« Au labo sans ordo » : une expérimentation
pour étendre l’offre de dépistage du VIH à Paris et dans les Alpes-Maritimes. Résultats intermédiaires à 6 mois, juillet-décembre 2019

// ALSO-HIV: Extending a free HIV testing supply to walk-in medical labs in Paris and the Alpes-Maritimes. 6-month interim results, July-December 2019

France Lert1 (presidence@parissanssida.fr), Philippe Bouvet de la Maisonneuve2, Pamela Ngoh1, Irit Touitou2, Julie Valbousquet2, Erwan Le Hô3, Nathalie Lydié4, Karen Champenois5, Eve Plenel1, Pascal Pugliese2 et le Groupe ALSO*
1 Vers Paris sans sida, Paris
2 Service des maladies infectieuses – Corevih Paca-Est, CHU Nice
3 Objectif sida zéro, Nice
4 Santé publique France, Saint-Maurice
5 IAME, UMR 1137, Inserm, Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Paris

* Le Groupe ALSO (« Au labo sans ordo ») : Laurence Dauffy, Laurence Dumondin et les équipes
de l’Assurance maladie de Paris, Gwenaelle Tasset et les équipes de l’Assurance maladie des Alpes-Maritimes, Anne-Claire Haye, Gérard Ughetto et les équipes du Service médical de l’Assurance maladie, Florence Orsini, Saïd Oumeddour et la sous-direction de prévention et promotion de la santé
de l’Assurance maladie, Jean-Claude Azoulay et l’URPS Biologie Île-de-France (IDF), Boris Loquet,
Jean-Marc Dubertrand et l’URPS Biologie Paca, les présidents et présidentes, ainsi que les techniciens
et techniciennes d’études cliniques des Corevih Paca-Est, IDF Sud, IDF Nord, IDF Centre et IDF Ouest, Christophe Caissotti (Corevih Paca-Est), Frédéric Goyet, Corinne Chouraqui (Agence régionale de santé Île-de-France), Anne Souyris (Ville de Paris).

Soumis le 15.07.2020 // Date of submission: 07.15.2020
Mots-clés : VIH | Dépistage | Laboratoire de biologie médicale | Expérimentation
Keywords: HIV | Testing | Medical laboratory | Experiment

Résumé

Le dépistage est le maillon faible de la cascade du VIH en France. Malgré de nouvelles recommandations et une diversification de l’offre, l’accroissement du volume de tests ne suffit pas à réduire rapidement le délai entre infection et diagnostic.

Depuis le 1er juillet 2019, le programme « Au labo sans ordo » (ALSO) propose un dépistage du VIH sans ordonnance et sans frais dans tous les laboratoires de biologie médicale de ville de Paris et des Alpes-Maritimes. Son objectif est d’améliorer l’accessibilité du test en complément des offres existantes. L’expérimentation est adossée à un dispositif d’évaluation multidimensionnel. Cet article décrit sa mise en œuvre et les résultats des six premiers mois en termes de recours à l’offre et d’impact sur l’activité globale de dépistage du VIH dans les deux départements.

Pour le premier semestre, les tests ALSO représentent 8% de l’ensemble des tests faits en laboratoire : à Paris 15 583 tests ALSO pour 175 938 tests prescrits dans 157 laboratoires et, dans les Alpes-Maritimes, 4 853 tests ALSO pour 54 082 tests prescrits dans 106 laboratoires.

La comparaison entre le second semestre 2019 et le second semestre 2018 indique une augmentation nette du volume de tests remboursés par l’Assurance maladie aux laboratoires. Les informations recueillies auprès des CeGIDD (Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic) n’indiquent pas de déplacement de leurs usagers vers ALSO. Les taux de tests ALSO positifs au VIH (3,0 et 2,3 pour 1 000 respectivement à Paris et dans les Alpes-Maritimes se situent entre ceux des tests prescrits (2,0 et 1,6 pour 1 000) et ceux des CeGIDD (5,7 et 5,4 pour 1 000).

Ces résultats intermédiaires encourageants ont conduit à prolonger l’expérimentation jusqu’à la fin de l’année 2020 compte tenu de la crise du Covid-19.

Abstract

Testing is the main gap in the HIV continuum of care in France. Despite new guidelines and diversified HIV testing services, the total number of tests does not increase quickly enough to rapidly reduce the interval between infection and diagnosis.

Since July 1st, 2019, the ALSO program offers a free HIV testing solution, without prescription, in any walk-in medical laboratory in Paris and the Alpes-Maritimes. It aims at improving access to HIV testing in addition to existing offers. The experimentation is backed by a multidimensional evaluation system. This article describes its implementation and the results of the first semester in terms of use and impact on the overall HIV testing activity in both regions.

For the first six months of the experimentation, ALSO tests represent 8% of all the tests carried out in walk-in medical labs: in Paris 15,583 ALSO tests vs 175,938 prescription tests in 157 laboratories, in the Alpes-Maritimes 4,853 ALSO tests vs 54,082 prescription tests in 106 laboratories.

The comparison between the second half of 2019 and the second half of 2020 shows a net increase in the volume of tests reimbursed by the national health insurance system. The information collected from public sexually transmitted infection (STI) clinics does not indicate any movement of their users to ALSO. The HIV positivity rates among ALSO tests (3.0 and 2.3/1,000 tests) are between those of prescription tests (2.0 and 1.6/1,000 tests) and those of public STI clinics (5.7 and 5.4/1,000 tests).

Those encouraging interim results have led to the extension of the experiment until the end of 2020,
in the Covid-19 crisis context.

Introduction

Cet article porte sur le premier semestre de l’expérimentation « Au labo sans ordo » (ALSO) déployée à Paris et dans les Alpes-Maritimes dans le cadre des programmes visant la fin de la transmission du VIH en 2030 dans les conditions de la Déclaration de Paris du 1er décembre 2014 (1).

Les collectivités territoriales ont engagé un cycle de mobilisation contre l’épidémie d’infection à VIH fondé sur l’engagement des instances politiques élues, la reconnaissance du paradigme de la prévention diversifiée et l’adaptation de la riposte aux contextes locaux ainsi qu’aux besoins des populations et des minorités particulièrement touchées par le VIH. Deux plateformes ont été créées en 2016 pour porter ces programmes en lien étroit avec les acteurs locaux : « Vers Paris sans sida » (VPSS) et « Objectif sida zéro : Nice et les Alpes-Maritimes s’engagent ! » (OSZ).

Le dépistage est le pas d’entrée dans les soins et demeure en France, malgré les progrès en termes de recommandations et de diversification de l’offre, le maillon faible de la cascade du VIH. Au plan national, en 2016, on estimait que 86% des personnes séropositives étaient diagnostiquées (2), mais la proportion de personnes diagnostiquées avec une infection avancée (<200 CD4/mL ou sida) était encore de 28% en 2018 1 et le délai entre infection et diagnostic médian était estimé pour la période 2014-2018 à 3,6 ans (3).

La France dispose d’une offre de dépistage large et diversifiée 2 : les laboratoires de ville (76% des sérologies VIH et 36% des sérologies positives), les Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD : 6 à 7% des tests et 10% des sérologies positives) et les interventions hors les murs par test rapide d’orientation diagnostique (TROD : 1% du total des tests et un taux de tests positifs de 8,4 pour 1 000). La mise sur le marché en septembre 2015 d’un autotest VIH sans ordonnance en pharmacie a contribué à compléter cette offre.

Le volume de sérologies VIH, évalué à 5,8 millions en 2018 3, est insuffisant au regard des besoins et des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) d’un dépistage au moins une fois dans la vie, tous les trois mois pour les hommes qui ont des rapports avec les hommes (HSH) et les personnes transgenres, et tous les ans pour les autres populations les plus exposées, notamment les migrants originaires d’Afrique subsaharienne 4. Dans les faits, seuls 53% des HSH ayant répondu à l’Enquête rapport au sexe (ERAS) menée par Santé publique France en février 2017 avaient réalisé un test au cours des 12 derniers mois (deux tests en médiane) et 17% déclaraient n’avoir jamais fait de test 5. Du côté des populations originaires d’Afrique subsaharienne d’Île-de-France, lors de l’enquête AfroBaromètre 2016, parmi les 797 hommes prélevés, sur deux hommes trouvés positifs, plus d’un ne connaissait pas sa séropositivité 6.

Pour réduire plus fortement le nombre de personnes séropositives ignorant leur statut et appliquer les recommandations de fréquence de dépistage, il est nécessaire d’augmenter la couverture en dépistage des populations clés (HSH et migrants) de 1,8 million de tests par an, si on considère un nombre de personnes non diagnostiquées estimé à 18 000 en 2016 et un taux de personnes positives au VIH de 1% 6.

La capacité des dispositifs dédiés existants à absorber ce volume important de tests supplémentaires est limitée : les CeGIDD, comme les associations, font face à des contraintes structurelles, notamment budgétaires, qui ne leur permettent pas d’accroître beaucoup leur amplitude d’ouverture horaire ou le nombre de leurs interventions hors les murs ; quant aux médecins de ville, leur implication est importante mais une mobilisation accrue nécessiterait des mesures incitatives telles qu’elles existent dans le cadre de l’Assurance maladie : reconnaissance du dépistage comme ouvrant droit pour le praticien à une rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), consultation de dépistage reconnue comme acte complexe avec une rémunération augmentée, ou encore reconnaissance comme acte fléché offrant la possibilité de proposer d’autres dépistages 3.

Contexte épidémiologique, offre de dépistage et rationnel du programme ALSO

Le contexte épidémiologique et l’évaluation des capacités de dépistage à Paris et dans les Alpes-Maritimes ont conduit à proposer une offre complémentaire, basée sur une accessibilité accrue par la proximité, la simplicité et la gratuité : une sérologie VIH prise en charge à 100% par l’Assurance maladie sans prescription médicale dans les laboratoires de biologie médicale, le programme ALSO.

La proportion de nouveaux diagnostics pour 100 000 habitants est deux fois plus élevée à Paris que dans le reste de l’Île-de-France. À Paris, plus de 9 nouvelles infections sur 10 concernent des HSH et/ou des personnes nées à l’étranger 2. Le département des Alpes-Maritimes est le plus touché de la région Paca, et 70% des nouveaux diagnostiqués sont des HSH 7. Les deux départements sont donc des aires géographiques dans lesquelles l’épidémie VIH est plus forte qu’ailleurs dans l’Hexagone et au sein même de leur région. Si le délai médian au diagnostic était plus bas à Paris que dans le reste du pays, avec une estimation pour les HSH de 2,1 ans (vs 2,7 au plan national), il ne différait que très peu pour les populations nées en Afrique subsaharienne : 2,7 vs 2,8 pour les femmes et 3,8 vs 4,2 pour les hommes 8.

D’après les estimations de la population non diagnostiquée dans les groupes les plus exposés (1 700 HSH et 1 200 hommes et femmes nés en Afrique subsaharienne) et sur la base d’un taux moyen de tests positifs de 1% (observé dans les opérations de dépistage communautaire), ce sont environ 300 000 tests supplémentaires à Paris et près de 60 000 dans les Alpes-Maritimes (estimés sur la base de la part de la population de 31% à 42% selon les groupes des 1 600 personnes non diagnostiquées dans la région Paca et d’un taux de découverte de 1%) qui devraient être réalisés parmi les HSH et les personnes nées à l’étranger pour réduire drastiquement les délais au diagnostic.

Paris dispose d’une offre de dépistage publique et gratuite importante (11 CeGIDD répartis sur 13 sites) et les Alpes-Maritimes de deux CeGIDD et trois antennes. Dans les deux départements, les associations communautaires interviennent pour offrir un dépistage rapide sur des sites ouverts ou fermés fréquentés par les populations clés. Dans les deux départements, l’offre de biologie médicale en ville est forte : 106 laboratoires dans les Alpes-Maritimes et 157 à Paris.

L’expérimentation, prévue initialement pour un an du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020, a été conçue pour être aisément pérennisée ou étendue à d’autres régions si elle s’avère efficace et pertinente : elle ne crée pas de dispositifs nouveaux et s’inscrit dans les pratiques usuelles des laboratoires pour ce qui a trait aux actes de prélèvement et d’analyse, aux pratiques de gestion des données et de rémunération des laboratoires, à la procédure existante pour les actes sans prescription et aux habitudes des usagers qui se présentent au guichet du laboratoire avec leur attestation de droits à la Sécurité sociale ou à l’AME. Le seul dispositif supplémentaire est le service dédié d’aide à l’orientation des personnes séropositives vers une prise en soin rapide, appelé « navigation » (cf. infra).

L’évaluation porte sur l’utilisation de l’offre ALSO, le volume d’activité, le profil des usagers, la capacité du dispositif à attirer des personnes séropositives et à les orienter vers le soin, et enfin sur une estimation de ses coûts afin de la comparer aux autres offres de dépistage. Le programme d’évaluation dans son ensemble doit permettre d’informer la décision publique sur la pertinence et les conditions de succès d’une éventuelle extension nationale. L’objectif de l’offre ALSO était d’augmenter de 15% sur 12 mois le volume des tests en laboratoire tel que rapportée par LaboVIH, soit 50 000 tests à Paris et 15 000 dans les Alpes-Maritimes, avec une estimation de 255 tests positifs à Paris et 42 dans les Alpes-Maritimes, estimation basée sur une moyenne non pondérée des taux de positivité en laboratoire et en CeGIDD en 2017.

Méthodes

La mise en place et le fonctionnement du programme

Dans sa gouvernance, ALSO est un projet partenarial associant deux caisses de Sécurité sociale,
deux municipalités, deux départements, les Agences régionales de santé (ARS), les représentants des professionnels de la biologie médicale (Union régionale des professionnels de santé biologie) et les deux plateformes locales VPSS et OSZ.

L’offre ALSO a été mise en place dans les laboratoires en lien avec l’URPS de chaque département et les biologistes référents des groupements de laboratoires. Chaque laboratoire a reçu l’ensemble des procédures spécifiques à ALSO pour l’accueil des personnes, l’orientation selon leur situation en termes de couverture maladie, âge, résultat du test, relation souhaitée ou non avec le médecin traitant, ainsi que pour l’information à afficher dans les locaux et la gestion administrative des remboursements. Une formation au counseling assurée par le Corevih Paca-Est a été proposée aux biologistes volontaires dans les Alpes-Maritimes. Une ligne d’appel est également disponible pour répondre aux questions des biologistes.

La personne qui se présente dans un laboratoire pour faire un test dans le cadre de l’offre ALSO fait l’objet de la même prise en charge qu’un patient qui se présenterait pour un dépistage du VIH avec une prescription médicale. La génération par l’Assurance maladie d’un code prescripteur spécifique permet la facturation des tests au prix de la nomenclature. À Paris, à la demande de la Ville, l’ARS Île-de-France prend en charge le coût pour les personnes ne disposant pas de droits ouverts à l’Assurance maladie. Dans les Alpes-Maritimes, ces personnes sont réorientées vers les CeGIDD ou un centre de planification et d’éducation familiale (CPEF).

Au moment de son enregistrement, la personne indique si elle souhaite que son médecin traitant reçoive une copie des résultats. Un résultat négatif est rendu selon les modalités ordinaires de chaque laboratoire, souvent désormais par un serveur de résultats. Dans ce cas, le compte rendu d’analyse comporte un texte sur les conditions de validité du test Elisa, les recommandations de répétition du test, et rappelle l’intérêt de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), du traitement préventif d’urgence et de la protection par le préservatif. Quand le test est positif, la personne est appelée par le biologiste pour lui proposer de venir au laboratoire et l’annonce de séropositivité est faite en face à face, en lien ou non avec le médecin traitant selon le choix du patient. Les biologistes ne disposant pas tous en routine d’un réseau de correspondants dans les services spécialisés VIH, un service de « navigation » a été créé pour une prise en soin rapide. Une plateforme téléphonique réservée à l’usage des biologistes leur permet de contacter des navigateurs, missionnés parmi les Attachés de recherche clinique et Techniciens d’études cliniques des Corevih Paca-Est et de quatre Corevih franciliens, pour organiser la prise d’un premier rendez-vous auprès d’un médecin référent pour le VIH dans un délai maximal de 48 heures. Ces navigateurs s’appuient sur un répertoire exhaustif des services spécialisés de la région et de leurs modalités de prise d’un premier rendez-vous pour une séropositivité nouvellement découverte. Le biologiste propose cette option et, si le patient l’accepte, l’offre de prise de rendez-vous. Puis le navigateur informe le patient des différents lieux possibles pour sa prise en charge, organise la première consultation selon ses préférences et s’assure du lien effectif au soin.

La promotion d’ALSO s’appuie sur une communication locale, continue, multi-support, adressée de façon différenciée aux diverses composantes des populations les plus exposées et à la population générale pour lancer l’offre puis assurer un bruit de fond. La communication a été axée sur la simplicité et l’accessibilité : « Sans frais, sans ordonnance, sans rendez-vous. Faire le dépistage du VIH n’a jamais été aussi facile ». Le plan média a associé de l’affichage grand-public et une communication ciblée via les réseaux sociaux et la presse communautaire pour les populations clés. En complément, un kit de communication composé d’affiches, vitrophanie et dépliants a été remis à chaque laboratoire pour une communication sur site incitant à faire un test à l’occasion d’autres examens. L’Assurance maladie des Alpes-Maritimes a diffusé directement l’information sur l’offre auprès des assurés et des médecins généralistes du département.

Mesure de l’activité

La mesure de l’activité repose sur plusieurs sources d’information. D’une part, les laboratoires déclarent, via une plateforme numérique dédiée, les nombres mensuels de tests ALSO, de tests prescrits, de tests non prescrits et payés par les personnes et les volumes de résultats positifs correspondants. D’autre part, sur la base du DCIR (Datamart de consommation interrégime) qui agrège l’ensemble des données individuelles de consommation de soins, l’Assurance maladie documente le nombre de tests remboursés par l’Assurance maladie, prescrits et ALSO. Cette statistique est établie en fonction de l’implantation géographique des laboratoires, quelle que soit la caisse d’affiliation et de domicile des assurés. Elle fournit aussi la répartition par âge, sexe, département de résidence, modalité d’affiliation (régime de base, couverture maladie universelle (CMU), aide médicale d’État (AME)). Pour l’Île-de-France, l’ARS communique en plus le nombre de tests payés aux laboratoires pour les non-assurés sociaux à mesure qu’ils adressent leurs factures à l’agence. Enfin, les nombres de tests VIH réalisés (Elisa et TROD) et de tests positifs sont collectés auprès des CeGIDD volontaires. Les données de l’Assurance maladie et des CeGIDD (pour Paris, 7 centres sur 11 ont participé) ont été documentées pour le deuxième semestre 2018 aux fins de comparaison.

Résultats des six premiers mois d’expérimentation

Volume et rythme du recours à ALSO

La participation des laboratoires à la documentation mensuelle de l’activité a été forte dans les deux départements : exhaustive dans les Alpes-Maritimes et selon les mois de 141 à 152 sur 157 à Paris (dont 138 avec une série complète). Les deux CeGIDD des Alpes-Maritimes et 7 des 11 CeGIDD parisiens ont rapporté leur activité.

Au total, 15 583 tests ALSO (incluant les tests pour les personnes non assurées) ont été réalisés à Paris et 4 853 dans les Alpes-Maritimes quand, dans le même temps, 175 938 et 54 082 tests étaient réalisés sur prescription dans chaque département respectivement. Les tests ALSO représentent la même proportion de l’ensemble des tests réalisés en laboratoire dans les deux départements : 8% (tableau 1) ; les tests payés moins de 1% (80 dans les Alpes-Maritimes et 1 372 à Paris).

Tableau 1 : Nombre de tests ALSO, de tests prescrits et de tests en CeGIDD au 2e semestre 2019, à Paris et dans les Alpes-Maritimes
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Le niveau mensuel des tests ALSO a très peu varié au cours du semestre (autour de 2 600 à Paris et de 800 tests dans les Alpes-Maritimes), alors que les tests prescrits fluctuent, avec notamment une baisse
en août puis en novembre et décembre dans les deux départements (figure 1).

Figure 1 : Nombre mensuel de tests ALSO et de tests prescrits, à Paris et dans les Alpes-Maritimes,
2e semestre 2019
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Les bases DCIR arrêtées en février 2020 montrent des nombres de tests plus bas que ceux déclarés par les laboratoires, tant pour les tests prescrits que pour les tests ALSO. L’écart est particulièrement important à Paris, de l’ordre de 50 000 tests prescrits et de 3 000 tests ALSO (tableau 2). Ces différences peuvent résulter des délais de mise à jour des bases de l’Assurance maladie qui agrègent un grand nombre de caisses et de régimes différents au cours du temps. Diverses analyses sont en cours sur les délais de mise à jour et les méthodes d’extraction des données de l’Assurance maladie et au niveau des laboratoires pour comprendre ces différences.

Tableau 2 : Nombre de tests ALSO et de tests prescrits réalisés dans les laboratoires situés à Paris et dans les Alpes-Maritimes au 2e semestre 2019
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Comparaison entre le deuxième semestre 2019 et le deuxième semestre 2018

Au deuxième semestre 2019 par rapport à 2018, sur la base des données DCIR, le volume des tests prescrits a augmenté à Paris de 6,3% alors qu’une baisse de 5% est observée parmi les tests prescrits dans les Alpes-Maritimes. La contribution d’ALSO amène une augmentation globale des tests réalisés en laboratoire de 16,8% à Paris et de 3,7% dans les Alpes-Maritimes (tableau 3).

Tableau 3 : Évolution du dépistage au 2e semestre 2019 par rapport au 2e semestre 2018, à Paris
et dans les Alpes-Maritimes. Source Datamart de consommation inter-régime (DCIR)
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Dans le même temps, l’activité de dépistage VIH est restée stable dans les sept CeGIDD parisiens participants, passant de 18 431 à 18 736, et a baissé de 14% dans les Alpes-Maritimes (de 2 598 à 2 235), un résultat en partie attribuable à la fermeture d’un CeGIDD pour déménagement.

Taux de séropositivité

Au deuxième semestre 2019, le nombre de tests ALSO positifs rapporté par les laboratoires a été de 46 à Paris et 11 dans les Alpes-Maritimes, de 349 et 89 parmi les tests prescrits, tandis que les CeGIDD en comptaient 107 et 12. Exprimés pour 1 000 tests, les taux de positivité étaient respectivement, à Paris et dans les Alpes-Maritimes, de 3,0 et 2,3 pour les tests ALSO, de 2,0 et 1,6 pour les tests prescrits et de 5,7 et 5,4 pour les tests en CeGIDD. Ces taux présentaient, à Paris, des différences significatives entre les offres, et seulement entre ALSO et CeGIDD dans les Alpes-Maritimes (tableau 1).

Discussion et conclusion

L’offre de dépistage ALSO a été utilisée d’emblée et de façon stable sur la période de six mois alors que le nombre de tests prescrits fluctuait, ce qui évoque une demande spontanée différente de celle qui passe par la prescription médicale. Cette nouvelle offre a contribué à une augmentation nette du dépistage du VIH en laboratoire dans les deux départements : de l’ordre de 20 000 tests à Paris (+16,8%) et 2 000 dans les Alpes-Maritimes (+3,7%). À Paris, cette augmentation est concomitante d’une augmentation du dépistage prescrit (+6,3%) et d’une stabilité du dépistage en CeGIDD, évolutions qui à ce stade ne vont pas dans le sens d’un phénomène de substitution d’ALSO. Dans les Alpes-Maritimes, la baisse de la prescription (5%) et la diminution de l’activité des CeGIDD, due en partie à des causes matérielles, sont compensées par l’offre ALSO. Cependant, l’objectif des volumes de tests ALSO (fixé à 50 000 pour Paris et à 15 000 pour les Alpes-Maritimes en année pleine), ramené à un objectif semestriel, n’est atteint qu’à un peu plus de 60% (62% et 64% respectivement).

Dans chaque département, les taux de positivité au VIH des tests ALSO se situent entre les taux des tests prescrits et ceux des CeGIDD. Toutefois le nombre de tests positifs est inférieur à l’objectif fixé a priori, calculé sur la base de la moyenne entre le taux de positifs en laboratoires et en CeGIDD. La description des usagers ALSO, majoritairement hétérosexuels nés en France, qui n’étaient pas la cible prioritaire du programme ALSO, explique en partie ce résultat (voir l’article de K. Champenois et coll. dans ce numéro). Il est également possible que la taille de la population non diagnostiquée ait baissé par rapport au moment de l’élaboration du programme 9. La description des personnes positives dépistées par ALSO sera établie à l’issue de l’évaluation quand l’information sur les caractéristiques cliniques et biologiques aura été collectée auprès des cliniciens. Une étude des cas de séropositivité est également en cours auprès des laboratoires pour identifier les nouvelles découvertes sur la base du dossier patient, et ainsi comparer les taux de découvertes de séropositivité entre dépistage prescrit et dépistage ALSO.

Un des effets envisagés était que l’offre ALSO produise un déplacement des usagers du dépistage des offres existantes (CeGIDD et dépistage sur prescription) vers l’offre ALSO, plus proche et plus simple d’accès, réduisant ainsi l’effet attendu d’accroissement du dépistage. À Paris, l’augmentation du dépistage prescrit et la stabilité des tests en CeGIDD n’étayent pas cette hypothèse. Les deux études auprès des usagers, la première en novembre 2019 et la seconde prévue en novembre 2020, à la suite de la prolongation de l’expérimentation, apporteront un éclairage sur l’évolution des profils d’usagers au cours du temps et les modalités d’utilisation du dispositif de dépistage (voir l’article de K. Champenois et coll. dans ce numéro).

En conclusion, l’offre ALSO a trouvé d’emblée son public, avec un volume mensuel de tests constant au cours du premier semestre. L’augmentation nette du dépistage en laboratoire et la stabilité de l’activité en CeGIDD ne soutiennent pas l’existence d’un phénomène de substitution entre les offres. La baisse des tests prescrits entre 2018 et 2019 dans les Alpes-Maritimes sera étudiée à partir des informations du DCIR.

Ces premiers résultats sont encourageants quant à l’intérêt de compléter le dispositif de dépistage. Ce succès tient au partenariat entre les institutions, très étroit dans chaque département, à travers un comité de pilotage commun.

En raison de la crise sanitaire du Covid-19, nous ne disposons pas pour le 1er semestre 2020 de résultats sur la performance du programme ALSO dans la durée. C’est pourquoi l’Assurance maladie a accepté, à la demande des partenaires, de reconduire l’expérimentation et son dispositif d’évaluation jusqu’en décembre 2020. Cette prolongation sera d’autant plus utile que la crise a fortement impacté l’offre de dépistage et le volume des tests avec une baisse d’environ 400 000 tests entre le 1er janvier et le 17 mai 2020 (source Epi-Phare). L’ensemble des informations collectées permettra ainsi d’évaluer comment se redresse le pilier majeur de la prévention combinée qu’est le dépistage.

Remerciements

Les coûts de l’expérimentation sont supportés par les partenaires, les tests par l’Assurance maladie, la communication par les collectivités territoriales partenaires, les plateformes OSZ et VPSS et l’ARS Paca, la recherche évaluative par l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), Santé publique France et les ARS Île-de-France et Paca. Nous remercions les médecins et pharmaciens biologistes pour leur implication dans l’expérimentation ALSO et son évaluation.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Cazein F, Sommen C, Pillonel J, Bruyan M, Ramus C, Pichon P, et al. Activité de dépistage du VIH et circonstances de découverte de l’infection à VIH, France 2018. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(31-32):615-24. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/31-32/2019_31-32_1.html
2 Cazein F, Le Strat Y, Sarr A, Ramus C, Bouche N, Comboroure JC, et al. Dépistage de l’infection par le VIH en France. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(29-30):601-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2017/29-30/2017_29-30_2.html
3 Santé publique France. Surveillance de l’infection à VIH (dépistage et déclaration obligatoire), 2010-2017. Bulletin de santé publique-Édition nationale. Mars 2019. 6 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/vih-sida/documents/bulletin-national/bulletin-de-sante-publique-infection-a-vih.-mars-2019
4 Haute Autorité de santé. Réévaluation de la stratégie de dépistage de l’infection à VIH en France. Synthèse, conclusions et recommandations. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2017. 41 p. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2024411/fr/reevaluation-de-la-strategie-de-depistage-de-l-infection-a-vih-en-france
5 Velter A, Duchesne L, Lydié N. Pourquoi l’épidémie du VIH se poursuit-elle parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) en France ? AFRAVIH – 9e Conférence internationale francophone VIH/hépatites; 4-7 avril 2018, Bordeaux, France.
6 Afrique Avenir. Rapport d’activité 2017. Programme ZAC (Prévention sida, IST et hépatites auprès des populations d’origine africaine et caribéenne en France). Paris: Afrique Avenir; 2018. https://www.afriqueavenir.fr/
wp-content/uploads/2019/02/RA-AFRIQUE-AVENIR-2017.pdf
7 Santé publique France. Cire Provence-Alpes-Côte d’Azur Corse. Bulletin de veille sanitaire VIH-Sida, n° 25, décembre 2017. https://www.santepubliquefrance.fr/regions/provence-alpes-cote-d-azur-et-corse/documents/bulletin-regional/2017/bulle​tin-de-veille-sanitaire-paca-corse.-n-25-decembre-2017
8 Marty L, Cazein F, Panjo H, Pillonel J, Costagliola D, Supervie V; HERMETIC Study Group. Revealing geographical and population heterogeneity in HIV incidence, undiagnosed HIV prevalence and time to diagnosis to improve prevention and care: Estimates for France. J Int AIDS Soc. 2018;21(3):e25100.
9 Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Epidémiologie de l’infection VIH en France – 2013-2018. Tendances et contribution de la prévention combinée (dépistage, traitement antirétroviral des PVVIH, prévention par le préservatif et la PrEP). Paris: ANRS; 2020. http://www.anrs.fr/sites/default/files/2020-07/epidemilogie-infection-vih-france-2013-2018.pdf

Citer cet article

Lert F, Bouvet de la Maisonneuve P, Ngoh P, Touitou I, Valbousquet J, Le Hô E et al. ; le Groupe ALSO. « Au labo sans ordo » : une expérimentation pour étendre l’offre de dépistage du VIH à Paris et dans les Alpes-Maritimes. Résultats intermédiaires à 6 mois, juillet-décembre 2019. Bull Epidémiol Hebd. 2020(33-34):650-6. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/33-34/2020_33-34_1.html

(2) Marty L, Cazein F, Lot F, Costagliola D, Supervie V. Estimation des paramètres de l’épidémie VIH en 2016. Communication personnelle non publiée. 2018
(3) Marty L, Sow A, Cazein F,
Lot F, Costagliola D, Supervie V. Estimations incidence, délai,
et infections non diagnostiquées. Communication personnelle non publiée. 2020.