Les systèmes d’information face à la pandémie de Covid-19 : défis majeurs et héritages
// Information systems in the face of the COVID-19 pandemic: Major challenges and legacies
L’émergence de la pandémie de Covid-19 en 2020 a mis en lumière, de manière inédite, la nécessité de disposer de systèmes d’information robustes, réactifs et adaptés pour surveiller une possible émergence et la propagation du virus, ses caractéristiques et conséquences, et fournir des indicateurs de santé publique en temps quasi-réel. L’importance de ces systèmes réside, non seulement dans leur capacité à suivre l’évolution de la pandémie, mais aussi à contribuer à l’évaluation des mesures de contrôle mises en place et ainsi à guider les réponses politiques, sanitaires et sociales dans un contexte de crise mondiale. Dans l’urgence de la pandémie, ces systèmes d’information ont initialement dû mobiliser les données disponibles, puis s’adapter avec agilité, afin de fournir de nouveaux indicateurs plus précis et pertinents.
Plusieurs défis majeurs ont dû être relevés : 1) collecter et analyser de vastes quantités de données quasi-exhaustives pour décrire la circulation virale au niveau territorial ; 2) fournir des indicateurs fiables et actualisés quotidiennement, afin de permettre une prise de décision rapide et éclairée ; 3) intégrer une vision longitudinale des données, nécessitant un chaînage entre les données issues des différents systèmes, permettant par exemple de suivre les multiples tests effectués par chaque individu, d’étudier les liens entre l’infection et la gravité de la maladie en fonction des variants impliqués ou du statut vaccinal.
L’un des principaux défis dans la gestion de la pandémie de Covid-19 a été la mise en place de systèmes capables de capter fidèlement l’évolution de l’épidémie dans son ensemble. Les acteurs de l’écosystème de la santé ont ainsi œuvré ensemble à la mise en place, dès 2020, d’un système de surveillance multisource. Les dispositifs créés ex nihilo, tels que le système de surveillance des résultats des tests biologiques, celui de suivi du déploiement de la campagne vaccinale ou encore celui de surveillance de l’activité hospitalière (ce dernier ayant été adapté à la crise), ont permis la production d’indicateurs à la fois précis et déclinables à une échelle territoriale très fine, facilitant ainsi la mise en œuvre de mesures adaptées. La collecte d’informations quasi-exhaustives est une caractéristique commune des systèmes de surveillance développés pendant la crise, ainsi que leur agilité pour s’adapter à l’évolution des politiques publiques de dépistage ou de vaccination. Cinq articles de ce numéro 1,2,3,4,5 présentent chacun de ces dispositifs et discutent les enjeux de leur déploiement en urgence. Ils montrent à quel point les acteurs impliqués dans cette surveillance ont été confrontés à des défis techniques nouveaux, notamment en raison des volumes considérables de données à collecter et à traiter quotidiennement. Malgré ces défis, cette approche s’est avérée essentielle pour garantir une réponse cohérente et adaptée à l’évolution de la pandémie.
La dimension inédite et la dynamique évolutive de la pandémie Covid-19 ont rendu cruciale la rapidité d’accès à de l’information fiable. Les systèmes de surveillance reposant sur la capacité de déclarants à saisir des données de manière réactive ont rapidement été mis à rude épreuve. Cela a constitué une difficulté majeure dans l’analyse des indicateurs produits et leur restitution possible. Les systèmes d’information automatisés ont dû intégrer cette dimension temporelle dans la collecte et la restitution des indicateurs pour fournir aux décideurs des actualisations quotidiennes. Les plateformes numériques de déclaration des résultats de tests virologiques ont ainsi presque instantanément absorbé les données dans des systèmes centralisés. L’usage croissant de systèmes de collecte, d’analyse et de restitution automatisés a joué un rôle central dans cette réactivité. Le traitement de données et la restitution des résultats en temps quasi-réel sont en effet un enjeu de transparence et de fiabilisation de la parole publique. Ils permettent à l’ensemble des citoyens d’accéder à une information de référence, utile à la compréhension de la situation pour guider l’adaptation des comportements individuels. Ainsi, Santé publique France, dans le cadre d’une stratégie française nationale volontariste de partage de l’information, a progressivement rendu publics plus de 150 indicateurs par jour, produit des analyses qualitatives hebdomadaires, et a pu accompagner l’évolution des besoins en connaissances tout au long de l’épidémie. Un article de ce numéro décrit cette montée en charge de l’open data 6 permettant la visualisation des indicateurs, mais aussi leur réutilisation par différents acteurs du monde de la recherche, de la presse ou de plateformes spécifiques de datavisualisation. Ces indicateurs ont notamment alimenté les travaux des équipes de modélisation pour anticiper l’évolution de la circulation virale, ses répercussions et estimer l’effet des mesures de santé publique. Cette information a permis aux décideurs des différents échelons territoriaux (régionaux, nationaux et internationaux), mais aussi aux acteurs, tels que les hôpitaux, d’ajuster leurs réponses de façon réactive : anticiper les pics épidémiques, renforcer les mesures de confinement, adapter les campagnes de vaccination, ou encore réorganiser les services de soins intensifs.
La capacité à interconnecter les données issues des différents systèmes d’information et la prise en compte de la dimension longitudinale de ces données ont été des enjeux importants pour une meilleure compréhension de l’épidémie. Le suivi du devenir et des recours aux soins des individus testés positifs a permis d’estimer la gravité de la maladie, et de la réévaluer à chaque émergence de variant. Les données produites par le système de surveillance de la campagne vaccinale, couplées à celles des tests et des hospitalisations, ont permis d’évaluer rapidement l’effet des vaccins et leur évolution au fil du temps. Le chaînage a été complexifié par l’absence d’identifiant unique de chaque patient, nécessitant le recours à la pseudonymisation. Ce recours complique le travail et peut en altérer la fiabilité. Les dispositifs réglementaires devront à l’avenir être adaptés pour faciliter l’utilisation d’identifiants favorisant l’interconnexion des bases de données. Ceci permettra de répondre plus efficacement aux grands enjeux de santé publique soulevés par une crise sanitaire de cette envergure. Le dernier article de ce numéro 7 souligne d’ailleurs que les systèmes d’information à l’ère post-Covid doivent être interopérables.
Notre capacité à capitaliser sur les systèmes d’information déployés pendant la crise de la Covid-19 est aussi cruciale pour moderniser plus généralement nos systèmes de surveillance de routine. La pérennisation de ces systèmes, en particulier de ceux permettant l’accès aux données de laboratoire ou aux patients hospitalisés, doit donc être envisagée afin d’assurer un héritage de cet extraordinaire déploiement. C’est dans cette perspective que le dernier article conclut ce numéro 7, tirant les leçons d’une période de crise riche en développements. Dans cette optique, le projet « Orchidée », visant à organiser un réseau national de centres hospitaliers universitaires impliqués dans la surveillance épidémiologique, est particulièrement intéressant. Ce projet repose sur l’utilisation secondaire des données issues des entrepôts de données hospitaliers pour produire des indicateurs épidémiologiques, afin de répondre aux besoins de la surveillance de routine tout en préparant des réponses aux situations sanitaires exceptionnelles, y compris les émergences de nouveaux virus.
Les répercussions sur la santé de la population de la crise dépassent largement les enjeux strictement liés au virus et vont bien au-delà des conséquences possibles à long terme d’infections individuelles. Ainsi, nos systèmes de surveillance, en particulier les systèmes syndromiques, ont détecté précocement la dégradation de la santé mentale au sein de la population. Les enquêtes, qu’elles soient générales ou spécifiques, ont non seulement mis en lumière l’impact global sur la santé, mais aussi des changements profonds dans les recours aux soins préventifs et les comportements de santé. Cela laisse présager des conséquences à long terme de la crise sur la santé de la population. Une approche globale de la surveillance s’avère donc essentielle pour appréhender l’ensemble des répercussions engendrées par une telle crise. En outre, l’impact a été socialement très différencié, affectant de manière disproportionnée les plus vulnérables. Les données sociales ou économiques individuelles disponibles au sein des systèmes de surveillance sont toutefois très limitées, et la documentation de ces impacts différenciés s’avère complexe et souvent retardée. Seuls les indicateurs géographiques de défavorisation sociale ont pu être élaborés rapidement, grâce à la quasi-exhaustivité des bases de données, facilitant ainsi le ciblage des actions de prévention à des niveaux précis. L’intégration systématique des données, limitant au maximum l’implication de « déclarants », et la capacité à relier les informations socio-économiques constituent des enjeux majeurs pour les systèmes de surveillance à venir.
Enfin, adopter une approche intégrée de la surveillance, coordonnée nationalement et internationalement, favorisera une vision holistique de la santé dans une perspective « Une seule santé », englobant les dimensions humaine, animale et environnementale, et ce, au-delà des frontières. Concevoir une surveillance sous cet angle soulève de nombreux enjeux techniques et règlementaires, mais permettra de répondre aux grands défis de santé publique à venir.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.