Pathologies neuro– et cardiovasculaires en Guyane : particularités épidémiologiques et pistes d’amélioration

// Neuro and cardiovascular pathologies in French Guiana: epidemiological features and potential improvement interventions

Devi Rochemont1 (devi.rochemont@ch-cayenne.fr), Emmanuelle Mimeau2, Caroline Misslin-Tritsch3, Yves-Kenol Franck4, Emmanuel Delmas5, Bertrand de Toffol6, Yannick Bejot7, Isabelle Fournel7,8, Mathieu Nacher1,9
1 CIC Inserm 1424, Centre d’investigation clinique, Centre hospitalier de Cayenne
2 Service d’accueil des urgences, Centre hospitalier de Cayenne
3 Service de médecine, Centre hospitalier de l’Ouest Guyanais, Saint-Laurent-du-Maroni
4 Service de cardiologie, Centre hospitalier de Cayenne
5 Centre d’investigation clinique – épidémiologie clinique, CIC Inserm 1432, Centre d’investigation clinique, CHRU de Dijon
6 Service de neurologie, Centre hospitalier de Cayenne
7 Registre des AVC de Dijon, EA7460, Service de neurologie, Université de Bourgogne, CHRU Dijon
8 UFR des sciences de santé, Université de Bourgogne, Dijon
9 DFR Santé, Université de Guyane, Cayenne
Soumis le 19.06.2019 // Date of submission: 06.19.2019
Mots-clés : Accident vasculaire cérébral | Syndrome coronarien | Prise en charge | Mortalité prématurée | Inégalités sociales de santé | Guyane
Keywords: Cerebrovascular accident | Coronary syndrome | Treatment | Premature mortality | Social inequalities in health | French Guiana

Résumé

Dans un contexte de forte prévalence de l’hypertension artérielle et du diabète, et de grande précarité, les pathologies neuro– et cardiovasculaires sont des causes majeures de mortalité prématurée (<65 ans) en Guyane.

L’objectif de ce travail était de décrire l’épidémiologie et les indicateurs de prise en charge hospitalière afin d’identifier des particularités et des pistes d’amélioration dans un département qui ne dispose pas encore de radiologie interventionnelle.

Une étude de cohorte prospective multicentrique sur les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les inégalités de santé (PHRC INDIA) a porté sur l’épidémiologie des AVC et les indicateurs de prise en charge entre juin 2011 et octobre 2014. Des données rétrospectives sur les syndromes coronariens aigus ST+ et ST– ont été recueillies entre janvier 2012 et décembre 2014.

Concernant les syndromes coronariens la mortalité intra-hospitalière était de 7/82(8,5%) pour les ST+ et de 4/184 (2,17%) pour les ST-. Pour les syndromes coronariens ST+ le taux de thrombolyse était de 17/82 (20,7%). On retrouvait pour les ST+ et ST– une prévalence de l’hypertension (69,5% et 75,5%, respectivement), du diabète (30,5% et 44%, respectivement) d’antécédent d’AVC (12,2% et 10,3%, respectivement) et d’insuffisance rénale chronique (11% et 15,2% respectivement) plus élevée que dans les publications françaises. Concernant les AVC, la majorité étaient ischémiques (234/298 (78,5%)). L’âge moyen était de 61,8 ans (écart-type, ET=±14,5), et la proportion d’hommes était de 63,5%. Pour les accidents ischémiques, 89/234 (38%) arrivaient suffisamment tôt pour être thrombolysés et 32/234 (13,6%) avaient été thrombolysés. La proportion brute de décès à l’hôpital était de 7,31%, mais était 19,5% en standardisant sur l’âge.

En conclusion, il existe des particularités épidémiologiques des syndromes coronariens et des AVC en Guyane. Le poids des facteurs de risque susceptibles d’être traités est important et devrait faire l’objet de campagnes d’ampleur pour espérer réduire le poids de la mortalité prématurée (avant 65 ans) lié aux maladies cardiovasculaires. Concernant la prise en charge, le décalage avec la métropole n’est pas patent, mais il semble y avoir des marges de progrès grâce à l’implantation locale d’une unité neurovasculaire et de radiologie interventionnelle.

Abstract

In a context of high prevalence of high blood pressure, diabetes, and poverty, neuro– and cardiovascular diseases are major causes of mortality before age 65 years in French Guiana.

The aim of this study was to describe the epidemiology of strokes and acute coronary syndromes and to look at patient management indicators in order to identify the specificities and potential improvement interventions in a territory that does not offer interventional radiology.

A multicentric cohort study on strokes and health inequalities (PHRC INDIA) described the epidemiology of strokes and patient management indicators. Retrospective data on acute ST+ and ST-coronary syndromes were collected between 2012 and 2014.

Concerning acute coronary syndromes intra hospital case fatality was 7/82(8.5%) for ST+ and 4/184 (2.17%) for ST-. For ST+ acute coronary syndromes, the proportion thrombolysis was 17/82 (20.7%). For ST+ and ST– coronary syndromes, the prevalence of hypertension (69.5% and 75.5%, respectively), diabetes (30.5% and 44%, respectively),history of stroke (12.2% and 10.3%, respectively), and chronic renal failure (11% and 15.2%), respectively), was higher than in publications from mainland France. Concerning stroke, most were ischemic (234/298 (78.5%)). The mean age was 61.8 years (SD=14.5), and the proportion of men was 63.5%. For ischemic stroke, 89/234 (38%) arrived sufficiently early for thrombolysis and 32/234 (13.6%) received thrombolysis. The crude in-hospital case fatality proportion was 7.31%, but when standardizing on age it was 19.5%.

In conclusion, there are epidemiologic particularities of acute coronary syndromes and strokes in French Guiana. The weight of treatable risk factors is important and should elicit large scale interventions to reduce the burden of early mortality from cardio and neurovascular diseases. Regarding patient management indicators, the difference with mainland France is not patent, but there are margins for progress with the recent opening of neurovascular units and interventional radiology.

Introduction

Bien que la Guyane soit encore souvent perçue comme une terre où règnent les maladies infectieuses et tropicales, la transition épidémiologique est déjà bien entamée et le poids des pathologies chroniques non transmissibles est au premier plan. Ainsi, l’étude des certificats de décès montre que les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les pathologies cardiovasculaires représentent l’une des principales causes de mortalité chez les personnes de moins de 65 ans en Guyane 1.

En France, la prise en charge des pathologies cardio– et neurovasculaires a progressé de manière spectaculaire du fait d’une meilleure maîtrise des facteurs de risque et de la mise en œuvre de traitements de reperméabilisation en urgence au sein de filières dédiées. En Guyane, la mortalité cardiovasculaire est également en net recul 2, notamment chez les moins de 65 ans. Elle reste néanmoins plus importante qu’en métropole. Il existe par ailleurs une répartition hétérogène sur le territoire avec une incidence plus marquée dans la région de l’île de Cayenne 2.

La Guyane dispose de moyens financiers français, mais il existe un déficit de spécialistes, un plateau technique moins développé et les populations sont souvent précaires et isolées 3. La seule technique de reperméabilisation actuellement disponible en urgence en Guyane est la thrombolyse intraveineuse. Grace à la télémédecine, les centres de santé isolés sont habilités à effectuer des thrombolyses dans le cadre des syndromes coronariens aigus (SCA) ST+. Pour ces raisons, la description de l’épidémiologie de ces pathologies, l’étude des délais et des taux de reperméabilisation, ainsi que de la mortalité, sont précieuses pour mieux comprendre et adapter la réponse de santé publique à ces causes importantes de décès.

Parmi les facteurs de risque principaux des pathologies cardiovasculaires, le tabagisme est moins fréquent en Guyane qu’en France métropolitaine (12,2% contre 29,7%) 4. En revanche, l’obésité (18% contre 11,7%), le diabète (prévalence standardisée du diabète traité 7,7% contre 4,6%)) et l’hypertension artérielle (à Cayenne, 4 personnes sur 10 seraient hypertendues et difficiles à contrôler dans un contexte de forte précarité, 18,6% des personnes en métropole sont traitées par antihypertenseur) ont des prévalences bien plus élevées 2,5. En Guyane, plus d’1 habitant sur 4 vit du RSA (Revenu de solidarité active), contre 1/10 en France métropolitaine. La couverture maladie universelle complémentaire concerne 35,1% de la population en Guyane, alors que la moyenne nationale hors DOM (Département d’outre-mer) est de 7,3%, et l’Aide médicale d’État (AME) concerne 7% des personnes. Dans ce contexte de précarité et de faible démographie des professionnels de santé, les personnes les plus socialement vulnérables arrivent souvent avec des pathologies diagnostiquées avec retard, plus graves et grevées d’une mortalité plus importante : les taux d’incidence des accidents vasculaires cérébraux, tant ischémiques (189,5 pour 100 000) qu’hémorragiques (65,7 pour 100 000), et la mortalité prématurée associée sont les plus élevés
de France 6,7.

Le présent article a pour objectif de mieux décrire l’épidémiologie des pathologies neurovasculaires et cardiovasculaires en Guyane.

Méthodes

Les sources de données utilisées étaient doubles :

Les données PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information) du Centre hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne, centre de référence sur le territoire Guyanais, ont permis la mise en place d’une étude observationnelle descriptive rétrospective monocentrique au Centre hospitalier de Cayenne (SCA_CHAR), décrivant les caractéristiques épidémiologiques et cliniques, ainsi que la prise en charge de patients hospitalisés pour un premier syndrome coronarien aigu (angor instable, SCA ST– et SCA ST+ compris) entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2014. Les dossiers, identifiés par une recherche PMSI (codes CIM-10 : I20-I25, I50, I46), ont ensuite fait l’objet d’une analyse plus fine par le logiciel Cora, incluant les comptes rendus d’hospitalisation, si besoin revus avec un cardiologue de l’établissement. Au total, le PMSI comportait 6 383 évènements de « cardiopathie ischémique » et 1 320 évènements d’insuffisance cardiaque et/ou arrêt cardiaque. Parmi ces dossiers, 252 ont été inclus, auxquels ont été ajoutés 7 patients codés I46 ou I50 et 22 patients recodés en ischémie puis confirmés SCA. À partir de cette sélection, 8 cas ont été exclus pour refus de participer, 5 autres car il s’agissait de récidives et 2 car les dossiers étaient introuvables. Au total, 266 dossiers ont été analysés (figure 1). Les facteurs de risque étaient recherchés dans les dossiers (anamnèse) et les résultats biologiques. L’hypertension artérielle était définie par une pression systolique supérieure à 140 mm de mercure ou une pression diastolique supérieure à 90 mm de mercure confirmée sur plusieurs examens ; l’obésité était définie par un indice de masse corporelle supérieur à 30 kg/m2 ; le diabète par une élévation de la glycémie à jeun supérieure à 7 mmol/l de sang lors de deux dosages successifs ; l’hypercholestérolémie était définie comme une élévation du cholestérol total à jeun >5,17 mmol/l.

Figure 1 : Diagramme de flux de l’étude SCA_CHAR. Centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR), janvier 2012-décembre 2014
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Les données du PHRC (Projet hospitalier de recherche) INDIA (Inégalités sociales et pronostic des accidents vasculaires cérébraux à Dijon et en Antilles-Guyane), cohorte prospective multicentrique (Dijon et Antilles-Guyane), ont permis d’étudier l’influence des inégalités sociales sur la mortalité à 1 mois des patients hospitalisés pour un premier AVC symptomatique entre juin 2011 et octobre 2014. En Guyane, les trois établissements de soins hospitaliers ont participé (Cayenne, Kourou, Saint-Laurent). Parmi toutes les personnes ayant eu un accident vasculaire cérébral sur la période, 301 patients ont été sélectionnés (figure 2). Les patients consécutifs à cette période avec un premier AVC confirmé par imagerie (IRM, scanner cérébral) ont été inclus, à condition de pouvoir être interrogés directement en français (ou par l’intermédiaire d’un proche en cas de troubles du langage et/ou de troubles cognitifs ou de la conscience). Ainsi, les antécédents d’AVC, la présence d’autres pathologies grevant le pronostic vital, ou l’impossibilité de contacter un proche par téléphone dans le mois suivant la sortie étaient des critères d’exclusion.

Figure 2 : Diagramme de flux de l’étude INDIA Guyane, juin 2011-octobre 2014
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Les variables étudiées à l’admission étaient le délai AVC-admission, le score modifié de Rankin avant l’AVC, la sévérité de l’AVC selon l’échelle NIHSS (National Institute of Health Stroke Score). Les explorations paracliniques et le traitement de l’AVC (dont la thrombolyse) lors de l’hospitalisation ont été recueillis. Les antécédents recherchés étaient notamment les facteurs de risque cardiovasculaires et le score EPICES (Évaluation de la précarité et des inégalités de santé dans les centres d’examen de santé), qui s’échelonne de 0 (pas de précarité) à 100 (précarité maximale), les patients étant considérés précaires pour un score >30.

Les critères de jugement retenus étaient la sévérité utilisant le score NIHSS : ≤3, AVC mineur ; 4-9, AVC léger ; et ≥10, AVC modéré à sévère. Le score de Rankin pré-AVC mRS était catégorisé en : 0, pas de symptômes ; 1-2, symptômes/incapacité mineure ; ≥3, incapacité modérée à sévère.

Une analyse descriptive a été réalisée. Les données ont été analysées avec Stata® 12.

Aspects éthiques et règlementaires

L’étude SCA_CHAR a reçu l’aval du Comité d’évaluation éthique de l’Inserm (n°17-360) et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil n°2017342v0). L’étude INDIA a reçu l’avis favorable du Comité de protection des personnes Est I (n° 2010/40 ; Afssaps n°2010-A00940-36).

Résultats

Syndromes coronariens aigus

Parmi les patients de l’étude SCA_CHAR, 30,8% étaient des SCA ST+ (tableau 1). La moyenne d’âge des patients était de 64,14±12,5 ans et le sex-ratio de 1,83. Concernant le lieu de naissance, 31 patients/266 (11,6%) étaient nés en métropole, 118/266 (44,4) étaient nés dans un DOM et 117/266 (44%) à l’étranger. Concernant la couverture médicale, 33,21% avaient la Couverture médicale universelle (CMU), 4,91% bénéficiaient de l’Aide médicale d’État (AME) et 2,64% n’avaient aucune assurance maladie. Parmi ceux couverts par la Sécurité sociale (59,25%), seuls 12,1% n’avaient pas de complémentaire santé. Le mode de vie a pu être précisé pour 72,2% des patients ; 35,71% d’entre eux vivaient en famille, 16,5% vivaient en couple, 16,5% vivaient seul.

Tableau 1 : Épidémiologie des syndromes coronariens aigus au Centre hospitalier de Cayenne, Guyane 2012-2014
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Parmi les patients inclus, 196/266 (73,68%) étaient hypertendus, 101/266 (37,97%) fumaient ou avaient fumé, 107/266 (40,26%) montraient une dyslipidémie, 106/266 (39,85%) un diabète et 13/266 (4,9%) ne possédaient pas de facteur de risque cardiovasculaire (tableau 1).

Au total, 9,02% des patients avaient été initialement pris en charge à Kourou, 6,39% à Saint-Laurent et le reste à Cayenne. Pour l’ensemble des patients, le délai médian entre les symptômes et l’arrivée dans l’établissement de soins était de 3,83 heures (IIQ=9,14) avec un délai moyen de 9,68 heures, pour les patients SCA ST+, le délai médian était de 3,56 heures (IIQ=9,90). Les données étaient manquantes pour 158 patients. Le délai entre contact médical et ECG était inférieur à 10 minutes pour 214/223 patients (96%).

Le taux de thrombolyse chez les SCA ST+ était de 20,73% (17/82) (tableau 1) et 39% (32/82) des patients sont arrivés dans un délai médian inférieur à 6 heures (soit 53% des patients arrivés dans les délais ont pu bénéficier d’une thrombolyse). Et 45% (37/82) des patients sont arrivés dans un délai médian inférieur à 12 heures (49% des données étaient manquantes). Le délai médian douleur-thrombolyse était de 2,74 heures, (IIQ=2,59). La mortalité intra-hospitalière était de 11/26 (4,14%), elle était de 3,76% à 1 mois, 7,14% à 6 mois. Au total, 108/266 patients (40,60%) ont été évacués pour angioplastie, principalement en Martinique.

Accidents vasculaires cérébraux

Sur les 301 patients inclus dans l’étude INDIA, l’analyse a porté sur 298 cas (3 patients exclus pour hémorragie méningée). La moyenne d’âge était de 62,2 ans (±14,5) et le sex-ratio de 1,76 (tableau 2). Un peu plus de la moitié des personnes vivaient en couple (54,2%) et 42,9% d’entre elles vivaient seules. La moitié de la population était née à l’étranger (52%). Les principales nationalités retrouvées étaient Haïtienne (41,29%), Surinamaise (22,58%), Brésilienne (10,97%), Guyanienne (5,91%) et Sainte-Lucienne (5,16%). Les mêmes taux de couverture sociale que dans le cas de la population présentant des syndromes coronariens aigus étaient retrouvés : 84,5% des personnes bénéficiaient d’une couverture maladie et parmi elles 41,9% avaient la CMU.

Tableau 2 : Épidémiologie des accidents vasculaires cérébraux (AVC), étude INDIA, hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni 2012-2014
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La fréquence des facteurs de risque principaux connus était de 70,2% pour l’hypertension et 25% pour le diabète. Pour le tabac, on dénombrait 22% de fumeurs et 16,2% d’anciens fumeurs. Enfin, l’obésité et l’hypercholestérolémie touchaient chacune 17% des patients (tableau 2).

Quatre cinquièmes des AVC étaient de nature ischémique (79%) (tableau 2) et 14% des patients victimes d’un AVC ischémique ont été thrombolysés. Le délai médian entre les premiers symptômes et l’admission était disponible chez 213 patients et plus élevé pour les AVC ischémiques (3,4 h, IQR=9,9) que pour les AVC hémorragiques (1,9 h (IQR=2,4)), p=0,02. Sur l’ensemble des patients, tous AVC confondus, 42,9% étaient admis dans un délai inférieur à 4,5 heures après les premiers symptômes : 38% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [31%-45%] , 89/234) pour les AVC ischémiques ; 60,9% [48%-73%] (39/64) pour les AVC hémorragiques (p=0,046) ; 34,8% [25%-45%] (31/89) des patients victimes d’un AVC ischémique arrivés dans les délais ont été thrombolysés. Le délai médian entre le début des symptômes et la thrombolyse était de 3,3 heures (IQR=1,5) et le délai médian entre l’admission et la thrombolyse était de 1,9 heure (IQR=1,4).

La mortalité hospitalière était plus élevée pour les AVC hémorragiques (18,7% [10-30%] ) que pour les AVC ischémiques (4,2% [2-7,7%] ).

Discussion

Le caractère rétrospectif de l’étude sur les syndromes coronariens aigus était une limite pour le calcul des délais qui reposent sur l’interrogatoire. Le nombre de personnes étudiées pour les syndromes coronariens ST+ était relativement faible. Malgré ces limites, ce sont des données précieuses procurant un instantané de la prise en charge du SCA ST+ et ST– en Guyane pour une population d’âge et de sex-ratio comparable à ce qui apparaît dans des études en France métropolitaine 8,9. Si l’on compare les taux de thrombolyse du CH de Cayenne (2012-2014) avec ceux de France métropolitaine publiés dans l’étude EURHOBOP (2008-2010), basée sur un échantillon d’une dizaine d’hôpitaux de différents types, il n’y avait pas de différence significative en terme de taux de reperméabilisation des SCA ST+ entre Cayenne et la France métropolitaine (20,7 vs 18,4%, respectivement), ni en termes de mortalité hospitalière pour les SCA ST+ (8,5% vs 6,8%) et ST– (2,17% vs 4,3%) 10. Certes, ce sont des études différentes, et les progrès réguliers des prises en charge en France métropolitaine font que les quatre ans d’écart expliquent l’absence de différence. En effet, si l’on compare avec l’étude FAST-MI 2015, la mortalité hospitalière des SCA ST+ était significativement plus importante en Guyane qu’en France (8,5 vs 2,8%), mais pas celle des SCA ST– (2,17 vs 2,5%). De même que pour le taux de reperméabilisation des SCA ST+, il était de 71% dans cette même étude FAST-MI 2015, ce qui est significativement supérieur au taux observé en Guyane 8.

En dépit des limites méthodologiques de ces comparaisons, il semble tout de même que l’écart en termes de survie et de reperfusion entre la Guyane et la France métropolitaine, malgré la taille du territoire, l’absence de radiologie interventionnelle et le manque de cardiologues, n’est pas flagrant. En revanche, la part de l’hypertension artérielle (69,5% vs 45% pour les ST+, 75,5% vs 63% pour les ST-) 8 et celle du diabète (30,4% vs 17% pour les ST+, 44% vs 27% pour les ST-) 8 étaient significativement plus importantes en Guyane qu’en France hexagonale. Il en était de même pour les antécédents d’AVC (12,2% vs 3% pour les ST+, 10,3% vs 6% pour les ST-) 8 et d’insuffisance rénale chronique (11% vs 3% pour les ST+, 15,2% vs 7% pour les ST-) 8, qui sont particulièrement fréquents en Guyane 11.

Une thèse de 2018 a montré que la moitié des personnes avec un SCA ST+ s’étaient rendues à l’hôpital par leurs propres moyens, sans appeler le 15, avec des délais plus long et une perte de chance, alors que les équipes SMUR réalisent des thrombolyses en préhospitalier 12. La sensibilisation de la population aux signes d’infarctus et à la conduite à tenir en cas de douleur thoracique, ainsi que l’information sur l’existence du numéro d’appel 15 pourrait augmenter le taux d’appel (comme cela a déjà été fait concernant les AVC en 2016) et réduire les délais 12. De même, grâce à la télémédecine et à l’existence de stocks de thrombolytiques dans les centres délocalisés de prévention et de soins, la thrombolyse peut déjà également y être réalisée pour les SCA ST+. Bien que les délais de prise en charge et le taux de thrombolyse puissent être améliorés, les délais d’évacuation sanitaire sont indépendants de l’hôpital et donc incompressibles. Dans ce contexte, tant qu’il n’y avait pas de plateau de cardiologie interventionnelle, les efforts de tous les professionnels impliqués ne permettaient pas d’égaler la prise en charge du SCA ST+ en métropole. En mai 2019, les premiers stents coronaires ont été posés à Cayenne, dans un contexte pour l’instant non urgent, ce qui pourrait permettre d’envisager des progrès supplémentaires à court terme 13.

Le profil des patients ayant fait un AVC inclus dans l’étude INDIA diffère de celui des patients en France métropolitaine : la proportion d’hommes y est plus élevée (63,5% vs 50,7%) et les patients plus jeunes (61,8 ans (ET : ±14,5) vs 73,5 ans (ET : ±15,5)) 6. Pour rendre compte de ces deux faits, l’hypothèse principale est qu’il existe un retard de diagnostic et de traitement des facteurs de risque, en rapport avec le contexte social et la plus faible présence médicale. Ainsi, l’insuffisance rénale terminale, le plus souvent liée à l’hypertension et au diabète, est également observée en Guyane chez des sujets plus jeunes qu’en métropole 11. Cette hypothèse n’est cependant pas la seule explication possible, des facteurs génétiques, culturels et nutritionnels pourraient également intervenir. Les données socioéconomiques montrent que la Guyane fait face à des niveaux plus élevés d’inégalités sociales et de flux migratoires 14,15. Les facteurs de risque d’AVC sont similaires à ceux de France métropolitaine avec cependant un taux de décès et sévérité à 1 mois de l’AVC plus importants, sans qu’il soit possible d’en trouver l’explication. Une étude prospective (BECATOUR), qui compare la nature des AVC entre Cayenne, Besançon et Tours, est actuellement en cours. Elle a pour but d’analyser la topographie des AVC, leur étendue et l’intensité des lésions vasculaires (leucopathie, bleeds) à partir d’une analyse standardisée de l’IRM cérébrale réalisée lors du diagnostic de l’AVC et au troisième mois.

Le délai médian (2,58 heures [IIQ=6,45] ) entre le début des symptômes et l’admission à l’hôpital est superposable entre la Guyane et la France métropolitaine, ce qui semble aller contre la perception des cliniciens habitués à voir arriver des patients très tardivement. Compte tenu de la géographie du territoire et des difficultés d’accès aux services de soins dans certaines zones isolées, il est possible que certains patients victimes d’AVC n’aient pas été inclus dans l’étude INDIA : difficultés de communication en français et manque de traducteurs, absence d’hospitalisation ou venue tardive dans un état grave sans proches, une situation non exceptionnelle dans l’Ouest guyanais. Une thèse de médecine réalisée à Saint-Laurent-du-Maroni en 2015 16 montrait ainsi que seuls 20/149 patients arrivaient moins de 4 heures 30 après le début des symptômes et que 1 sur 14 des AVC ischémiques vus dans les délais avait pu bénéficier de thrombolyse. Ces délais ne semblaient pas liés à l’éloignement géographique, ni à un manque d’accès aux soins, mais plutôt à une mauvaise information sur la maladie et à un défaut de prise en charge des facteurs de risque en amont 16. Pour l’étude INDIA, le délai médian entre l’admission d’un AVC ischémique et la thrombolyse (1,9 heure [IIQ=1,4] ) était plus important en Guyane qu’en métropole (1,1 heure [IIQ=0,8] ) avec respectivement 38% de thrombolyses vs 58,5%. Malgré cette différence, le taux de thrombolyses réalisées était similaire à celui de la métropole. Cependant, bien que 38% des patients arrivaient suffisamment tôt pour être thrombolysés, seuls 13,6% l’étaient effectivement. Il est possible que certains patients présentant des contre-indications médicales à la thrombolyse n’aient pas pu bénéficier d’une thrombolyse malgré leur arrivée dans les délais compatibles. De plus, des lenteurs liées à des difficultés d’organisation de la filière et à des obstacles linguistiques peuvent être évoquées. L’ouverture d’une unité neurovasculaire devrait permettre une amélioration de ces indicateurs. Les examens complémentaires (ECG, ETT, ETO, Holter rythmique et tensionnel, angioscanner, angioMR, doppler des vaisseaux cervicaux, évaluation biologique) nécessaires au diagnostic étiologique de l’AVC sont disponibles en Guyane sans limitation.

L’isolement, le manque de spécialistes, l’absence de soins de suite et réadaptation spécialisés, les problèmes d’éducation à la santé et de suivi à long terme compliquent la prévention et la prise en charge des AVC et des coronaropathies. En 2016, une étude estimait que seuls 39,8% des patients hypertendus avaient une tension artérielle contrôlée 2. Par ailleurs, en 2013, la Guyane était la région de France où le suivi du diabète était le moins bon (seuls 25% des patients bénéficiaient de trois dosages d’HbA1c dans l’année) 17. Enfin, en 2009 une étude montrait qu’en Guyane une part non négligeable (17%) des personnes obèses considéraient avoir un poids dans les normes et être en bonne santé 18. Ceci souligne l’importance du renforcement de la prévention primaire des AVC et des coronaropathies en Guyane dans un contexte de faible densité des professionnels de santé, de contraintes géographiques importantes et de déficit de transports publics abordables pour une part importante de la population 19,20. Enfin, la précarité, notamment des personnes immigrées, complique la prise en charge de problèmes chroniques et aboutit au renoncement aux soins pour raisons financières ou de manque de temps 14,21. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, seuls 27,1% des patients sans papiers bénéficiaient d’une couverture maladie et 37,5% d’entre eux faisaient l’objet d’un suivi médical régulier, contre 78,7% de ceux possédant un titre de séjour 15. Enfin, le fait que l’hypertension artérielle (HTA) ait été retirée de la liste des affections de longue durée (ALD) peut compliquer la prise en charge des plus précaires. De même, à Saint-Laurent, l’étude de 227 dossiers d’AVC pendant une période de six ans montrait que 53% des patients étaient de nationalité surinamaise, avec un taux de récidive de 56% à cinq ans.

Conclusion

Les pathologies cardiovasculaires sont celles qui offrent l’une des plus fortes marges de réduction de la mortalité. Ce sont en effet des conditions sensibles aux soins primaires. En Guyane, elles sont particulièrement fréquentes et contribuent fortement à la mortalité prématurée. Bien que la prise en charge hospitalière initiale de ces pathologies reste perfectible, avec une proportion limitée de patients thrombolysés malgré des délais de prise en charge similaires à ceux observés en métropole, c’est sans doute tant en amont qu’en aval de la phase hospitalière (dépistage précoce et prise en charge au long cours des facteurs de risque) que des progrès restent à accomplir. La résolution de cette équation dans un territoire manquant de professionnels de santé représente un défi qui pourrait être relevé à condition d’avoir une approche stratégique des priorités de santé. La lutte contre les facteurs de risque, le renforcement de l’éducation thérapeutique, de la promotion de la santé et de la médiation en santé sont des pistes d’amélioration. La sensibilisation de la population aux signes de SCA et d’AVC et la nécessité d’appeler le 15 méritent une attention particulière.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Rochemont D, Mimeau E, Misslin-Tritsch C, Franck YK, Delma E, de Toffol B. Pathologies neuro– et cardiovasculaires en Guyane : particularités épidémiologiques et pistes d’amélioration. Bull Epidémiol Hebd. 2020(36-37):714-22. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/36-37/2020_36-37_3.html