Prévention du suicide : l’évaluation est indispensable

// Suicide prevention: Evaluation is essential

Pierre Thomas
Professeur de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Lille, France

Avec plus d’un million de décès chaque année, le suicide est la 14e cause de mortalité dans le monde, et ce chiffre devrait augmenter de 50%, pour en devenir la 12e cause d’ici 2030 1. Il s’agit évidemment d’un problème majeur de santé publique. C’est pourquoi la prévention du suicide devrait toujours être une priorité, même dans les pays où les taux de suicide sont plus bas.

Chaque suicide est en effet une catastrophe, à l’origine de beaucoup de douleur et de traumatismes chez les proches, et il peut être l’un des évènements les plus pénibles auxquels sont confrontés les professionnels de santé. On considère qu’un suicide endeuille en moyenne sept proches et impacte plus de 20 personnes. Or, il est démontré que le risque de suicide augmente significativement dans l’entourage d’une personne suicidée (famille, camarades de classe, collègues de travail, etc.), observation qui a conduit à développer l’idée de la contagion suicidaire et à mettre en œuvre des moyens pour lutter contre cette contagion.

Plusieurs États ont soutenu des initiatives visant à réduire le suicide, dont certaines se sont avérées efficaces. Efficaces car mesurées et évaluées, non seulement en termes de diminution de la mortalité et de l’impact sur les proches, mais aussi en prenant en compte les conséquences médico-économiques dues aux coûts directs et indirects d’une seule vie perdue.

Le suicide est un phénomène complexe, qui se détermine dans l’interaction de divers facteurs. Ces déterminants, biologiques, psychologiques et environnementaux, sont de mieux en mieux connus. Ils permettent d’identifier des populations vulnérables chez qui les idées suicidaires sont davantage susceptibles d’émerger et la crise suicidaire de se produire lorsque apparaissent des situations de tension individuelles, familiales, relationnelles ou socioéconomiques.

Les études épidémiologiques de ces 20 dernières années ont permis d’identifier les facteurs permettant de diminuer la mortalité et la morbidité suicidaire de façon efficace. Les idées suicidaires et des antécédents personnels de comportement suicidaire comptent parmi les facteurs de risque de suicide les plus saillants à court et à long terme. La majorité des suicides surviennent généralement dans le contexte d’un trouble psychiatrique, surtout la dépression.

Le groupe de travail « Prévention du suicide », constitué en 2016 par la Direction générale de la Santé, a fait des propositions stratégiques qui ciblent les personnes les plus à risque et fixent des objectifs quantifiés de réduction du nombre de suicide et de tentatives de suicide. Plusieurs actions sont mises en avant comme : diminuer l’accès aux moyens létaux, aux armes à feu bien sûr, mais aussi œuvrer pour rendre plus difficile l’accès à un hot spot (c’est-à-dire un lieu connu pour attirer les suicidaires comme le Golden Gate Bridge à San Francisco, les falaises d’Étretat, les parties accessibles des voies ferrées…) ; il s’agit aussi de créer ou maintenir le lien avec les populations vulnérables, ce que propose le dispositif VigilanS (http://dispositifvigilans.org), par exemple, au moyen du recontact des suicidants ; de prévenir la contagion suicidaire de proximité ainsi que la contagion médiatique, objectifs du programme Papageno : https://papageno-suicide.com ; de sensibiliser le public au repérage et de former les professionnels de santé à l’évaluation et à la prise en charge du risque suicidaire. En effet, les professionnels de santé doivent être informés des facteurs de risque et des signes avant-coureurs du suicide, car de nombreux sujets en crise suicidaire tentent de demander de l’aide.

La prévention du suicide est donc une priorité, et les actions ayant fait leurs preuves doivent être mises en œuvre. Des objectifs quantifiés permettant d’évaluer et d’interroger régulièrement l’efficacité et la fiabilité de ces actions sont indispensables. À cette fin, il est nécessaire de se doter d’outils permettant de mesurer la mortalité et la morbidité liées au suicide. C’est l’objet même de ce numéro du BEH que de promouvoir des méthodes pour une meilleure évaluation de la mortalité, de la morbidité et des causes associées à l’acte suicidaire, dans le but de fonder et renforcer les stratégies de prévention.

À ce jour, par exemple, l’information renseignée par les médecins certificateurs qui alimente les bases de données du CépiDc-Inserm n’est pas suffisante pour étudier les causes de décès associées aux suicides (C. Ha et coll. ; V. Gigonzac et coll.). Il semble que les perspectives d’exploitation des données des bases médico-administratives du système national des données de santé (SNDS) permettent de surmonter plusieurs biais d’information. L’évolution des idéations suicidaires et de la suicidalité est actuellement mesurée par le Baromètre de Santé publique France chez les adultes (C. Léon et coll. ; P. Delézire et coll.), chez les adolescents via des enquêtes régulièrement répétées (E. Janssen et coll.), ainsi que grâce aux données d’hospitalisations pour tentative de suicide (C. Chan-Chee). Ces outils sont indispensables pour évaluer et améliorer l’efficience des dispositifs de prévention et de recontact. De même, la question de l’évaluation des dispositifs d’écoute (C. Chan-Chee et coll.) devient l’occasion d’une réflexion sur l’évolution de ces dispositifs, entre respect de l’anonymat des appelants et nécessité d’intervenir dans les situations de détresse aiguë.

Référence

1 Mathers CD, Loncar D. Projections of global mortality and burden of disease from 2002 to 2030.PLoS Med. 2006;3(11):e442.

Citer cet article

Thomas P. Éditorial. Prévention du suicide : l’évaluation est indispensable. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(3-4):36-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/3-4/2019_3-4_0.html