La santé mentale des Français face au Covid-19 : prévalences, évolutions et déterminants de l’anxiété au cours des deux premières semaines de confinement (Enquête CoviPrev, 23-25 mars et 30 mars-1er avril 2020)
The mental health of the French facing the Covid-19 crisis: prevalence, evolution and determinants of anxiety disorders during the first two weeks of lockdown (CoviPrev Study, 23-25 March and 30 March-1 April, 2020)
Résumé
Introduction – Le nombre grandissant de cas et de décès liés au Covid-19 a été à l’origine de la mise en place d’un confinement de la population française à partir du 17 mars 2020. Cette crise épidémique, ainsi que les conditions de vie en confinement sont susceptibles d’avoir un impact sur la santé mentale de la population. Santé publique France a ainsi mis en place une surveillance comportementale et psychologique dont l’objectif est, entre autres, d’évaluer l’état de la santé mentale de la population, d’en identifier les déterminants et d’en suivre les évolutions.
Méthodes – Les échantillons de la population générale sont issus d’un access panel de l’institut de sondage BVA. Lors de chacune des vagues, un échantillon indépendant de 2 000 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine est interrogé par Internet. Les données présentées dans cet article sont issues des deux premières vagues du 23 au 25 mars et du 30 mars au 1er avril 2020.
Résultats – Lors de la première vague, la prévalence de l’anxiété était de 26,7%, soit un taux deux fois supérieur à celui observé dans une enquête précédente (13,5% en 2017). En vague 2, la prévalence de l’anxiété avait significativement diminué à 21,5%.
Un risque plus élevé d’anxiété était associé 1/ à des caractéristiques sociodémographiques : être une femme, un parent d’enfant(s) de 16 ans ou moins, déclarer une situation financière difficile ; 2/ aux conditions de vie liées à la situation épidémique : télétravailler en période de confinement et avoir un proche malade ou ayant eu des symptômes du Covid-19 ; 3/ aux connaissances, perceptions et comportements face au Covid-19 : percevoir le Covid-19 comme une maladie grave et se sentir vulnérable face à cette maladie. À l’inverse, avoir une bonne connaissance des modes de transmission de la maladie, respecter les mesures de confinement, se sentir capable d’adopter les mesures de protection et avoir confiance dans l’action des pouvoirs publics diminuaient le risque d’anxiété.
Par ailleurs, la diminution de la prévalence de l’anxiété n’a pas été observée chez des personnes déclarant une situation financière difficile, celles de catégories socioprofessionnelles les moins favorisées ou encore celles vivant en promiscuité, traduisant ainsi un creusement des inégalités de santé en situation de confinement.
Conclusions – Ces premiers résultats ont permis de conforter et d’ajuster la réponse visant à promouvoir la santé mentale et à prévenir l’installation ou l’aggravation de troubles psychologiques. Ils mettent aussi en évidence la nécessité de protéger et d’accompagner les ménages les plus précaires. Enfin, ils suggèrent un effet protecteur du confinement sur l’anxiété et interrogent sur une possible évolution à la hausse des états anxieux après le confinement.
Abstract
Introduction – The growing number of cases and deaths due to Covid-19 has prompted the lockdown of the French population from 17th March 2020. This epidemic crisis and containment conditions are likely to impact the mental health of the population. Santé publique France has thus set up a behavioural and psychological surveillance with one of the objectives being to assess the state of the mental health of the population, identify its determinants and monitor its evolution.
Methods – Samples of the general population are issued from an access panel of the BVA polling institute. For each wave, an independent sample of 2,000 people aged 18 and over residing in metropolitan France are interviewed via Internet. The data presented here are from the first two waves that took place from March 23 to 25 and March 30 to April 1, 2020.
Results – In wave 1, the prevalence of anxiety was 26.7%, i.e. twice the rate observed in the general population (13.5% in 2017). In wave 2, the prevalence of anxiety had significantly decreased to 21.5%.
Higher risks for anxiety are associated with 1/ Socio-demographic characteristics: being a woman, being a parent of children aged 16 years or younger, declaring a difficult financial situation; 2/ Living conditions related to the epidemic situation: working from home and having a friend or relative who has been ill or has had symptoms of Covid-19; 3/ Knowledge, attitudes and practices about Covid-19: seeing Covid-19 as a serious disease and feeling vulnerable to the disease. Conversely, having a good understanding of the disease transmission route, respecting containment measures, feeling able to adopt protective measures and having confidence in the government action reduce the risk of having anxiety.
Moreover, the decrease in anxiety between the two waves has not been observed in people who report a difficult financial situation, in the least advantaged socio-professional categories, or in people living in promiscuity, thus reflecting the widening gap of health inequalities during the lockdown.
Conclusions – These first results helped strengthen and adjust the response for mental health promotion and prevent the development of psychological disorders. They also highlight the need to protect and support the most vulnerable households. Finally, they suggest a protective effect of the lockdown on anxiety and question a possible upward trend of anxiety level after the lockdown.
Position du problème
En janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l’épidémie du Covid-19 causée par le nouveau coronavirus SARS-CoV2 était une urgence de santé publique internationale avec un fort risque de dissémination dans de nombreux pays à travers le monde et de fait, l’a requalifiée en pandémie le 11 mars 2020.
Cette situation exceptionnelle, relayée de façon permanente et massive par les médias et réseaux sociaux, suscite de l’anxiété et du stress dans la population 1. Dès le mois de février 2020, des articles publiés dans la revue Lancet alertaient les politiques et la communauté scientifique quant à l’impact de mesures de gestion de l’épidémie de Covid-19 sur la santé mentale des populations 2 et sur la nécessité de leur prise en charge 3. Une vaste étude nationale menée en Chine au début du mois de février, et ayant recueilli 52 730 réponses, a montré que 35% des répondants étaient en détresse psychologique 4. En France, depuis l’apparition des premiers cas de Covid-19 fin janvier, leur nombre et celui des décès n’ont cessé d’augmenter. Un confinement de l’ensemble de la population a été mis en place à partir du 17 mars 2020. Une revue récente de la littérature a montré que les quarantaines mises en place lors de précédentes épidémies avaient un fort impact sur la santé mentale, en particulier sur les troubles anxieux, les symptômes de stress post-traumatique, les troubles dépressifs, la détresse psychologique et les troubles du sommeil, certains de ces troubles pouvant perdurer jusqu’à plusieurs années après la fin du confinement 5. Ainsi, la situation épidémique elle-même (peur de la contamination pour soi et pour son entourage), les conditions de vie en confinement (pertes de liberté, isolement social ou promiscuité, perte de salaire) et l’anticipation de leurs conséquences économiques et sociales sont susceptibles de contribuer à l’apparition ou à l’exacerbation de troubles anxieux et dépressifs dans la population.
Les efforts visant à contrôler et à réduire la transmission du SARS-CoV2 reposent sur des mesures de prévention nécessitant des changements de comportements et leurs maintiens dans la durée (distanciation physique, lavage de mains, port de masque, réorganisation de la vie quotidienne et sociale…). La santé mentale des personnes joue un rôle important dans leur façon de réagir, d’adhérer et de s’adapter à ces mesures de protection 6.
Dans ce contexte, Santé publique France a mis en place une surveillance comportementale et psychologique s’appuyant sur un dispositif d’enquêtes par Internet auprès d’échantillons de la population générale. L’un des objectifs de ce dispositif d’enquêtes est d’évaluer l’état de la santé mentale de la population, d’en identifier les déterminants et d’en suivre les évolutions. La présente étude restitue les principaux résultats des deux premières vagues d’enquête conduites après la première et la deuxième semaine de confinement. Les données ainsi recueillies sont utiles pour orienter et ajuster les dispositifs et messages de prévention.
Matériel et méthodes
Sources de données
Lors de chacune des vagues, un échantillon indépendant non probabiliste de 2 000 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine est interrogé. Les répondants sont recrutés au sein d’un access panel Web (institut BVA). La construction des échantillons a été réalisée selon la méthode des quotas appliquée aux variables sexe, âge, région, catégorie socioprofessionnelle et taille d’agglomération. Les données présentées ici sont issues des vagues 1 (V1) du 23 au 25 mars 2020 et 2 (V2) du 30 mars au 1er avril 2020. Elles sont redressées sur le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, la taille d’agglomération et la région de résidence selon le recensement général de la population de 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Variables
Le niveau d’anxiété des personnes interrogées a été mesuré par l’échelle Hospital Anxiety and Depression scale (HAD) développé par Zigmond et Snaith qui comporte 14 items, dont sept sur le repérage d’une anxiété et sept autres sur le repérage d’une dépression 7. Elle a été traduite et validée en français par Lépine et coll. 8. Ses propriétés psychométriques sont jugées suffisamment bonnes pour le repérage d’une symptomatologie anxieuse en populations générales et cliniques 9,10. Selon les réponses, un score variant de 0 à 3 est attribué à chacun des sept items. Les scores sont ensuite additionnés afin d’établir un score global. Dans la présente étude, seule la sous-échelle mesurant un état d’anxiété a été utilisée, ce dernier étant défini par un score strictement supérieur à 10 7.
Les variables explicatives sont réparties dans trois blocs distincts :
–1. Les variables sociodémographiques (bloc 1) : genre ; âge regroupé en six classes (18-24 ans, 25-34 ans, 35-49 ans, 50-64 ans, 65 ans et plus) ; catégorie socioprofessionnelle (CSP) en trois classes avec les retraités reclassés dans leur ancienne profession (CSP+, CSP-, inactifs) ; diplôme en deux classes (inférieur au Bac, supérieur ou égal au Bac) ; perception de sa situation financière (bonne, limite, difficile) ; être parent d’enfant(s) de 16 ans ou moins ; zone géographique de résidence en France métropolitaine (cinq zones : Nord-Ouest, Nord-Est, Sud-Ouest, Sud-Est, Île-de-France) ;
–2. Les variables liées au confinement et à la situation épidémique (bloc 2) : conditions de travail (inactifs et chômeurs, actifs en télétravail, actifs à l’extérieur du domicile, actifs au chômage partiel, actifs en arrêt de travail) ; promiscuité au sein du logement (définie par une superficie de moins de 18 m² par personne ou moins de 25 m² pour une personne vivant seule) ; avoir un espace extérieur accessible dans son logement ; avoir au moins un soutien moral ou affectif ; vivre seul durant le confinement ; être proche d’une personne malade du Covid-19 ou ayant eu des symptômes ; avoir ou avoir eu des symptômes du Covid-19 (aucun ou autre symptôme que toux ou fièvre, toux et/ou fièvre, difficultés respiratoires) ;
–3. Les variables comportementales et cognitives (perception de la maladie Covid-19 et des mesures de protection ; bloc 3) : connaissances sur la transmission du Covid-19 (bonne, mauvaise) ; respect des mesures de confinement (score allant de 0 : pas du tout respectueux à 3 : tout à fait respectueux) ; approbation des mesures de protection par les proches (score allant de 0 : pas du tout à 3 : tout à fait) ; capacité à adopter les mesures de protection (échelle allant de 0 : pas du tout capable à 10 : tout à fait capable) ; confiance dans l’action des pouvoirs publics (échelle allant de 0 : pas du tout confiance à 10 : tout à fait confiance) ; perception de la gravité du Covid-19 (échelle allant de 0 : pas du tout grave à 10 : vraiment très grave) ; perception de sa vulnérabilité face au Covid-19 (échelle allant de 0 : pas du tout vulnérable à 10 : tout à fait vulnérable).
Analyses statistiques
Les pourcentages issus des analyses bivariées, ainsi que les évolutions entre les vagues 1 et 2, ont été comparés en utilisant le test d’indépendance du Chi2 de Pearson, avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%. Les estimations de prévalence ont été pondérées (selon le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, la catégorie d’agglomération et la région de résidence) et présentées avec leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%).
Afin de contrôler l’existence d’éventuels effets de structure liés aux caractéristiques de la population et pour quantifier la force du lien entre l’anxiété et les variables explicatives, des régressions logistiques ont été réalisées pour chacun des trois blocs de variables (sociodémographiques, liées au confinement et à la situation épidémique, perception de la maladie Covid-19 et des mesures de protection). Dans chacune des analyses par bloc, les variables d’ajustement sexe, âge et CSP ont été intégrées. Ont été retenues dans le modèle de régression final les variables ayant montré un lien significatif avec l’anxiété dans chacune des régressions logistiques par bloc ; l’existence de ce lien a été évaluée à l’aide de l’odds ratio ajusté (ORa) et mesurée par le test de Wald ajusté avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%. Des intervalles de confiances à 95% (IC95%) ont été calculés. Des tests de Hosmer-Lemeshow ont été réalisés après chacune des régressions logistiques afin de vérifier la qualité d’ajustement des modèles. Ces tests ont montré une bonne adéquation des modèles. Enfin, une analyse dite de sensibilité (non présentée) a été réalisée afin de tenir compte des individus n’ayant pas répondu à une ou plusieurs questions de l’enquête (N=479) et n’apparaissant pas dans le modèle final de la régression logistique. Ses résultats n’ont montré aucune différence avec l’analyse présentée.
Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® (version 13.1 SE).
Résultats
Prévalence de l’anxiété
Le tableau 1 présente la prévalence de l’anxiété (score HAD >10) selon les caractéristiques des répondants, une semaine (vague 1) et deux semaines (vague 2) après le début du confinement. La prévalence de l’anxiété dans l’ensemble de la population enquêtée en vague 1 est de 26,7% (IC95%: [24,8-28,7]). En vague 2, on observe une prévalence significativement plus faible qu’en vague 1 avec un taux de 21,5% [19,8-23,4].
La prévalence de l’anxiété diffère selon les carac-téristiques sociodémographiques et les conditions de vie liées à la situation épidémique. En vague 2, des différences significatives sont observées selon : (1) l’exposition à la maladie (taux supérieur chez les personnes déclarant avoir eu des symptômes liés au Covid-19, en particulier avoir eu des difficultés respiratoires, 34,4%) ; (2) la situation financière déclarée (taux supérieur chez les personnes déclarant une situation difficile, 34,2%) ; (3) les conditions de travail (taux supérieur chez les actifs en arrêt de travail, 32,4%) ; (4) la promiscuité au sein du foyer (taux supérieur chez les personnes confinées dans un logement surpeuplé, 31,1%) ; (5) l’exposition des proches à la maladie (taux supérieur chez les répondants déclarant avoir eu des proches malades ou ayant présenté des symptômes liés au Covid-19, 28,3%) ; (6) la catégorie socioprofessionnelle (taux supérieur chez les personnes de CSP-, 26,9%) ; (7) le niveau de diplôme (taux supérieur pour les personnes ayant un niveau de diplôme inférieur au Bac, 26,7%) ; (8) le fait d’être parent d’enfant(s) de 16 ans ou moins (taux supérieur pour ces personnes, 26,5%) ; (9) le sexe (taux supérieur chez les femmes, 26,0%) ; (10) l’âge (taux supérieur chez les moins de 50 ans, en particulier chez les 25-34 ans, 25,9% et les 35-49 ans, 25,0%).
L’ensemble de ces segments de population présentaient déjà des prévalences significativement plus élevées d’anxiété en vague 1 à l’exception des personnes ayant un niveau de diplôme inférieur au Bac (27,9% vs. 26,2% chez les personnes ayant un niveau de diplôme équivalent ou supérieur au Bac). L’apparition d’une différence de prévalence selon le niveau de diplôme en vague 2 est liée à une évolution différente de l’anxiété selon les groupes entre les deux vagues.
Par ailleurs, certaines variables liées aux conditions de confinement, telles que le fait d’avoir un espace extérieur accessible dans le logement, de vivre seul durant le confinement ou d’avoir un soutien affectif ou moral ne sont pas significativement associées à l’anxiété dans les deux vagues.
Évolutions de la prévalence entre les deux vagues
On observe globalement une diminution de l’anxiété entre la vague 1 et la vague 2 (tableau 1). Le détail des évolutions selon les caractéristiques des répondants montre cependant une absence d’évolution significative pour certains groupes. En particulier, la diminution du taux d’anxiété n’est pas significative parmi les personnes déclarant une situation financière difficile (32,8% en V1 et 34,2% en V2) ; parmi celles vivant en promiscuité dans leur foyer (34,8% en V1 et 31,1% en V2) ; parmi les personnes de CSP- (29,6% en V1 et 26,9% en V2) ou parmi celles ayant un niveau de diplôme inférieur au Bac (27,9% en V1 et 26,7% en V2). Pour d’autres groupes ne présentant pas de diminutions statistiquement significatives, ces absences de différences doivent être considérées au regard des taux observés en V1 (taux pouvant être inférieurs à la moyenne ; par exemple les personnes âgées de 50 ans et plus), ainsi que des tailles d’échantillons (taille pouvant être insuffisante pour détecter des évolutions significatives ; par exemple les personnes ayant déclaré des difficultés respiratoires).
Facteurs associés
Le tableau 2 présente les modèles de régression logistique ajustés sur les facteurs associés à l’anxiété pour l’ensemble des répondants interrogés en V1 et V2 (N=4 003), d’abord pour chacun des blocs de variables explicatives (modèles par bloc) et ensuite pour l’ensemble des variables qui étaient significatives dans chacun des blocs (modèle final).
Le risque de présenter un état anxieux indépendamment des autres facteurs est lié au temps, avec un risque inférieur en vague 2 en comparaison à la vague 1.
Le risque de présenter un état anxieux quelle que soit la vague d’enquête est également lié à certaines caractéristiques sociodémographiques (bloc 1). Indépendamment des autres variables du bloc, le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de diplôme, la perception de sa situation financière et le fait d’être parent ou non d’enfant(s) de 16 ans ou moins sont associés à l’anxiété (cf. modèle par bloc du tableau 2). Après ajustement sur les variables significatives des autres blocs (conditions de vie liées à l’épidémie, et variables de perception liées au Covid-19 et aux mesures de protection, cf. modèle final du tableau 2), le fait d’être une femme, d’être parent d’enfant(s) de 16 ans ou moins, de déclarer une situation financière « juste » ou « difficile » restent significativement associées à un risque plus élevé d’anxiété. Inversement, le fait d’avoir 35 ans et plus est associé à un moindre risque.
Le risque de présenter un état anxieux est également associé aux conditions de vie liées à l’épidémie (bloc 2). Indépendamment des autres variables du bloc 2, les conditions de travail (télétravail, arrêt…), le fait d’avoir un proche ayant présenté des symptômes liés au Covid-19 ou d’avoir soi-même eu des symptômes sont associés aux états anxieux. Dans le modèle final, après ajustement sur les facteurs sociodémographiques et cognitifs, seuls le fait de télétravailler et d’avoir un proche malade du Covid-19 ou ayant eu des symptômes restent significativement associés à un risque plus élevé d’anxiété.
Enfin, indépendamment des caractéristiques sociodémographiques, des conditions de vie liées à l’épidémie, du temps ou des autres facteurs comportementaux et cognitifs, le fait d’avoir une bonne connaissance des modes de transmission de la maladie, de déclarer respecter les mesures de confinement, de se sentir capable d’adopter les mesures de protection et d’avoir confiance dans l’action des pouvoirs publics pour contrôler l’épidémie réduisent le risque d’anxiété. À l’inverse, percevoir le Covid-19 comme une maladie grave et se sentir vulnérable face à cette maladie augmentent le risque de présenter un état anxieux.
La zone géographique de résidence, la promiscuité dans le logement, le fait de vivre seul durant le confinement, d’avoir accès à un espace extérieur, le soutien moral ou affectif et le score d’approbation et d’adoption des mesures par les proches ont été testés dans les modèles par bloc, mais n’ont pas montré de lien significatif avec la variable « anxiété » lors de l’analyse par bloc. Ils ne sont donc pas présentés.
Discussion
Cette étude présente le niveau d’anxiété dans la population française dans un contexte de pandémie au SARS-CoV2. La première vague a été conduite une semaine après le début du confinement général. Lors de cette première vague, la prévalence de l’anxiété était de 26,7%, soit un taux deux fois supérieur à celui observé en population générale avant la crise épidémique (13,5%, source : Baromètre de Santé publique France 2017, à paraître). En vague 2, conduite une semaine après la vague 1, la prévalence de l’anxiété avait significativement diminué (-5 points) avec un taux observé de 21,5%. La diminution des troubles psychologiques au cours du temps a également été observée dans l’étude menée en population générale en Chine 4. Les travaux conduits dans le contexte d’autres situations épidémiques 11 observent généralement une évolution à la baisse de la perception du risque (dont nos résultats montrent l’association avec les états anxieux) attribuée à un processus d’adaptation et d’habituation aux risques 12.
Malgré une amélioration significative, la santé mentale reste dégradée en vague 2, en comparaison aux données disponibles avant l’épidémie. Des inégalités sont observées avec des segments de population davantage exposés aux états anxieux. Il s’agit notamment des personnes exposées à la maladie (ayant eu des symptômes associés au Covid-19) et des personnes socioéconomiquement défavorisées (CSP-, faibles niveaux de diplôme et surtout les personnes déclarant des difficultés financières). Les femmes sont également plus à risque de présenter un état anxieux au cours de cette période épidémique. Cependant, on retrouve dans la littérature scientifique, en dehors des situations épidémiques, des états anxieux systématiquement supérieurs chez les femmes 13. Par ailleurs, une diminution du niveau de l’anxiété chez les femmes, comparable à celle observée chez les hommes, a été enregistrée entre les deux vagues d’enquête. Enfin, on observe une plus faible prévalence de l’anxiété chez les personnes âgées de 50 ans et plus. Cette observation est également conforme à ce qui est observé en population générale avant l’épidémie de Covid-19 (source : Baromètre de Santé publique France 2017, à paraitre). Cependant, au regard des facteurs de risque de morbi-mortalité associés au Covid-19, on aurait pu s’attendre à une plus forte prévalence des états anxieux chez les personnes plus âgées. Dans l’étude chinoise, les individus de 18 à 30 ans étaient également ceux parmi lesquels les scores de détresse psychologique étaient les plus importants. D’après les auteurs, l’angoisse des jeunes adultes pouvait s’expliquer par leur tendance à chercher activement des informations sur la maladie via les réseaux sociaux 4. Une autre hypothèse peut être également celle d’un biais d’échantillonnage. Les personnes de plus de 50 ans recrutées dans les panels Internet pourraient présenter un meilleur état de santé que leur population de référence 14, donc se percevoir comme étant moins à risque.
Certaines conditions de vie en confinement sont également associées à l’anxiété, avec des taux supérieurs observés chez les personnes confinées dans des logements surpeuplés (forte promiscuité), chez celles avec un ou des enfants de 16 ans ou moins, ou celles en situation de télétravail.
La diminution de l’anxiété enregistrée entre la 1re et la 2e semaine de confinement n’a pas été observée pour certains groupes de population davantage exposés aux états anxieux en vague 1, traduisant ainsi une dimension socioéconomique dans les conséquences de l’épidémie. C’est le cas des personnes déclarant une situation financière difficile, de celles appartenant aux catégories socioprofessionnelles les moins favorisées ou encore de celles vivant en promiscuité dans leur foyer. Pour ces personnes, les contraintes liées à leurs conditions de vie en confinement leur permettent plus difficilement de s’adapter à la situation.
Si l’on prend en considération l’ensemble des facteurs associés aux états anxieux dans notre échantillon, il apparaît que le sexe, l’âge, le statut parental (avoir un ou des enfant(s) de 16 ans ou moins), la situation financière perçue, le télétravail à domicile, le fait d’avoir eu des proches exposés au virus, déterminent le niveau d’anxiété. Les comportements, les connaissances, la perception du Covid-19 et des mesures de protection se présentent également comme des déterminants significatifs de l’anxiété. Nous avons pu observer qu’un bon niveau de connaissance des modes de transmission du virus, le fait de se sentir en capacité de mettre en œuvre les mesures de protection préconisées ou d’avoir confiance dans les pouvoirs publics pour contrôler l’épidémie sont associés à une moindre prévalence d’états anxieux. À l’inverse, une forte gravité perçue de la maladie, ainsi qu’un sentiment de vulnérabilité personnelle face au Covid-19 sont associés à une plus forte prévalence de l’anxiété. Enfin, nos données suggèrent un plus faible niveau d’anxiété parmi les personnes déclarant fortement respecter les mesures de confinement. Les données issues de la littérature scientifiques conduites sur de précédentes épidémies font le constat inverse, celui d’une relation positive entre anxiété et adoption des mesures de protection 15. La plus grande adoption des mesures de protection chez les personnes plus anxieuses s’envisage comme une stratégie pour faire face à la menace dont la gravité perçue est plus élevée chez ces dernières. Ce paradoxe apparent entre nos données et celles de la littérature doit être analysé au regard des caractéristiques des mesures de protections considérées, en particulier celles du confinement (fermetures des commerces et interdictions de sorties, sauf dérogatoires).
En effet, s’agissant du lien entre confinement et anxiété, nous pouvons faire l’hypothèse que le strict respect du confinement a permis de réduire, voire de supprimer, le risque d’exposition au Covid-19, ce qui expliquerait le plus faible taux d’anxiété chez ceux qui déclarent un respect élevé des mesures de confinement. Cette hypothèse peut également expliquer la diminution observée de l’anxiété entre les deux vagues d’enquête. Elle semble d’ailleurs mieux s’ajuster à nos données que l’hypothèse plus classique d’une habituation aux risques 11,12, dont les mécanismes seraient en partie rendus inopérants par le confinement lui-même (absence d’exposition). Cette hypothèse d’un effet protecteur du confinement contribuerait également à expliquer le niveau relativement faible d’anxiété observé chez les personnes plus âgées, ainsi que la diminution très importante de l’anxiété observée entre la vague 1 et la vague 2 dans les zones géographiques les plus touchées par l’épidémie (Île-de France et Grand-Est).
Enfin, nos données attestent de la force du lien entre santé mentale et conditions socioéconomiques et confortent la nécessité de protéger et d’accompagner les ménages les plus précaires du point de vue de leur situation financière. À ce titre, une étude récente de l’université de Cambridge, réalisée en lien avec Santé publique France pour le volet français (données non publiées) (1), a montré que les Français exprimaient et rapportaient moins de difficultés financières et de problèmes de santé mentale que dans la plupart des autres pays. Les systèmes de solidarité sociale et économique ont un rôle important à jouer pour amortir l’impact de la crise épidémique, en confinement et post confinement, sur la santé mentale des populations.
Les premières données de ce dispositif d’enquête, en particulier la prévalence élevée de l’anxiété en vague 1, ont permis de conforter et d’ajuster la réponse visant à promouvoir la santé mentale et à prévenir l’installation ou l’aggravation de troubles psychologiques. Un numéro vert national, accessible 24h/24 et 7j/7 (0800 130 000), a été mis à disposition du grand public par le ministère de la Santé pour obtenir gratuitement des conseils et des informations sur le Covid-19. Afin de répondre aux besoins des appelants qui exprimeraient une souffrance psychologique importante, des structures associatives ainsi que des professionnels de la santé mentale ont renforcé ce service d’appel. Par ailleurs, une page d’information sur la santé mentale a été développée sur le site de Santé publique France (2). Elle rappelle les principaux messages de promotion de la santé mentale et oriente vers les ressources disponibles et adaptées aux différentes problématiques identifiées (lignes de soutien psychologique, ressources pour les parents, pour les personnes endeuillées…). Ces dispositifs doivent être maintenus dans la perspective du déconfinement.
Il semble en effet que le confinement, envisagé comme un facteur de risque pour la santé mentale, aurait plutôt agi pour une majorité de la population comme un facteur de protection contre l’anxiété. En réduisant efficacement le risque d’exposition au virus, le confinement a sans doute contribué à la baisse du niveau d’anxiété générale. Dans un contexte de risque socioéconomique également contenu par les mesures mises en place (arrêt de travail, chômage partiel…), seuls certains segments de la population, vivant des conditions de confinement plus stressantes (promiscuité, situation financière difficile) n’ont pas bénéficié de cette amélioration. Dès lors, la levée du confinement, engagée pour répondre à la nécessaire remise en route de l’activité économique, doit nous interroger sur l’évolution à venir des états anxieux en population générale. Nos résultats montrent que le niveau de connaissance et la capacité perçue à mettre en œuvre les mesures de protection préconisées sont des déterminants importants de l’anxiété au sein de la population. Il faut dès lors travailler, en considérant les connaissances scientifiques disponibles, à la stabilisation et à la diffusion de recommandations et procédures efficaces, faciles à mettre en œuvre, dans la perspective du déconfinement. À défaut, les risques pour la santé mentale de la population pourraient être majeurs.
Les résultats des vagues d’enquêtes ultérieures sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/Covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-le-confinement
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.