Tentatives de suicide, pensées suicidaires et usages de substances psychoactives chez les adolescents français de 17 ans. Premiers résultats de l’enquête Escapad 2017 et évolutions depuis 2011

// Suicide attempts, suicidal thoughts and use of psychoactive substances among 17-year-old French adolescents. First results of the ESCAPAD 2017 survey and changes since 2011

Eric Janssen1 (eric.janssen@ofdt.fr), Stanislas Spilka1,2, Enguerrand du Roscoät3,4
1 Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), La Plaine Saint-Denis, France
2 CESP, Faculté de médecine, Université Paris Sud, Faculté de médecine UVSQ, Inserm, Université Paris-Saclay, Villejuif, France
3 Santé publique France, Saint-Maurice, France
4 Laboratoire parisien de psychologie sociale (Lapps), EA 4386, Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, France
Soumis le 20.09.2018 // Date of submission: 09.20.2018
Mots-clés : Adolescents | Enquête | Tentatives de suicide | Pensées suicidaires | Substances psychoactives
Keywords: Adolescents | Survey | Suicide attempts | Suicidal ideations | Psychoactive substances

Résumé

Introduction –

L’enquête Escapad (Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense) est réalisée régulièrement depuis 2000 par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT). Les résultats permettent d’offrir un point précis sur les comportements suicidaires et les principaux facteurs associés en 2017, et d’en suivre les évolutions au cours des dix dernières années.

Méthodes –

Le neuvième exercice de l’enquête Escapad, menée par l’OFDT lors de la Journée défense et citoyenneté, s’est déroulé en mars 2017 auprès de 39 115 adolescents français de métropole âgés de 17 ans.

Résultats –

En 2017, près de 3% des adolescents de 17 ans déclaraient avoir fait au cours de leur vie une tentative de suicide ayant nécessité une hospitalisation, et plus d’un jeune sur dix déclarait avoir pensé au moins une fois au suicide au cours des 12 mois précédant l’enquête. La comparaison avec les éditions précédentes de l’enquête (2011 et 2014) révèle une augmentation significative des tentatives de suicide et pensées suicidaires déclarées chez les filles entre 2011 et 2017. La variable la plus fortement associée à la déclaration de pensées suicidaires et de tentatives de suicide est le fait de présenter un risque élevé de dépression. Après contrôle sur le sexe, la situation scolaire, la structure familiale, le risque de dépression et la catégorie socioprofessionnelle des parents, les résultats soulignent un lien fort entre tentative de suicide et usages de substances psychoactives, en particulier l’usage de substances illicites autres que le cannabis chez les garçons et l’usage quotidien de tabac chez les filles.

Conclusion –

Nos données suggèrent que les usages de substances psychoactives pourraient être utilisés comme des indicateurs potentiels pour le repérage d’un risque accru de conduites suicidaires. Ils confirment également l’importance d’une prise en charge précoce des troubles dépressifs chez les adolescents afin d’en réduire l’impact, en particulier sur les passages à l’acte suicidaire.

Abstract

Introduction –

The ESCAPAD survey (Health and Consumption Survey during the Defence Preparation Appeal) has been conducted regularly since 2000 by the French Observatory of Drugs and Drug Addiction (OFDT). The results provide a clear focus on suicidal behaviours and key factors in 2017 and track trends over the last ten years.

Methods –

The ninth round of the ESCAPAD survey took place in March 2017 with 39,115 French adolescents aged 17.

Results –

In 2017, almost 3% of adolescents aged 17 reported lifetime suicide attempt leading to hospitalization, and more than one in ten reported having thought about suicide at least once in the 12 months prior to the survey. Comparisons with previous editions of the survey (2011 and 2014) indicate a significant increase in suicide attempts and suicidal ideations reported among girls between 2011 and 2017. The variable the most strongly associated with the reporting of suicide attempts and suicidal ideations is the high risk of depression. After controlling for gender, school situation, family structure, risk of depression and parental socioeconomic status, the results highlight a strong link between suicide attempts and the consumption of psychoactive substances, in particular the use of illicit drugs other than cannabis among boys and daily smoking among girls.

Conclusion –

Our data suggest that the consumption of psychoactive substances could be used as potential indicators for identifying an increased risk of suicidal behaviors. They also confirm the importance of early management of depressive disorders in adolescents, in order to reduce their impact, particularly on suicidal behaviors.

Introduction

En France, comme à l’international, le suicide demeure la deuxième cause de décès parmi les jeunes de 15-24 ans 1. Les données issues du programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie et obstétrique (PMSI-MCO) confirment l’importance des tentatives de suicide (TS) chez les jeunes, avec des taux standardisés annuels d’hospitalisation pour TS particulièrement élevés chez les filles de 15 à 19 ans (en moyenne 39 pour 10 000, contre des taux inférieurs à 20 pour 10 000 dans le reste de la population 2). Ces données confortent l’inscription de la prévention des conduites suicidaires comme une priorité de santé publique chez les adolescents.

Les données collectées dans les bases médico-administratives constituent en France le socle de la connaissance épidémiologique des conduites suicidaires. Cependant, ces bases de données ne permettent pas d’appréhender la globalité des conduites suicidaires. D’une part, elles n’enregistrent que les décès ou les TS ayant entrainé un passage aux urgences ou une hospitalisation ; d’autre part, elles ne renseignent que très peu les facteurs associés (âge, sexe, département et éventuellement comorbidité psychiatrique). Les enquêtes conduites en population générale adolescente constituent donc un complément indispensable, en ce qu’elles permettent de mieux caractériser les populations les plus vulnérables et d’investiguer une large gamme de facteurs associés sur lesquels intervenir dans une démarche de prévention et de promotion de la santé.

L’étude des comportements suicidaires dans les enquêtes déclaratives s’appuie essentiellement sur deux indicateurs : les tentatives de suicide (TS) et les pensées suicidaires (PS) déclarées. Les PS sont généralement un préalable au passage à l’acte, observé plus fréquemment parmi ceux les ayant déclarées 3,4. Les facteurs associés à ces comportements sont multiples. Au-delà des antécédents de TS et des troubles psychologiques, en particulier les troubles dépressifs, qui constituent des facteurs de risque majeurs de TS et de décès par suicide, les déterminants des conduites suicidaires impliquent des facteurs biologiques 5, psychologiques 6, sociaux 7, culturels 8, économiques et historiques 9. Des évènements générateurs d’angoisse, tels que les séparations, le divorce ou le décès de proches, ainsi que des bouleversements dans la vie professionnelle, sont associés aux PS 10 et aux TS 11. Les conditions de vie auraient un effet indirect sur les PS et les TS par l’intermédiaire des évènements biographiques qu’elles génèrent, de l’exposition au stress et de leurs effets négatifs sur la santé mentale des individus 12,13. Chômage, instabilité professionnelle et précarité 10,14, ainsi que des environnements familiaux dégradés (faiblesse des liens, absence de cohésion, de support, violences…) sont reconnus pour accroître les risques de PS et de TS 15,16.

Enfin, de nombreuses études se sont penchées sur les liens entre comportements suicidaires et usage de substances psychoactives 14,17,18,19,20. Ainsi, dans leur méta-analyse portant sur les pensées suicidaires et l’usage de substances psychoactives, Poorolajal et coll. ont référencé plus de 12 000 articles portant sur cette problématique, avec en conclusion le constat d’une très grande hétérogénéité des problématiques, des populations observées et des méthodes appliquées 21. L’ensemble des propositions peut se décliner de la manière présentée dans la figure ci-après 3, même si sa validité en population adolescente reste à confirmer.

Figure : Associations entre tentatives de suicide, pensées suicidaires, santé mentale, conditions de vie et usages de substances psychoactives (adapté de Zhang et Wu)
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Matériel et méthode

Les septième, huitième et neuvième exercices de l’enquête Escapad, menés au niveau national avec le soutien de la Direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) lors de la Journée défense et citoyenneté (JDC), se sont déroulés au cours des mois de mars 2011, 2014 et 2017 dans tous les centres JDC en France (y compris ceux des DOM) et ont concerné tous les appelés présents durant cette période. En métropole, tous les adolescents de nationalité française ont répondu à un questionnaire auto-administré anonyme portant sur leur santé et leurs consommations de substances psychoactives (tabac, alcool, cannabis et autres drogues - voir encadré). Les données ont été redressées afin de garantir le sex-ratio et le poids de la population de 17 ans à l’échelle départementale. Les questionnaires non renseignés sur le sexe ou le département et ceux dont le taux de réponse total était inférieur à 50% ont été éliminés (soit 8,5% des répondants). Les analyses descriptives présentées ici portent sur des échantillons de respectivement 27 402, 22 023 et 39 115 Français métropolitains. Les filles et les garçons, à parts égales dans l’échantillon analysé, sont âgés de 17,3 ans en moyenne. Dans tous les cas, le taux de participation en France métropolitaine est supérieur à 95%.

L’enquête Escapad 2017 a reçu l’avis d’opportunité du Conseil national de l’information statistique (Cnis) et a fait l’objet d’une déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Encadré :
Les questions de l’enquête

Depuis 2011, le questionnaire comprend deux questions abordant le thème du suicide. La première, sur les tentatives de suicide, est formulée comme suit : « Au cours de votre vie, avez-vous fait une tentative de suicide qui vous a amené à l’hôpital ? », la seconde, sur les pensées suicidaires, demande : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous pensé à vous suicider ? ». Les modalités de réponse dans les deux cas sont : « non ; une seule fois ; plusieurs fois ». Les modalités de réponse « une seule fois » et « plusieurs fois » ont été regroupées, de sorte que les questions sont finalement analysées de façon binaire (oui vs non).

Les chercheurs s’accordent sur l’attention à porter à la dépression comme facteur associé aux conduites suicidaires. Dans l’enquête, le syndrome dépressif est évalué par l’Adolescent Depression Rating Scale (ADRS), échelle conçue pour détecter un syndrome dépressif chez les adolescents et en mesurer l’intensité 22. Cette échelle se base sur un ensemble de dix questions à réponses dichotomiques, c’est-à-dire auxquelles répondre par « vrai » ou « faux ». Les réponses sont cotées 0 pour une réponse négative, 1 pour une réponse affirmative, le score s’obtenant ensuite par addition de chacune des réponses. Ce score permet de classer les adolescents en trois catégories : de 0 à 2, on considère qu’il n’y a pas d’état dépressif ; de 3 à 5, l’état dépressif est jugé modéré ; de 6 à 10, l’état dépressif est sévère. Il ne s’agit nullement d’établir ici un diagnostic clinique mais de repérer et estimer la part des adolescents potentiellement dépressifs.

La corpulence a été estimée par la mesure de l’indice de masse corporelle (IMC), calculé selon la formule suivante : poids en kg/taille en m². Taille et poids sont demandés lors de tous les exercices d’Escapad. Les valeurs de référence utilisées pour interpréter les données de corpulence chez les adultes (en termes de classification) sont celles préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 23.

Dans chacun des exercices d’Escapad, il est demandé aux répondants s’ils ont redoublé une classe et, si oui, quelle(s) classe(s). Leur situation scolaire actuelle est définie par : « Si vous suivez des études, vous êtes : lycéen ou collégien ; en apprentissage ; étudiant du supérieur ». « Si vous avez arrêté vos études, vous êtes actuellement : sans activité ; en recherche d’emploi, en insertion ; vous travaillez », recodées en trois catégories : élève ou étudiant ; apprenti ; hors système scolaire.

Chaque exercice d’Escapad interroge les répondants sur les membres du ménage de résidence où ils vivent le plus souvent. Il en découle une classification des ménages en trois catégories : nucléaire (présence a minima des deux parents biologiques) ; recomposé (présence de deux parents dont l’un est autre que biologique) ; monoparental (présence d’un seul parent et d’une éventuelle fratrie) ou autre (correspondant à des adolescents en foyer par exemple).

Une variable visant à qualifier la catégorie socioprofessionnelle des parents a été créée à partir d’une combinaison des emplois de chaque parent déclarés par les répondants. Elle s’appuie sur la typologie en neuf catégories de l’Insee (1. Cadres, professions libérales et supérieures ; 2. Chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus ; 3. Artisans, chef d’entreprise de moins de 10 salariés ; 4. Agriculteurs ; 5. Professions intermédiaires ; 6. Employés ; 7. Ouvriers ; 8. Sans profession), auxquelles est ajoutée une catégorie « Non concerné ». Une fois ces emplois regroupés, il en découle une variable synthétique se déclinant en cinq catégories : Très favorisé : adolescent dont les deux parents ont des professions supérieures ; Favorisé : un seul des deux parents exerce une profession supérieure ; Intermédiaire : au mieux un parent est de profession intermédiaire ; Modeste : au mieux un parent est ouvrier ou employé ; Défavorisé : les deux parents sont sans emploi ou inactifs.

Les usages de substances ont été investigués comme suit : pour le tabac, la question posée est « Au cours des 30 derniers jours, avez-vous fumé des cigarettes (en paquet ou à rouler) ? » avec comme réponses possibles : aucune ; moins d’une fois par mois ; moins d’une fois par jour ; entre 1-5 par jour ; entre 6-10 par jour ; entre 11-20 par jour ; plus de 20 par jour, le tabac quotidien étant défini par au moins une fois par jour. Concernant l’alcool, la question posée est : « Au cours des 30 derniers jours, combien de fois avez-vous bu une boisson alcoolisée ? » et pour le cannabis : « Au cours des 30 derniers jours, avez-vous fumé du cannabis (haschich, bedo, joint, herbe, shit) ? », avec dans les deux cas comme modalités de réponse possible : 0 fois ; 1-2 fois ; 3-5 fois ; 6-9 fois ;10-19 fois ; 20-29 fois ; 30 fois ou plus. Dans les deux cas, l’usage régulier est défini comme 10 fois ou plus au cours de la période. Enfin, pour chacune des substances illicites (amphétamines, champignons hallucinogènes, cocaïne, crack, ecstasy/MDMA, héroïne, LSD) il a été demandé « Au cours des 12 derniers MOIS, avez-vous déjà pris l’un des produits suivants ? ». Une réponse positive au moins entraîne la classification en usage au cours de l’année écoulée.

Les analyses descriptives de comparaison de pourcentages ont été menées avec des tests du Chi2. Une analyse multivariée (régressions logistiques stratifiées selon le genre) a ensuite été conduite afin de contrôler les effets de structure et de mettre en évidence les associations des caractéristiques retenues sur le fait de déclarer des PS au cours des 12 derniers mois ainsi qu’une TS au cours de la vie.

Résultats

Prévalences et évolutions

En 2017, plus d’un cinquième des adolescents de 17 ans présentaient un syndrome dépressif (modéré pour 16,6% et sévère pour 4,5% d’entre eux, tableau 1). Près de 3% de l’ensemble des jeunes de 17 ans déclaraient avoir fait au cours de leur vie une TS ayant entraîné une hospitalisation, et plus d’un jeune sur 10 déclarait avoir pensé au moins une fois au suicide au cours des 12 derniers mois. Le syndrome dépressif, les PS et, plus encore, les TS sont davantage le fait des filles.

Tableau 1 : Pensées suicidaires et tentatives de suicide chez les adolescents français de 17 ans (%)
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En 2017, plus d’un adolescent de 17 ans sur 10 (11,4%) déclarait avoir eu des PS au cours des 12 mois précédant l’enquête. La hausse statistiquement significative de 0,7 point par rapport à 2011 est portée par celle des jeunes filles (+1,1 point au cours de la période), l’écart noté chez les garçons n’étant pas significatif. Les différences entre sexes sont encore plus marquées en ce qui concerne les TS au cours de la vie ayant entraîné une hospitalisation, avec des évolutions au cours du temps similaires à celles des PS. Une hausse significative de la prévalence des TS entre 2011 et 2017 a ainsi été observée chez les filles seulement (+1 point, voir tableau 1).

Facteurs associés

Les analyses bivariées indiquent une association significative entre le fait de déclarer des PS et des TS chez les adolescents de 17 ans et l’ensemble des variables disponibles et mobilisées dans l’analyse (tableau 2). La dépression présente l’association la plus forte, suivie du sexe (les filles étant surreprésentées) et de la structure familiale (les adolescents vivant dans une famille nucléaire présentant des prévalences moindres que ceux issus de familles recomposées ou monoparentales). La scolarité (les adolescents non scolarisés au moment de l’enquête déclarant davantage de PS et de TS) et la catégorie socioprofessionnelle des parents présentent des associations également significatives avec les PS et les TS. Enfin, PS et TS sont associées à l’usage quotidien de tabac, à la consommation de substances illicites et, bien que dans une moindre mesure, à l’usage régulier d’alcool.

Tableau 2 : Prévalences des pensées suicidaires (PS) et des tentatives de suicide (TS) chez les adolescents de 17 ans en fonction des caractéristiques de l’échantillon (analyses bivariées)
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L’analyse multivariée conduite séparément pour les filles et les garçons (tableau 3) confirme l’association positive entre la déclaration d’une TS au cours de la vie et le fait d’avoir redoublé ou de se déclarer hors du système scolaire. Concernant les PS, l’association ne reste significative que chez les filles ayant déclaré avoir redoublé. L’analyse multivariée confirme également la forte association des TS/PS avec la dépression (estimée à l’aide de l’ADRS), aussi bien chez les filles que chez les garçons.

Tableau 3 : Facteurs associés aux tentatives de suicide (TS) ayant entraîné une hospitalisation au cours de la vie et les pensées suicidaires (PS) au cours des 12 derniers mois chez les adolescents français de 17 ans. Enquête Escapad
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L’association des TS/PS avec la structure familiale se maintient après ajustement sur les autres variables du modèle. Les adolescents issus de familles recomposées ou monoparentales (sans différence significative entre elles) déclarent davantage de PS et de TS que les adolescents issus de familles nucléaires.

L’association des TS/PS avec l’IMC est moindre et ne concerne, après ajustement, que les filles en situation de surpoids. Le lien observé entre TS et catégorie socioprofessionnelle des parents disparaît après ajustement, et l’association entre PS et catégorie socioprofessionnelle des parents ne reste significative que chez les garçons : elle va dans le sens d’un risque accru de PS chez les répondants dont la catégorie socioprofessionnelle des parents les classe dans la catégorie « très favorisé » en comparaison de l’ensemble des autres modalités de la variable.

Enfin, chez les filles, TS et PS restent fortement associées à l’usage quotidien de tabac, à l’usage d’autres substances illicites que le cannabis et, dans une moindre mesure, aux usages réguliers d’alcool.

La consommation de cannabis est associée chez les filles à la déclaration d’une TS, mais n’est plus associée, après ajustement, à la déclaration de PS. Chez les garçons, les associations entre TS et usages de substances psychoactives restent significatives pour ce qui est de la consommation quotidienne de tabac, la consommation régulière d’alcool et l’usage de drogues illicites autres que le cannabis. Les associations observées dans les analyses bivariées entre PS et usages de substances psychoactives chez les garçons ne se maintiennent pas après ajustement, à l’exception des consommations de substances illicites autres que le cannabis.

Discussion

De par sa régularité et sa puissance, l’enquête Escapad offre l’opportunité de mesurer la prévalence des pensées suicidaires et des tentatives de suicide en population adolescente et, surtout, d’en étudier les facteurs associés, plus particulièrement en termes d’usages de substances psychoactives. Cette problématique prend un relief particulier en France, où les taux de suicide des adolescents et les consommations de substances psychoactives demeurent supérieurs à la moyenne observée en Europe 18.

Les données de l’enquête Escapad indiquent que plus de 4% des filles et près de 3% des garçons de 17 ans ont déclaré en 2017 une TS suivie d’une hospitalisation au cours de leur vie, et que plus d’un jeune sur dix (deux fois plus souvent les filles) ont déclaré des PS au cours de l’année. La plus forte prévalence des TS chez les jeunes filles (en particulier entre 15 et 19 ans) est confirmée par les données hospitalières issues du PMSI-MCO 24. Ces données relatives aux hospitalisations n’appréhendent cependant qu’une partie du phénomène. En effet, selon les données Escapad 2008, seules un quart des TS déclarées au cours de la vie par les jeunes de 17 ans avaient donné lieu à une hospitalisation 18. Un résultat important de notre étude est l’augmentation significative des PS et TS entre 2011 et 2017 chez les filles. Ces résultats s’inscrivent dans la lignée des données observées en population générale qui indiquent, chez les femmes seulement, une hausse des PS et TS déclarées au cours de la vie entre 2000 et 2017 (voir l’article de C. Léon et coll. dans ce même numéro).

Selon nos analyses, la dépression se présente comme le principal facteur associé à la déclaration de PS et de TS. Les résultats soulignent la forte association entre les TS au cours de la vie et les usages de substances psychoactives, en particulier chez les filles, et ce après contrôle de l’état dépressif. De la même manière, une forte association se dégage entre la déclaration de PS et l’usage quotidien de tabac, l’usage régulier d’alcool chez les filles et l’usage de substances illicites autres que le cannabis pour les deux sexes. Plusieurs études, notamment des revues de littérature et des méta-analyses internationales, ont observé des associations similaires entre TS ou PS et l’usage quotidien de tabac 25,26 ou régulier de cannabis 27,28, la consommation d’opioïdes 29,30, de stimulants tels que la cocaïne 31, de crack 32 ou encore de MDMA 33. On notera cependant que ces études portent sur les PS et TS chez les jeunes adultes, celles s’intéressant aux adolescents étant beaucoup plus rares. Nombre d’études soulignent également le lien entre comportements suicidaires et usage d’alcool 34,35. L’enquête Escapad confirme l’importance du lien entre consommation d’alcool et TS chez les garçons (juste après les usages de substances illicites autres que le cannabis). En revanche, chez les filles, c’est l’usage quotidien de tabac qui présente l’association la plus forte avec la déclaration d’une TS au cours de la vie. Ce résultat suggère que les usages fréquents/réguliers de substances, y compris licites, peuvent être appréhendés comme des indicateurs de fragilité chez l’adolescent. Les substances psychoactives sont en effet souvent consommées pour gérer les états dépressifs et anxieux 36,37, plus particulièrement lorsque les mécanismes traditionnels pour faire face à des situations problématiques sont jugés inefficaces. Cette stratégie de gestion du stress (stress coping theory 38) est souvent associée à des évènements de vie négatifs, auxquels s’ajoutent une socialisation avec des pairs préalablement usagers ou démontrant une attitude bienveillante à l’égard de ces usages. Elle peut enfin être l’expression d’une impulsivité, élément commun aux usages et aux comportements suicidaires 3.

Parmi les autres facteurs associés, nos résultats soulignent la forte association entre TS et situation scolaire. Les répondants ayant redoublé et les jeunes non-scolarisés présentent des prévalences significativement plus élevées de TS, en particulier les filles, illustrant peut-être chez ces dernières une pression normative plus forte quant à leur réussite scolaire 39. Bien que dans une moindre mesure, la situation familiale est également associée aux PS et TS. Les répondants issus de familles monoparentales, davantage à risque de précarité financière ou d’exposition à des conditions de vie stressantes 40, présentaient des taux de PS et de TS supérieurs à ceux des répondants issus de familles nucléaires, aussi bien chez les filles que chez les garçons. Enfin, des associations ont également été observées entre surpoids et TS ou encore PS chez les filles, et entre catégorie socioprofessionnelle des parents et PS chez les garçons. Ces résultats confirment l’impact des environnements normatifs (image du corps) et des conditions socioéconomiques sur la santé mentale des jeunes. Cependant, concernant l’effet du statut socioéconomique, le sens de l’association apparaît inverse à celui attendu 41,42. Les répondants se déclarant très favorisés sont en proportion plus nombreux à déclarer des PS que ceux se déclarant favorisés, intermédiaires, modestes ou même très modestes. Cette association pourrait être le fait de variables confondues avec celle de la catégorie socioéconomique 43, telles que les croyances et représentations liées au suicide, ou encore des biais de présentation de soi ou d’acceptabilité sociale 44 qui favoriseraient davantage la déclaration de PS parmi les jeunes issus de catégories sociales élevées (la question du suicide pourrait être plus facilement abordée dans les milieux favorisés que dans d’autres milieux où les soucis matériels prédominent). Malheureusement, les variables disponibles dans cette enquête ne permettent pas de réaliser les ajustements complémentaires ou d’investiguer davantage ces hypothèses.

La principale limite de l’étude, concernant l’analyse des facteurs associés aux TS, est la divergence de temporalité entre l’indicateur de TS (mesuré au cours de la vie) et la plupart des facteurs associés, en particuliers les usages de substances, mesurés au cours des 12 derniers mois. Nous pouvons néanmoins considérer que les TS au cours de la vie sont des événements suffisamment récents chez les adolescents de 17 ans pour en étudier le lien avec des facteurs actuels ou récents au moment de l’enquête. Une autre limite est l’absence d’évaluation complète des troubles psychiatriques, l’évaluation du risque dépressif constituant l’unique indicateur de troubles au moment de l’enquête. Rappelons que cette échelle est auto-administrée et constitue un outil de détection, sans validation clinique. De surcroît, elle ne tient pas compte de la dimension d’anxiété, que les auteurs ayant validé l’échelle reconnaissent par ailleurs comme un élément intrinsèque au syndrome dépressif. Enfin, la nature transversale des données exploitées ne permet pas de préciser plus avant la nature de l’association (i.e. induire une causalité ou son sens) entre PS, TS et usages de substances.

En conclusion, la hausse observée des prévalences des TS et PS déclarées par les adolescents de 17 ans entre 2011 et 2017 conforte le caractère prioritaire des investissements à réaliser dans le champ de la prévention du suicide en direction des jeunes. Un axe d’investissement majeur, au regard de nos résultats, doit concerner le repérage et la prise en charge précoces des états dépressifs chez les adolescents afin d’en réduire les impacts, en particulier en termes de passage à l’acte suicidaire. Cet axe est repris dans la feuille de route santé mentale et psychiatrie 2018 du ministère de la Santé, qui vise à expérimenter les conditions d’un repérage et d’une prise en charge psychothérapeutique précoce remboursée au profit des jeunes en situation de « souffrance psychique », afin de prévenir l’installation et l’aggravation de troubles psychiatriques. À ce titre, nos données confirment que les usages de substances psychoactives sont des indicateurs potentiels pour le repérage d’un risque accru de conduites suicidaires.

Références

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Citer cet article

Janssen E, Stanislas S, du Roscoät E. Tentatives de suicide, pensées suicidaires et usages de substances psychoactives chez les adolescents français de 17 ans. Premiers résultats de l’enquête Escapad 2017 et évolutions depuis 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(3-4):74-82. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/3-4/2019_
3-4_6.html