Géographie, démographie et offre de soins en Guyane
// Geography, Demography and Health System in French Guiana
Introduction
La Guyane est un département d’outre-mer situé à environ 8 000 km de l’Hexagone. Ses caractéristiques géographiques, populationnelles et d’offre de soins en font un territoire français atypique. L’objectif de cet article est de décrire très brièvement ces caractéristiques.
Caractéristiques géographiques et infrastructures
La Guyane est située sur le continent américain, dans le secteur amazonien de l’Amérique du Sud. C’est un territoire frontalier du Suriname, à l’Ouest, et du Brésil, à l’Est (figure 1). Il s’étale au nord sur une bande côtière de 320 km de long bordée par l’océan Atlantique. C’est un territoire grand par sa taille, avec une superficie de 83 960 km² 1, mais petit par sa population, estimée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) à 296 711 habitants au 1er janvier 2019 2. La densité de population y est donc très faible et 96,9% du territoire, soit 81 380 km², est occupé par la forêt 1.
Le réseau routier est très peu développé 3 : on compte environ 450 km de routes nationales, situées sur la bande littorale. Ce réseau permet de relier la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, sur la frontière avec le Suriname, à celle de Saint-Georges-de-l’Oyapock sur la frontière avec le Brésil, et passe par les deux agglomérations principales de la région : Kourou et l’île de Cayenne. Le réseau routier secondaire est constitué de 408 km de routes départementales et de 1 311 km de voies communales. De nombreuses communes sont inaccessibles par la route : Maripasoula, Papaïchton, Grand-Santi sur la frontière surinamaise, Saül, Saint-Elie au centre du territoire, Camopi et Ouanary sur la frontière brésilienne. Le seul moyen de transport accessible pour les populations de ces communes est alors la pirogue à moteur, utilisée sur les nombreuses voies fluviales de la région. Les communes de Saül, Grand-Santi et Maripasoula sont également accessibles par voie aérienne. L’accès à ce mode de transport est cependant difficile, en raison principalement de son coût qui reste élevé. Ces conditions de mobilité difficiles sont accentuées par un maillage très faible du territoire en transports en commun, ceci même en milieu urbain. Cette configuration a pour première conséquence l’enclavement et l’isolement géographique d’une grande majorité du territoire où vit plus d’un dixième de la population, soit plus de 30 000 habitants.
De plus, la couverture du territoire par le réseau téléphonique n’est pas complète 4 ; sur la bande littorale, une proportion importante du réseau routier et des régions environnantes, en dehors des grandes agglomérations, ne bénéficie pas de couverture mobile stable et de qualité ; le même constat s’applique aux bourgs et lieux-dits isolés des communes de l’intérieur. Ces difficultés de communication aggravent d’autant plus l’isolement des habitants enclavés géographiquement.
Caractéristiques démographiques et sociales de la population
La Guyane compte peu d’habitants, mais la croissance démographique y est très forte 5 (+2,5% en moyenne par an entre 2011 et 2016). Parmi les autres départements d’outre-mer, seule Mayotte affiche une croissance démographique plus rapide. Cette vigueur démographique est principalement portée par un solde naturel positif, qui s’élevait à 28 850 naissances sur la période 2011-2016. Sur la même période, le solde migratoire a également joué favorablement : les arrivées ont été plus nombreuses que les départs et ont fait gagner près de 3 000 habitants à la Guyane.
La population se caractérise par une grande précarité et de fortes inégalités sociales. Le niveau de vie déclaré médian guyanais (c’est-à-dire le niveau de vie égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation) est inférieur de 38% à celui de France métropolitaine (respectivement 12 190€ et 19 550€) 6. Le coût de la vie est très élevé : les prix sont ainsi plus élevés de 11,6% en Guyane que dans l’Hexagone, les différences étant les plus importantes pour l’alimentation (écart de prix de 44%). Un ménage métropolitain devrait augmenter ses dépenses de 16,2% en Guyane s’il consommait les mêmes produits et services qu’en France hexagonale 7. Par ailleurs, le niveau de vie des 20% de ménages les plus aisés est cinq fois supérieur au niveau de vie des 20% les plus modestes 6.
L’insertion sur le marché du travail est difficile 8, particulièrement pour les jeunes, les femmes et les personnes sans diplôme. Le taux de chômage s’élève à 21,8% de la population active et 38,3% des personnes en âge de travailler sont inactives. Le taux de chômage est encore plus élevé chez les femmes (40% au sens du recensement), particulièrement les jeunes femmes (61,7%). Le meilleur rempart contre le chômage est le fait de disposer d’un diplôme. Or, 54,9% des plus de 15 ans n’ont aucun diplôme ou au plus le brevet des collèges ou niveau équivalent. Dans ces conditions d’exclusion du marché du travail, la part des personnes vivant des minimas sociaux est élevée : 26% de la population régulière est couverte par le Revenu de solidarité active (RSA), contre 7% dans l’Hexagone, et 29% bénéficie de la Couverture maladie universelle (CMU).
Enfin, preuve d’une grande précarité de la population, les conditions d’habitat sont également précaires. En 2015, l’Agence d’urbanisme et de développement économique de la Guyane (Audeg) estimait que le nombre d’habitats spontanés sur le littoral représentait 41% du bâti total et, sur le total du bâti spontané, 39% se trouvait en secteur à risque et/ou potentiellement insalubre 9. En outre, les logements sont souvent mal équipés : les dernières données du recensement de la population évoquent ainsi un taux de logements non équipés en électricité s’élevant à 12,8% 8. Par ailleurs, le nombre de sites isolés non alimentés en eau potable est important 10.
Le secteur hospitalier
Dans le secteur hospitalier, la médecine, la chirurgie, les soins de suite et de réadaptation (SSR) et la psychiatrie accusent un retard comparativement à la France hexagonale (tableau). En revanche, la région est mieux équipée que l’Hexagone pour le suivi des grossesses et des accouchements. L’hospitalisation à domicile est également plus développée en Guyane qu’en France hexagonale, dans le contexte d’un taux de natalité qui y est aussi supérieur. Cette forme d’hospitalisation est une réponse à un besoin d’aller vers les populations pour lesquelles les soins sont difficilement accessibles.
Les centres hospitaliers se concentrent sur les trois principales agglomérations de la région : Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni.
Pour améliorer l’accès aux soins, 18 structures de soins, appelées Centres délocalisés de prévention et de soins (CDPS), sont installées dans les communes isolées de la Guyane (communes de l’intérieur ou communes du littoral éloignées des trois principales agglomérations). Les CDPS, gérés par le centre hospitalier de Cayenne, offrent un accès gratuit aux soins urgents ou de premier recours, au suivi des maladies chroniques et des grossesses ; ils délivrent des médicaments pour les personnes n’ayant pas de droit ouvert et/ou dans les communes où il n’y a pas de pharmacie d’officine. Les CDPS assurent également un accueil spécialisé (infectiologie, gynécologie, ophtalmologie, odontologie, diabétologie, psychiatrie, etc.) grâce aux équipes des centres hospitaliers de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni qui s’occupent de façon régulière et programmée des consultations de spécialistes. Les CDPS gèrent en outre, en lien avec le centre hospitalier de Cayenne ou de l’Ouest guyanais, les transferts pour les patients dont l’état nécessite une hospitalisation. Ils assurent un accueil sédentaire, mais disposent également d’équipes mobiles qui se rendent dans les lieux-dits éloignés des bourgs principaux et situés le long des nombreuses voies fluviales, pour assurer une prise en charge de premier recours auprès de populations pour qui l’accès aux soins est difficile.
Par ailleurs, la poursuite du développement de l’offre de soins est une priorité de la région. Le Projet régional de santé 2018-2022 prévoit ainsi l’autorisation de nouvelles activités de médecine, chirurgie, réanimation, soins intensifs, hospitalisation à domicile, soins de suite et de réadaptation, et psychiatrie 11.
La démographie des professionnels de santé
Au 1er janvier 2018, on comptait 611 médecins, inscrits à l’Ordre de Guyane ou déclarant une activité en Guyane, dont 59% de généralistes 12. La densité de médecins généralistes libéraux est environ la moitié de celle observée dans l’Hexagone (42 vs 91 pour 100 000 habitants) 13. L’écart est encore plus grand pour les autres spécialités (24 vs 87 médecins spécialistes libéraux pour 100 000 habitants). Les autres professions de santé sont également caractérisées par des effectifs et des densités pour 100 000 habitants faibles comparativement à l’Hexagone (chirurgiens-dentistes : 27 vs 56 ; infirmiers 130 vs 181 ; orthophonistes 11 vs 31). En revanche, la densité de sages-femmes, rapportée au nombre de femmes en âge de procréer et en réponse au nombre élevé de naissances sur le territoire, est plus élevée en Guyane que dans l’Hexagone.
L’évolution des effectifs de professionnels de santé est cependant favorable sur les dernières années. Les densités en professionnels de santé (médecins, dentistes, sages-femmes infirmiers) ont ainsi progressé de façon continue sur la période 2012-2018 (figure 2).
(effectifs de professionnels pour 100 000 habitants)
La répartition spatiale des professionnels de santé est très inégale. Les professionnels de santé salariés se concentrent en effet sur la zone littorale, dans les établissements hospitaliers présents sur l’île de Cayenne, à Kourou et à Saint-Laurent-du-Maroni. L’offre libérale se concentre encore davantage, précisément sur l’île de Cayenne et Kourou, au détriment de la zone de Saint-Laurent-du-Maroni et des communes plus isolées. Dans les communes de l’intérieur, ce sont les CDPS ainsi que les Centres de protection maternelle et infantile qui assurent la prise en charge de premier recours auprès des populations.
Pour améliorer la densité médicale, une ordonnance a permis dès 2005 au préfet de Guyane puis au directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) Guyane, d’autoriser le plein exercice à des médecins n’ayant pas obtenu leur diplôme de médecine en France ou dans un pays de l’Union européenne. L’application de cette ordonnance a ainsi contribué à améliorer la densité médicale sur le territoire. Une réforme de cette ordonnance est mise en œuvre à compter de 2020, pour améliorer qualitativement le niveau de recrutement de ces praticiens.
Les établissements et services médico-sociaux
Le secteur médico-social est déficitaire 12. À titre illustratif, le taux d’équipement s’élève à 0,7 places pour 1 000 habitants en maison d’accueil spécialisé (contre 0,9 dans l’Hexagone) et à 1,3 en établissement et service d’aide par le travail (contre 3,2 dans l’Hexagone). Concernant l’accueil des enfants, on compte 1,8 place pour 1 000 habitants de moins de 20 ans en établissement. En revanche, les services pour enfants handicapés sont plus développés : le taux d’équipement en Services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) s’élève à 4 places pour 1 000 habitants de moins de 20 ans (contre 3,3 dans l’Hexagone).
La résorption de ce déficit dans le secteur du médico-social est une priorité de l’ARS Guyane, qui a mis en œuvre dès 2010 un plan de rattrapage de l’offre médico-sociale. Ce plan a permis de rattraper le retard concernant les services pour enfants handicapés, sans couvrir pour autant tous les besoins actuels (type de handicaps, sous-repérage). Il a permis également d’amorcer un rattrapage dans le secteur de la prise en charge des addictions avec l’expérimentation de structures innovantes comme les communautés thérapeutiques ou encore les appartements de coordination thérapeutique.
Prévention et promotion de la santé
Le domaine de la prévention et de la promotion de la santé, est, comme les autres, confronté à une pénurie de porteurs de projets qualifiés et solides. Les caractéristiques socioéconomiques, culturelles, écologiques et démographiques de la Guyane donnent un profil épidémiologique spécifique à ce territoire d’outre-mer, tant pour les pathologies rencontrées, que par les facteurs de risques auxquels les populations sont exposées. De plus, dans un contexte de mobilité réduite de la population entre les communes isolées et les principales agglomérations, et au sein même des centres urbains d’une part, et d’une offre de santé réduite d’autre part, la mise en place d’actions de prévention et de promotion de la santé adaptées et efficaces est une priorité.
Des actions innovantes, permettant une réponse au plus près des besoins des populations, sont ainsi expérimentées en Guyane.
Dans de nombreux domaines, on développe des solutions « d’aller-vers » et des dispositifs de médiation sociale et sanitaire. L’équipe mobile de la Croix-Rouge réalise en milieu urbain depuis 2011 des dépistages de l’hypertension artérielle, du VIH/Sida ou du diabète. Les CDPS organisent des consultations, appelées consultations « hors les murs », dans les lieux-dits proches des bourgs les plus peuplés ou les plus fréquentés, pour dispenser des soins aux populations. Au cours de l’année 2019, ils ont mis en place des équipes mobiles de santé publique, composées de binômes infirmier-médiateur, permettant des actions de prévention et de suivi au plus près de la population.
En outre, des dispositifs exceptionnels sont déployés pour permettre aux personnes en rupture de droit de continuer à bénéficier des soins adaptés et de bonne qualité. Ainsi, toutes les femmes enceintes de Guyane, même sans couverture maladie, peuvent bénéficier d’une consultation mensuelle pendant leur grossesse, des examens de laboratoire et des trois échographies recommandées.
Dans le domaine des maladies chroniques, le dépistage organisé du cancer du col de l’utérus, en réponse au constat d’une forte incidence de ce cancer, notamment chez des patientes jeunes, a été mis en place de façon expérimentale dès 2010. Débuté au cours de l’année 2019, un projet de formation de professionnels de santé, de parents et élèves, mené en collaboration avec l’éducation nationale, a pour objectif la mise à disposition de la vaccination HPV au plus près des habitants des communes de l’intérieur, afin d’améliorer la protection contre ce cancer.
Un projet de recherche-action auprès des orpailleurs clandestins, Malakit, visant à réduire le risque d’émergence de paludisme résistant en améliorant l’observance au traitement antipaludéen, est porté par le Centre d’investigation clinique du centre hospitalier de Cayenne (Inserm 1424) et mené en collaboration avec des partenaires transfrontaliers du Brésil et du Suriname. Ce projet combine à la fois une étude pour évaluer l’incidence et la prévalence du paludisme, les connaissances, attitudes et pratiques d’une population peu connue et peu encline à recourir aux soins, tout en fournissant des connaissances et un kit permettant aux orpailleurs de se soigner.
Le programme « bien-être des populations de l’intérieur », porté par l’ARS et le groupe SOS, permet d’accompagner les habitants et les associations des communes enclavées de Camopi et de Maripasoula dans le montage de projets visant un mieux-être des populations. L’ambition de ce programme de promotion de la santé est d’agir sur les facteurs protecteurs contre les actes suicidaires.
Conclusion
Malgré les énormes défis rencontrés par la région, tant géographiques que démographiques, et le retard en termes d’offre de santé, des solutions sont mises en œuvre au niveau régional pour améliorer l’état de santé de la population vivant sur le territoire de la Guyane française.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
58eb23fc-0631-443e-a0eb-4e245b74b0d3/
4177135?geo=DEP-973
ftparuag/aruag/ressources/docs_telechargement/Ob-Hab_6.pdf
Aix-Marseille Université.