Baromètre de Santé publique France 2017 : tentatives de suicide et pensées suicidaires chez les 18-75 ans
// Santé Publique France Health Barometer 2017: Suicidal attempts and suicidal ideation among the 18-75 years-old
* Groupe Baromètre de Santé publique France 2017 : Raphaël Andler, Chloé Cogordan, Romain Guignard, Christophe Léon, Viêt Nguyen-Thanh, Anne Pasquereau, Jean-Baptiste Richard, Maëlle Robert.
Résumé
Introduction –
La France présente un des taux de suicide les plus élevés d’Europe. Ce constat a amené les pouvoirs publics à réinscrire la prévention du suicide dans une stratégie globale de promotion de la santé mentale et de prévention des troubles psychiques, et à fixer des objectifs quantifiés de réduction du nombre de suicide et de tentatives de suicide. L’objectif de ce travail est de présenter une actualisation de la prévalence des comportements suicidaires en France métropolitaine en 2017, d’identifier les populations concernées et d’observer les évolutions depuis 2000.
Méthodes –
En 2017, le Baromètre de Santé publique France a interrogé 25 319 personnes de 18 à 75 ans par Collecte assistée par téléphone et informatique (Cati) selon un sondage aléatoire. Les variables d’intérêt de l’étude sont les pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois ainsi que les tentatives de suicide au cours de la vie et des 12 derniers mois.
Résultats –
En 2017, 4,7% des 18-75 ans déclaraient avoir pensé à se suicider au cours des 12 derniers mois, 7,2% avaient tenté de se suicider au cours de leur vie et 0,39% au cours de l’année. Le suivi des indicateurs dans le temps ne permet pas d’appréhender une évolution claire des conduites suicidaires depuis les années 2000. Le fait d’être une femme, les situations financières difficiles, le fait d’être célibataire, divorcé ou veuf, l’inactivité professionnelle ainsi que les évènements traumatisants sont associés aux comportements suicidaires. Le facteur le plus associé aux pensées suicidaires est d’avoir vécu un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année (ORa=8,3 pour les hommes et 6,6 pour les femmes).
Discussion –
Nos résultats confirment l’intérêt d’engager une politique de prévention du suicide ciblée sur les personnes à haut risque et d’intervenir en amont de la crise suicidaire, dans une logique de repérage et de prise en charge précoce des situations de souffrance psychique. Ils plaident également pour une prise en charge multidisciplinaire et intersectorielle (sanitaire, sociale, médicosociale), en particulier à destination des populations vulnérables.
Abstract
Introduction –
France has one of the highest suicide rates in Europe. This finding has led the public authorities to inscribe suicide prevention as part of an overall strategy of mental health promotion and prevention of mental disorders, to set quantified targets for reduction of the number of suicide and suicide attempts. The aim of this work is to present an update of the prevalence of suicidal behavior in metropolitan France in 2017, to identify the populations concerned and to observe changes since 2000.
Methods –
In 2017, the Santé publique France Health Barometer surveyed 25,319 randomly selected people aged 18 to 75 by Computer Assisted Telephone Interview (CATI). The variables of interest in the study were 12 month suicidal thoughts, lifetime and 12 months suicide attempts.
Results –
In 2017, 4.7% of people aged 18 to 75 declared having considered suicide in the last 12 months, 7.2% had attempted suicide during their lifetime and 0.39% during the past year. Monitoring of the indicators over the years did not show a clear trend in suicidal behaviors since 2000’s. Being a woman, having financial difficulties, being single, divorced or widowed, being inactive professionally and declaring traumatic events are all associated with suicidal behaviors. The factor most strongly associated with suicidal is having had a major depressive episode during the year (ORa=8.3 for men and 6.6 for women).
Discussion –
Our results confirm the importance of initiating a suicide prevention policy targeted at high-risk individuals and early intervention before the suicidal crisis, with identification and early care for the psychologically distressed. Furthermore, multidisciplinary and intersectorial care (health, social, medico-social) should be implemented, especially for vulnerable populations.
Introduction
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 800 000 décès sont attribuables chaque année à un suicide dans le monde 1. En France métropolitaine, les dernières données disponibles du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm) font état de 8 948 décès par suicide en 2015. Même si leur nombre est en diminution ces dernières années, la France présente, parmi les pays européens, un des taux de suicide les plus élevés, derrière les pays de l’Est, la Finlande et la Belgique (1).
Dans ce contexte, un programme national d’action contre le suicide a été mis en place sur la période 2011-2014 afin de mieux comprendre, prévenir et prendre en charge ce phénomène 2. En 2013, la création de l’Observatoire national du suicide (ONS) est venue consolider et appuyer cette perspective. Plus récemment, la Stratégie nationale de santé a inscrit la santé mentale comme un enjeu prioritaire et a présenté ses orientations dans un plan national « Priorité Prévention ». Une feuille de route santé mentale et psychiatrie publiée le 18 juin 2018 par le ministère de la Santé en précise la déclinaison opérationnelle, dont le premier axe stratégique vise à « Promouvoir le bien-être mental, prévenir et repérer précocement la souffrance psychique, et prévenir le suicide » (2). Il s’agit d’une part de réinscrire la prévention du suicide dans une stratégie globale de promotion de la santé mentale et de prévention des troubles psychiatriques (impliqués dans la majorité des passages à l’acte suicidaire) et, d’autre part, de réduire à court terme la prévalence des tentatives de suicide et des décès par suicide 3 en ciblant les personnes les plus à risque de passage à l’acte suicidaire (personnes suicidaires et personnes avec antécédent de tentative de suicide) à partir d’un ensemble d’actions présentées comme efficaces dans la littérature scientifique.
En France, la surveillance des tentatives de suicide (TS) est effectuée principalement à partir des bases médico-administratives de recours aux soins 4,5. Collectées de façon routinière et systématique, ces données ont l’avantage d’être disponibles rapidement et de couvrir tout le territoire. Cependant, toutes les TS ne donnent pas lieu à une prise en charge médicale et, pour estimer la prévalence du risque suicidaire dans la population, la seule possibilité reste l’interrogation directe des suicidants par le biais d’enquêtes déclaratives en population générale. Les enquêtes Baromètres de Santé publique France constituent donc ce complément indispensable aux données de surveillance 6,7 : elles permettent de mesurer des prévalences sur les comportements suicidaires (idéations et TS) en population générale, de caractériser les populations les plus exposées et d’approfondir l’étude des facteurs qui y sont associés. La littérature confirme le fort lien existant, notamment en termes de pronostic, entre pensées suicidaires, TS et suicide, justifiant de ce fait de l’attention portée à de tels indicateurs 8,9.
Ce travail présente une actualisation de l’estimation de la prévalence des pensées suicidaires et TS en population générale âgée de 18 à 75 ans, résidant en France métropolitaine, à partir de l’exploitation des données du Baromètre de Santé publique France 2017. Les évolutions sur la période 2000-2017, ainsi que les associations avec les facteurs sociodémographiques et les événements intervenus au cours de la vie ou dans l’année, sont également analysées. Enfin, des données relatives aux contextes liés aux TS et aux pensées suicidaires ainsi qu’au recours aux soins sont présentées.
Matériels et méthode
Sources de données
Les données de l’enquête Baromètre de Santé publique France 2017 ont été recueillies par téléphone selon un sondage aléatoire à deux degrés sur lignes fixes (ménage puis individu) et à un degré sur lignes mobiles (individu), par la méthode de Collecte assistée par téléphone et informatique (Cati). L’objectif était de constituer un échantillon représentatif de l’ensemble des personnes de 18-75 ans vivant en France métropolitaine en ménage ordinaire et parlant le français. La passation du questionnaire a duré en moyenne 30 minutes et le taux de participation a été de 48,5%. Le protocole d’enquête a reçu l’aval de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil).
La méthode détaillée de l’enquête ainsi que le questionnaire sont téléchargeables à partir de l’adresse : http://inpes.santepubliquefrance.fr/Barometres/barometre-sante-2017/index.asp
Les évolutions des comportements suicidaires ont été étudiées par rapport aux Baromètres des années 2000, 2005, 2010 et 2014 dont la méthodologie de recueil était comparable.
Variables
Les variables d’intérêt de l’étude sont les pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, ainsi que les TS au cours de la vie et des 12 derniers mois. Pour estimer les prévalences, l’enquête s’appuie depuis 2000 sur des questions pour lesquelles la personne interrogée doit répondre, le plus souvent par oui ou par non, avec la possibilité de refuser si elle le souhaite (Encadré).
Principaux indicateurs étudiés concernant les comportements suicidaires dans les Baromètres de Santé publique France
Pensées suicidaires : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous pensé à vous suicider ? », « Avez-vous été jusqu’à imaginer comment vous y prendre ? » et « En avez-vous parlé à quelqu’un ? » ; si oui, « À qui en avez-vous parlé ? ».
« Était-ce plutôt en rapport avec … » des raisons : professionnelles, liées à la scolarité (étudiants), sentimentales, familiales, de santé, financières ?
Tentatives de suicide au cours de la vie et au cours des 12 derniers mois : « Au cours de votre vie, avez-vous fait une tentative de suicide ? » ; « Combien de fois cela vous est-il arrivé ? » ; « Cette tentative de suicide a-t-elle eu lieu au cours des douze derniers mois ? » et « Quel âge aviez-vous lors de cette tentative ? ».
Recours aux soins et hospitalisation suite à la dernière tentative : « Estimez-vous avoir reçu le soutien nécessaire pour vous en sortir ? » ; « Êtes-vous allé à l’hôpital / avez-vous été suivi par un médecin ou un « psy » / en avez-vous parlé à quelqu’un d’autre qu’un médecin ou un « psy » ? » et « Si vous avez été à l’hôpital, avez-vous été hospitalisé pendant au moins une nuit ? ».
« Aviez-vous fait cette tentative pour ... » des raisons : professionnelles, liées à la scolarité (étudiants), sentimentales, familiales, de santé.
Les variables sociodémographiques analysées sont : le sexe, l’âge en six tranches (18-24 ans ; 25-34 ans ; 35-44 ans ; 45-54 ans ; 55-64 ans ; 65-75 ans), le niveau de diplôme (inférieur au Bac ; équivalent au Bac ; supérieur au Bac), le statut matrimonial (marié ou pacsé ; célibataire ou en concubinage ou en union libre ; divorcé ; veuf), la situation professionnelle (travail ; chômage ; autres inactifs) et la situation financière perçue (à l’aise, ça va ; c’est juste ; c’est difficile, n’y arrive pas sans faire de dettes). Certains évènements intervenus dans la vie ou dans l’année ont également été analysés : perte ou maladie d’un proche, climat familial difficile, problèmes d’argent, violences, séparation/divorce, épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois.
Analyses statistiques
Les données ont été pondérées en fonction du nombre d’individus éligibles et de lignes téléphoniques au sein du ménage, puis redressées sur la structure de la population issue de l’Enquête Emploi 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (3). La même méthode a été appliquée aux données des Baromètres des années précédentes.
Les proportions ont été comparées par le test d’indépendance (Chi2 de Pearson), avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%. Des régressions logistiques stratifiées selon le sexe ont été utilisées, afin de contrôler l’existence d’éventuels effets de structure liés aux caractéristiques de la population et pour quantifier la force du lien entre les variables d’intérêt de notre étude et les variables sociodémographiques ainsi que les événements de vie ; l’existence de ce lien a été évaluée à l’aide de l’odds ratio ajusté (ORa) et mesurée par le test de Wald avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%.
Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata® (version 13.1 SE).
Résultats
Les échantillons analysés comprenaient 25 319 personnes âgées de 18 à 75 ans en 2017, 12 588 en 2000, 24 602 en 2005, 25 034 en 2010 et 15 186 en 2014.
Les pensées suicidaires
En 2017, 4,7% [4,4-5,1] (n=1 148) des personnes de 18-75 ans déclaraient avoir pensé à se suicider au cours des 12 derniers mois. Les femmes (5,4%) étaient proportionnellement plus nombreuses que les hommes (4,0%) à le déclarer (p<0,001). Malgré des différences marquées pour chacune des tranches d’âge analysées, seule la tranche des 55-64 ans présentait une différence significative entre les hommes et les femmes (figure 1).
Pour les personnes concernées, les pensées suicidaires étaient principalement liées à des raisons « familiales » (41,4%), « sentimentales » (32,3%), « professionnelles » (27,6%), « financières » (23,7%) et de « de santé » (23,7%). Les pensées suicidaires des femmes étaient davantage associées à des raisons « familiales » que celles des hommes (48,3% vs 31,6% ; p<0,001), tandis que les pensées suicidaires des hommes étaient plus souvent associées à des raisons « professionnelles » (31,5% vs 24,8% des femmes ; p<0,05). Selon l’âge, les 18-34 ans citaient davantage des raisons « sentimentales » (53,8% pour les 18-24 ans ; p<0,001 par rapport aux autres tranches d’âge, et 44,9% pour les 25-34 ans ; p<0,01) ; les 45-54 ans citaient davantage des raisons « professionnelles » (37,6% ; p<0,001) et les 65-75 ans des raisons « de santé » (36,8% ; p<0,01).
Au total, 70,9% (66,1% pour les hommes vs 74,3% pour les femmes ; p<0,05) des personnes ayant déclaré des pensées suicidaires dans l’année ont été jusqu’à imaginer comment s’y prendre, et environ la moitié (47,3%) en a parlé à quelqu’un (40,8% des hommes vs 51,9% des femmes ; p<0,01) ; la personne privilégiée pour en parler était un professionnel de santé (54,0%), puis un membre de sa famille (46,2%) ou encore un ami (40,8%).
Il est difficile de comparer ces données avec celles observées en 2000 et 2005, dans la mesure où la question posée était alors moins spécifique. Dans les Baromètres 2000 et 2005, les personnes étaient interrogées sur le fait d’avoir « pensé au suicide », ce qui concernait respectivement 5,9% et 5,2% de la population âgée de 18 à 75 ans. Sur la période 2010-2017, où ils devaient répondre à la question « Avez-vous pensé à vous suicider ? », la prévalence est restée stable chez les hommes alors qu’elle a connu une augmentation chez les femmes, passant de 4,5% à 5,4% (p<0,01) (figure 2).
D’autres caractéristiques que le fait d’être une femme étaient associées aux pensées suicidaires au cours de l’année. Les facteurs les plus fortement liés différaient peu selon le sexe (tableau 1). Les hommes de 35-54 ans et les femmes de 55-64 ans apparaissaient plus concernés que les autres tranches d’âge. L’analyse selon le niveau de diplôme montre que les femmes ayant un diplôme supérieur au Bac étaient plus à risque d’avoir des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois (ORa=1,3 ; p<0,05) que celles ayant un diplôme inférieur, ce qui n’était pas le cas chez les hommes. Le chômage n’apparait pas discriminant dans notre étude ; cependant, chez les hommes seulement, une tendance semble l’associer aux idéations suicidaires (ORa=1,5 ; p=0,067). Le fait d’être inactif au sens large, les difficultés financières perçues et le fait d’être célibataire, divorcé ou veuf étaient associés aux pensées suicidaires pour les hommes et les femmes.
les 18-75 ans, France métropolitaine, 2017
Le fait d’avoir vécu un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année était le facteur le plus fortement associé aux pensées suicidaires dans l’année (ORa=8,3 pour les hommes et ORa=6,6 pour les femmes ; p<0,001). Les « graves problèmes d’argent », « menaces verbales », « humiliations ou intimidations » et le fait d’avoir « vécu une séparation ou un divorce » au cours des 12 derniers mois multipliaient par 2 environ le risque d’idéations suicidaires.
Les tentatives de suicide
En 2017, 7,2% [6,8-7,6] (n=1 742) des 18-75 ans déclaraient avoir tenté de se suicider au cours de leur vie (9,9% des femmes vs 4,4% des hommes ; p<0,001) et 0,39% [0,30-0,51] (n=75) au cours des 12 derniers mois (0,29% des hommes vs 0,48% des femmes ; p=0,076). Parmi les personnes ayant fait une TS au cours de leur vie, plus d’un tiers (37,7%) ont déclaré en avoir fait au moins deux (39,9% des femmes vs 32,4% des hommes ; p<0,05). L’âge moyen de la dernière TS était de 29 ans pour les hommes et 27 ans pour les femmes (p<0,05) ; l’âge médian était de 25 ans (27 ans pour les hommes et 24 ans pour les femmes). La majorité des TS ont eu lieu avant l’âge de 25 ans, et c’est entre 15 et 19 ans que la proportion de suicidants était la plus importante, avec 30,1% de femmes concernées et 19,5% d’hommes (p<0,001) (figure 3).
Les principales raisons (4) déclarées par les personnes pour expliquer leur geste étaient : « familiales » (49,2% ; 37,7% des hommes vs 54,1% des femmes ; p<0,001), « sentimentales » (40,8% ; 46,5% vs 38,4% ; p<0,05), « professionnelles » (10,3% ; 15,6% vs 8,1% ; p<0,001) et liées à leur état de « santé » (10,3% ; sans différence significative selon le sexe). Les 35-44 ans se distinguent des autres tranches d’âge par une surreprésentation des TS pour raisons familiales (57,7% ; p<0,01).
Par ailleurs, un peu plus de 6 suicidants sur 10 estimaient avoir reçu le soutien nécessaire pour s’en sortir (61,4%) ; 59,8% ont déclaré s’être rendus à l’hôpital et 52,3% avoir été suivis par un médecin ou un « psy » (64,7% parmi ceux ayant été hospitalisés vs 34,1% parmi ceux n’ayant pas été hospitalisés ; p<0,001). Selon l’âge, les 18-34 ans étaient, en proportion, moins nombreux à s’être rendus à l’hôpital suite à leur TS (45,9% pour les 18-24 ans ; p<0,01 par rapport aux autres tranches d’âge et 51,2% pour les 25-34 ans ; p<0,05).
La prévalence des TS au cours de la vie chez les femmes a augmenté depuis 2005, passant de 7,6% à 9,9% en 2017 (p<0,001), tandis qu’elle est restée stable chez les hommes sur la période 2014-2017 après avoir augmenté de 1,9 points entre 2005 et 2014 (p<0,001) (figure 2).
Chez les hommes, la prévalence des TS au cours des 12 derniers mois a connu son maximum en 2014, avec 0,68% de personnes concernées. Chez les femmes, une tendance à la hausse a été observée entre 2005 et 2014, la prévalence passant de 0,27% à 0,82% (p<0,001), avant de retrouver en 2017 un niveau semblable à celui observé en 2000 (figure 2).
L’analyse des facteurs sociodémographiques (tableau 2) a montré que, chez les femmes, la prévalence des TS au cours de la vie était comparable quelle que soit la tranche d’âge analysée, tandis que chez les hommes, les plus jeunes (18-24 ans) et les plus âgés (65-75 ans) apparaissaient moins concernés que les autres. Les hommes veufs au moment de l’enquête étaient 2,5 fois plus à risque d’avoir fait une TS au cours de leur vie que les autres (p<0,05) ; ce constat n’apparait pas valable chez les femmes. Le célibat, ainsi que le fait d’être divorcé, étaient associés aux TS pour les hommes et les femmes, tout comme le fait d’être dans une situation d’inactivité professionnelle et de percevoir sa situation financière comme « juste » ou « difficile » au moment de l’enquête ; en revanche, les personnes ayant un niveau de diplôme supérieur au Bac apparaissaient moins touchées par les TS au cours de la vie que celles ayant un niveau inférieur ou équivalent au Bac (ORa=0,7 ; p<0,05 pour les hommes et p<0,01 pour les femmes). Enfin, chez les hommes, le chômage semblait associé aux TS, même si ce résultat n’atteint pas le seuil de significativité (ORa=1,4 ; p=0,076).
Les évènements de vie traumatisants, les problèmes intrafamiliaux et les violences sexuelles étaient fortement associés aux TS au cours de la vie. Ainsi, selon l’ordre d’importance, les violences sexuelles subies au cours de la vie multipliaient par 4,5 chez les hommes et 3,5 chez les femmes le risque de TS (p<0,001), les climats familiaux violents par 2,2 pour les deux sexes (p<0,001) et les graves problèmes d’argent au cours de la vie par 1,7 chez les hommes (p<0,001) et 2,2 chez les femmes (p<0,001). Le fait d’avoir été confronté au décès ou à la maladie d’un parent avant ses 18 ans était associé aux TS chez les femmes uniquement (ORa=1,3 ; p<0,01).
Discussion
L’enquête Baromètre de Santé publique France 2017, qui repose sur un échantillon aléatoire représentatif de la population française, indique que 4,7% des 18-75 ans déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, 7,2% avoir fait une TS au cours de la vie et 0,4% au cours de l’année précédant l’enquête. Aucune enquête récente ne permet de confronter nos résultats à d’autres données de prévalences nationales. À titre de comparaison, au début des années 2000, l’enquête Santé mentale en population générale (SMPG) de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et du Centre collaborateur de l’OMS estimait la prévalence de TS au cours de la vie à 9% pour les femmes et 6% pour les hommes 10. En 2017, le Baromètre de Santé publique France fournit des estimations de 9,9% pour les femmes et 4,4% pour les hommes, mais les différences de méthode entre les deux enquêtes empêchent de conclure formellement quant à ces écarts peu importants. L’enquête WMH (World Mental Health Survey) de l’OMS, menée entre 2001 et 2007 dans 21 pays, donnait des résultats globaux de 2% pour la prévalence des pensées suicidaires et 0,3% pour les TS au cours de l’année dans les pays développés, ce qui situait déjà la France au-dessus des autres pays 11. Là encore, les différences de méthodologie ne permettent pas d’interpréter les écarts observés.
Les évolutions observées dans le Baromètre depuis les années 2000 suggèrent, après une diminution entre 2000 et 2005, une tendance continue à la hausse des TS déclarées au cours de la vie entre 2005 et 2017, en particulier chez les femmes (une augmentation de plus de 2 points entre 2005 et 2017). S’agissant des TS au cours de l’année, les évolutions, après avoir enregistré une tendance à la hausse entre 2000 et 2014, repartent à la baisse en 2017 avec des prévalences comparables à celles observées dans les années 2000. Enfin, concernant l’occurrence de pensées suicidaires au cours de l’année, après une diminution observée entre 2000 et 2010 et un retour à la hausse entre 2010 et 2014 pour les hommes et les femmes, les données suggèrent une tendance à la stabilité entre 2014 et 2017. Ainsi, le suivi des indicateurs du Baromètre de Santé publique France ne permet pas d’appréhender de façon claire l’évolution des conduites suicidaires depuis les années 2000.
Les femmes déclarent davantage de pensées suicidaires et de TS que les hommes ; elles sont également plus nombreuses à avoir été hospitalisées pour une TS 5. Cela peut sembler paradoxal au regard des données de mortalité par suicide observées en 2015, qui s’avèrent pour leur part nettement plus élevées chez les hommes 3. Ce paradoxe apparent, qualifié de « gender paradox », est cependant systématiquement retrouvé dans les travaux comparant les TS et les décès par suicide. L’un des facteurs explicatifs serait l’utilisation de moyens plus létaux chez les hommes (armes à feu, pendaison) entrainant, malgré un plus faible nombre de TS, davantage de décès que chez les femmes. Ces différences seraient liées à des normes sociales genrées (expression de la souffrance, recherche d’aide, acceptation sociale de l’acte suicidaire) ayant une incidence sur les modalités et l’intentionnalité de l’acte suicidaire 12.
Les facteurs associés aux pensées suicidaires mis en évidence dans notre analyse concordent avec ceux relevés dans la littérature internationale 13,14,15. Des caractéristiques telles que le fait d’être une femme, la situation financière (perçue comme étant trop juste, dettes, problèmes financiers), la situation matrimoniale (célibataire, divorcé ou veuf) et l’inactivité professionnelle sont associées à une occurrence plus élevée de pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. Les raisons invoquées par les répondants comme étant à l’origine de leurs pensées suicidaires confirment ces grandes catégories de facteurs (raisons familiales pour 4 répondants sur 10, sentimentales ou professionnelles pour 3 sur 10 et financières pour 2 sur 10). Nos analyses ont montré que les facteurs les plus fréquemment associés aux pensées suicidaires restent, pour les hommes et les femmes, le fait d’avoir vécu un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année (ORa=8,3 pour les hommes et 6,6 pour les femmes) et le fait d’avoir été victime de violences au cours des 12 derniers mois (menaces, intimidations, humiliations, etc. ; ORa=2,2 pour les femmes et 1,6 pour les hommes).
Concernant les TS déclarées au cours de la vie, des associations significatives sont retrouvées avec les mêmes catégories de facteurs que pour les pensées suicidaires : le fait d’être une femme, le statut matrimonial (célibat, divorce), la situation professionnelle (inactivité) ou encore la perception de sa situation financière (problèmes d’argent). Les principales raisons évoquées en lien avec la dernière TS déclarée confirment bien l’implication de ces facteurs, du point de vue des répondants, dans les passages à l’acte suicidaire (familiales dans près d’un cas sur 2, sentimentales dans 4 cas sur 10 et professionnelles dans 1 cas sur 10). D’autres facteurs, en particulier les évènements de vie douloureux pendant l’enfance ou l’adolescence, tels que le décès ou la maladie d’un proche, un climat de violence familiale et surtout le fait d’avoir subi des violences sexuelles (facteur le plus fortement associé aux TS pour les hommes et les femmes) semblent être des déterminants majeurs des passages à l’acte suicidaire au cours de la vie.
Le Baromètre de Santé publique France est la seule étude permettant une surveillance épidémiologique des conduites suicidaires au cours des années en France, ce qui en fait un outil précieux mais avec certaines limites. Tout d’abord, l’enquête n’interroge pas la population des adolescents (moins de 18 ans), très concernée par ce problème de santé publique, notamment les jeunes filles de 15-19 ans pour lesquelles le taux d’hospitalisation pour TS est le plus élevé 5. Ensuite, les questions abordant la thématique du suicide demandent aux personnes enquêtées un effort de mémoire sur des événements potentiellement douloureux ou embarrassants pouvant les inciter à refuser de répondre ou à ne répondre que partiellement. Ces limites sont connues au regard de la difficulté que représente le repérage des conduites suicidaires, mais restent constantes au cours du temps. Les résultats produits permettent cependant de proposer une estimation à l’échelle d’une population, d’en suivre les évolutions et d’identifier les profils de population les plus concernés.
Notre étude explore le lien entre des TS survenues au cours de la vie et des situations sociodémographiques actuelles (statut matrimonial, situation professionnelle ou perception de sa situation financière). La principale raison de ce choix d’analyse concerne le peu d’effectif de répondants ayant déclaré des TS dans l’année, ne permettant pas l’analyse des facteurs associés à cet indicateur. De fait, les associations entre TS au cours de la vie et facteurs sociodémographiques actuels ne permettent pas de conclure sur le sens causal de ces relations. Nous pouvons émettre deux hypothèses : (1) celle de la sélection sociale 16, qui suppose que les personnes ayant des problèmes de santé mentale occupent des positions socioéconomiques défavorisées en raison des incapacités associées à leurs troubles psychopathologiques, comparativement à celles qui n’ont pas ces problèmes; (2) l’hypothèse alternative, celle de la causalité sociale 17, qui envisage les problèmes de santé mentale comme la conséquence de privations socioéconomiques et d’un déficit de ressources sociales, économiques et d’accès aux soins pour y faire face. Ces deux hypothèses agissent sans doute de concert dans les mécanismes d’association entre santé mentale et variables sociodémographiques.
Ensuite, parmi les déterminants multifactoriels des tentatives de suicide, la dépression est un facteur majeur. La non-possibilité d’intégrer les troubles dépressifs dans l’analyse des facteurs associés aux tentatives de suicide au cours de la vie constitue ainsi une autre limite importante à la présentation de nos résultats.
Enfin, des analyses et valorisations secondaires devront être envisagées concernant l’étude des interactions, notamment entre âge et situation matrimoniale ou entre âge et situation professionnelle par exemple. En effet, l’association observée entre ces variables et les tentatives de suicide pourrait varier en fonction de l’âge.
La lente décroissance de la mortalité suicidaire observée en France sur les 10 dernières années tend à confirmer la pertinence des politiques de prévention engagées 18. Toutefois, cette évolution insuffisante, ainsi que les niveaux de mortalité élevés en comparaison à nos voisins européens, ont amené les pouvoirs publics et les experts du champ à renouveler leur engagement dans une politique de prévention du suicide, dont nous espérons observer les effets dans les prochaines années, en ciblant davantage les personnes à haut risque suicidaires (personnes suicidaires et personnes avec antécédents de TS). L’objectif est d’aboutir à une « cassure » des courbes d’évolution des TS et des décès par suicide en intervenant à proximité du passage à l’acte suicidaire, par le biais d’une combinaison de dispositifs et d’actions de prévention développés à l’échelle des territoires : le maintien du contact post-hospitalisation avec les personnes ayant effectué une tentative de suicide (e.g. déploiement national du programme VigilanS : http://dispositifvigilans.org) ; la mise en œuvre d’un numéro unique / d’une ligne d’appel d’urgence dédiée à la crise suicidaire ; la prévention de la contagion suicidaire, notamment en travaillant avec les médias sur les enjeux de communication autour des cas de décès par suicide (e.g. le programme Papageno : https://papageno-suicide.com) ou encore la formation des professionnels de proximité, notamment celle des médecins généralistes, au repérage et à la prise en charge des troubles dépressifs et du risque suicidaire. Rappelons que seulement la moitié des personnes déclarant des pensées suicidaires au cours de l’année en ont parlé à quelqu’un et que la moitié des personnes ayant effectué une TS au cours de la vie déclarent avoir été suivies par un professionnel de santé après leur TS.
Au-delà de la large gamme de facteurs associés disponibles dans le Baromètre de Santé publique France en comparaison aux données d’hospitalisation, un autre atout de ce Baromètre est de pouvoir documenter les TS non hospitalisées. Des analyses complémentaires pourront être ainsi réalisées afin de mieux caractériser les profils de répondants n’ayant pas eu recours aux soins.
En accord avec les recommandations du Haut Conseil de la santé publique 19, nos données confirment l’intérêt, en complément d’une stratégie ciblée sur les personnes à haut risque suicidaire, d’intervenir en amont, dans une logique de promotion de la santé mentale (développement de milieux favorables, prévention des violences, amélioration du climat familial, scolaire et professionnel) et de prévention des troubles psychiques (une pathologie psychiatrique est retrouvée dans 61% des hospitalisations pour TS 5) par le repérage et la prise en charge précoce des situations de souffrances psychologiques et des troubles dépressifs, ceux-ci étant d’ailleurs en augmentation ces dernières années 20. Enfin, nos données confirment l’importance des variables sociales (situation matrimoniale, familiale, financière, professionnelle) et plaident pour une prise en charge multidisciplinaire et intersectorielle (sanitaire, sociale, médicosociale) de la souffrance psychique et des conduites suicidaires.
Références
francaise.fr/rapports-publics/184000075/index.shtml
INV12195
3-4/2019_3-4_2.html
internet_recherche/INV10218
santepubliquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/CAT00001109
2e_rapport_de_l_observatoire_national_du_suicide.pdf
santepubliquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/SPF00000445