Impact perçu de l’épidémie de Covid-19 des hommes
ayant des rapports sexuels avec des hommes en France. Enquête ERAS Covid-19, 30 juin-15 juillet 2020

// Perceived impact of the COVID-19 pandemic on men who have sex with men in France. ERAS Covid-19 survey, 30 June-15 July 2020

Annie Velter1 (annie.velter@santepubliquefrance.fr), Karen Champenois2, Daniela Rojas Castro3,4, Nathalie Lydié1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 IAME, UMR1137, Inserm, Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Paris
3 Laboratoire de recherche communautaire, Coalition PLUS, Pantin
4 Aix Marseille Univ, Inserm, IRD, SESSTIM (Sciences économiques & sociales de la santé & traitement
de l’information médicale), Marseille
Soumis le 09.09.2020 // Date of submission: 09.09.2020
Mots-clés : Covid-19 | Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes | Confinement | Comportements | VIH
Keywords: Covid-19 | Men who have sex with men | Lockdown | Behaviours | HIV

Résumé

Santé publique France a réalisé une édition spéciale Covid-19 de l’Enquête Rapport au Sexe (ERAS) afin de caractériser l’impact perçu de la crise sanitaire liée à la Covid-19 sur les conditions de vie, les recours aux soins spécifiques et les comportements sexuels des hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes (HSH) durant la période du confinement.

ERAS est une enquête transversale, anonyme, auto-administrée en ligne et basée sur le volontariat. Son édition spéciale Covid-19 a été réalisée du 30 juin au 15 juillet 2020. Au total, 8 345 HSH résidant en France ont été inclus dans l’analyse.

Compte-tenu de leurs conditions de vie plutôt privilégiées, le confinement s’est déroulé pour une grande partie des répondants dans d’assez bonnes conditions. Cependant, des impacts négatifs ont été observés au niveau économique, avec pour certains répondants une dégradation de leur situation économique et au niveau des consommations de produits ou de la santé mentale. Si ces deux dernières dimensions ne sont pas propres aux HSH, elles semblent plus marquées que dans la population générale.

Concernant la continuité de la prise en charge des autres problèmes de santé, 35% des répondants ont renoncé à des soins et 28% ont reporté leur dépistage VIH/IST. De même, 34% des séropositifs ont reporté une consultation de suivi du VIH. Ces impacts ont été probablement limités grâce à la mise en place des téléconsultations et à la prorogation des ordonnances Enfin, 60% des répondants n’ont pas eu de relations sexuelles avec des partenaires occasionnels et 59% des usagers de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) l’ont arrêtée en raison d’une diminution de leurs rapports sexuels, indiquant le respect des mesures de distanciation sociale mais également l’interruption brutale des sociabilités sexuelles.

Ainsi, la crise sanitaire met en lumière les vulnérabilités spécifiques préexistantes des homo– et bisexuels en matière de santé : isolement, santé mentale, consommation de produits auxquelles s’ajoutent des vulnérabilités socioéconomiques.

Abstract

Santé publique France conducted a special COVID-19 edition of the Sex Report Survey (ERAS) to characterize the perceived impact of the Covid-19 related health crisis on the living conditions, the use of specific care and the sexual behaviours of men who have had sex with men (MSM) during the period of lockdown.

ERAS is a cross-sectional, anonymous, online self-administered and voluntary survey. Its special edition Covid-19 was conducted from 30 June to 15 July 2020. A total of 8,345 MSM residing in France were included in the analysis.

Considering their rather favourable living conditions, the lockdown took place for a large part of the respondents in rather good conditions. However, negative impacts were observed at the economic level, with for some respondents a deterioration of their economic situation, and also at the level of consumption of products or mental health. While these last two dimensions are not specific to MSMs, they appear to be more pronounced than in the general population.

Regarding the continuity of care for other health problems, 35% of the respondents gave up care, and 28% postponed their HIV/STI screening. Similarly, 34% of HIV-positive respondents postponed an HIV follow-up visit. Finally, 60% of respondents did not have sex with casual partners and 59% of pre-exposure prophylaxis (PrEP) users stopped using PrEP due to a decrease in sexual intercourse, indicating compliance with social distancing measures but also an abrupt interruption of sexual sociability.

Thus, the health crisis highlights the specific pre-existing health vulnerabilities of homo– and bisexuals: isolation, mental health, consumption of products to which are added socioeconomic vulnerabilities.

Introduction

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait en janvier 2020 que l’épidémie de Covid-19 causée par le nouveau coronavirus SARS-CoV2 était une urgence de santé publique internationale. Elle l’a requalifié en pandémie le 11 mars 2020. En France, devant l’augmentation du nombre de cas et de décès liés à la Covid-19, ainsi que l’engorgement des services de réanimation, des mesures d’exception ont été mises en œuvre avec l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et, dès le 17 mars 2020, le confinement de l’ensemble de la population (Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020). Ces mesures, qui ont entrainé un fort ralentissement de l’activité économique, ont touché inégalement les groupes sociaux 1,2,3. Dans le champ de la santé, elles ont provoqué une baisse du recours aux soins pour d’autres problèmes de santé que la Covid-19 : sur les trois premières semaines du confinement, l’Assurance maladie a observé une diminution de l’activité de 40% pour les médecins généralistes et de 50% pour les spécialistes 2. Cette baisse a été particulièrement vraie pour l’offre de soins du VIH et des infections sexuellement transmissibles (IST) compte tenu de la mobilisation des infectiologues dans la gestion de la crise sanitaire, se traduisant par la fermeture totale ou partielle des centres de dépistage. Ces interruptions de prise en charge du VIH et des autres IST, que ce soit le suivi des personnes séropositives ou des usagers de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), ou l’offre de dépistage et de prévention, ont pu affecter de manière disproportionnée la santé des HSH 4. Par ailleurs, les conditions de vie en confinement sont susceptibles d’avoir exacerbé les risques d’isolement ou d’homophobie (1) accentuant le stress des minorités déjà préexistant 5.

Afin de caractériser l’impact perçu de la crise sanitaire liée à la Covid-19 sur les conditions de vie, les recours aux soins spécifiques et les comportements sexuels des HSH durant la période du confinement, Santé publique France a réalisé une édition de l’Enquête Rapport au Sexe (ERAS) spéciale Covid-19. Cet article en restitue les premiers résultats.

Méthodes

ERAS est une enquête transversale répétée anonyme, auto-administrée en ligne et basée sur le volontariat. Son édition spéciale Covid-19 a été réalisée du 30 juin au 15 juillet 2020, sous la responsabilité scientifique de Santé publique France.

Les participants ont été recrutés par le biais de différents supports digitaux. Des bannières ont été postées directement sur des sites Internet de rencontres gays, des applications de rencontres géolocalisées gays et des sites d’information affinitaires gays. Par ailleurs, des bannières ont été diffusées via des plateformes programmatiques. Les critères de diffusion étaient : le ciblage des hommes de 18 ans et plus, naviguant sur des pages contenant des mots-clés en relation avec l’homosexualité et les rencontres entre hommes. De la même manière, sur les réseaux sociaux (Facebook), les hommes de plus de 18 ans ayant « liké » des contenus ou des pages en lien avec l’homosexualité ont été exposés aux bannières de la campagne. En cliquant sur ces dernières, les personnes étaient dirigées vers le site de l’enquête où des informations sur ses objectifs étaient présentées, ainsi que les conditions de participation et la confidentialité des données. Les participants étaient invités à valider leur consentement pour accéder au questionnaire en ligne. Aucune adresse IP n’a été collectée et aucune incitation financière n’a été proposée. Les seuls critères d’inclusion pour participer étaient le fait d’être un homme et d’avoir 18 ans ou plus.

Le questionnaire (77 questions) était composé de quatre parties portant sur :

1) les caractéristiques sociodémographiques : âge, niveau d’études, département de résidence ;

2) les conditions de vie durant les huit semaines de confinement et les éventuels changements : emploi, finances, hébergement, moral, consommations de tabac, d’alcool et de produits psychoactifs ;

3) la santé avec deux axes : sur la Covid-19, le respect des mesures barrières et le renoncement aux soins durant le confinement ; sur la santé spécifique des HSH couvrant le VIH et les autres IST, le dépistage, les soins et la prévention ;

4) les comportements sexuels au cours des huit semaines de confinement, et au cours du dernier rapport sexuel selon le type de partenaire (stable ou occasionnel).

L’analyse statistique, essentiellement descriptive, a été réalisée avec le logiciel Stata® 14.1.

Résultats

Durant les 15 jours d’enquête, 17 403 personnes ont débuté le questionnaire, et 9 488 l’ont complété entièrement et validé. Parmi elles, ont été exclus 87 hommes car ils résidaient à l’étranger et 1 056 car ils se définissaient comme hétérosexuels ou refusaient de se définir et n’avaient jamais eu de rapport sexuel avec un homme. Au total, 8 345 HSH ont été inclus dans l’analyse.

Caractéristiques des répondants inclus

En médiane, les répondants avaient 30 ans [24-40]. Plus de 93% d’entre eux étaient nés en France, 30% habitaient en Île-de-France et 43% dans une ville de plus de 100 000 habitants (tableau 1). Ils avaient un niveau d’étude élevé : 3 répondants sur 4 avaient le bac et 30% un niveau bac+3 ou plus. Au niveau familial, la moitié des hommes était en couple stable avec un homme. Ces hommes étaient affinitaires : 79% se définissaient homosexuel, 75% utilisaient les sites Internet ou les applications de rencontre et 43% fréquentaient des lieux de sexe gay. Vis-à-vis du VIH, 456 hommes (5,5%) rapportaient être séropositifs, dont 98% étaient sous traitement et 96% avaient une charge virale indétectable. Parmi les hommes non séropositifs, 17% déclaraient ne jamais avoir eu recours à un test de dépistage du VIH, 51% avaient réalisé un dépistage dans les 12 derniers mois. Parmi les répondants, 11% déclaraient utiliser la PrEP et la moitié d’entre eux (52%) la prenait quotidiennement.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des répondants à l’enquête ERAS Covid-19 (N=8 345).
France, 30 juin-15 juillet 2020
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Confinement, emploi et isolement

Avant le début du confinement, 68% des répondants avaient un emploi, 24% étaient étudiants ; 28% des inactifs exerçaient également une activité rémunérée (tableau 2). Au cours du confinement, 55% des répondants ont rapporté que leur situation professionnelle avait évolué : il s’agissait de la mise en place du télétravail pour 59% d’entre eux, du chômage technique ou partiel pour 26% tandis que 6% ont perdu leur emploi. Rapporté aux répondants actifs, le chômage technique ou partiel a concerné 17% d’entre eux et la perte d’emploi 4%. Durant cette même période, la situation financière s’était dégradée pour 22% des répondants, plus souvent pour les indépendants (44%) et les chômeurs (35%). Au moment de l’enquête, la situation financière restait bonne pour plus de 60% des répondants. Au total, c’est près d’un tiers (32%) de la population d’étude qui a vu sa situation socioéconomique se dégrader durant le confinement soit par la mise au chômage partiel ou technique, soit par la perte d’emploi ou encore la baisse de sa situation financière.

Tableau 2 : Emploi et conditions de vie des répondants de l’enquête ERAS Covid-19
durant le confinement (N=8 345). France, 30 juin-15 juillet 2020
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Lors du confinement, 3 hommes sur 4 habitaient dans un logement avec un espace extérieur (1 sur 2 à Paris). Un homme sur 4 habitait seul, 41% avec leur partenaire principal et 22% avec leurs parents (tableau 2).

Durant le confinement, 22% des répondants ont déclaré avoir souffert de solitude. Près d’un tiers des répondants qui habitait seul (32%) était dans ce cas, comme 32% de ceux résidant avec leurs parents ou encore 10% avec leur partenaire stable. C’était également le cas de 27% des HSH ayant déclaré que leur situation économique s’était dégradée durant le confinement.

Durant le confinement, la consommation de produits a augmenté. En effet, 50% des fumeurs ont augmenté leur consommation de tabac et 6% des non-fumeurs ont repris ou commencé à fumer. De même, la consommation d’alcool et de produits psychoactifs de type cannabis, cocaïne, poppers a augmenté pour 35% et 30% des hommes concernés respectivement. Ces augmentations de consommation étaient particulièrement marquées parmi les répondants dont la situation économique s’est dégradée durant le confinement : 56% des fumeurs ont augmenté leur consommation, 38% des consommateurs d’alcool et 32% des consommateurs de produits psychoactifs.

Santé

Depuis le début de l’épidémie, 2% des répondants (158) ont déclaré avoir été testés positifs pour le coronavirus et 13% pensaient l’avoir eu sans l’avoir confirmé par un test (tableau 3). Au moment de l’enquête, début juillet, les principaux gestes barrières étaient plutôt bien respectés (souvent ou systématiquement) : se laver fréquemment les mains (88%), garder une distance d’un mètre avec d’autres personnes (70%) et porter le masque lors des sorties en extérieur (64%).

Tableau 3 : Santé et comportements sexuels des répondants à l’enquête ERAS Covid-19 (N=8 345).
France, 30 juin-15 juillet 2020
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Durant le confinement, 35% des répondants ont déclaré avoir renoncé à des soins médicaux, dentaires ou paramédicaux à cause de la crise sanitaire. Cette proportion monte à 40% pour les répondants dont la situation économique s’est dégradée durant le confinement. Les raisons les plus fréquentes étaient un rendez-vous reporté ou annulé (52%) ou un motif de consultation estimé non urgent (48%) ; 16% ont renoncé aux soins par crainte d’attraper la Covid-19. Concernant plus particulièrement le recours au dépistage du VIH ou des autres IST durant le confinement, 28% des répondants ont déclaré l’avoir reporté. Parmi les hommes séropositifs, un tiers (34%) a reporté ou annulé une consultation VIH.

Durant le confinement, 59% des 946 usagers de la PrEP ont arrêté de la prendre, principalement car ils n’avaient plus de rapports sexuels (87%), et 6% sont passés d’une PrEP continue à un régime à la demande pour la même raison. Seuls 5% des usagers de la PrEP l’ont arrêtée car ils n’avaient plus de médicament ou que leur consultation avait été reportée. Au moment de la passation de l’enquête, 15% des usagers initiaux de la PrEP ne l’avaient pas encore reprise.

Comportements sexuels

La majorité des répondants avait une activité sexuelle au cours des 6 mois précédant l’enquête (87%). Durant les huit semaines de confinement, un tiers des répondants (34%) rapportait ne pas avoir eu de rapport sexuel. Parmi les hommes qui avaient un partenaire stable à cette période, avoir eu des relations sexuelles avec ce partenaire était fonction du fait d’avoir été confiné avec lui dans le même logement ou pas (respectivement 91% vs 43%).

Concernant les relations sexuelles avec des partenaires occasionnels durant la période de confinement, 60% des répondants sexuellement actifs rapportaient ne pas en avoir eu (tableau 3). Lorsque les répondants ont déclaré avoir eu des partenaires occasionnels durant le confinement, 24% en avaient eu, mais moins qu’auparavant. Le nombre médian de partenaires occasionnels durant le confinement était de 2 [1-4]. Durant cette période de confinement, l’usage du préservatif n’avait ni augmenté ni diminué par rapport à avant.

Discussion

Les premiers résultats de cette édition d’ERAS spéciale Covid-19 montrent que l’impact perçu de la crise sanitaire a été réelle chez les HSH, mais variable selon les secteurs considérés : modéré sur leurs conditions de vie ou de travail, mais plus important sur leur santé.

La méthodologie d’enquête utilisée, ciblée, avec une marque connue (ERAS) a permis d’obtenir un nombre important de répondants (supérieur à 8 000) en deux semaines, bien plus élevé que dans d’autres études internationales sur le sujet 4,6. Cependant, elle a sélectionné un échantillon de convenance d’hommes urbains, à l’aise financièrement, en emploi, avec un niveau d’études très élevé, et bien inséré dans la communauté gay, profil similaire aux participants d’ERAS 2017 et 2019 7 et aux autres études réalisées auprès de cette population 8.

Compte tenu de ce statut social plutôt privilégié, les conditions de vie des HSH interrogés étaient meilleures que celles de la population générale décrites dans l’étude Coconel (Coronavirus et confinement, enquête longitudinale), avec notamment, en termes de logement, un accès plus fréquent à un espace extérieur 9.

Pour autant, les conditions de travail des répondants ont été modifiées par le confinement pour plus de la moitié d’entre eux. Si la majorité des répondants actifs avant le confinement a télétravaillé, 17% ont dû arrêter leur activité professionnelle et bénéficier du chômage partiel. Ces observations sont en deçà de celles en population générale de l’étude Coconel, mais se rapprochent des données de la même étude pour les cadres 9. Ceci s’explique par le niveau d’études élevé des répondants d’ERAS. Au cours du confinement, 4% des répondants actifs rapportaient avoir perdu leur travail. Grâce aux mesures socioéconomiques (arrêt de travail, chômage partiel) mises en œuvre en France (décret n°2020-325 du 25 mars 2020), cette proportion est sans commune mesure avec les données de l’étude aux États-Unis de TH. Sanchez et coll. 4 où 19% des participants HSH avaient perdu leur emploi. Ce différentiel est la résultante structurelle d’un système français plus protecteur du point de vue économique et social. Pour autant, 22% des répondants ont indiqué que leur situation financière durant le confinement s’était dégradée, une proportion moindre qu’en population générale (32%), mais qui touche les mêmes secteurs d’activité, à savoir les indépendants et les chômeurs 2. Au total, près d’un tiers des répondants a vu sa situation économique se dégrader durant le confinement d’un point de vue professionnel et/ou financier. Par ailleurs, ces HSH ont rapporté une dégradation de leur santé durant cette période, par un plus grand sentiment d’isolement et une augmentation de leur consommation de produits psychoactifs licites ou illicites. Ils ont également plus fréquemment reporté leurs rendez-vous médicaux.

Si près des trois quarts des répondants HSH ont cohabité avec d’autres personnes durant le confinement, 22% ont cependant rapporté un sentiment d’isolement durant cette période. Bien que cette proportion soit moindre que chez les hommes en population générale (35%) 10, elle illustre la difficulté, pour certains, à interrompre un mode de socialisation plutôt tourné vers l’extérieur : plus de la moitié indiquaient fréquenter habituellement les lieux de convivialité. Et alors qu’ils étaient 63% à avoir eu des partenaires sexuels occasionnels durant les six derniers mois, 60% d’entre eux n’en avaient eu aucun durant le confinement.

Autre signe d’un certain mal être, sentiment de solitude ou stress lié à l’incertitude de la période, la consommation de produits psychoactifs a augmenté, quel que soit le produit, durant le confinement. Ces augmentations de consommation ont également été observées en population générale en France 11 et dans d’autres études internationales réalisées auprès de HSH 4,12. L’augmentation de consommation de tabac est particulièrement problématique, avec 50% des répondants concernés contre 27% chez les hommes en population générale. De même, la consommation de produits psychoactifs a augmenté pour 30% des répondants alors que leur disponibilité et leur accessibilité étaient limitées 13.

Le niveau d’adoption des mesures de prévention de la Covid-19 est élevé. Bien que la question des sorties durant la période n’ait pas été directement posée, le fait de ne pas avoir eu de relation sexuelle durant le confinement avec des partenaires occasionnels ou avec des partenaires stables non-cohabitants est un indicateur indirect du respect des mesures de distanciation sociale. Au moment de la passation de l’enquête, les deux premières semaines de juillet, le lavage systématique des mains étaient la mesure barrière la plus adoptée bien qu’en deçà des données recueillies en population générale par l’enquête CoviPrev pour la même période (51% vs 66%) 14.

L’épidémie de Covid-19 a également eu pour effet une baisse du recours aux soins pour d’autres problèmes de santé 2. Plus du tiers des répondants ont ainsi indiqué avoir renoncé à des soins et 28% ont déclaré avoir reporté un test de dépistage VIH ou d’IST ; une proportion similaire de HSH vivant avec le VIH a indiqué le report ou l’annulation de leur consultation pour le suivi de leur pathologie. Ces reports s’expliquent par une réorganisation des services infectieux au centre de l’épidémie de la Covid-19. Cependant, les interruptions de traitement sont à priori rares : moins de 3% des HSH sous antirétroviraux ont rapporté avoir arrêté leur traitement durant le confinement. Des données rapportées par Epi Phare ont montré l’anticipation d’une éventuelle pénurie par le stockage transitoire d’antirétroviraux durant les deux premières semaines du confinement, le niveau de délivrance est resté stable avant, pendant et après le confinement 15. Par ailleurs, la mise en place de téléconsultations et la possibilité de renouveler des ordonnances expirées en pharmacie ont permis une certaine continuité des soins. De même, pour les usagers de PrEP, seuls 6% rapportaient avoir arrêté de la prendre parce qu’ils n’avaient plus de médicaments. Alors que la principale raison d’arrêt de la PrEP était le fait de ne plus avoir de relation sexuelle au cours du confinement, deux mois après la fin du confinement, 15% des usagers de PrEP n’avaient pas repris leur traitement. Les études Ipergay et Prevenir de l’ANRS ont montré que les séroconversions VIH sous PrEP ont lieu quelques semaines après l’arrêt de la PrEP. Une information spécifique doit être mise en œuvre auprès de ces usagers, afin d’attirer leur attention sur le risque d’acquisition du VIH.

Conclusion

Compte tenu de leurs conditions vie, les HSH de cette enquête ont, pour une grande partie d’entre eux, été confinés dans de plutôt bonnes conditions Mais des impacts négatifs sont observés au niveau économique, avec pour certains une dégradation de leur situation économique, ainsi qu’au niveau de la consommation de produits et de la santé mentale. Si ces deux dernières dimensions ne sont pas propres aux HSH, elles semblent plus marquées qu’en population générale. Ainsi, la crise du Covid-19 met en lumière les vulnérabilités spécifiques préexistantes des homo– et bisexuels en matière de santé : isolement, santé mentale, consommation de produits auxquelles s’ajoutent des vulnérabilités socioéconomiques. Aussi, au regard de ces premiers résultats, des analyses complémentaires doivent être menées plus spécifiquement sur ces questions. Par ailleurs, dans l’optique de prévenir de nouvelles contaminations à VIH avec la reprise de l’activité sexuelle, dans un contexte d’engorgement des services et des laboratoires très impliqués dans la lutte contre la Covid-19, il est important de poursuivre les initiatives mises en œuvre durant le confinement comme l’utilisation de la télémédecine pour le suivi des personnes séropositives ou sous PrEP, ou encore la promotion des autotests.

Remerciements

Les auteurs remercient Nicolas Etien (Santé publique France), Bérangère Gall et Julien Vivant (BVA) pour la qualité de leur travail dans la mise en œuvre de l’enquête, nos partenaires associatifs pour leur soutien et relai de l’enquête dans leur réseau, ainsi que l’ensemble des hommes gays et autres hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes pour avoir pris le temps de répondre à l’enquête.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

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Citer cet article

Velter A, Champenois K, Rojas Castro D, Lydié N. Impact perçu de l’épidémie de Covid-19 des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en France. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(33-34):666-72. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/33-34/2020_33-34_3.html