Adoption des mesures de prévention recommandées
par les pouvoirs publics face à l’épidémie de Covid-19 pendant la période
de confinement en France métropolitaine. Enquête CoviPrev, 2020
// Adoption of preventive measures recommended by the public authorities
in response to the COVID-19 pandemic during the lockdown
in metropolitan France. CoviPrev Survey, 2020
Résumé
Introduction –
Dans le contexte de l’épidémie du Covid-19, dès l’annonce du confinement par le gouvernement le 17 mars, Santé publique France a mis en place un dispositif de surveillance afin de suivre l’adoption des comportements de prévention par la population. L’objectif était d’estimer le niveau d’adoption des mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics selon les caractéristiques de la population (sociodémographiques, conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement), d’identifier les facteurs cognitifs et affectifs associés (perceptions et connaissances) et d’en suivre les évolutions pendant la période de confinement.
Méthodes –
Des échantillons indépendants de 2000 personnes âgées de 18 ans et plus, résidant en France métropolitaine ont été interrogés par Internet. Les données présentées sont issues de cinq vagues d’enquêtes. Au total, 10 013 individus ont été interrogés entre le 30 mars et le 6 mai 2020.
La principale variable d’intérêt était le nombre de mesures systématiquement adoptées sur les 7 recommandées par les pouvoirs publics. Les variables explicatives ont été regroupées dans trois blocs de variables distincts : 1/ variables sociodémographiques ; 2/ conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement ; 3/ variables cognitives et affectives. Afin de quantifier la force du lien entre le nombre de mesures systématiquement adoptées et les variables explicatives, des régressions linéaires multiples, ajustées sur le sexe, l’âge, la CSP et les vagues d’enquêtes ont été réalisées.
Résultats –
Les Français ont adopté, pendant la période de confinement, un nombre élevé de mesures de prévention, quels que soient les profils de populations, avec en moyenne sur les 5 vagues d’enquête, plus de 5 mesures systématiquement adoptées sur les 7 recommandées par les pouvoirs publics. Des différences selon les profils de populations ont été observées. Les hommes, les plus jeunes, les personnes de CSP- et les inactifs, les personnes ayant un plus faible niveau de littératie en santé, les personnes déclarant avoir continué à travailler à l’extérieur de leur domicile, les personnes n’ayant pas eu de proche ayant présenté des symptômes en lien avec le Covid-19 ont adopté en moyenne un moins grand nombre de mesures de prévention. Durant la période de confinement, le nombre de mesures systématiquement adoptées a diminué. L’adoption systématique de ces mesures était principalement expliquée par les déterminants cognitifs et affectifs : les trois principaux étaient la norme subjective (approbation et adoption des mesures par les proches), la capacité perçue à pouvoir adopter les mesures recommandées et, dans une moindre mesure, la gravité perçue de la maladie.
Conclusions –
Afin de favoriser l’adoption des comportements de prévention par la population, nos données suggèrent de renforcer prioritairement les normes sociales d’adoption de ces comportements et les capacités des individus à les mettre en œuvre. Pour cela, il sera important de communiquer avec clarté et simplicité sur les modes de transmission du virus, sur les comportements de prévention, et de créer les opportunités dans l’environnement physique et social pour faciliter leur adoption (accès au matériel de protection, organisation de la distanciation physique…). Selon une approche de marketing social, la stratégie de communication gagnerait à valoriser une norme sociale d’adoption des mesures de prévention pour soi-même et pour autrui, en ciblant notamment les jeunes adultes et les hommes.
Abstract
Introduction –
In the context of the Covid-19 outbreak, as soon as the government announced a general lockdown on 17 March, the French national public health agency set up a surveillance system to monitor the adoption of preventive behaviors by the population. The objective was to estimate the level of systematic adoption of the prevention measures recommended by the public authorities according to the characteristics of the population (socio-demographic, living conditions related to the Covid-19 epidemic and lockdown), identify the associated cognitive and affective factors (perceptions and knowledge) and monitor their trends during the lockdown period.
Methods –
Independent samples of 2,000 people aged 18 and over living in metropolitan France were interviewed via the Internet. The data presented are from five waves of surveys. A total of 10,013 participants were interviewed between 30 March and 6 May 2020. The main variable of interest was the number of measures systematically adopted out of the 7 recommended by the public authorities. The explanatory variables were grouped into three distinct blocks of variables: 1 / sociodemographic variables; 2 / living conditions related to the Covid-19 outbreak and lockdown variables; 3 / cognitive and affective variables. In order to quantify the strength of the association between the number of measures systematically adopted and the explanatory variables, multiple linear regressions, adjusted for sex, age, SPC, and waves of survey were performed.
Results –
Our results showed that the French adopted, during the lockdown period, a high number of preventive measures, whatever the population profiles, with on average over the 5 waves of survey, more than 5 measures systematically adopted out of the 7 recommended by the public authorities. Some differences according to the population profiles were observed. Men, younger people, SPC- and inactive people, people with lower health literacy, people who reported continuing to work outside their home, people who did not have a relative with Covid-19 symptoms took fewer preventive measures. During the lockdown period, the number of systematically adopted measures decreased. The systematic adoption of these measures was mainly explained by cognitive and affective determinants. The three main ones were the subjective norms (approval and adoption of measures by relatives), the perceived ability to adopt the preventive measures and, to a lesser extent, the perceived severity of the disease.
Conclusions –
In order to promote the adoption of preventive behaviors in the population, our data suggest that priority should be given to strengthening the social norms of adoption of these behaviors and the capacities of individuals to implement them. To this end, it will be important to communicate clearly and simply on the modes of transmission of the virus, on preventive measures to be adopted, and to create opportunities in the physical and social environment to facilitate their implementation (access to protective equipment, organization of physical distancing). According to a social marketing approach, the communication strategy would benefit from valuing a social norm for adopting prevention measures for oneself and for others, targeting in particular young adults and men.
Contexte
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré en janvier 2020 que l’épidémie de Covid-19 causée par le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 était une urgence de santé publique internationale avec un fort risque de dissémination. L’OMS l’a requalifiée en pandémie le 11 mars 2020.
En l’absence de traitements pharmaceutiques efficaces, le respect des mesures de prévention recommandées par les autorités de santé publique pourrait jouer un rôle fondamental dans le contrôle de l’infection au coronavirus SARS-CoV-2. En effet, la propagation des virus est fortement liée aux comportements, en particulier sociaux, des populations. Ces mesures de prévention incluent des changements de comportement (lavage de mains, distanciation physique, confinement…) et leur maintien dans la durée 1. Afin de suivre l’adoption de ces comportements par la population, des dispositifs de surveillance dite psycho-comportementale ont été mis en place dans de précédents contextes épidémiques en Asie, en Amérique du nord et en Europe (SRAS en 2003 2,3, H5N1 en 2006 4, H1N1 en 2009 5,6,7,8, chikungunya en 2015 9).
Dans le contexte de l’épidémie du Covid-19, dès l’annonce du confinement par le gouvernement le 17 mars (publication du Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire), Santé publique France a mis en place un dispositif de surveillance comportementale s’appuyant sur une série d’enquêtes en ligne (institut de sondage BVA) conduites auprès d’échantillons de la population générale adulte. L’un des objectifs principaux était d’évaluer le niveau d’adoption des mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics, d’en suivre les évolutions et d’en identifier les déterminants.
Cette étude restitue les principaux résultats de 5 vagues d’enquêtes conduites de la troisième à la dernière semaine de confinement. Elle présente une estimation du niveau d’adoption systématique des mesures de prévention selon les caractéristiques de la population (sociodémographiques, conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement), analyse les facteurs cognitifs et affectifs associés (perceptions et connaissances) ainsi que les évolutions observées pendant la période de confinement. Les données ainsi recueillies visaient à orienter et ajuster la réponse des pouvoirs publics en termes de prévention de l’infection au Coronavirus SARS-CoV-2 en population générale.
Matériel et méthodes
Source de données
A chaque vague d’enquête, un échantillon indépendant non probabiliste de 2000 personnes âgées de 18 ;ans et plus résidant en France métropolitaine a été interrogé par le biais d’un questionnaire en ligne auto-administré. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, taille d’agglomération et région de résidence. Les analyses descriptives ont porté sur les données redressées selon le Recensement général de la population de 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les données présentées sont celles des vagues de la troisième semaine (Vague 2) à la huitième et dernière semaine de confinement (Vague 6). Au total, 10 013 individus ont été interrogés sur 5 vagues d’enquête du 30 mars au 6 mai 2020.
La méthode détaillée de l’enquête est consultable sur le site de Santé publique France à l’adresse suivante : https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie
Variables
La principale variable d’intérêt de l’étude est le nombre moyen de mesures de prévention systématiquement adoptées parmi 7 mesures recommandées par les pouvoirs publics pendant la période de confinement (alpha de Cronbach=0,73). Les 7 mesures retenues pour la construction de notre variable principale d’intérêt sont celles ayant été communiquées dans les campagnes mass média, signées par le ministère de la santé et Santé publique France, diffusées à la télévision et à la radio (1) par voie de réquisition des espaces publicitaires. Il s’agissait des mesures suivantes :
–se laver très régulièrement les mains avec du savon ou utiliser du gel hydroalcoolique ;
–saluer sans serrer la main et arrêter les embrassades avec des personnes qui n’habitent pas avec moi ;
–tousser ou éternuer dans son coude ou dans un mouchoir ;
–utiliser un mouchoir à usage unique et le jeter ;
–rester confiné à la maison le plus possible ;
–limiter toutes formes d’interaction en évitant les regroupements et réunions en face-à-face avec des proches qui n’habitent pas avec moi : réunion familiale ou entre amis, apéritifs, discussion entre voisins… ;
–garder une distance d’au moins un mètre avec les autres personnes dans les magasins, les marchés, les lieux publics ou dehors.
Pour chaque mesure les répondants indiquaient leur fréquence d’adoption au cours des derniers jours (jamais, de temps en temps, souvent, systématiquement). Une variable continue a été construite en faisant la somme du nombre de mesures systématiquement adoptées (de 0 à 7).
Le port du masque en public pour la population a été recommandé par le Haut conseil de la santé publique le 24 avril 2020, 40 jours après le début du confinement, comme mesure complémentaire des mesures d’hygiène et de distanciation physique. Cet indicateur est présenté (tableau 1) et n’a pas été intégré dans la variable nombre de mesure systématiquement adoptées (parmi les 7) recommandées par les pouvoirs publics pendant la période de confinement.
(N=10 013 ; % et évolutions ; données pondérées). Enquête CoviPrev, France métropolitaine, 2020
Les variables explicatives ont été réparties dans trois blocs distincts :
1. Les variables sociodémographiques : sexe ; classe d’âge (18-24 ans, 25-34 ans, 35-49 ans, 50-64 ans, 65 ans et plus) ; catégorie socioprofessionnelle en 3 classes avec les retraités et les chômeurs reclassés à partir de leur ancienne profession (CSP +, CSP -, inactifs) ; niveau de diplôme en 2 classes (inférieur au Bac, supérieur ou égal au Bac) ; situation financière perçue (bonne, juste, très difficile) ; être parent d’un enfant de 16 ans ou moins ; avoir des antécédents de troubles psychologiques ; niveau de littératie en santé, qui désigne la motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l’information pour prendre des décisions concernant leur santé, mesuré par la dimension « Évaluer l’information en santé » de l’échelle Health Literacy Questionnaire 10 (HLQ ; alpha de Cronbach=0,77 ; score de 0 à 4 ; médiane=2 ; valeur inférieure à 2=plus faible littératie en santé ; valeur égale ou supérieure à 2=meilleur niveau de littératie en santé).
2. Les conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement : condition de travail (inactifs et chômeurs, actifs en télétravail, actifs travaillant à l’extérieur du domicile, actifs au chômage partiel, actifs en arrêt de travail) ; promiscuité au sein du logement (définie par une superficie de moins de 18 m² par personne ou moins de 25 m² pour une personne vivant seule) ; bénéficier d’un espace extérieur ; avoir au moins un soutien moral ou affectif ; vivre seul durant le confinement ; avoir un proche ayant ou ayant eu des symptômes du Covid-19 ; avoir ou avoir eu des symptômes du Covid-19 (aucun ou autre symptôme que toux, fièvre ou difficultés respiratoires, toux et/ou fièvre, difficultés respiratoires) ; durée quotidienne d’exposition aux médias en lien avec le Covid-19 (moins d’1 heure, de 1 heure à moins de 2 heures, de 2 heures à moins de 4 heures, et 4 heures et plus) ; recherche active d’informations en lien avec le Covid-19 ; avoir des troubles anxieux ou dépressifs (alpha de Cronbach=0,80 et 0,75, resp. ; absence de troubles, troubles probables et troubles certains ; échelle Hospital Anxiety and Depression scale 11) ; ressentir plus fortement que d’habitude un sentiment de peur en raison du confinement.
Les variables du bloc 2 sont détaillées et utilisées à des fins d’ajustement dans le modèle final de régression (cf. infra Analyses statistiques). Seules les associations entre la variable principale d’intérêt (nombre de mesures systématiquement adoptées) et les variables avoir un proche ayant ou ayant eu des symptômes du Covid-19 ; avoir ou avoir eu des symptômes du Covid-19 et continuer de travailler à l’extérieur du domicile sont présentées (tableau 2, analyses bivariées).
(N=10 013 ; effectifs non pondérés, moyennes pondérées). Enquête CoviPrev, France métropolitaine, 2020
3. Les variables cognitives et affectives (perception de la maladie Covid-19, connaissance sur la transmission du Coronavirus SARS-CoV-2 et perception des mesures de prévention) : inquiétude à l’égard de l’épidémie de Covid-19 (score allant de 0=pas du tout inquiet à 10=très inquiet) ; perception de la gravité du Covid-19 (score allant de 0=pas du tout grave à 10=vraiment très grave) ; perception de sa vulnérabilité face au Covid-19 (score allant de 0=pas du tout vulnérable à 10=tout à fait vulnérable) ; connaissance sur les modes de transmission du Coronavirus SARS-CoV-2 (de 0 à 5 bonnes réponses) ; normes subjectives : approbation et adoption perçues des mesures de prévention par les proches (alpha de Cronbach=0,77 ; score allant de 1=n’adoptent et n’approuvent pas du tout à 4=adoptent et approuvent tout à fait) ; mesures de prévention perçues comme efficaces (alpha de Cronbach=0,77 ; score allant de 0=pas du tout efficaces à 10=tout à fait efficaces) ; mesures perçues comme contraignantes (alpha de Cronbach=0,70 ; score de 0=pas du tout contraignantes à 10=très contraignantes) ; capacité à adopter soi-même les mesures de prévention (score allant de 0=pas du tout capable à 10=tout à fait capable) ; confiance dans l’action des pouvoirs publics (2 items ; alpha de Cronbach =0,93 ; score allant de 0=pas du tout confiant à 10=tout à fait confiant).
Les variables cognitives et affectives ont été empruntées à des modèles théoriques développés en psychologie sociale pour prédire notamment l’adoption des comportements de santé : modèle des croyances relatives à la santé 12, théorie du comportement planifié 13, théorie de la motivation à la protection 14, modèle étendu des processus parallèles 15.
Analyses statistiques
Les pourcentages et moyennes pondérés issus des analyses bivariées (tableaux 1, 2 et 4) ainsi que les évolutions entre les vagues d’enquête ont été comparés en utilisant le test de Wald ajusté, avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%.
Afin de quantifier la force du lien entre la variable principale d’intérêt et les variables cognitives et affectives, et afin de contrôler l’existence d’éventuels effets de structure liés aux caractéristiques de la population, des régressions linéaires multiples ont été réalisées pour chacun des trois blocs de variables (sociodémographiques, liées au confinement et à la situation épidémique, et cognitives et affectives). Ont été retenues dans le modèle de régression final les variables ayant montré une relation significative avec l’adoption des mesures de prévention dans chacune des régressions linéaires par bloc ; la significativité des coefficients estimés par le modèle a été testée par le test de Wald ajusté (avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%) ; la proportion de la variance expliquée par le modèle final (R²) a également été calculée. La variable relative au temps (numéro de la vague d’enquête), la CSP, l’âge et le sexe ont été introduits dans chacune des régressions comme variables d’ajustement. Une analyse d’interaction (non présentée) a montré que l’effet des variables cognitives et affectives ne dépendait pas du temps. Enfin, plusieurs analyses de sensibilité (non présentées) ont été réalisées afin de tenir compte des individus n’ayant pas répondu à une ou plusieurs questions de l’enquête (N=1 357 sur 10 013) et n’apparaissant pas dans le modèle final de régression linéaire. Aucune des analyses de sensibilité n’a montré de différence avec l’analyse présentée.
Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® (version 15.0 SE).
Résultats
1. Adoption systématique des mesures de prévention pendant la période de confinement : prévalences et évolutions détaillées par mesure (tableau 1)
Parmi les 7 mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics, plus de 5 mesures sur 7 ont été en moyenne systématiquement adoptées sur toutes les vagues d’enquête. Les 2 mesures les plus systématiquement adoptées ont été « Se saluer sans se serrer la main et arrêter les embrassades » et « Limiter toutes formes d’interactions », respectivement déclarées par plus de 90% et par plus de 80% des répondants sur l’ensemble des vagues. Les mesures les moins systématiquement adoptées ont été le fait de « Tousser dans son coude » ou « d’Utiliser un mouchoir à usage unique », déclarées par plus de 65% des répondants sur les vagues 2 à 6. Les autres mesures recommandées par les pouvoirs publics (« Rester confiné », « Garder une distance d’au moins un mètre » et « Se laver les mains ») ont été systématiquement adoptées par plus de 70% des répondants sur toutes les vagues. L’adoption systématique de l’ensemble de ces mesures a significativement diminué entre les vagues 2 et 6 à l’exception de « Se saluer la main et arrêter les embrassades » qui est restée stable.
La seule mesure ayant progressé pendant la durée du confinement a été le port du masque en public qui a augmenté progressivement et significativement entre chaque vague.
2. Nombre de mesures de prévention systématiquement adoptées parmi les 7
durant toute la période de confinement : moyennes
et évolutions par profil de population (tableau 2)
Sur le total des 5 vagues, les hommes ont adopté moins de mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics que les femmes. Le nombre moyen de mesures de prévention adoptées augmente de façon linéaire avec l’âge : les plus âgés adoptant un plus grand nombre de mesures que les plus jeunes. Le nombre moyen de mesures adoptées est plus élevé parmi les CSP+ que parmi les CSP- et les inactifs. Des différences ont également été observées selon le niveau de littératie en santé, avec un moins grand nombre de mesures adoptées parmi les personnes ayant un plus faible niveau de littératie. Le nombre moyen de mesures systématiquement adoptées a aussi été plus faible chez les personnes déclarant avoir continué à travailler à l’extérieur de leur domicile que parmi les autres répondants. Enfin, il a été plus élevé parmi les personnes déclarant avoir un proche ayant eu des symptômes du Covid-19 que chez celles n’ayant pas eu de proche ayant présenté des symptômes.
Aucune différence n’a été observée selon le niveau de diplôme, la situation financière perçue ou selon que les personnes ont déclaré avoir eu ou non des symptômes du Covid-19.
Le nombre moyen de mesures de prévention systématiquement adoptées a significativement diminué entre la vague 2 et la vague 6 pour tous les profils de répondants à l’exception des 18-24 ans, des personnes ayant continué de travailler à l’extérieur de leur domicile et des personnes ayant déclaré avoir eu des difficultés respiratoires. Pour ces dernières, la diminution du nombre moyen de mesures adoptées a été en valeur comparable (-0,43 point) à celle observée chez les personnes déclarant avoir eu de la fièvre ou de la toux (-0,46 point) ou chez celles déclarant n’avoir eu aucun symptôme (-0,40 point). Le nombre de mesures de prévention adoptées chez les 18-24 ans est resté stable alors qu’il a diminué parmi les autres tranches d’âge. Les différences ainsi observées selon l’âge en vague 2, 3, 4 et 5, n’étaient plus significatives en vague 6. On a observé le même phénomène parmi les personnes ayant continué à travailler à l’extérieur. Le nombre moyen de mesures systématiquement adoptées qui était inférieur chez ces dernières en vague 2, 3, 4 et 5, n’était plus différent en vague 6 de celui des personnes n’ayant pas travaillé en dehors de leur domicile.
3. Déterminants cognitifs et affectifs du nombre de mesures de prévention systématiquement adoptées parmi les 7 mesures recommandées durant toute la période de confinement : moyennes et évolutions
Le modèle de régression final incluant les variables significatives issues des régressions linéaires de chacun des 3 blocs de variables (variables sociodémographiques ; conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement ; variables cognitives et affectives), ajusté sur le temps (vagues), le sexe, l’âge et la CSP, explique 28,2% de la variance du nombre de mesures de prévention adoptées systématiquement. À elles seules, les variables cognitives et affectives expliquent 24,7 % de la variance observée. L’effet du temps, observé dans les régressions du bloc sociodémographique (p<0,001) et du bloc conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement (p<0,001), disparaît après ajustement sur les variables cognitives et affectives.
Indépendamment des facteurs sociodémographiques, des conditions de vie liées à l’épidémie de Covid-19 et au confinement, du temps et des autres facteurs cognitifs et affectifs, chacun des facteurs cognitifs et affectifs mesurés, à l’exception de la vulnérabilité perçue, est associé au nombre de mesures de prévention systématiquement adoptées (tableau 3). Les facteurs associés à l’adoption d’un plus grand nombre de mesures de prévention sont (par ordre décroissant de la valeur du coefficient Bêta de régression) : (1) l’approbation et l’adoption perçue des mesures par les proches (normes subjectives) ; (2) la capacité perçue à adopter les mesures préconisées ; (3) la perception du Covid-19 comme étant une maladie grave ; (4) la perception que les mesures sont peu contraignantes ; (5) le niveau de connaissance sur les modes de transmission du SARS-CoV-2 ; (6) le fait de percevoir les mesures comme efficaces; (7) l’inquiétude face à l’épidémie de Covid-19 et enfin (8) la faible confiance dans les pouvoirs publics. Le score de chacun de ces facteurs, à l’exception du niveau de connaissance, a diminué entre les vagues 2 et 6 (tableau 4).
et affectifs (données pondérées). Enquête CoviPrev, France métropolitaine, 2020
Discussion
Ce dispositif d’enquêtes a permis de décrire et de suivre le niveau d’adoption des comportements de prévention, d’identifier les profils de populations adoptant moins systématiquement les mesures, ainsi que les déterminants cognitifs et affectifs accessibles à une intervention.
Nos résultats témoignent d’un haut niveau d’adoption des mesures de prévention pendant la période de confinement, quels que soient les profils de populations, avec en moyenne plus de 5 mesures systématiquement adoptées sur les 7 recommandées par les pouvoirs publics. Une étude menée en février 2020 en Chine, à Wuhan et Shanghai, avait également montré des niveaux importants d’adoption des mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 (comme par exemple se laver les mains et la durée du lavage des mains) 16. Les mesures de prévention les plus systématiquement adoptées dans notre enquête ont été les mesures de distanciation physique, sans doute largement favorisées par les mesures de confinement mises en place par le gouvernement. De fait, les personnes déclarant avoir continué à travailler à l’extérieur de leur domicile ont déclaré un moins grand nombre de mesures de prévention systématiquement adoptées que les personnes n’ayant pas eu à travailler à l’extérieur de leur domicile. Une moindre adoption des mesures a également été observée parmi les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées, les plus jeunes, les hommes et les personnes ayant un faible niveau de littératie en santé.
Parmi les différences observées selon le profil sociodémographique des répondants, seules celles liées au sexe (moindre adoption chez les hommes) et au niveau de littératie en santé (moindre adoption des personnes ayant un faible niveau de littératie) ont été observées à chaque vague d’enquête, jusqu’à la dernière semaine de confinement. Une méta-analyse récente confirme que les hommes déclarent adopter moins de comportements de prévention que les femmes en réponse à des maladies infectieuses respiratoires dans un contexte d’épidémie ou de pandémie 17. Ces résultats sont également conformes à ceux observés dans la littérature scientifique pour une large gamme de comportements de santé 18. Les données concernant le lien entre le niveau d’adoption des mesures de prévention et le niveau de littératie en santé sont plus rarement disponibles dans les travaux consacrés à l’étude des comportements en situation épidémique. Nos résultats soulignent l’importance de mettre à disposition des populations des contenus simples et faciles d’accès pour les personnes les moins disposées ou motivées à traiter des informations multiples et complexes, telles que celles diffusées sur le Covid-19 19. L’importance de cet enjeu est de surcroît confirmée par le lien observé dans notre enquête entre la forte adoption des mesures prévention et la bonne connaissance des modes de transmission du virus.
Bien que le nombre de mesures systématiquement adoptées soit resté élevé jusqu’en dernière semaine de confinement, une diminution de l’adoption systématique des mesures de prévention a été observée entre le début et la fin du confinement. Les travaux conduits dans le contexte d’autres situations épidémiques font état d’observations similaires 9. Elles peuvent être notamment attribuées à une baisse de la perception du risque du fait d’un processus d’adaptation et d’habituation 20.
Nos données attestent de la prépondérance des facteurs cognitifs et affectifs dans l’adoption des mesures de prévention. L’ensemble de ces facteurs, à l’exception de la vulnérabilité perçue, détermine l’adoption des mesures de prévention et expliquent d’avantage les différences observées que les facteurs sociodémographiques ou les conditions de vie liées à l’épidémie et au confinement. La majorité des déterminants cognitifs et affectifs a évolué à la baisse entre le début et la fin du confinement, ce qui pourrait expliquer la diminution parallèle du nombre de mesures systématiquement adoptées. Les trois facteurs les plus fortement associés au nombre de comportements de prévention systématiquement adoptés ont été, par ordre d’importance, la norme subjective (approbation et adoption des mesures par les proches), la capacité perçue à adopter les mesures recommandées 4,21 et, dans une moindre mesure, la gravité perçue de la maladie. Depuis 2010, de nombreuses études ont confirmé que les comportements de prévention en contexte épidémique étaient fortement influencés par les normes subjectives 9,22,23,24. On retrouve également dans plusieurs études, et dans différents contextes épidémiques (H5N1, H1N1), une association entre le sentiment d’être capable de mettre en œuvre les mesures de prévention (auto-efficacité) et leur adoption 4,22. Enfin, la gravité perçue de la maladie est un déterminant fréquemment associé à l’adoption des comportements de prévention, également retrouvé dans des travaux conduits durant la première phase de l’épidémie de Covid-19 en Chine 16.
Une limite importante de l’étude est son caractère déclaratif qui a pu conduire à une surestimation de la proportion de personnes ayant adopté les mesures de prévention recommandées, en particulier pour la mesure « rester confiné à la maison le plus possible », qui relevait d’une mesure administrative prévoyant des sanctions en cas de non-respect. Cependant, des données de L’Institut de mesure et d’évaluation de la santé (IHME), utilisant les déplacements des téléphones portables, ont confirmé le respect des mesures de confinement par la population. Une baisse importante de la mobilité a en effet été constatée en France pendant cette période (-85% le 27 mars ; -75% le 30 avril et -70% le 6 mai) 25. Par ailleurs, les mesures de prévention considérées dans cet article ont été étudiées ensemble du point de vue de l’analyse de leurs déterminants (nombre de mesures systématiquement adoptées parmi les 7). Bien qu’elles relèvent d’une même dimension de protection ou de prévention, des analyses complémentaires mériteraient d’être conduites afin d’investiguer si leurs déterminants diffèrent selon que l’on considère les mesures séparément ou selon certaines de leurs caractéristiques (coût, caractère obligatoire, typologie : hygiène, distanciation physique).
Dans la perspective de la reprise de l’épidémie de Covid-19 ou de prochaines épidémies, un des enjeux sera la (ré)adoption par la population des comportements de prévention. À ces fins, nos résultats suggèrent que les leviers les plus importants à travailler pour favoriser l’adoption de ces comportements sont la norme sociale et l’auto-efficacité (capacité perçue à mettre en œuvre les mesures préconisées). Afin de renforcer la capacité des individus à adopter les comportements de prévention, il sera important de créer les opportunités dans les environnements physiques et sociaux pour faciliter leur mise en œuvre (accès au matériel de prévention : gel hydroalcoolique en libre accès, masques ; organisation symbolique de la distanciation physique dans les lieux fortement fréquentés…). Enfin, selon une approche de marketing social, la stratégie de communication gagnerait à s’appuyer sur la valorisation et le rappel d’une norme positive d’adoption des mesures de prévention pour soi-même et pour autrui, en ciblant notamment les jeunes adultes et les hommes. Le port du masque, adopté par une part croissante de la population pendant la période de confinement, pourrait y contribuer.
Les résultats de l’enquête CoviPrev sont disponibles sur le site Santé publique France à l’adresse suivante : https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie
Remerciements
Les auteurs remercient Bérengère Gall et Julien Vivant (BVA) pour la qualité de leur travail dans l’élaboration du questionnaire et la gestion opérationnelle de l’enquête.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
A review. Br J Health Psychol. 2010;15(Pt 4):797-824.
New York: Springer; 2011. p. 263-74.
projections.com/france. 2020 (Consulté le 29/05/2020).
Citer cet article
france.fr/beh/2020/16/2020_16_1.html