecins, réseau Sentinelles), les laboratoires de biologie médicale (SI-DEP (1) et Emergen), les pharmacies (SI-DEP), les structures de vaccination (VAC-SI (2)), l’hôpital dans toutes ses composantes : les urgences (Oscour® (3)), les services conventionnels et de soins critiques (SI-VIC (4) et surveillance des cas graves en réanimation), y compris en pédiatrie (surveillance en néonatologie, Pandor (5), Picure (6)), les établissements sociaux et médico-sociaux dont les Ehpad (7) (SurvESMS (8)), le suivi des vaccinations (VAC-SI), la surveillance des clusters (Monic (9)), le suivi des contacts (Cnam (10)), la surveillance de la santé mentale 1 (Oscour®, SOS Médecins, enquêtes Coviprev…) et la mortalité (Insee (11), CépiDc-Inserm (12), SI-VIC, ESMS) 2.
En ces temps exceptionnels de pandémie, il a été demandé à Santé publique France de généraliser la fréquence quotidienne de production et de restitution de tous les indicateurs ; cette fréquence proche du réel est apparue comme répondant aux besoins d’information des autorités et de communication vers la population générale quant à la diffusion de l’épidémie sur le territoire. Hors de ce contexte inédit, la temporalité de restitution des indicateurs de surveillance doit être définie au cas par cas lors de la mise en œuvre de chaque nouvelle surveillance, en fonction des objectifs poursuivis, des caractéristiques épidémiologiques de la maladie ou du phénomène surveillé, et pour l’adaptation ou la mise en place efficiente de mesures de gestion au niveau populationnel. Elle devra dans tous les cas s’appuyer sur des SI robustes, intégrés aux dispositifs métiers des partenaires, de conception agile et optimisée, et suffisamment dimensionnés.
Le travail intense qui a été nécessaire pour mettre en place, adapter et/ou articuler les SI sur lesquels s’est appuyé tout le dispositif de surveillance de la Covid-19 a été l’occasion de faire émerger des constats sur les avantages, limites et marges de progression pour la construction des systèmes d’information pour la surveillance de demain.
Pour être pleinement opérationnels en cas de crise, les SI en santé doivent idéalement :
–être déjà fonctionnels hors crise pour les cas d’émergence, afin d’éviter les écueils d’une mise en place en urgence, non anticipée ;
–être déployés sur l’ensemble du territoire pour répondre aux besoins de tous ;
–associer les producteurs de données de manière précoce et continue, pour faciliter leur adhésion aux dispositifs mis en place ;
–permettre, autant que possible, de collecter des données déjà renseignées par les professionnels de santé pour leurs propres besoins métiers, en évitant des saisies manuelles redondantes et chronophages qui, outre la surcharge de travail, rendent la stratégie poursuivie difficilement lisible ;
–être interopérables avec des SI déjà existants ;
–être suffisamment flexibles et évolutifs, pour s’adapter à l’évolution du phénomène surveillé et tenir compte de l’acquisition progressive des connaissances ;
–être complémentaires avec les dispositifs existants pour permettre de couvrir les différents risques, qu’ils soient d’origine infectieuse, environnementale, professionnelle, technologique, industrielle ou malveillante ;
–couvrir également les différents secteurs de prise en charge des patients pour prendre en compte l’évolution possible des modalités du recours aux soins, que ce soit du fait de l’évolution de la maladie (gravité, nouvelle présentation clinique…) ou de celle de l’organisation de la prise en charge ;
–permettre, via un identifiant unique, de croiser les bases de données entre elles tout en garantissant la protection des données sensibles et la non ré-identification des personnes ;
–s’appuyer sur une co-construction par les différents acteurs et organismes producteurs et utilisateurs, pour mutualiser les ressources en vue de répondre à un panel d’objectifs complémentaires (donc éviter des systèmes parallèles et redondants) ;
–disposer de ressources suffisantes, aussi bien techniques (infrastructure adaptée, hautes capacités de calcul et de stockage) qu’humaines (redondance indispensable des fonctions pour assurer la continuité d’activité, compétences techniques appropriées). L’un des enseignements majeurs de la crise a été de mettre en évidence le besoin de nouvelles compétences en data engineering et data science ;
–être innovants, tant en termes de technologies utilisées que d’organisation pour les mettre en œuvre et en assurer la continuité en toute circonstance ;
–préparer le cadre et les conditions de la pérennisation des dispositifs ayant fait la preuve de leur utilité et de leur efficacité après la crise, une fois l’état d’urgence terminé.
Certains dispositifs comme le système de surveillance syndromique SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès) disposaient déjà de certaines de ces caractéristiques avant la crise de la Covid-19 3,4. Aujourd’hui, d’autres SI en cours de développement depuis la fin de la crise proposent de tester la production réactive d’indicateurs à partir des entrepôts de données de santé des établissements hospitaliers (EDSH), permettant de conserver la donnée source dans son environnement de production sans avoir à gérer les contraintes liées à la mise en place de flux sécurisés, comme le projet Orchidée (Organisation d’un réseau de centres hospitaliers impliqués dans la surveillance épidémiologique et la réponse aux émergences).
La mise à disposition en open data des indicateurs produits est nécessaire pour améliorer la transparence, le partage et la ré-utilisation, dans le cadre d’une ouverture plus large vers la société. Les outils mis en place par l’agence, avant puis pendant la pandémie (en particulier l’observatoire cartographique Géodes (13) avec plus de 800 indicateurs mis à disposition), sont actuellement en cours d’évolution pour mieux répondre aux besoins des différents publics. Cette mise à disposition doit se faire à des niveaux géographiques adaptés pour la prise de décision par les autorités sanitaires régionales. Publiés à l’échelle de l’intercommunalité (EPCI), ils peuvent permettre également à chaque citoyen qui le souhaite, de mieux accéder à une information locale qui le concerne directement. L’accompagnement de cette information pour la rendre compréhensible et utile est indispensable, ce qui implique que les efforts doivent autant se porter sur le type et le nombre d’indicateurs à publier que sur les éléments permettant aux citoyens de développer leur littératie, afin de favoriser leur adhésion aux mesures prises par les autorités et leur confiance dans l’action publique.
Dans le domaine des SI, la France doit s’organiser aujourd’hui pour s’attacher à clarifier au maximum les responsabilités respectives (notamment pour le contact-tracing) et les champs encore insuffisamment couverts (médecine de ville, inégalités sanitaires et sociales, personnes âgées dépendantes…). Certains chantiers ont pu évoluer grâce à l’opportunité de la Coupe du monde de rugby 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024, comme la remontée des données des Samu (Service d’aide médicale urgente) à des fins de veille sanitaire et de surveillance épidémiologique, avec le soutien de l’Agence du numérique en santé. Ce nouveau dispositif devra être évalué après les JOP pour envisager son éventuelle pérennisation, comme héritage des Jeux. D’autres chantiers structurants pour la surveillance nécessiteraient d’être poursuivis, renforcés, voire développés pour certains, en s’appuyant sur un engagement volontariste et une collaboration active des structures et organismes impliqués :
–l’accélération du déploiement de la certification électronique des décès ;
–l’élargissement de la remontée des tests biologiques de la Covid-19 à d’autres agents pathogènes, y compris non infectieux, via le système d’information Laboé-SI qui devrait prendre à terme le relai de SI-DEP ;
–la création d’un SI national dans les établissements hospitaliers, incluant les services de réanimation. Le projet Orchidée devrait permettre, sur la base d’un prototype construit pour la surveillance des infections respiratoires aiguës basses (IRA) à l’automne 2024, de proposer un modèle à déployer pour d’autres pathologies, y compris non infectieuses ;
–la création d’un SI national dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) ;
–la pérennisation d’un SI commun permettant le partage des données de génomique entre acteurs de la surveillance et de la recherche et son élargissement progressif à d’autres pathogènes infectieux susceptibles d’être à l’origine de prochaines émergences ou pandémies (Emergen 2.0) ;
–l’extension du dispositif de surveillance microbiologique des eaux usées (Sum’Eau) à d’autres pathogènes que le SARS-CoV-2 ;
–la mise à disposition d’un SI réactif pour l’enregistrement sécurisé de tous les actes de vaccination de la population française ;
–dépassant le strict champ des SI, la réflexion sur l’intégration d’indicateurs issus d’autres secteurs (agriculture, alimentation, biodiversité, comportements…) qui pourraient alimenter la démarche de refonte de l’open data menée actuellement. Cette restitution multisource et multichamp permettrait de contribuer à se préparer aux nouvelles menaces, au croisement des problématiques infectieuses et environnementales (comme les arboviroses par exemple), en santé humaine comme animale au sein d’écosystèmes, dans le cadre d’une démarche One Health.
Ces axes de développement SI sont parmi les plus essentiels pour que Santé publique France puisse renforcer son dispositif de surveillance multisource et continuer à produire des indicateurs robustes et de qualité dans tous les secteurs et sur l’ensemble des territoires. Il apparaît crucial de considérer l’éthique en santé publique comme une préoccupation institutionnelle intégrée à la construction des SI, sur lesquels s’adosseront les systèmes de surveillance du futur, dans une démarche d’ouverture, de dialogue et de co-construction avec la société. L’effort est conséquent, mais il doit être mené dès à présent pour que le pays soit prêt à répondre efficacement aux prochaines crises.
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.